Le combat dans ma peau d’ours n’a pas d’égal. J’ai vaincu si facilement mes premiers adversaires. Bazil m’avait dit de n’utiliser les Gouttes qu’en dernier recours. Mais pourquoi ? C’est grisant. La puissance. La conscience. En même temps. Dressé sur mes pattes arrière. Je gronde si fort que mes ennemis reculent. Je hume l’odeur acide de leur peur. Elle attise ma férocité, mon instinct d’animal dominant. Je montre les crocs et je me laisse tomber, faisant trembler la terre et les hommes. Les cris, le choc des armes, les sifflements des flèches me harcèlent et me rendent fou. Un parfum métallique m’assaille, affole mes pulsions. De la langue, je goûte la peur dans l’air. La crainte et la violence, la soif de sang qui répond à la mienne. D’autres gardes arrivent. Peu importe. La puissance de l’animal n’a aucune limite, tout comme ma rage. L’effluve rance des cadavres de mes amis submerge mes sens. Me hérisse le poil. Je pousse l’ours à avancer vers eux. Vengeance, crie ma conscience. Une odeur familière. Je m’immobilise et tourne la tête, toujours grondant. Je les reconnais sans même les distinguer. Kiaraan. Et Oksa. Prisonnières. Emmenées avec le reste de mes hommes. Mon corps se fige. Si je suis vaincu, personne ne saura jamais ce qui leur est arrivé. Je me mets à reculer. Je dois fuir. M’échapper pour sauver ma vie et celle de mes compagnons. Ignorer ma soif de sang qui fait gronder et trembler l’animal. Je suis le seul encore capable de m’évader. Il faut que je retourne au village. Il le faut ! Après un dernier rugissement, je me détourne. Je mets toute ma puissance dans la fuite. Oreilles à l’affût, nez au vent, je m’enfonce dans la forêt. Mon corps a mal, l’instinct de l’animal blessé hurle dans mon esprit, mais je l’ignore. J’ai une mission à accomplir. Tant que l’ours me portera, je ne m’arrêterai pas.
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Au fil de ma course, les odeurs diffèrent et me guident. La menthe fraîche remplace peu à peu l’épicéa. Je suis sur la bonne voie. Je voudrais m’arrêter, soigner mes blessures, mais je ne peux pas. Ils ne doivent pas me rattraper. Je dois rentrer à Long’Ombre le plus vite possible. La vie de mes compagnons dépend de ma vélocité. J’accélère. L’odeur de mon propre sang me poursuit comme un sillage.
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Le soleil est levé depuis longtemps quand mon corps me force à ralentir. La douleur est de plus en plus forte. Mes blessures se sont aggravées. Mais je dois continuer ! Si je m’arrête, je ne pourrai pas repartir. Si je m’arrête, je meurs. Je me contrains à avancer, mais l’ours en moi est à bout de forces. Il va bientôt lâcher prise. Je dois à tout prix arriver à Long’Ombre avant que la Mue ne disparaisse.
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Mon cœur bat à toute vitesse. J’ai mal, partout. Mes pattes s’arrêtent d’elles-mêmes. Non ! J’y suis presque, je le sais. J’ai reconnu le parfum des saules-à-soie. Tout mon corps brûle, mes muscles ne m’obéissent plus. Je tombe, parcouru de frissons, de convulsions de plus en plus violentes. Je tente de me relever, de continuer un peu. Une secousse plus forte que les autres me rejette à terre. Ma vision s’obscurcit. Appeler. Avertir. Tant que je suis encore ours. Je force la gueule de l’animal à s’ouvrir. L’homme qui crie pousse l’ours à rugir de toutes ses forces. Je hurle aussi longtemps que je le peux, et bientôt ma voix a remplacé celle de l’animal. Je réalise à peine que je suis redevenu un homme. J’ai froid. Si froid. La seule pensée qui surnage dans ma conscience qui s’éteint est que j’ai échoué…
J'aime toujours autant ses passages lorsqu'ils sont sous leur forme d'ours. Tu réussis à faire transparaître l'empressement avec l'utilisation du présent et de la première personne et je trouve bien plus lisible en format justifié, merci :).
Il y a peut-être des zones où tu pourrais créer plus de paragraphes, pour nous laisser nous intégrer plus facilement encore à la conscience du narrateur. Mais j'ai conscience que ce n'est pas au goût de tout le monde ! Dans le genre Botterisme, ça permet de souffler et d'apprécier plus encore la poésie de ton écriture (mais j'aime les textes aérés ce n'est pas que le cas de grand monde, donc ne prend pas mon avis pour quelque chose de vraiment intéressant, hihi désolée).
Merci de ton partage :D