Evannah refoula ses larmes d’un geste rageur et avança vers le bâtiment. Elle manqua plusieurs fois de trébucher à cause des gravats qui inondaient le sol. Désormais, elle se moquait de ce qui pouvait se trouver sur son chemin. Comme elle l’avait dit à Saphir, elle n’avait plus rien à perdre. Quand elle arriva devant l’immeuble, elle s’arrêta et recouvra son calme. Seule sa respiration se faisait entendre dans le noir.
Elle enjamba des roches avant d’entrer dans un grand hall. Elle ignorait pourquoi ce bâtiment avait été construit, à quoi il était destiné autrefois. Il ressemblait à une école mais les damorials ne laissaient pas leurs enfants dans de tels établissements.
Tout en ressassant la conversation avec Saphir, l’humaine monta un escalier qui avait perdu plusieurs marches. À l’étage, désert et silencieux, le vent balayait la poussière. Evannah posa la lampe à terre et éclaira davantage la pièce. Puis, elle s’assit à une fenêtre et contempla le panorama. La cité n’était qu’une vaste ombre. Comme des étoiles dans un ciel sans lune, des cristaux parsemaient les chemins et les rochers.
Evannah entama une chanson qui traitait de Camoren, terre détruite des damorials. Les échos emportaient sa voix mélodieuse dans les ténèbres. Depuis son accident, sa passion l’avait fuie, la laissant seule dans sa détresse. Désormais, elle était revenue et Evannah avait plus que jamais besoin d’elle. Elle l’entraîna dans son monde, un jardin où de hautes haies la gardaient en sécurité. La jeune fille flânait parmi les fleurs, le regard tourné vers l’horizon bleu et sans nuages. Sur son chemin, un oiseau vola jusqu’à elle.
Evannah l’accueillit dans ses mains. Tout de rouge, l’animal était de papier. Ses ailes triangulaires s’agitaient au souffle du vent. Admirative devant la perfection de l’origami, elle chercha l’auteur et le trouva aussitôt. Enfin, la trouva.
Evannah sursauta quand elle croisa le regard de Lyzel. Celle-ci restait immobile comme une statue de marbre, couverte d’une cape noire. La jeune fille bredouilla. Elle ne l’impressionnait pas par sa carrure mais par sa nature de damorial. On racontait beaucoup de choses effrayantes et fascinantes sur son espèce. En plus d’être une Enfant-Cristal, Lyzel était un de ces êtres qui se nourrissaient de la lumière du Cœur d’un monde, ce soleil qui pétrifiait tous ceux qui osaient l’approcher. Cette même étoile qui générait les âmes de la faune et de la flore.
L’exilée enleva sa capuche, dévoilant sa chevelure blanche et ses cornes ondulées. Elle tira sur sa tresse, cachée dans ses habits, pour la placer sur sa poitrine.
– Euh…, balbutia Evannah, prise au dépourvu.
Elle resta silencieuse, attendant une réaction de la part de Lyzel. Puis, elle lâcha d’une voix timide :
– Merci pour tout à l’heure.
– Ce n’était rien, répondit la damorial avec l’ombre d’un sourire qui montrait à peine ses dents pointues.
– Non, pas du tout. Tu m’as…
– Ce n’était rien. C’était normal de t’aider.
Le cœur battant la chamade, Evannah la regarda dans l’espoir de poursuivre la conversation. Elle désirait lui poser un tas de questions mais elle avait peur de la blesser. Elle tendit l’oiseau que Lyzel prit.
– Il est beau, complimenta l’humaine. C’est toi qui l’as fait ?
– Oui, répondit Lyzel en manipulant sa création. C’est une amie qui m’a appris l’art des origamis.
– Elle est ici, dans la cité ?
Les yeux de Lyzel s’emplirent de tristesse.
– Oh, désolée, s’excusa Evannah, je ne…
– Ça ira, la coupa la damorial avec un sourire réconfortant. Mais non, mon amie Alaïa ne m’a pas suivie. Je suis seule depuis que je suis arrivée ici.
