Chapitre 7

Notes de l’auteur : « Such a lovely place, Such a lovely face » Eagles
--> https://www.youtube.com/watch?v=TlRmqXAJFMY

Lundi en cours, Elsa me raconte qu’elle a revu Boubakar le dimanche, mais en tête à tête cette fois. Elle me laisse sous-entendre qu’il s’est passé ce qu’elle souhaitait mais ne s’étend pas davantage sur le sujet. Et j’en suis un peu étonnée. Mon amie est du genre à m’envoyer des audios interminables et développe ses “histoires” bien plus que cela, d’habitude. Mais je n’ose pas jouer les indiscrètes. Elle a sûrement une bonne raison de rester sur la réserve.

- Ah au fait, j’ai complètement oublié de te dire que je mange avec mon grand frère ce midi ! Il est là pour quelques jours seulement. Désolée, ça m’est sorti de la tête ! elle m’explique.

- No problem, la solitude est ma meilleure amie, je lui réponds avec un clin d’œil.

- Mange avec nous, Emilie, intervient Bastien qui s’est retourné vers nous.

Je maudis intérieurement Elsa de parler si fort. J’apprécie Bastien, et les autres, mais je ne les connais pas encore suffisamment pour me sentir à l’aise, seule avec eux.

- C’est gentil mais je vais en profiter pour avancer dans mes lectures, je mens.

Il hausse les épaules avec un sourire et nous laisse tranquilles.

Elsa secoue la tête en levant les yeux au ciel.

- No comment, je lui intime.

L’écran de mon téléphone posé sur le bureau s’allume et j’y aperçois le nom de Martin. Je saisis mon appareil, curieuse, et lis :

« On mange ensemble ? »

Je me retourne vers lui. Il est placé un rang derrière nous, sur la droite. Sérieux, lui aussi a entendu ?

« Tu nous as entendu ? » je demande en connaissant déjà la réponse.

« Affirmatif. »

« Donc tu as aussi entendu quand j’ai refusé la proposition de Bastien parce que je voulais lire ? »

« Affirmatif. »

« Mais tu penses qu’à toi je vais dire oui, c’est ça ? »

Je pivote légèrement la tête vers lui et le vois hocher la tête en ma direction avec un sourire en coin. Je lève les yeux au ciel.

« Comment c’est possible d’être si sûr de soi ?? »

« Si tu manges avec moi, je t’apprendrais. »

Je tente de réprimer un sourire et le résultat ne doit pas être très concluant.

« Tu me saoules. »

« Pizza/coca ? » il demande simplement.

Je me mords la lèvre, sachant pertinemment que je ne vais pas avoir le courage de refuser.

« Fine. »

« Tu n’auras qu’à m’attendre là le temps que j’aille chercher notre commande. »

J’attaque ma lèvre plus fort, atterrée par le peu de volonté que j’ai avec lui. 

« J’espère pour toi que Bastien ou un de ses sbires n’apprendra pas qu’on a mangé ensemble ! » Et je repose mon téléphone, l’écran tourné vers le bureau. Je l’observe du coin de l’œil le reste de la matinée. J’ai parfois l’impression qu’il regarde en ma direction, mais comme je m’empêche de tourner la tête vers lui, je n’ai aucune certitude. Je me trouve stupide en sa présence. J’ai l’impression de redevenir une ado. Je déteste ça.


 

A midi je reste donc dans la dernière salle qu’on a occupée. On a la chance de pouvoir utiliser les pièces qui sont disponibles à notre guise. Et il n’est pas interdit d’y manger.

Elsa me fait une bise sonore sur la joue avant de s’éclipser, sa silhouette suivie au fur et à mesure par le reste de la classe. Quand Martin passe à mon niveau pour rejoindre la sortie, je lève les yeux sur lui et il me fait un clin d’œil. Son assurance est à la fois attirante et vraiment … énervante. 

Il revient avec deux belles pizzas dont je sais d’avance qu’elles seront délicieuses.

Il s’assied à ma droite. 

- Laquelle tu préfères ? 

- La reine ! je dis sans hésitation.

Il me la tend et je me précipite dessus.

Je lâche un gémissement de pur bonheur. Elle est excellente, la dose généreuse de mozzarella comble mes papilles. Je finis ma bouchée et lui dis :

- Là, tu es en train de rendre une femme très heureuse. Merci.

Il sourit.

