Chapitre 9

Par Tadzoa

Le lundi, à la récréation du matin, je manque de rentrer dans Pierrick qui entre de la salle des professeurs alors que j’en sors. Nous nous disons bonjour d’un air gêné, plantés l’un en face de l’autre, puis il s’en va en prétextant je-ne-sais-quoi à faire dans sa salle.

Je monte retrouver les cinquièmes 5. Suite à mon cours sur la miscibilité, je leur ai demandé de me réaliser des cocktails à étages et d’en faire les schémas, j’espère qu’ils et elles ont eu des idées intéressantes. Mais avant cela je profite du début de cours pour faire quelques rappels :

- Bon, alors on était en train de parler de quoi ? Oui, Ivan ?

- Des mélanges homogènes !

- Bien. Qu’est-ce qu’un mélange homogène ? Joanne ?

- Monsieur, je vous ai vu la semaine dernière à la boulangerie !

- Non ?! Sérieusement ?

- Ouiiii, et même que vous avez acheté des viennoiseries !

- Incroyable. C’est fantastique !

Plus tard, ma vision périphérique de prof (compétence peu débattue mais néanmoins véritable) me permet de m'apercevoir que Paul dort du sommeil du juste, la tête dans ses bras croisés. Il commence à me fatiguer, celui-là ! Je le secoue mais finit par perdre patience et l’exclure du cours. Lorsque que la classe est sortie, à la fin du cours, je m’en veux finalement. Il m’énerve mais je ne peux pas faire comme si la vie était facile pour lui, l’effort que je lui demande n’est pas celui d’un élève moyen. S’il dort, c’est qu’il a besoin de dormir. Je me sens responsable de tous ces gosses...Est-ce que je dois appeler son frère ? Prévenir l’infirmier ? Mes interrogations sont interrompues par ma tornade préférée qui rentre dans ma salle :

- Chouchou, j’me souviens plus, t’as cours là ?

- Non, je finis à 11h30 le lundi midi, et je reprends à 13h.

- C’est un peu juste, mais est-ce que ça te dit d’aller au jap’ de la rue Plantin ? Ma sœur m’a dit qu’ils avaient des makis AU NUTELLA wesh ! Je VEUX tester ça.

- Oui donc je n’ai pas vraiment le choix, en réalité.

- Bien sûr que si. Si tu décides de m’abandonner lâchement -pour aller manger la bouffe dégueue de la cantine, au passage -, je serais obligée d’y aller seule, et je serais très malheureuse, mais tu es totalement libre.

Je ris puis lui fais signe que je la suis. A la fin du repas, je suis en train de repenser à la stratégie la plus adaptée à Paul lorsque j’entends Elsa :

- Et le lamantin, c’est le meilleur mammifère, non ?

- Pardon ?

- Je voulais vérifier si tu m’écoutais. Et je vois que...que nenni !

- Ah, excuse-moi j’ai eu un moment d’absence. Tu disais ?

- Non mais t’as raison, c’était moyennement passionnant. Mais je te le résume quand même car j’ai envie ! Je disais que mes tentatives d’approche – c’est-à-dire de drague bien lourde, soyons honnêtes – d’Alexis se révèlent sans aucun succès. Tu penses qu’il est gay ?

- Euh...j’en sais rien, pourquoi tu me demandes ? Qu’est-ce que je peux en savoir ?

- Ben je sais pas, parce que tu es le meilleur ami que j’ai jamais eu, peut-être ? Mais excuse-moi si j’ai parlé d’un truc tabou !

Elle me semble étrangement vindicative.Ou alors c’est moi ? J’ai aussi l’impression qu’elle essaie de me tirer les vers du nez, ce que je n’apprécie pas forcément. Est-ce qu’elle se doute de quelque chose ? Est-ce que j’ai répondu bizarrement ? Je ne sais pas comment continuer cette interaction alors, suivant ma grande lâcheté habituelle, je choisis de me taire. Elle me regarde dans les yeux quelques secondes sans rien dire puis retrouve sa bonhomie habituelle et m’annonce qu’elle va payer. Ce genre de moment étrange arrive de temps en temps, je ne suis pas à l’aise avec ça mais j’imagine qu’aucune relation n’est parfaite. Je suis touché d’être le meilleur ami qu’elle ait jamais eu, et cette pensée me donne l’impression d’avoir 14 ans. Je me fatigue.

Le retour s’effectue dans la bonne humeur, j’ai l’impression qu’Elsa s’en veut de sa réaction et qu’elle surcompense dans la jovialité. Difficile de la comprendre parfois, elle parle beaucoup mais je crois qu’elle est très pudique finalement. Elle a beaucoup de points communs avec mon frangin, ça m’étonne qu’elle n’ait pas développé plus que ça les liens d’amitié avec lui, comme ça m’étonne qu’on puisse me préférer à lui. Elle m’embrasse rapidement sur la joue avant de retourner en classe. Tout ce que j’espère c’est qu’elle ne se doute de rien, par rapport à mon homosexualité et à Pierrick. J’ai des doutes que j’essaie de rassurer comme je peux. En descendant en récréation, je croise Aldo, l’infirmier scolaire, et je lui fais part de mes inquiétudes à propos de Paul. Je vais ensuite voir Clara, la psychologue scolaire, pour lui en parler également. Tous deux me promettent de le convoquer prochainement. Il faudraégalement que j’en touche un mot à sa professeure principale quand je la croiserai. La responsabilité ne repose plus sur mes seules épaules, je me sens quelque peu libéré.

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UnePasseMiroir
Posté le 19/04/2020
J'ai lu les derniers chapitres d'une traite... j'aime de plus en plus Elsa, elle me fait trop rire et Antoine a vraiment besoin de sa bonne humeur en ce moment... Sinon c'est toujours aussi bien écrit, fluide et intéressant, avec la vie qui se reconstruit malgré l'absence de Laurent.
J'ai hâte de voir la suite ! Bravo à toi, bisous et bon courage !
Tadzoa
Posté le 19/04/2020
Merci beaucoup pour tous tes retours très détaillés, ça m'encourage en me donnant des pistes d'amélioration !
Tant mieux pour Elsa, j'ai un peu peur qu'on la trouve insupportable !
Merci encore !! La bise !
Tadz'
Victornyme
Posté le 18/04/2020
j'avoue que je viens de tout lire d'une traite. le premier chapitre était parfaitement dosé, avec son magnifique rebondissement (Pierrick). La suite est fluide et inattendue. j'ai hâte de lire la suite.
Tadzoa
Posté le 19/04/2020
Merci beaucoup pour ton retour très encourageant, je vais essayer de me mettre un coup de pied aux fesses pour m'y remettre, alors ! A bientôt !
Tadz
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