L'Odyssée d'Hugin et Munin avait épuisé leurs ailes, pourtant taillées pour de longs périples. Cependant, jamais ils n'avaient eu à parcourir successivement toutes les ramifications d'Yggdrasil, de ses cimes les plus hautes à ses racines les plus enfouies. Tels avaient été les ordres de leur nouvelle maîtresse et elle savait se montrer persuasive. Tanagra voulait que toutes les Sorcières sachent. Que toutes préparent le Sabbat le plus somptueux. Que toutes se parent de leurs robes et de leurs bijoux les plus extravagants, que toutes composent des chants, des musiques, que toutes se souviennent de leurs danses d'autrefois en vue de la Grande Célébration.
Désormais rentrés, les corbeaux se reposaient bien volontiers dans des cages tissées par la Sorcière de la Forêt de Fer. Leurs efforts avaient été récompensés par de l'eau et de la viande fraîche, ainsi que par des baumes parfumés apaisant leurs muscles endoloris. La chaleur saturée d'épices de la cabane valait mieux que les épaules glacées du Vieux Borgne. Tout valait mieux que le hall de marbre de son Palais, où les courants hivernaux hurlaient jusqu'au printemps. Assoupis près du feu, ils somnolaient, leurs yeux gravés des visages ravis ou méfiants. Car toutes ne croyaient pas en ce trop beau cadeau.
Tanagra le regrettait sans pouvoir les en blâmer. Il y avait encore peu, avant que les pouvoirs du Vieux ne déclinent avec sa santé, ses messagers répondaient au moindre de ses sifflements. Et Odin n'était pas connu pour renoncer à sa rancune. Les Sorcières lui avaient survécu en dépit des bûchers, leur Grande Enchanteresse s'était terrée et cela suffisait à le courroucer. Cette annonce aurait pu être un piège si elle n'avait pas été réelle. Tanagra espérait malgré tout voir la nouvelle se répandre. Tant pis pour les funérailles prochaines. Les festivités s'étaleraient sur les jours, les semaines, les mois qui suivraient. Yggdrasil, délivré de son plus grand tyran, respirerait à nouveau. Et en attendant, Tanagra soignait ses nouveaux compagnons. D'ailleurs, Hugin et Munin ne semblaient pas lui tenir rigueur pour les sortilèges de confusion qui les avaient détournés d'un millénaire de servitude. Ils se lovaient dans leurs nids de laine et de brindilles, bien trop heureux d'être choyés. Tanagra était une hôtesse, bien plus qu'une maîtresse, à dire vrai. Et tandis qu'ils s'endormaient, repus et sereins, elle chantonnait quelques berceuses d'une voix infiniment plus douce que la leur.
Un coup frappé à la porte heurta sa mélodie avant d'y mettre un terme. Tanagra ne recevait que rarement de la visite et son unique visiteur ne prenait pas la peine d'attendre sa permission pour entrer. Il se contentait de bondir dans la cabane, de murmurer ses paroles les plus licencieuses, de distiller ses caresses les plus délicieuses et de l'entraîner dans les hamacs tendus à plusieurs mètres du sol. Son visiteur lui manquait. Mais son visiteur était, pour le moment, le prisonnier d'une autre. Et c'était elle, cette autre, qui se tenait sur le seuil de la cabane, misérable dans sa longue étole rapiécée, ses cheveux gris clairsemés et désordonnés sur son crâne fripé.
« Frigga, salua Tanagra avec flegme.
Ses épaules arrondies roulaient dans la fourrure. Sa peau brune, dans l'éclat des braises, scintillait comme un métal précieux. Il était le plaisir cruel de Tanagra, de bomber la poitrine et d'apparaître sous son jour le plus radieux, dans sa forme la plus opulente, lorsque se présentait à elle la décrépitude d'un être méprisé. Frigga, derrière son visage ridé de vieille pomme, était au moins aussi condamnable que son mari. Et à en croire le tremblement de ses membres, la vieille épouse d'Odin ne tarderait plus à le rejoindre.
« Je t'en prie, laisse-moi entrer, sanglotait Frigga.