- Elles sont vraiment énormes donc ne t’en fais pas si tu n’arrives pas à finir, , je t’aiderais. 

- Joey doesn’t share food ! je m’exclame offusquée.

Un éclair de confusion passe dans son regard puis il écarquille les yeux.

- Friends ! s’écrie-t-il ravi d’avoir trouvé la référence à ma citation.

Je ris.

Je suis en train d’engloutir ma dernière bouchée quand je me sens observée.

Je l’interroge du regard.

- Comment tu peux manger autant ? Cette pizza était immense ! Et ton corps …lui est minuscule ! 

Il paraît vraiment choqué. Je hausse les épaules avec un petit rire.

- C’est dans mon ADN. J’ai la même morphologie que ma mère. Je ne crois pas qu’elle ait dépassé un jour les 50kg, sauf quand elle était enceinte bien-sûr. 

Il me scrute de la tête aux pieds.

- Quoi ?  je demande.

- Je cherche où a bien pu passer ta pizza. 

- Merci au fait. Pour la pizza, je lui souris.

- My pleasure.

Soudainement, son regard s’arrête sur ma bouche. J’arrête de respirer et me fige mais ses yeux révèlent plus de la curiosité qu’autre chose.

- Tu mets du crayon sur tes lèvres ? il demande.

- Hein ? 

Je m’empare de mon téléphone pour regarder dans l’appareil photo mais ne remarque rien d’anormal.

- Qu’est-ce que tu racontes ? 

- On dirait que tu as dessiné le contour de tes lèvres avec du maquillage. 

Je respire enfin soulagée.

- T’es con tu m’as fait peur, j’ai cru que je m’étais mis du stylo... Et non, si tu veux tout savoir je ne porte que du mascara aujourd’hui.

Je m’observe encore une fois sur mon téléphone. C’est vrai que j’ai toujours eu le contour des lèvres plus foncé que l’intérieur. 

Quand je relève mon regard, le sien est toujours sur ma bouche. Puis sur le reste de mon visage, avant de remarquer que je le fixe. Je sens mon cœur battre sourdement, stressée par son attention ainsi focalisée sur mon visage. Je déglutis péniblement et fuis son regard.

- Tu es très belle, il finit par dire le plus sérieusement du monde.

J’entrouvre la bouche mais ne sais pas quoi faire de cette déclaration. Je me sens toute drôle. Tous mes sens sont comme … aiguisés, prêts à saisir la moindre information que je lirais sur son visage, dans sa voix, dans ses gestes, dans notre position l’un par rapport à l’autre. Le temps me semble avoir ralenti sa course. Pour une fois, il ne surjoue pas, ne cherche pas à me charmer, ou à me faire rire. C’est comme s’il avait baissé sa garde et je sais que ça ne durera pas. Martin Gaillard est seul avec moi dans cette pièce, son regard ne me quitte pas, et alors que je n’ai rien fait pour plaire, ni dans ma tenue ni dans un maquillage ou une coiffure, ni même dans mon attitude, il paraît surpris de me trouver belle. J’aimerais figer cet instant encore quelques minutes.

 

Je sens dans ses yeux qu’il revient à lui, à la réalité. Ses fossettes se creusent un peu et ses iris pétillent de malice.

- Parfois j’aimerais pouvoir lire tes pensées, je lui avoue.

- Dans ce cas, on est deux, rétorque-t-il. Je sais ! On va faire un jeu. 

Je plisse les yeux, intriguée et méfiante à la fois.

- T’as pas confiance en moi ? 

- Bizarrement non.

- Écoute : chacun pose une question à l’autre. Si l’autre ne se sent pas capable d’y répondre honnêtement, il passe et doit dire un compliment sincère au premier ou quelque-chose qu’il aime chez la personne. Qu’est ce que t’en penses ? 

J’esquisse un demi-sourire, flairant un piège mais je suis beaucoup trop curieuse pour passer à côté de cette occasion de le questionner.

- Let’s go. Prem’s !  je m’exclame.

Il lève les mains au ciel et attend ma question.

- On va partir sur du classique : pourquoi avoir choisi une licence d’anglais ? 

- Parce que j’aime la vie, j’aime le monde et savoir parler anglais est un moyen sûr de s’offrir tout ça. Et après avoir choisi une filière littéraire au lycée, j’avais envie de découvrir les subtilités d’une autre langue.