Le regard de la jeune humaine se baissa et rencontra l’étoile qui illuminait la poitrine de la fille blanche. Les trois queues d’os de cette dernière se balançaient sereinement.
– C’est joli, s’émerveilla Evannah, tu l’as toujours eu avec toi ?
– Non, on me l’a offert pour éviter de cristalliser ou d’aveugler quiconque. En tant qu’Enfant-Cristal, je dois protéger les autres de moi.
– Il te calme lors des périodes difficiles ?
– En quelque sorte. Grâce à lui, mes sentiments sont moins violents et mes pouvoirs n’éclateront pas. Quand l’envie d’exploser se fait sentir, cette étoile l’absorbe et la contient. Je peux ainsi envoyer cette lumière sur mes ennemis.
– Tous les Enfants-Cristaux en ont un ?
– On se débrouille comme nous le pouvons. C’est la sœur d’Alaïa qui l’a créé. Les damorials de la Serre des Os, notre cité qui nous a protégés, avaient besoin d’être rassurés. Ils craignaient une quelconque maladresse de ma part et de déclencher de nouveaux conflits face à Ixarian. Même ici, on se méfie beaucoup de moi ou l’on me craint. Et pas seulement les damorials, d’ailleurs. Je ne te fais pas peur, au moins ?
– Non, répondit Evannah.
Mais elle se demandait si elle était sincère avec elle-même.
Elle s’attendait à voir Lyzel sourire. À la place, la damorial la fixa longuement avec suspicion. Ses trois queues d’os se dressèrent et oscillèrent. La jeune fille imagina qu’elles formaient la roue d’un paon.
– Tu m’as menti, hier, lui reprocha-t-elle.
– Mais… à propos de quoi ? s’étonna Evannah.
– Tu m’avais dit que tu n’étais pas Nébulienne.
L’humaine hocha la tête, gênée. Puis, elle s’empressa de s’expliquer :
– J’ai du mal à réaliser ce qui m’arrive.
– Toute modification entraîne de grosses complications. Si tu as voulu les changer, tu étais censée le savoir avant. Pourquoi avoir fait ça ? Ça ne te plaisait pas d’être bien née, en tant que Mitrisianoise ?
– Je n’ai rien voulu, moi ! J’ai eu un accident.
Lyzel fronça les sourcils, incrédule.
– Je ne comprends pas.
– Un objet de cristal est tombé et a éclaté. Un des morceaux s’est enfoncé dans mon cœur. Quelques jours plus tard, je n’étais plus Fluvienne.
La damorial ne semblait toujours pas convaincue.
– Je le jure ! C’est vrai ! se défendit Evannah.
– Je veux bien te croire mais… je n’ai jamais entendu une telle histoire. En général, les victimes de modifications nébuliennes ont été forcées par d’autres personnes.
La jeune fille baissa les yeux, contrariée par le scepticisme de Lyzel.
– J’ai entendu dire que les humains possédaient une sorte de… médecine capable de réguler les Nebulas, poursuivit l’Enfant-Cristal. Il n’y avait pas moyen de régler ton problème dans Mitrisiane ?
– Non, répondit tristement Evannah. Les enfants ont le droit à ce genre de modifications car leurs Nebulas sont jeunes et donc malléables. Ce n’est pas toujours le cas, mais la plupart du temps, ça marche. Quant à moi, je suis adulte et mon âme ne peut pas changer avec de simples sédatifs et des implants. De plus, Mitrisiane ne m’aurait jamais crue. De toute façon, personne ne me croit.
Son regard évita celui de Lyzel.
– Je ne te pense pas assez stupide pour aller dans Leïvron après avoir modifié tes Nebulas intentionnellement, avoua celle-ci. Mais, peu importe, tu es inconsciente de vouloir mettre les pieds là-bas.
– Je le sais, rétorqua sèchement Evannah. Mais je n’ai aucune autre possibilité.
– Non, c’est vrai. Mais quand on a vu Mosdrem, il ne cesse de hanter nos nuits.
– Je ne le connais qu’à travers le récit de Meïlaa et de Saphir.
