Il est 21h45. Je n’ai pas eu le temps d'attendre, j'ai profité de cet instant pour relire mes dernières fiches et faire mes enregistrements audio. Cette activité est si chronophage que je venais à peine d'appuyer sur le bouton stop que la sonnette jouant un air classique retentit. La personne ne sonne qu'une fois et cinq secondes plus tard mon frère l'accueille. Je descends rapidement pour venir chercher mon amie et lui éviter un interminable interrogatoire. Il ne me reste que quelques marches en bois lorsque je décide de me stopper et d'observer silencieusement cette conversation. Chri-Chri est habillée avec un chemisier noire et un jean assorti. Cependant à l'opposé de moi, elle n'a pas trouvé intelligent de mettre des baskets et se déplace avec des bottes à talons qui montent presque jusqu'à ses genoux. Ses cheveux sont détachés et tombent docilement autour de son visage, l'encadrant de boucle. Elle se tient droite et jauge mon frère, la connaissant elle s'amuse à analyser son comportement physique et ce qu'il dit. Elle le lâche cependant parfois de regard pour chercher autour d'elle. Thommy l'observe tout autant, l'aura de grand frère protecteur règne dans tout le hall. Et cela même si, c'est une amie depuis des années, il l'observe, l'analyse… Cela ne m'étonnerait même pas s'il lui demandait de faire un éthylotest, s'il savait que c'est elle qui va conduire à l'aller.
- Christine, rentre ! Comment vas-tu ?
Thommy se tient toujours aussi droit et tente de dérider son visage en formant un sourire, qui ferait peur aux enfants. Mon amie ne s'en accoutume pas et continue son observation.
- Très bien et toi Thomas ?
Entendre les prénoms de mes proches me paraît toujours aussi étrange. Pour moi, il ne s’agit pas de Thomas et de Christine, j’ai l’impression que je vais les disputer ou qu’ils ont fait quelque chose de mal. L’utilisation des prénoms est pour moi beaucoup trop sérieux, le jour où ils vont m’appeler Mathilde je saurais que je dois fuir de l’autre côté de la planète pour éviter leur courroux.
- Très bien ! Et tes études ? Tu étudies toujours la psychologie ? Ça se passe bien ?
- Oui, vous savez c'est les études, on étudie, on met en pratique avec des sujets...Vous devez le savoir avec Mat, vous êtes le seul à la maison ou toute la fratrie est présente ?
- Non, ce soir ce n’était que Mat et moi.
Un petit soupir s’échappe de la bouche de l’étudiante. Elle a beau être presque diplômée en psychologie, être en face de cinq hommes monstrueux et protecteurs. Il reprend rapidement, comme si la conversation était normale.
- Tu as hâte pour la soirée ? Mat m’a dit qu’elle avait lieu à…
Il fait mine de fouiller dans sa mémoire et se tapote le menton avec son index gauche.
- Tu sais, elle m’a dit que tu assistais à la soirée avec Nic, que tu venais la chercher vers 22h et que vous vous rendiez à...
Je reste interdite devant cette situation, il tente de vérifier ma version des faits là non ? Je ne sais pas si je suis réellement surprise. Je ne dis rien, je souhaite voir jusqu’où son manège peut aller et comment mon amie va s’en sortir.
Toujours dans sa Commedia dell'arte, il pousse un soupir et se gratte le cuir chevelu. J’ai envie de le filmer pour le garder pour preuve une prochaine fois où j’aurais besoin de son appui.
- Je l’ai sur le bout de la langue, tu ne veux pas m’aider ?
Chri-Chri reste silencieuse et ne plonge pas dans son manège. Elle l’observe et je peux noter un petit rictus qui commence à monter. Elle se mord les lèvres pour tenter de le faire disparaître.
- Vous savez si vous avez un doute, vous pouvez directement lui demander.
Elle lève les yeux dans ma direction, montrant ma présence à mon frère. Lorsqu’il se retourne et me voit, un faible sourire se dessine sur mon visage. La tension est à son comble dans cette pièce et j’ai l’impression que cela vide toute mon énergie. Je me retrouve au milieu d’un champ de bataille, l’un des côtés est offensif tandis que l’autre jauge son adversaire. Je ne prononce toujours pas un mot, j’observe et prends des notes. Il sait que je vais lui demander de me rendre des comptes.
- On en parlera plus tard Thommy. Chri-Chri tu me suis avant qu’il ne te demande tes papiers de sécu ?
Elle se faufile sur le côté pour me rejoindre et traverser la barrière qu’il construisait mentalement. Être en face de lui en tant qu’ennemi ou frère protecteur est impressionnant, j’ai déjà eu l’occasion de me trouver en face de lui lorsqu’il est comme ça. C’est un mur de fer qui se dresse contre vous, il vous semble infranchissable, insurmontable. La lumière et l’objectif derrière ne sont plus visibles, on se sent pris au piège comme une proie qui ne peut échapper à son destin. Je suis fière de mon amie qui ne se laisse pas décourager par ce paysage et qui ne décide pas de prendre ses jambes à son cou.