Je joue inconsciemment avec ma bouche pendant que je l’écoute, concentrée.

- A moi, dit-il. Si tu pouvais juste arrêter de tripoter ta bouche comme ça, ça me déconcentre. 

Il sourit coquin.

Moi je rougis, pas complètement sûre d’interpréter cela correctement.

Il reprend son sérieux et me fixe en méditant.

Je ne peux m’empêcher de me mordiller la lèvre inférieure, mal à l’aise qu’il m’observe ainsi.

Il soupire en souriant.

- Combien d’hommes ont touché ta bouche ? 

Mon cœur loupe un battement. 

- C’est quoi cette question ?! je m’écrie, complètement prise au dépourvu.

Il rit, à moitié embarrassé à moitié …espiègle.

- T’as qu’à arrêter de faire ce que tu fais avec ta bouche, il se justifie.

Je prends une grande inspiration, ouvre la bouche et me mets à compter en essayant de me remémorer les différents garçons que j’ai embrassés dans ma courte vie.

- Tu parles d’hommes, à partir de quel âge je compte ? 

- Disons à partir de tes 16 ans, la majorité sexuelle. 

Je hoche la tête pensive.

- Six ? Je compte pas les filles du coup ? 

Il s’étrangle avec son coca. 

- Ça fait combien, si tu comptes les filles ? 

Ses yeux sont écarquillés, presque comme apeurés par la réponse.

- Huit je crois. 

- Tu … tu es …, il bégaie.

Je ris.

- Non je ne suis pas bi, c’était que des baisers avec des copines quand j’étais bourrée, dans mes années lycée, j’explique.

J’ai l’impression qu’il est soulagé de ma réponse.

- Tu finis pas de me surprendre, l’intello. 

- A moi ! Hum …Si tu ne te gênes pas pour aller sur ce genre de sujet, je ne vais pas me priver non plus. Combien de copine tu as eu ? Je parle de relations d’au moins un mois. 

- Passe. 

Je râle mais ne dis rien.

- Donc je te dois quelque-chose …, dit-il.

Je baisse les yeux et gratte les peaux autour de mes ongles, mal à l’aise.

- J’ai aimé t’entendre chanter, à la rivière, dit-il.

Je ne savais pas à quoi m’attendre mais certainement pas à ça. On n’a jamais évoqué le fait que j’avais poussé la chansonnette samedi dernier. Je ne pensais pas l’avoir marqué autrement que par mes seins ce jour-là.

- That’s …true ?

Mon front se plisse.

Un léger sourire étire ses lèvres charnues. Damn it, qu’est ce que j’aimerais les embrasser celles-la …

- Oui, il me répond sans me regarder dans les yeux. Ma question : Tu chantes souvent ? 

- Dans ma chambre oui. Et dans la salle de bain, je rigole.

- Ça ne m’étonne pas mais c’est dommage.

Je me frotte les mains, réfléchissant à ce que je pourrais lui demander cette fois.

- Qu’est-ce qui t’attire le plus chez une femme ? 

Je le regarde avec une curiosité dévorante.

- Passe. 

- Sérieux ?! je proteste. C’est pas juste !

Je cache ma bouche derrière mon poing, mécontente.

Il rit.

- T’es trop mignonne quand tu boudes. Ah et au fait …c’est mon compliment, dit-il fier de lui.

Je lève les yeux au ciel.

- Alors Emilie dis-moi …à qui tu penses le soir avant de t’endormir ? 

Il lève un sourcil d’un air provocateur.

Je lève le menton et le défi du regard, jouant cette fois sciemment avec ma bouche tout en restant suffisamment subtile.

- Passe, je lâche finalement.

- Saleté, il rit. N’oublie pas que tu as un gage …

Je pense tellement de choses de lui, j’en aime tout autant. Mais je ne veux pas trop lui en dévoiler, au risque de passer pour une imbécile. Et aussi parce qu’il a déjà trop confiance en lui. J’aime son regard. J’aime ses abdos, son torse, ses mains qui m’aident à garder l’équilibre, j’aime quand il sourit, son sourire …il est magistral. J’aime quand il rit, j’aime sa vivacité d’esprit, j’aime quand il est honnête avec moi …J’aime ses cheveux châtains en bataille, j’aime …

- Wouah, je pensais pas que c’était si compliqué de me dire ce que tu aimes chez moi, il plaisante, un brin de doute dans le regard.

