CHAPITRE ONZE

J’ouvre la portière et prends place sur le siège passager.

— Est-ce que ça va ? me demande Jackson en voyant la détresse sur mon visage.

— Tout va bien, réponds-je.

Le moteur continue de tourner et les phares jaunes projettent des ombres sur tout le quartier. Jackson ne me quitte pas des yeux et ne semble pas décidé à partir.

— Tu savais que « tout va bien » était le mensonge le plus répandu ? me dit-il.

— Non. Je ne savais pas, dis-je, figé face lui, le regard brouillé par les larmes.

Il esquisse un sourire, hoche la tête et démarre. Il met une musique sur son portable relié à la voiture en Bluetooth. Le morceau « Bad » du groupe U2, nous berce. La circulation est faible à cette heure-ci. Aucun de nous deux ne parle, je presse mon front contre la vitre pour me laisser pénétrer par le froid. Ça fait du bien. Peu à peu la lumière sévit. Plus nous nous rapprochons du centre, plus l’obscurité laisse sa place aux halos jaunâtres des réverbères de la ville.

Nous arrivons vers la gare. Jackson roule sur une route plus étroite au bout de laquelle il y a un parking. Il se stationne et nous sortons du véhicule.

— On y va ? demande-t-il. Ou tu préfères qu’on parle un peu avant ?

— Non, c’est gentil, je préfère qu’on y aille, dis-je à voix basse.

— Okay.

Je le suis jusqu'au bout du parking. Nous empruntons un escalier et arrivons dans la grande rue. Je vois l’enseigne du cinéma éclairée au néon rouge : The Majestic. Je sors mon portable pour regarder l’heure : 22h27.

— Il n’est pas trop tard ? demandé-je à Jackson.

— Non, rétorque-t-il en allongeant exagérément sa réponse. Certaines séances ne commencent qu’à 23h. Généralement ce sont plutôt des films d’horreur à cette heure-ci.

Je rigole.

— Certaines personnes sont légèrement sadiques sur les bords, ajoute-t-il.   

— C’est indéniable.

Nous sommes arrivés devant l’accueil.

— Salut, Stella, je crois que nous avons la salle 10, c’est bien ça ? demande Jackson à la jeune fille derrière la vitre.

— Oui, le boss vous a réservé la salle.

Elle donne une clef à Jackson qu’elle fait passer par la petite fente sous le plexiglas.

— Qu’est-ce que j’aimerais avoir un beau-père directeur d’un cinéma, dit la jeune fille, prénommée Stella, en haussant les épaules.

Jack lui sourit largement, révélant toute sa dentition.

— C’est pas tous les jours marrant, rétorque-t-il comme pour la réconforter. Tu viens ?

J'esquisse un sourire à la fille qui m’en retourne un. Puis, contournant l’accueil, nous passons les portes vitrées.

J’adore l’ambiance des cinémas. Bien que je n’y vais pratiquement jamais, la moquette rouge au sol, les affiches des prochains films qui domptent les murs et cette odeur de pop-corn qui plane sans cesse dans l’air, ça a quelque chose de rassurant, de réconfortant presque.

Un long et large couloir, au plafond qui semble nous écraser, nous fait face.

— La salle 10 est tout au fond, me dit Jackson.

Nous marchons à grandes enjambées jusqu’à arriver devant la porte noire à double battant sur laquelle est peint en blanc un gros 10. Jackson reprend la clef que lui avait donnée la fille de l'accueil et s’en sert pour ouvrir la porte. Nous nous apprêtons à rentrer quand quelqu’un nous interpelle.

— Hé, Jack, attends !

Un homme de grande taille, aux cheveux blanc et à la barbe poivre et sel s’approche de nous. Il est simplement vêtu d’un jean bleu trop large pour lui et d’un pull à rayures. Il a également des lunettes de soleil noires teintées relevées sur sa tête.

— Oh, salut, Brad.

— Salut, mon grand, répond l’homme d’une voix grave.

Il est arrivé à notre hauteur et me regarde en souriant. Je me sens un peu gêné, ne sachant quoi dire. Il me fixe toujours et tend soudainement sa main vers moi.

— Je suis Bradley Peters, le beau-père de Jack.

— Oh, bien sûr.

Je tends mon bras pour saisir sa main. Il me la serre si fort que j'ai l’impression de sentir mes os rouler sur eux-mêmes.