— Ce que tu as à me dire, tu me le dis sur le pas de la porte, ou tu le gardes pour toi. Tu n'es pas chez toi ici, Vieille Femme."
Frigga renifla bruyamment sans que cela n'attendrisse le cœur de Tanagra. Son numéro de vieille vagabonde égarée ne prenait pas. Pas après ce que la vieille Reine avait pu faire ou laisser faire. Ce qui se passait hors de son contrôle et qu'elle ne condamnait pas. Le silence de Frigga avait autant mutilé que les épées des Einherjars d'Odin. Les Sorcières. De Vanaheim, de Nidavellir, de Jotunheim, de Svartalfheim ou d'ailleurs. Qu'elle eût donné l'ordre ou acquiescé revenait au même. Et Frigga, non contente d'avoir épousé un monstre, en avait engrangé une demi-douzaine à elle seule.
« Je sais que tu vas le voir chaque fois qu'il est emprisonné dans cette caverne."
Le pouls de Tanagra s'élança au galop. Nul besoin de le nommer. L'imaginer, souffrant seul dans l'obscurité, lui donnait la nausée.
« Cette caverne est dans la Forêt, j'en ai le droit.
— Tu n'as aucun droit sur les prisonniers d'Asgard mais sache que je ne t'ai jamais dénoncée.
— Je le sais, Frigga, répondit Tanagra en resserrant son sourire sur un coin de sa joue. Fermer les yeux est sans nul doute ce que tu sais faire de mieux. Que tes fils viennent me chercher si c'est un regret pour toi. Je saurais les recevoir. »
Derrière elle, Hugin et Munin sortirent brutalement de leur sommeil. Leurs ailes battirent et, accrochées aux barreaux de leurs cages, leurs serres noires crissaient l'une contre l'autre. Leurs menaces croassées et furieux claquements de becs s'adressaient à Frigga, sans la moindre équivoque. La vieille déesse recula et manqua de trébucher avant de se rattraper à l'encadrement de la porte. Son teint pâle devint complètement livide. Tanagra vit les bracelets ternes dégringoler le long de ses bras maigres et blancs. A peine plus que les os. N'y avait-il donc plus aucune servante attitrée à l'entretien des bijoux royaux ? N'y avait-il donc plus aucun domestique, aucun cuisinier, aucune denrée restante dans les allées poussiéreuses des halles pour nourrir ces souverains divins ? Elle croisa les bras sous sa poitrine, avec ce petit air narquois qu'il aurait été impossible de manquer. Que Frigga devait retenir aussi certainement que son effroi.
« Finiras-tu par me dire ce pourquoi tu as fait tout ce chemin ? gronda Tanagra.
Sa main cadavérique accrochée à son cœur, Frigga eut un nouvel instant de flottement. Tanagra rugissait plus fort que le tonnerre dont Thor marquait le ciel. Une colère folle dansait dans ses yeux noirs et c'est l'approche d'une nouvelle étincelle qui poussa la vieille déesse à parler.
« Je suis venue jusqu'à ton repaire pour te donner la permission de le libérer. »
Evidemment.
Evidemment.
Tanagra leva les bras au ciel. Evidemment.
Voilà bien longtemps qu'Asgard n'avait pas fait usage de son cher bouc émissaire. L'heure de grâce était imminente et plutôt que de risquer une discorde générale quant à la suite des événements, Frigga venait chercher le chien que tous aimaient battre, dans une tentative de diversion qui ne fonctionnerait que trop bien. Comme d'habitude. Et évidemment, nul ne voulait s'encombrer de Loki. Nul n'avait le cran de l'ôter à ses tourments, de panser des plaies joyeusement infligées et d'apaiser son esprit dérangé par le mal. Frigga plaiderait la faiblesse qu'incombait son âge, elle dirait avoir trop à souffrir avec l'état de son dégénéré d'époux. Elle dirait être épuisée de tenir à bout de bras un royaume qu'une porcherie ne prendrait pas la peine d'envier. Alors on rappelait les indésirables, ceux qu'on chassait comme des rats parce que nul n'osait se frayer un chemin dans les galeries où eux, s'étaient habitués à ramper. La colère battait dans les tempes de Tanagra. Le sort de son tendre visiteur était celui qu'avaient jadis connu les sorcières. Asgard ne changeait pas et ne changerait jamais.