Elle évite scrupuleusement tout contact physique et visuel avec Thommy comme si le moindre contact avec lui pouvait la brûler. Je pense que ses cours de psycho lui servent énormément dans ma famille. Elle se doute qu’il faut éviter tous les conflits et se comporter à carreaux. Une fois que nous sommes sortis et loin de tout espionnage, je lui fais un briefing sur ce que j’ai transmis comme information à Thommy.
Chri-chri s’installe sur mon lit et s’allonge à plat ventre dessus comme si elle était dans sa propre chambre. Ses mains rejoignent son visage et se calent en dessous pour le soutenir, patiemment elle attend que je parle. Je m'assois sur le sol, à côté de mon lit, je lui tourne le dos, la tête en arrière posée sur le matelas. Mes jambes sont allongées, je ferme les yeux et attends quelques secondes, profitant du calme de ma chambre. Mon amie ne dit rien, aucun jugement de valeur ne franchit sa bouche. Dans un calme olympien, elle mémorise le peu d’informations que j’ai donné à mon grand frère, pose quelques questions pour en savoir plus et sûrement en tirer un portrait psychologique de ma famille. Je ne pense pas que je serais choquée si j’apprenais qu’elle tenait un carnet avec toutes les réactions et le fonctionnement de ma famille, notre lien fraternel est très important et éclipse beaucoup de choses.
Mon explication est brève et concise, cela ne change pas vraiment de d’habitude, cette sortie est pour le travail, très sécurisée et surtout je ne peux pas laisser passer cette opportunité. Pour ma défense, ce n’est pas réellement un mensonge. Si je souhaite y aller c’est pour pouvoir échanger avec Alex et mieux comprendre ce que je vois en classe et gagner du temps pour mes révisions.
Malheureusement, avec une famille aussi stricte et protectrice je suis devenue une spécialiste du mensonge, de l’omission et du détournement de la vérité. Quand je le peux, je transmets tout, je déteste mentir et surtout je le fais très mal. Fabien Olicard ou mon amie verraient tout de suite que je ne dis pas la vérité, je fixe mes proches du regard pour être certain qu’ils gobent bien tout ce que je dis, oubliant d’ajouter un maximum de détails inutiles et m’empêchant de divaguer sur d’autres terrains.
La confiance est importante dans une relation, je souhaiterais pouvoir parler de tout sans aucun filtre, ne pas avoir peur de leurs faire peur, de les inquiéter. S’ils avaient confiance en moi, en mes jugements et mes choix, je pourrais agir en toute transparence, comme je le fais avec Chri-Chri et Nic. Avoir des parents stricts quand on est une personne qui n’étudie pas, qui ne fait rien de ses journées et qui n’a pas de but final, c’est un peu plus cautionnable. Mais ici, nous atteignons un autre niveau… Ce sont mes frères qui sont inquiets, mes parents ne savent rien de ma vie, de mes sorties et de mes études. Ce sont mes frères qui font figure d’autorité et dont il est difficile de passer outre. Je comprends leurs agissements et leurs fonctionnements, mais cela ne signifie pas que je vais le tolérer et agir comme ils le souhaitent. Si je ne peux pas leur faire entendre raison, je vais leur cacher ce que sont réellement mes projets. Ce qu’ils ne comprennent pas c’est quand voulant autant me protéger et m’interdisait et me donnant autant de restrictions, je risque encore plus d’être en danger en déguisant des informations.
Une fois que mon amie a assimilé toutes les informations et a arrêté de toucher à tous les objets de ma chambre, je m’arrache les petites peaux autour de mes ongles de mains, montrant l’effort que je fais pour me contrôler et ne pas me transformer en inspecteur. N’y tenant plus, je commence à mon tour à l'interroger… Que voulez-vous que je vous dise ? La curiosité est de famille ! Je me retourne brusquement pour lui faire face et me lance.
- As-tu eu des nouvelles de ton côté ?
- Sur ?
Un sourire fière naît sur ses lèvres.
- Feindre de ne pas savoir de quoi je parle ne te vas pas au teint.
- Je ne sais pas de quoi tu veux parler. Éclaire ma lanterne.
Ne supportant plus d’attendre, je décide de ne pas forcer et de rentrer dans son jeu.
- Alex… La soirée tu sais…
- C’est intéressant tout ça… Tu poses en premier la question concernant Alex, toi, une obsédée des fiches, du travail et de l’organisation. Est-ce que l’attirance que tu as envers Alex éclipserait ton attirance envers les études ? Serait-ce ce petit génie qui fera de toi une cancre et qui ne restera plus en cours que pour l’observer ?
- Mais ta gueule avec tes raisonnements de psy à deux balles. Arrête de faire ton analyse devant moi. Ne me dit rien sauf si je te le demande.
Je tente d’ajouter une pointe d’humour pour apaiser mes propos mais je vois que ça ne fonctionne pas et que ça ne fait que confirmer ses propos.
Ton septième chapitre est génial ! Je suis toujours autant fan de tes personnages, est-ce que tu as prévu de le publier ?
Je continue de te lire !
Bonne continuation :)
Je kiffe trop l'ambiance que tu as réussie à instaurier ! J'ai l'impression d'être dans l'histoire et être une copine de Mat !
Je trouve ton style très fluide et j'ai envie de découvrir la suite et la soirée fantômes !