— Je suis Jo Montgomery. Un ami, ai-je précisé d’une voix étranglée.

— Je vois, rétorque Mr Peters, un rictus en coin.

Je tords mes lèvres en un sourire et me tourne vers Jackson.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-il à son beau-père.

— Je vais vous programmer la séance pour 22h45, ça vous laisse le temps de vous installer. Comme le film dure longtemps, tu pourras fermer le ciné ?

— Oui, pas de problème, répond Jackson en souriant.

— Super, bonne séance à vous et à plus tard.

Mr Peters donne un trousseau de clefs à Jack et fait volte-face.

— Hé, attends, est-ce que Jo peut venir dormir à la maison cette nuit ? demande-t-il précipitamment.

— Bien sûr.

Son beau-père me sourit et reprend la direction du grand hall. Je regarde Jackson.

— Ce n’est pas la peine d’embêter ta famille. Pourquoi tu veux que je vienne ?

Il me transperce du regard.

— Généralement, quand on part de chez soi en quittant ses parents au milieu d’un dîner, on n’a pas vraiment envie d’y retourner tout de suite. Mais ce n’est pas une obligation, si tu veux rentrer chez toi je te dépose tout à l’heure, s’empresse-t-il d’ajouter.

Je repense à ce que m’a dit mon père et je hoche la tête en murmurant :

— Merci.

Puis nous entrons dans la salle.

Une vingtaine de lignées de sièges rouges nous font face.

— On s’installe tout en haut ? me demande Jackson.

— Ouais, ça doit être les meilleures places.

— C’est indéniable, dit-il en me donnant un petit coup de coude amical entre les côtes.

Je le suis jusqu’au centre de la dernière rangée de sièges. Il s’assoit et je prends place à sa droite. Je sors mon portable et regarde l’heure. 22H40. Le film va bientôt commencer.

— Au fait, tu m’a ramené le livre ? me demande-t-il.

Je lève les yeux de l’écran.

— Merde. J’ai complètement oublié ; et comme je suis parti dans la précipitation, je n’ai pas eu le temps d’en choisir un.

— Ce n’est pas grave. On pourra toujours aller à la librairie demain. À moins que parmi les quelques bouquins que j’ai chez moi, et que je n’ai jamais lus, il y en ait un que tu me conseillerais.

— Peut-être, réponds-je. En parlant de ça, tu es sûr et certain que ça ne dérange pas tes parents que je vienne chez toi ? demandé-je inquiet.

À vrai dire, si je ne dors pas chez Jack, il faudra que je trouve un banc quelque part dans la ville. Et l’idée de passer la nuit au Denial Park ne me tente absolument pas.

J’ai l’impression d’être dans un état second. Je suis ici, avec un mec que je connais depuis à peine trois semaines et je vais dormir chez lui car mes parents ne veulent pas de moi. Finalement j'essaye de faire comme si tout allait bien, même si j’ai l’impression que quelque chose est mort en moi. Mes parents ont réussi à me faire croire que c’est moi le problème. Et faire ça à son enfant, ce n’est pas être un bon parent.

J’appréhende les prochains jours et les prochaines semaines à venir. Je préfère ne pas trop y penser, mais plutôt songer au fait que tout finira par s’arranger. Je me sens bien avec Jackson. Avec Jessie et Kentin on reforme un groupe, comme avant « l’accident ». J’ai repris contact avec Chris, alors je ne vais pas laisser deux homophobes de merde m’empêcher d’être moi-même. Je ne les laisserai pas faire de moi ce qu’ils veulent que je sois.

— Je t’assure que ça ne les embêtera pas. Et tu as vu ce qu’a dit mon beau-père. En plus, ma chambre est dans le grenier.

Je le regarde ébaubi.

— Okay, dit comme ça, ça n’a pas l’air cool, mais ma chambre est super grande. Il y a même un écran plat 8K et la dernière PlayStation. On pourra se faire une partie de mon jeu préféré, si tu veux ?

Il me dit tout ça avec une expression enfantine sur le visage qui fait contraste à sa voix rauque.

— Ou… commencé-je.

— Ou ?

— Ou on pourra lire Orgueil et Préjugés, je m’enjaille en agitant les mains comme s’il s’agissait de quelque chose de super pour me moquer de lui.

Ses yeux et sa bouche s’affaissent.

— Je plaisante, Jackson. On fera ce que tu veux.

Il réfléchit un instant.