– Ah, lui…
Son ton était sarcastique.
– Tu as eu des problèmes avec lui ? devina Evannah.
– On peut dire ça, répondit Lyzel. Quand il m’a dévisagée, j’ai compris qu’il avait un problème avec ceux de mon espèce. Encore un sale type qui a des préjugés sur les étrangers.
Evannah haussa les épaules. Ce n’était pas l’impression qu’elle avait eue de Saphir.
– Mais bon, j’ai l’habitude, dit la damorial avec détachement.
Elle examina un moment l’oiseau de papier puis leva les yeux vers Evannah.
– Tu as une jolie voix, la flatta-t-elle.
Un grand sourire se dessina sur les lèvres d’Evannah qui la remercia dans un murmure. Dans Mitrisiane, les inconnus ignoraient tout de sa principale passion. Ses amis proches l’avaient toujours félicitée avec exagération. Elle pensait qu’ils lui mentaient dans le but de ne pas la froisser. Si elle chantait bien ? Selon elle, oui. Mais elle imaginait sa voix sonner différemment pour les autres et elle craignait leurs critiques.
– Tu aimes la musique ? demanda-t-elle. Tu chantes, toi aussi ?
– Oui, bien sûr, confirma Lyzel comme si c’était une évidence. Je n’ai pas de voix mais je chante tous les soirs.
– Peu importe, ça fait du bien à tout le monde.
Lyzel opina de la tête, un léger sourire aux lèvres.
– Tu es ici depuis longtemps ? la questionna encore Evannah.
– Oui. Je viens souvent ici. Il n’y a personne, mais je croise parfois des gens infréquentables. Je crois que depuis que Saphir traîne dans les parages, plus personne n’ose y mettre les pieds. Ou alors, il s’en est occupé.
– Tu n’as pas arrêté de faire des origamis ?
– J’en ai besoin, en ce moment. Ça me détend.
Le visage de Lyzel s’apaisa totalement et la damorial blanche lui prit la main pour l’emmener dans un coin du bâtiment. Ses os pourtant si durs et si froids embrasèrent le corps d’Evannah. Sa poigne si douce imprégna sa peau qui se souviendrait de ce contact pendant des semaines.
– Là, j’ai réalisé tout ça, déclara fièrement Lyzel qui la sortit de ses pensées.
Evannah s’agenouilla près des animaux de papier. De toutes les couleurs, les origamis représentaient surtout des créatures de Camoren. N’ayant pas connu ce monde, la jeune humaine ignorait que ces abeilles aux ailes de feuille en étaient originaires. Elle avait aussi du mal à identifier ces grosses fleurs à tête de lion ou qui évoquaient des flammes. Mais elle était surprise de constater que Lyzel avait conçu beaucoup d’animaux de Mitrisiane. Elle saisit un lapin bleu et admira le pliage sans défaut.
– Tu es déjà allée dans Mitrisiane ? s’enquit-elle.
– Oui, répondit l’Enfant-Cristal qui se rappelait une dure période. J’ai erré dans ses rues avant de partir pour Ixarian. C’est le premier monde que j’ai rencontré après la destruction de Camoren.
– Tu avais quel âge quand… c’est arrivé ?
– Six ans.
Six ans. C'était suffisant pour en garder un souvenir clair. Lyzel parut absente un moment. Aucun enfant ne devrait vivre une telle horreur. Evannah savait que ses parents l’avaient protégée et accompagnée durant ce terrible périple mais elle ne voulait pas s’en mêler.
Evannah posa le lapin pour attraper une chauve-souris.
– J’aime beaucoup celui-là, dit-elle en manipulant l’origami.
– Mon ami Niyaëv aussi. C’était la créature qu’il me demandait le plus. Il est resté dans Ixarian. J’ai perdu beaucoup de personnes depuis la catastrophe. Ou depuis que Camoren n’existe plus.
Lyzel parcourut les murs des yeux tandis qu’Evannah feignit d’analyser l'animal de papier, attentive à ses réactions.
– Si seulement Mosdrem pouvait mourir sous ma lumière, chuchota-t-elle, le cœur rempli de tristesse et de colère.
