CHAPITRE DEUX

Par byx

                                                                                                                                      Chapitre 2

 

 

S se réveilla, chacune de ses inspirations était un supplice, allait-elle mourir ? Elle se leva, le lit grinça et une nuée de poussière s’éleva vers la lumière, elle se dirigea vers la chambre où ses enfants dormaient.

- On se réveille ! C’est l’heure d’aller à l’école. C’était leur premier jour. Les deux enfants émergèrent de leur sommeil, ils avaient réussi à passer une bonne nuit dans cette maison qui ne leur était pas familière, malgré les lits rustres et inconfortables, et malgré l’odeur âcre qui émanait du rideau en toile jauni par le temps.

 

La table était vide, le docteur qui s’imaginait la famille partageant un repas dans la félicité se méprenait, ils étaient ensemble mais ne mangeaient rien.

- Tu penses qu’on pourrait demander à docteur A de nous offrir de quoi nous nourrir en attendant d’aller au marché ?

- Oui. Lui répondit S. Malgré l’antipathie du docteur elle avait confiance en elle.

La porte s’ouvrit dans un grincement aigu, au sol se trouvait un panier en osier rempli de victuailles. Un mot accompagnait l’offrande : « Le marché du village ne se tient que les samedis ».

S reconnut l’écriture du docteur.

 

La famille s’installa autour de la table en bois défraîchi et se délectèrent de pain frais, de beurre tendre et d’une confiture de mirabelle encore tiède; le déjeuner venait d’être préparé. Les enfants burent chacun un verre de lait au miel, la joie se lisait sur leur visage. Ils avaient faim. Leur mère les emmena à l’école du village, tourmentée par ce qu’ils pourraient y vivre.

 

À son retour, S frappa à la porte de la maison d’en face, elle voulait remercier sa voisine, A ouvrit la porte et l’invita à entrer.

- Je ne veux pas que vous me remerciiez.

- Vous êtes si singulière, votre personne est un paradoxe, tout se contredit…

- Voulez-vous manger une madeleine à l’orange? G ! Cria le docteur, apporte moi du thé et des madeleines, nous avons une invité.

Comme à son habitude, A n’attendait jamais qu’on acquiesce. Les deux femmes s’installèrent sur le divan en mousseline, elles discutèrent longuement.

- Je pense que vos nodules sont tuberculeux, je me suis entretenue ce matin avec l’un de mes confrères, nous avons demandé à ce que des antibiotiques nous soient envoyés par une clinique située au centre ville, leur efficacité validera ou invalidera mon diagnostic.

La voix du docteur était monocorde, elle annonçait la vie comme elle annonçait la mort.

 

Au même moment, la fumée qui sortait de la cheminée du 7 allée des lilas ameuta certains habitants du village, personne ne pouvait se douter qu’un jour quelqu'un allait vivre dans cette maison en ruine. La peinture bleue de la façade était écaillée, on apercevait en dessous tantôt le bois de chêne boursouflé par les hivers rudes, tantôt le bois sec fissuré par les longs étés ensoleillés, les barreaux des fenêtres étaient d’un orange si vif qu’on croirait qu’ils avaient été peints ainsi, la rouille avait rongé le fer à certains endroits, dans ces cavités pullulaient toutes sortes d’insectes. La porte d’entrée était parsemée de moisissures, la peinture verte qui avait été utilisée comme un leurre les rendait encore plus visibles, la poignée était rouillée, les deux vitres à parcloses étaient brisées, des petits morceaux de papier adhésif jaune jonchaient les brisures. Le petit jardin accueillait ronces et mauvaises herbes, l’allée qui permettait de se rendre à la porte d’entrée n’était pas visible, engloutie par les tiges, mais elle se devinait. Qui pouvait bien vouloir vivre ici en voyant ce décor effrayant ? L’esthétique sinistre n’était rien face à la peur de l’éventuel effondrement de cette ruine.

Le mari de S, un jeune homme ordinaire, était au premier étage, il se tenait immobile devant sa fenêtre, il voyait une meute d’homme arriver. Il descendit, enjamba les hautes herbes et s’exclama :

- Bonjour.

- Bonjour ! Répondirent-ils, en coeur.

Avant qu’il ne puisse dire autre chose un homme aux cheveux grisonnants lui demanda ce qu’il était venu faire dans ce village que personne ne connaissait, il n’y avait en effet aucun étranger dans le village. La conversation fut cordiale mais les Agenois n’eurent aucune réponse, sa famille et lui s’étaient installés là par hasard, on ne sut pas d’où ils venaient, ni combien de temps ils allaient rester, les hommes repartirent avec un goût âcre au fond du gosier.

L’horloge sonnait trois heures, S était arrivée au dispensaire. Elle se présenta aux malades, ils ne répondirent pas.

- Ils sont tous comme elle. Pensa-t-elle. Elle pris le premier livre de la pile comme le lui avait ordonné le docteur, LA PRINCESSE DE CLÈVES, de Madame De La Fayette. Les premières pages étaient d’un ennui monstrueux, les descriptions et les noms fusaient, rien n’avait de sens pour la jeune femme, son mécontentement se ressentait au son de sa voix, elle devenait stridente en fin de phrase. L’un des aveugles du dispensaire la pria de se taire.

- Nous sommes aveugles, pas sourds.

- Où est Ana ? Ajouta un autre vieil homme.

S profita de la cécité de ses interlocuteurs, elle laissa une larme couler de ses grands yeux noirs.

- Nous savons que vous pleurez, comme l’a dit T nous sommes aveugles, pas sourds.

- Ce livre ne me plait pas, c’est pour cette raison que je n’arrive pas à le lire. Se justifia la jeune femme.

- Choisissez donc un livre qui vous plait puis remettez le à sa place, nous ne dirons rien à Ana.

Elle choisit alors L’INGÉNU de Voltaire; c’était l’une de ses oeuvres préférées, elle se sentait si proche du Huron. Cette fois, sa lecture était expressive et agréable, les aveugles en étaient satisfaits. Ils la remercièrent avant de se lever pour se rendre au réfectoire.

S rentra, arrivée devant le portail rouillé de sa maison elle vit qu’une lettre avait été glissée dans ce qui avait survécu à la boîte aux lettres. La lettre était soigneusement fermée d’un sceau rouge vif, une hirondelle se dessinait au milieu de la cire, elle était destinée à Madame G. Ne sachant pas qui était Madame G, la jeune femme déposa la lettre dans le secrétaire en bois de cerisier, elle en parlerait avec le docteur lorsqu’elle la reverra.

La nuit était tombée, le silence de l’âtre inquiéta S, il n’y avait plus de bois, le froid devenait de plus en plus pénible. Elle se dirigea vers la porte, elle pensait qu’à l’instar du matin même elle trouverait des bûches près de sa porte, grande fut sa déception lorsqu’elle vit que ses marches étaient vides, le docteur n’était donc pas un être fantastique. Elle alla se blottir contre ses enfants pour les protéger du froid. Ils s’endormirent paisiblement.

À l’étage du dessous, son mari ne trouvait pas le sommeil, il avait perçu de la pitié et du jugement dans les yeux de ces hommes, enfoncé dans un divan safrané rongé par les mites, il songeait à sa vie. L’horloge sonnait minuit, au onzième coup une déflagration se fit entendre puis le village replongea dans le silence.

 

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