« Oh, s'exclama Tanagra, Le Vieux dieu aurait quelques remords avant de trépasser ? Ou bien n'avez-vous trouvé personne d'autre à accuser de son état ?
— Odin est mort. Et le Sort de Loki n'y changera plus rien. »
Plus rien, jusqu'à ce que les Asgardiens aient l'envie de passer leurs nerfs sur quelque chose", se retint de rétorquer Tanagra.
« Je préfère le savoir parmi nous plutôt qu'isolé dans cette caverne sordide. »
Là où il pourrait prévoir une vengeance qui serait toute méritée.
« Odin était son frère, insista encore Frigga.
Un frère adoptif. Un frère qu'Odin a jeté en pâture dès le premier jour.
« Je t'en prie, Tanagra. »
Les yeux de Frigga, d'un bleu délavé par le temps et les pleurs, se perdirent dans les ombres de la cabane. Munin tourna la tête dans sa direction et poussa un croassement d'une insupportable gaieté. Elle se mit à pleurer, mais sans feindre, cette fois. Ses vieilles mains tremblaient, ses vieilles lèvres flétries s'agitaient sans s'articuler. Tanagra arqua lentement un sourcil. Soit. Elle ne pousserait pas le vice jusqu'à dédaigner cette occasion, à se revendiquer libre des ordres d'une Reine qui n'était pas la sienne.
« Bien. Je m'en irais le lui annoncer moi-même. Voilà bien longtemps qu'il n'aura pas éprouvé si grande joie."
Frigga partie, Tanagra ne sut prendre le temps de céder à l'euphorie. Une soif soudaine l'étourdissait. Était-ce la mort du Borgne ? L'incroyable réalité qui s'accomplissait après une éternité passée à la rêver ? Sa langue pâteuse gisait dans son palais... Le souffle lui manqua. L'air entrait et ressortait de ses poumons sans qu'ils n'en puisent quoi que ce soit d'utile. Collée à son dos et à ses côtes par une suée poisseuse, sa robe lui parut tout à coup trop serrée. Son oreille droite se boucha, condamnant l'écho à enfler dans son front. Il faisait une chaleur torride dans ce monde qui valsait sous ses pieds. Vite. Elle se retint au mur. De plus en plus vite. Ses genoux se dérobèrent. Trop vite. Tanagra tomba de tout son poids.
A quatre pattes, elle se traîna jusqu'à la bassine qu'elle avait pris coutume de garder près d'elle, depuis quelques temps. Ses malaises se multipliaient ainsi que ses mauvais rêves. Le repos lui était interdit depuis des semaines. Ses entrailles se tordaient dans son ventre et son inconfort refluait jusque dans sa gorge. Tanagra régurgita le peu qu'elle avait déjeuné et resta allongée un moment sur le sol froid ; jusqu'à ce qu'il se gorge de sa propre fièvre.
Tanagra la sentie, s'écoulant de son front et de chaque repli de sa chair. Essorée de chacun de ses muscles comme l'aurait été une eau sale d'un torchon. Son cœur s'apaisait, défait de cette bile vicieuse. Enfin, la terre achevait sa danse furieuse et offrait sa main à Tanagra ; une main sur laquelle prendre appui pour se relever.
Sous les yeux inquiets de ses corbeaux, Tanagra l'accepta. Et après avoir réajusté la fourrure sur ses épaules et passé sa besace, elle disparut dans la Forêt de Fer.