– Ce n’est pas le cas ? demanda la jeune fille.
– Non. Mosdrem la craint, ce qui nous permet de le repousser. Mais l’éliminer est une autre histoire. Certaines personnes pensent que j’aurais pu l’arrêter le jour où nous avons dû fuir.
La damorial posa de nouveau les yeux sur l’humaine.
– Je ne sais même pas pourquoi je te raconte tout ça, dit-elle avec un rire amer, tu ne dois pas comprendre ce qui m’est arrivé.
– C’est vrai, admit Evannah. Je ne peux comprendre ce que c’est que de perdre son monde. J’ai fui le mien, car je suis considérée comme une hors-la-loi mais ce n’est pas suffisant pour connaître ton malheur. Même la définition du mot « exil » ne signifie rien. Il faut le vivre pour le savoir.
Lyzel acquiesça.
– Je pense que tu avais besoin d’en parler, supposa l’humaine. Même si je ne suis pas de ton espèce.
– C’est vrai, approuva Lyzel. Cette… vie est devenue une banalité pour les gens comme nous.
– Personne ne mérite ça. Je suis tellement désolée pour ce qui t’arrive. Tu…
– Arrête ça, l’interrompit la damorial en levant les yeux au ciel. C’est inutile d’avoir pitié de moi.
Evannah se tut, honteuse de l’avoir vexée. Non, Lyzel n’avait pas besoin de commisération. Sa vie avait été un supplice et elle faisait tout pour être forte. Ça, Evannah le comprenait. Dans son cas, elle cherchait la compassion des autres pour obtenir leurs services. Oui, c’était pathétique.
Lyzel rangea ses créations dans le panier posé près d’une pile de feuilles. Evannah s’empressa de l’aider. Elle prit chaque origami avec la plus grande précaution. Puis, elles se levèrent.
– On devrait retourner en ville, suggéra l’humaine.
L’Enfant-Cristal hocha la tête et saisit sa corbeille. Evannah ne savait pas si elle voulait vraiment revoir le Marionnettiste. En fait, elle n’avait pas très envie de recroiser Saphir qui avait dû penser qu’elle était immature et capricieuse.
Evannah attrapa la lampe et Lyzel la rejoignit. Alors qu’elles s’apprêtaient à descendre l’escalier, un cri strident déchira le silence.
Voilà les petites fautes que j’ai repérées :
- « les damorials ne laissaient pas leurs enfants dans tels établissements » → « dans de tels »
- « Lyzel fronça les sourcils, incrédules. » → « incrédule », ou « fronça des sourcils incrédules »
- « Mitrisiane ne m’aurait jamais cru » → « crue »
- « Mais, peu importe, tu es inconsciente de vouloir mettre les pieds là-bas. » → à mon avis, la virgule après le « mais » est en trop ;)
- « Je crois que depuis que Saphir traîne dans les parages, plus personne n’ose mettre les pieds » → « n’ose y mettre les pieds », ou « n’ose mettre les pieds ici »
- « tandis qu’Evannah feignit d’analyser l'animal » → « feignait »
- « Seuls les faibles diraient attirer autant d'empathie. » → Je ne comprends pas trop cette phrase… Il manque quelque chose, non ? Ou alors tu t’es trompée de verbe ?
Et aussi un passage qui prête un peu à confusion. Si j’ai bien compris, Lyzel appartient à l’espèce des damorials, et ses Nebulas font d’elle une Enfant-Cristal. Mais au moment où tu expliques ce que ça veut dire, tu dis « Elle ne l’impressionnait pas par sa carrure mais par sa nature de damorial », juste avant d’enchaîner sur les caractéristiques des Enfants-Cristal. Ca donne l’impression que tous les damorials sont des Enfants-Cristal. Peut-être qu’en changeant simplement la phrase par « par sa nature d’Enfant-Cristal » ça rendrait les choses plus claires ;)
Encore merci pour ces corrections ! J'apporterai les modifications à mon texte. Merci pour tes analyses, ça m'aide beaucoup :)
A bientôt !