Je ne veux tellement pas qu’il se serve de ce que je dis pour jouer de ses charmes comme il le fait déjà si naturellement.

- C’est parce que tu as déjà bien assez confiance en toi, je rechigne.

- Tu es grand, je dis soudain.

- C’est un compliment ça ? il demande surpris.

Je secoue la tête.

- Oui, j’aime ça chez toi, je réponds avec honnêteté.

Il semble méditer ma réponse.

- Je t’écoute pour ta question, dit-il finalement.

- Qu’est ce que tu recherches dans la vie ?

C’est sorti de ma bouche sans crier gare.

- J’ai beau essayer de prédire tes questions, je tombe toujours à côté. Je passe. 

Je souffle mais garde le silence, résignée.

- Alors mon compliment pour toi … je te trouve intelligente. 

- Tu me l’avais déjà dit. La première fois qu’on s’est parlé par message. 

Oui mais je le pensais. 

- Vraiment ? Dans ce cas-là, p’tit malin, tu vas arrêter de me prendre pour une conne alors ? 

- Pourquoi tu dis ça ? demande-t-il confus.

- Parce que tu triches ! Tu me poses plein de questions, bien content d’en obtenir les réponses et sachant qu’AU PIRE tu auras un compliment de ma part et tu adores ça, alors que toi tu ne réponds à rien et que contrairement à moi, tu n’as aucun mal à me dire des choses valorisantes parce que c’est une façon de jouer de tes charmes avec moi ! Et tu sais pertinemment que tu es doué pour ça. Et … et c’est … AGAÇANT !

Il rit.

- A jouer de mes charmes ?

- Oui, je grogne, boudeuse, en détournant le regard.

Il rit de plus belle.

- Bon, ok, j’avoue. Mais si ça peut te consoler, c’est la première fois que je fais face à quelqu’un qui voit clair dans mon comportement. 

- T’es encore en train de me charmer en disant ça, right ?

Il rit encore.

- Non. I promise. 

Je le scrute du regard, lui m’observe avec un léger sourire mais sincère.

- Mais je ne comprends pas pourquoi c’est si compliqué pour toi de me dire des choses …gentilles.

Il paraît sincèrement confus.

Tu as peur que je n’en ai pas à te dire ?

- Je ne sais pas, c’est le cas ?

- Non ce n’est pas le cas.

Je change de sujet :

- Bon, en dédommagement de ta perfidie, tu es obligé de répondre à ma prochaine question !

Il se passe une main dans les cheveux, incertain.

- All right, accepte-t-il en soupirant.

- Qu’est ce que tu as pensé de moi la première fois qu’on s’est rencontrés ? 

Il ne répond pas de suite. Puis, le regard perdu dans le vide, il dit :

- Elle est surprenante. 

Je n’ai pas le temps d’analyser cette information que mon téléphone se met à sonner.

- Oui El’ ? je décroche.

- T’es où ? Le cours va commencer ! 

J’éloigne le téléphone pour y regarder l’heure.

- Mince, je n’ai pas vu le temps passer, j’arrive ! 

Et je raccroche.

- Pars devant, j’attends un peu. Comme ça personne ne saura qu’on a mangé ensemble, il me sourit.

Je range mes quelques affaires et me lève mais m’arrête dans mon élan. Je le regarde, pensive.

- C’était plus sympa que si j’avais simplement lu mon livre, je dis.

Je lui décoche un petit sourire, m’approche de lui, me penche, et lui pose un baiser à la commissure des lèvres. Mon corps s’affole. Je me redresse subitement et quitte la pièce le plus rapidement possible sans passer pour une folle.

 

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*Martin

 

Quand je rejoins l’amphithéâtre, le professeur vient juste d’arriver. Je la cherche inconsciemment du regard et ses cheveux châtains dorés s’imposent à ma vue au milieu de la salle.

Je suis encore un peu retourné par son baiser. Elle n’a pas vraiment touché mes lèvres, c’était presque innocent. Je crois que c’est la première fois qu’une femme pose ses lèvres là sur moi. Et ça m’a chamboulé. Ce simple contact a eu un pouvoir incroyable sur mon corps. Je ne peux m’empêcher de lever les doigts là où elle a posé sa bouche. Elle me déstabilise. Elle n’a rien à voir avec les autres femmes que j’ai pu côtoyer dans ma courte existence.

 

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