* * * * *
La caverne embaumait la forêt par son haleine fétide, faite d'effluves rances, ferreuses et acides. Sa gueule béait sur plusieurs rangées de dents aiguisées, luisantes des sangs mêlés des rares âmes suffisamment téméraires pour entrer jusque dans sa gorge. Des pieds, des chevilles et bien des mollets s'y étaient éraflés. Tanagra se frayait un chemin en prenant garde à éviter les nombreux pièges tendus par l'obscurité qui se refermait sur elle. Le bruit de ses pas s'estompait, couvert des râles de celui qui gisait là, quelque part vers l'estomac de l'immobile titan. En dépit de sa hâte de le retrouver, Tanagra ne parvenait pas à se convaincre à accélérer la marche. La nausée lui revenait plus vivement à chaque relan de la caverne. Dans quel état serait son tendre visiteur ? Elle n'aimait pas se l'imaginer. Quelles nouvelles plaies aurait-elle à nettoyer et à panser ? Quelles nouvelles obsessions hanteraient son esprit ? La reconnaîtrait-il ? Car il était arrivé que, perdu entre délire et réalité, le visage de Tanagra devint celui d'un bourreau. Tanagra tira sur sa robe. Cette cicatrice, sous sa clavicule, n'avait été qu'un accident. Elle le savait. C'était une chose que tous deux avaient clarifiée. Comment en aurait-il pu être autrement ? Ce jour-là, son amant, en nage, n'avait pas vu au travers de ses propres yeux. Il n'avait pas entendu avec ses propres oreilles. Ses gestes avaient été ceux du Démon qu'il n'était plus depuis des siècles. Tanagra l'avait guéri de cette nature. Ses potions, ses herbes, ses soins, ses sorts, ses tendresses l'avaient vaincue. Malheureusement, jamais les racines ne s'étaient réellement éteintes, elle en avait conscience. Elles se terraient, profondément enfouies et parfois, attaquées par un Mal puissant, elles perçaient la surface, aveugles et furieuses, créatures des abysses contraintes d'affronter un soleil ardent. Les Asgardiens mesuraient-ils le risque auquel ils s'exposaient en attaquant la terre jetée par Odin ? Ils n'avaient pas la moindre idée de ce que recelait la nature de cet étranger qu'ils se plaisaient à humilier à la moindre contrariété. Odin lui-même n'en avait peut-être jamais rien su. Un œil contre la Connaissance ! Quelle que fut la divinité qui avait scellé ce Pacte, le Vieux s'était fait avoir comme le plus stupide de tous !
Les gémissements plaintifs, peu à peu, se démêlaient des échos de hurlements passés. Son visiteur était à bout de forces. Tanagra s'apprêtait à le retrouver à demi-mort. Lui, qui hurlait et se débattait plus vivement que tous les diables. Lui, qui maudissait cent fois ceux qui le condamnaient une seule. D'horribles pensées auxquelles Tanagra refusait de donner une voix, lui murmuraient qu'une funeste délivrance ne pourrait qu'être souhaitable. Loki n'était pas guéri de sa nature. Il ne le serait jamais. Ses choix, ses mots, ses actes, le reconduiraient inlassablement là où il se trouvait à cet instant. A quoi bon le relever éternellement ? Pour lui offrir quelques jours de plus sous la coupe de ceux qui le méprisaient ?
La galerie, surplombée par les pics de roche, marquait un dernier virage, derrière lequel mourrait un feu. La lumière subsistait dans les braises dispersées au sol. Tanagra retint toute marque de colère, de peur ou de peine. Celle de Loki suffirait amplement à emplir l'espace. Elle se présenta sur le seuil de la geôle de pierres et y demeura, immobile, jusqu'à ne plus avoir un seul souffle d'air dans les poumons.
Jamais il ne s'était trouvé en si piteux état. La lumière que Tanagra invoqua entre ses doigts lécha ses contours creusés et étira les ombres sous ses sourcils. Chaque instant qu'elle passa à le détailler, se révélait un nouvel hématome, une nouvelle lacération sur sa carcasse tremblante. A peine plus qu'un squelette. La peau diaphane de Loki, craquelée, menaçait de céder sur la saillance de ses côtes, celle de ses veines, battant le rythme de sa détresse. Son ancienne nature revenait à chaque fois. Tanagra remercia silencieusement les ombres qui voilaient son visage mutilé. Car en dépit de l'horreur qui gisait à ses pieds, elle se savait épargnée par des visions, plus terribles encore. Les anciennes cicatrices disparaissaient sous de nouvelles plaies. Ses membres décharnés, se soumettaient au poids de chaînes trop lourdes. La vue de Tanagra se troubla. Elle porta la main devant sa bouche, qui tremblait d’une manière incontrôlée. Loki, murmura-t-elle. Mon pauvre, mon malheureux, que t'ont-ils fait cette fois ?