— Très bien, je veux bien lire Orgueil et Préjugés. Mais malheureusement je ne l’ai pas chez moi, et comme tu n’as pas pris de livre…

Il hausse les épaules, l’air faussement déçu en se pinçant les lèvres.

— Par chance, Jackson, je ne vais jamais nulle part sans un livre. Et toujours par chance, celui que je lis en ce moment, c’est Orgueil et Préjugés.

Il se laisse pleinement tomber dans son siège, le cou rentré dans ses épaules, et fixe le grand écran noir.

— Je ferai une partie de ton jeu entre chaque chapitre, dis-je en lui donnant un coup de coude sur l’épaule.

Il sourit sans me regarder. Les lumières de la salle s’éteignent.

— Hé, Jo.

— Oui, réponds-je en le cherchant du regard bien que nous soyons plongés dans l’obscurité.

— Je déteste les jeux vidéo.

Je ris silencieusement, comme pour ne pas déranger des personnes inexistantes.

— Ça c’est cool, rétorqué-je dans un murmure.

Le film commence. L'écran s’illumine. Je me laisse reposer pleinement sur mon siège et tire sur la fermeture éclair de ma veste. Il fait froid dans cette grande salle vide.

Durant les trois heures et quatorze minutes qu’a duré le film, Jackson n’a cessé de me jeter des coups d’œil pour voir mes réactions. Je l’ai remarqué, bien que j’étais totalement pris dans l’histoire, je n'oubliais pas mon Jack à moi.

Mon Jack à moi. Ça n’est pas trop étrange de se dire ça ? Je ne crois pas. Après tout, il ne sait pas ce que je pense.

Les lumières se rallument.

— Alors ? me demande-t-il.

Je reste sans voix un moment, fixant toujours l’écran comme si le film allait reprendre.

— Wow.

Jackson hausse les sourcils et hoche la tête avec un sourire malicieux.

— Incroyable, n’est-ce pas ?

Je le regarde en souriant. La chanson de Céline Dion (My Heart Will Go On) se met à résonner.

— Carrément… c’était carrément… bouleversant.

J’en perds mes mots.

Je glisse mon portable hors de ma poche pour regarder l’heure. 01h50. Je n'ai reçu aucun message de mes parents. Ça ne me surprend pas. Mais je ressens quelque chose d’étrange. Comme si j’étais perdu.

— Tu veux qu’on rentre ? me demande Jackson.

— Ouais, soufflé-je, le regard dans le vide.

Nous sortons de la salle. Arrivés dans le grand hall, Jackson se rend dans un petit bureau adjacent à l’accueil. Je ne sais pas ce qu’il fabrique, mais subitement toutes les lumières s'éteignent. Il ferme toutes les portes et nous sortons.

Le froid de la nuit nous enveloppe. La grande rue est complètement déserte, plongée dans son halo de lumière jaunâtre. Les différentes enseignes des magasins voisins donnent de la couleur à l’atmosphère.

— Viens. Suis moi.

Nous sommes à l’extrémité du cinéma. Je pensais qu’on retournait à sa voiture. Mais visiblement non. Jackson s’engouffre dans une petite ruelle sombre et sinistre sur le côté du bâtiment. Il y a de grosses poubelles grises collées contre le mur fissuré du Majestic. Jackson m'empoigne la main et me traîne tout au fond de la ruelle.

— Maintenant, il faut qu’on grimpe.

Il me lâche la main et se met à escalader une vieille échelle rouillée fixée à la paroi du mur. Je jette un regard alentour. Il n’y a personne. Pas le moindre ronronnement d’une voiture à l’horizon. Tout Waterboro est endormi sauf nous, et ça, ça a quelque chose d’irréel.

Je tire les manches de ma veste jusqu’au bout de mes doigts et m’agrippe au premier barreau. Je lève les yeux et remarque que Jackson me contemple par-dessus son épaule pour s'assurer que je le suis.

Nous escaladons une trentaine de barreaux avant d’arriver au sommet. Jackson a quitté l’échelle et me tend la main pour m’aider à passer le petit muret qui me sépare du toit.

 

On est allongés sur le béton glacial, bras au-dessus de la tête. Il n’y a pas de lune dans le ciel, seulement un amas de centaines d’étoiles toutes plus scintillantes les unes que les autres. Et au centre du firmament, il y a la traînée de la voie lactée, ce chemin violacé qui constitue une route des étoiles.

