Chapitre un

Paul s'est levé ce matin-là avec le vif sentiment d'être étranger à son propre pays. Il a ouvert les rideaux de son petit appartement miteux en grand et s'est aperçu qu'une foule de gens peuplait les rues, pancartes en mains et sourire aux lèvres. Bandes d'ignorants, crétins ! A-t-il pensé. Et il avait raison car tous ces gens, là dehors, ne connaissaient de l'histoire que les faits rapportés par les médias. Paul, lui, savait tout. Et mieux que quiconque puisque c'est sur son épaule qu'Andrew, son meilleur ami, venait pleurer sa fille morte, Becky Hales. Il dormait dans la chambre du fond aux côtés de sa femme lorsque deux hommes sont entrés par effraction et ont enlevé l'adolescente qui n'avait alors que six ans à ce moment là. 

Les individus ont bien sûr été traqué à travers tout le pays, en vain, tandis que sept ans plus tard c'est Becky en personne que Paul avait traqué et ce, pendant trois ans. Andrew avait fait de lui son parrain et en connaissant ses parents, Paul savait pertinemment qu'elle était purement innocente dans cette histoire, peu importe le sang qu'elle ait pu avoir sur les mains...

Le goût amer de la défaite, des regrets, persistait encore et toujours sur sa langue et jusqu'au fond de sa gorge à tel point qu'il ne pouvait plus rien avaler d'autre que sa salive. Il a échoué dans sa mission, il a manqué à sa promesse et Andrew le lui a fait savoir en se suicidant le soir même où il a su que sa fille, la chaire de sa chaire n'était plus. Son épouse, Lily, ne résista pas mieux et sombra dans l'alcool et la dépression.

Ne supportant plus de vivre ainsi, à peine deux mois après qu'on lui ait annoncé son décès, Paul s'est levé ce matin là en décidant de quitter la police pour pouvoir plier bagages et s'exiler en Amérique. Là-bas, il a rencontré Anna avec qui il s'est marié puis il a adopté son propre neveu, Hugo, après que ses parents aient brutalement périt dans un terrible accident de moto. 

Deux ans plus tard, Paul ne s'est toujours pas remis de toutes les pertes qu'il a subit, impuissant, mais il regrette à présent plus que jamais d'avoir quitté la police. Si personne n'arrête ces gens là, alors ils recommenceront encore et briseront encore des vies, des familles. Si j'avais gardé mon travail, j'aurais au moins pu tenté de limiter la casse. Se morfont-il. Et comme à chaque fois, sa femme est là pour lui, pour l'aider. 

- Ne sois pas si exigeant envers toi-même, Paul. Si les choses s'étaient passées autrement, ça ne veut pas dire qu'elles se seraient mieux passées...

- Je sais, chérie, je sais... Lui répond-t-il toujours

Mais c'est plus fort que lui. Pendant sept ans, il est resté fidèle à son poste, à sa mission, à son meilleur ami en se nourrissant d'espoirs encore et encore dans l'unique but de pouvoir savourer ses retrouvailles avec elle. Il l'a traquée si longtemps, parfois si loin mais toujours sans succès. Il se souvient avoir souvent été si proche d'elle puis l'instant d'après, tellement loin... Elle était semblable à une brise de vent que l'on peut sentir passer mais jamais ni voir, ni attraper. Et c'est ça qui a fini par le rendre fou. Au plus il obtenait d'indices sur elle, sur sa position, sur ses faits et gestes, au plus il en voulait encore. 

Lorsqu'il a cru être sur le point de lui tomber dessus, elle devait avoir treize ans et il regrettait déjà presque que la traque soit sur le point de se terminer. Il y avait pris goût, il aimait ça lui courir après et elle aussi, elle aimait le savoir derrière elle, il le savait. Elle avait laissé bien des fois des indices la concernant, comme un vieu t-shirt tâché de son propre sang et de celui d'autres personnes inconnues des fichiers ou bien l'une de ses fausses cartes d'identité. 

Il avait un petit carton rempli de ses effets personnels qu'il dû se résoudre à laisser derrière lui lorsqu'il est parti, ça appartenait aux affaires classées et il savait qu'il ne pourrait rien emporter d'elle si ce n'est le douloureux souvenir de son corps inerte et de son poids plume reposant sur ses bras, les yeux clos, le visage immaculé de sang.

Son nom est devenu tabou, son histoire aussi. Seules ses pensées ont encore la liberté d'en parler mais jamais les mots ne les quittent. 

- S'il-te-plaît, va de l'avant. Tu mérites tellement plus que ça... À te punir, tu vas finir par punir Hugo aussi. N'oublies pas qu'il compte sur toi et moi aussi. Nous n'avons que toi. Lui souffle Anna à mi-voix

Jusqu'à ce qu'il ne reste que moi, encore une fois. Pense-t-il. Cependant elle a raison, Hugo a besoin d'un nouveau départ. Il est si jeune, à peine majeure et déjà orphelin... D'un rapide coup d'œil, il observe ce fichu dossier qui va le pousser à mettre un pied dehors. Pour lui, pour son inscription au lycée. Et il maudit déjà le Monde à l'unique pensée que jamais plus il n'aura l'espoir de la croiser au détour d'une ruelle, n'importe laquelle, ni même à l'orée du bois comme c'était arrivé une fois il y a bien longtemps... 

- Demain. Lâche-t-il dans un soupir las, j'irai demain. 

Mais je jure que je te vengerai Becky, même si pour ça je dois mourir moi aussi.