Elle s'agenouilla près de lui et se força à affronter la vue de ce que le pauvre diable avait enduré. Ses cheveux brûlés lui tombaient sur les joues, les démangeaisons ajoutant leur propre torture à celle qui se jouait déjà. Tanagra les dégagea avec précaution tandis que de l'autre main, elle épongeait la sueur poisseuse du front de son amant avec un linge. Il ouvrit les yeux. Deux grandes émeraudes scintillantes, tranchantes, que les tourments chargeaient d'étincelles vengeresses. Mais ce jour-là, quand elles se posèrent sur le visage rond de Tanagra, elles s'adoucirent d'un lent battement de cils.
Loki la voyait, cette fois. C'est toi, semblaient dire ses yeux. C'est bien moi, répondit le sourire faussement paisible de Tanagra.
Alors, elle s'affaira à le défaire de ses entraves. Quelques runes dérobées aux Savoirs Asgardiens en virent à bout. Loki grogna, étendu sur le sol. Pourtant libre, il ne bougea pas. Pas de manière volontaire. Sans doute, ne croyait-il pas être toujours en vie. Avant qu'il ne parvienne à respirer, une nouvelle vague de venin plut sur son front. Il n'eut ni la volonté ni la force de retenir un hurlement. Son cri secoua la caverne et les royaumes alentours. La chose qui l'animait devait retourner se terrer, comprit Tanagra. Il fallait l'amadouer au plus vite avant qu'elle ne jaillisse, qu'elle n'explose et n'entraîne Yggdrasil dans son originel chaos. Les Asgardiens ne comprenaient même pas que chaque fois qu'elle venait éponger le front du démon, elle leur évitait toute une avalanche de Plaies. Peut-être Odin le savait-il, tout compte fait. Peut-être avait-il prévu de laisser sombrer les Royaumes à son trépas, afin que soit reconnu son autoproclamé statut de Père-de-Tout. Père sans qui toute chose meurt.
Tanagra jura sur le serpent, ce maudit instigateur, entortillé à plusieurs mètres au-dessus de leurs têtes. Du haut de sa cachette, le reptile sifflait, narquois mais trop lâche pour se montrer. Elle ne perdit pas de temps à le chasser. Aucun sort ne l'avait jamais heurté. Tous glissaient sur lui, sorts, incantations, flammes de dragons ou potions de Sorcières.
Loki marmonnait des prières à peine audibles, à peine compréhensibles que Tanagra connaissait par cœur. Elle invoqua toute l'énergie possible pour ne pas les écouter. Elles lui brisaient le cœur. Alors, elle força Loki à se relever. Elle aurait voulu l'amener jusqu'à la Forêt, le sortir de là, loin des sifflements de la langue fendue du serpent. Répandre de la neige sur sa peau pour en éteindre la brûlure, le draper dans des vêtements propres, le couvrir de fourrures jusqu'à ce que cessent ses tourments. Mais elle s'en savait incapable. Un poids trop lourd pesait déjà sur son ventre, et l'air saturé de la caverne l'empoisonnait. Elle n'aurait même pas pu le soutenir sur quelques pas. Non, il fallait que Loki soit remis sur pieds ici-même, là où s'étaient brisées ses jambes et son esprit.
Maladroitement, Tanagra entreprit de gommer les auréoles pourpres à demi-coagulée. Son linge prit une teinte brune, malsaine, gorgée d'une odeur tenace de fer. Elle supplia Loki de s'apaiser, de respirer aussi sereinement qu'elle prétendait le faire. Tanagra passa de longues minutes, ou plutôt de longues heures à psalmodier, à nettoyer les plaies, à les panser, à consoler les maux de son tendre Visiteur. A renfort d'onguents et de sortilèges, elle le débarrassa de sa mue déchiquetée par le supplice.