Tout est si calme. Le froid nous enveloppe tout autant que le ciel.

— Je n’avais encore jamais pris le temps d’observer les étoiles, dis-je à mi-voix.

— Je le fais aussi souvent que je le peux, répond Jackson.

— Je peux te poser une question ?

Il se redresse et plaque ses genoux contre son torse. Je reste allongé.

— Tu habitais où avant de venir ici ?

Je le vois sourire du coin de l'œil. Comme si l'intérêt que je lui porte avait quelque chose d’amusant. Il se racle la gorge et répond.

— J’habitais dans une petite ville au nord de l'État. On a décidé de venir s'installer ici pour se rapprocher de Boston. On ne voulait pas vivre dans une grande ville, mais pas trop loin non plus. Waterboro était parfait.

Je souris et me redresse à mon tour.

— Qu’est-ce qu’il y a de bien à Boston ? C’est pour l’avenir ? demandé-je.

Son expression change quand j’évoque l’avenir. Comme si une ombre était passée sur son visage.     

— Il y avait trop de mauvais souvenirs là-bas, rétorque-t-il d’une voix enrouée. Des démons qu’on a cherché à fuir.

Il regarde le bâtiment de l’autre côté de la rue.

— J’ai bien peur qu’il y ait toujours de mauvais démons. Où qu’on aille, ils seront là. Et que le mieux, c’est de les affronter, lui dis-je.

Je m’écoute et n’aime pas ce que je dis. C’est un très beau conseil… que je ne suis pas.

— C’est plus compliqué que ça, me répond-t-il.

Il n’a plus la même expression enfantine que tout à l’heure sur le visage. Son regard est absent, comme noyé dans des moments passés qui lui sont pénibles. J'essaie de changer de sujet.

— Le premier jour de cours, quand on a mangé ensemble, tu nous a demandé de t’appeler Jack. C’est parce que tu veux être une version 2.0 de Leonardo DiCaprio ?

Je rigole et il rigole. Je préfère ça.   

  — Non, on ne peut pas rivaliser avec Leo. Tu sais pourquoi je m’appelle Jackson ?

Je hoche la tête.

— Parce que ma mère était fan de Michael Jackson. J’ai dû naître sur le morceau « Bad ».

On se remet à rire. Puis on se rallonge sur le béton, poursuivant notre contemplation du ciel étoilé. Il est trois heures du matin quand nous regagnons sa voiture et qu’il me ramène chez lui.

Greenwich m’est très familier, c’est juste à côté de Mulberry Alley, et dans ce genre de quartier, tout se ressemble. Il se gare dans l’allée de son jardin et nous rentrons. Je distingue à peine la maison dans la nuit. Jackson chuchote à mon oreille :

— On va dans ma chambre, il ne faut pas réveiller mes parents.

Je réponds d’un signe de tête qu’il n’a pas dû voir. Il me conduit à l’étage. Je marche en prenant garde de ne pas heurter un meuble ou quelque chose d’autre. D’un coup on bifurque dans un autre couloir et empruntons un second escalier, plus étroit cette fois.

On arrive enfin dans sa chambre. Une grande pièce aux murs mansardés peints d’un bleu métallique. Il y a un grand lit deux places sous une fenêtre, un meuble télé avec un écran plat et une bibliothèque sur laquelle il y a davantage de figurines Pop que de livres, et enfin une petite salle de bain adjacente à côté du dressing.   

Jackson me regarde alors que je me fige une fois la porte passée.

— Okay. Je veux la même chambre, dis-je en faisant glisser mon sac de mon épaule.   

Jackson éteint la lumière et allume une bande de led qui fait tout le tour de la pièce. Il y a tout un tas de petit coins et de renfoncements dans lesquelles il y a des étagères avec toutes sortes d’objets.

— Tu veux aller à la salle de bain pour te changer pendant que je le fais ici ? me demande Jackson en sortant un pyjama bleu à rayures de son placard.

— Oui, je veux bien.

Il m’ouvre la porte et tend le bras pour appuyer sur l'interrupteur sans entrer dans la pièce. Je referme derrière moi et découvre la petite salle de bain aux airs modernes. Douche à l’italienne et vasque en pierre noire. Ça a un côté luxueux. Je me change et ressors.

— J’ai pas sorti de matelas, comme c’était pas prévu que tu viennes dormir… Tu veux que j’aille en chercher un en bas ou ça ne te dérange pas de dormir à côté de moi ? me demande-t-il tandis qu’il est déjà installé en tailleur sur son lit.

Je souris, un peu mal à l’aise. L’idée ne me dérange pas. Mais j’ai peur de ce que les autres pourraient penser. Et puis je me rends compte qu’il n’y a pas d’autres…

— Si ça ne te dérange pas, je m’en fous. Je veux simplement dormir.

Un sourire s’étire sur son visage. Je m’approche du lit et tire le coin de la couverture pour me faufiler en dessous. Je m’assois adossé contre la tête de lit et remarque tout à coup que le mur en face est différent des autres.

Il est peint d’un noir mat, parsemé de points blancs faisant penser à des étoiles qui scintillent. Au centre, peint d’un jaune vif, il y a écrit : L’Infini.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demandé-je à Jackson en admirant ce qui semble être son œuvre. C’est toi qui l’a peint ?

Il lève les yeux en direction du mur.

— Oui, c’est moi qui l’ai fait, répond-t-il avec fierté.

— Et qu’est-ce que ça veut dire ? insisté-je.

Il expire profondément.

— L’infini, c’est comme ça que j’appelle la barrière qui sépare les relations humaines.

Je lève le menton, l’air septique.

— Désolé, mais je ne comprends pas, dis-je machinalement.

— Est-ce que tu savais que Platon avait écrit, que selon un mythe de l’antiquité, les humains existaient sous une autre forme.

Je le regarde maladroitement.

— À l’origine, les hommes avaient une tête à deux visages, quatre bras et quatre jambes. L’union parfaite de deux âmes. C’est alors que Zeus, le Dieu de l’Olympe, se serait senti menacé par les hommes. Ces humains vivaient dans une parfaite harmonie, loin de tout conflit ou de tout besoin au point qu’ils finirent par négliger les Dieux, car eux-mêmes se prenaient pour des Dieux. Alors Zeus coupa les humains en deux, les séparant de leurs âmes sœurs. C’est pour ça qu’aujourd’hui on recherche toujours l’amour, c’est parce que nous en avons été séparés.

— D’accord, ça paraît logique même si ça n’a pas de sens, rétorqué-je. Mais du coup ça n’explique pas ça, dis-je en pointant de la main le mur.

— Et bien selon moi, reprend Jackson, il y a quelque chose qui fait que les humains ne pourront jamais réellement tenir une relation. Qu’elle soit amoureuse, familiale ou amicale, il y aura toujours quelque chose pour les séparer. Que ce soit un conflit, les circonstances de la vie ou même la mort. Une sorte de barrière que l’on ne peut pas traverser. Si les âmes sœur partageaient le même corps, elles se retrouveraient dans la mort. Mais séparément, il n’y a aucune chance… Alors c’est ça L’Infini. C’est le nom que j’ai donné à cette force mystérieuse qui fait que jamais deux personnes ne pourront être pleinement ensemble pour toujours.

Il m’explique tout ça avec passion, à la fois heureux de comprendre ce qu’il a créé, mais aussi déçu de ce qui apparait pour lui être une triste réalité.

— Tu veux dire que même deux personnes qui se sont mariés et ont vécu toute leur vie ensemble, L’Infini, comme tu l’appelles, les séparera ? insisté-je pour être sûr de comprendre.

— Oui, c’est ça. Et c’est valable pour tout le monde et toutes sortes de relations.

J’acquiesce d’un signe de tête.

— En tout cas c’est joli, finis-je pas dire.

On voit les coups de pinceau, mais ça n’en reste pas moins magnifique. Je comprends qu’il l’ait peint en face de son lit. Comme ça c’est la première chose qu’il voit au réveil.

Je baille.

— Je suppose que tu ne veux pas lire Orgueil et Préjugés ? me demande-t-il en rigolant.

— Non, ahah. On verra demain.

Il se tourne, saisit la petite télécommande et tamise la lumière des led qui projettent des ombres bleutées dans tous les coins de la pièce.

— J’ai passé une super soirée grâce à toi Jackson, merci, dis-je en m’affaissant dans le lit et en lui tournant le dos.

— De rien, ça m’a fait plaisir. Bonne nuit, Jo.

Je ferme les yeux et me concentre sur le bruit de sa respiration. À chacun de ses mouvements je sens le matelas bouger. Je m’endors dans les dix minutes qui suivent.

 

 

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