Enfin, Loki finit par reprendre quelques couleurs, bien que sa peau neuve n'omît pas les sentences passées. Il portait toujours la mort sur le visage, mais au moins était-il dépouillé de sa souffrance. Au grand soulagement de Tanagra, il se fendit même d'un mince sourire. Assis dans un rai de lumière argenté, sa peau claire scintillait ainsi que le faisait la surface de la lune. Ses cheveux roux, rafraîchis par la brise, flottaient doucement sur ses épaules pointues.
« Tu finiras par avoir des ennuis à cause de moi.
— Cela m'étonnerait beaucoup, ronronna Tanagra.
— Quand les Asgardiens comprendront que je ne suis plus là où ils m'ont laissé, ils...
— J'agis avec la permission de la Vieille Frigga.
— La... La Vieille Mère-de-Tout te l'a demandé ? Pourquoi ? »
Mais Tanagra apaisa d'une caresse le pli soupçonneux qui venait de se former sur le front de Loki.
« Le Vieux Borgne est mort.
— Le Vieux Borgne. Est mort.
— Ainsi que je te le dis.
— Je veux voir ça de mes propres yeux », décréta-t-il en bondissant sur ses pieds.
Crois-le ou non, je me sens en phase avec cette sorcière.
Ton texte est fort, ton écriture est épique dans le bon sens du terme, j'espère qu'il reste une place pour ce style ouvragé comme une ferronnerie d'art. Peut-être pas du goût de tous, mais au mien assurément.
Non désolée, ce n'est pas avec ce chapitre que j'aurai rencontré la déception ! 😁
(Je te taquine, je pense que c'est un mélange de pinceaux avec Frigga qui, elle, pour le coup, n'est plus de première jeunesse 😂)
Mais voila que Odin est "mort" ? Je me devais de réagir, ça sent la mascarade, la fourberie, et qui voila ? Loki. J'étire peut être un peu trop l'élastique, mais la jonction semble trop fortuite.
Côté écriture, c'est propre. Mais, goût purement personnel, les paragraphes qui commencent sur un point de vue externe, pour ensuite être conclu par une exposition me font l'effet d'un chaud froid. Quand j'essaye de donner vie à une action, à un personnage de l'interpréter, soudainement, l'auteur me confirme/rectifie, le tout dans un seul paragraphe. En relisant, je me mettais à lire la dernière phrase du paragraphe en premier, pour éviter le chaud froid.
Ex hors texte:
Soudainement, la brume tomba tandis que le froid mordit mes mains. Au loin, sinuant en ma direction, un vaisseau de lumière s'approche, accompagné de claquement métallique de mauvaise augure. D'une collision imminente, je lève les bras en protection. C'est Mami en vélo, elle me file mes gants et repars.
Ex dans le texte:
"Désormais rentrés, les corbeaux se reposaient bien volontiers dans des cages tissées par la Sorcière de la Forêt de Fer. Leurs efforts avaient été récompensés par de l'eau et de la viande fraîche, ainsi que par des baumes parfumés apaisant leurs muscles endoloris. La chaleur saturée d'épices de la cabane valait mieux que les épaules glacées du Vieux Borgne. Tout valait mieux que le hall de marbre de son Palais, où les courants hivernaux hurlaient jusqu'au printemps. Assoupis près du feu, ils somnolaient, leurs yeux gravés des visages ravis ou méfiants."
J'imagine que les corbeaux sont apaisés, apprécient d'être libérés de leur servitude. Que les sorcières se réjouissent. Bien que dans un monde de dieux, un nouveau maître ne nait jamais loin. J'essaye de me mettre à leur place, et donc suppose à travers leur "yeux" leur pensées. Je crée le doute par moi même, et le garde en tête pour plus tard, guettant une chute.
"Car toutes ne croyaient pas en ce trop beau cadeau."
Et paf, pas besoin d'attendre, plus de mystère, la situation m'est exposée.
Merci pour tes lectures et ton commentaire que j'ai eu un peu de mal à décrypter dans un premier temps, je l'avoue ^^'
Je comprends que certaines choses te gênent, et j'en suis navrée. C'est un point que je tâcherai de corriger ce petit travers à la réécriture.
Bonne continuation à toi, en espérant que la suite ne te déçoive pas plus :)