En tête-à-tête

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Chers lecteurs, nous nous rapprochons de la fin. À vrai dire, le prochain chapitre sera l'épilogue. J'ai plein de choses à dire mais je les réserve pour plus tard. N'hésitez pas à partager ce que vous pensez de ce chapitre dans les commentaires. Bonne lecture !

—Mademoiselle, vous voulez bien nous expliquer ce qui se passe ? demanda un policier de derrière sa moustache drue.

Je le regardai des pieds à la tête. Il devait avoir passé l’âge de la retraite et de toute évidence, cette course-poursuite l’avait épuisé. Il suait à grosses gouttes dans son uniforme et sa moustache frémissait d’indignation. Un collègue, un peu plus jeune, se tenait derrière lui. Je m’éclaircis la gorge. 

—Monsieur l’agent ! Enfin vous êtes là ! s’écria Tristan avec un soulagement réel. Oh, j’ai cru mourir dix fois. Il faut que vous nous aidiez !

—Voilà, acquiesçai-je en le montrant du pouce. Je ne sais pas si vous me connaissez… Si ? Au cas où, je me présente : je suis Ingrid Karlsen, mieux connue sous le nom de Pythie.

J’esquissai une petite révérence. Le policier leva un sourcil. Bon, visiblement, le numéro de charme ne prenait pas. Je continuai malgré tout :

—Il se trouve que moi et ma troupe de Héros sont en Quête…

—En quête de quoi ? m’interrompit-il tandis que le jeune homme derrière lui grattait quelque chose dans son bloc-notes.

—Non, une Quête, répétai-je en insistant sur la majuscule. Bref, peu importe. Le nœud du problème est que l’un de mes Héros s’est fait kidnapper par un de nos ennemis. Si vous ne me croyez pas, demandez-lui, il doit être dans l’autre voiture.

—D’accord… Mais vous avez conscience que vous êtes en excès de vitesse ? Vous étiez quarante… Il vérifia sur les notes de son collègue. Quatre-vingt kilomètre-heure au-delà de la limite obligatoire !

—C’était une urgence, m’sieur l’agent ! se défendit Charlotte en sortant à son tour de la voiture. Puisqu’on vous dit que notre ami s’est fait capturer par les autres fous !

—C’est vous qui conduisiez ? Mais quel âge avez-vous, mademoiselle ? demanda le jeune agent, les yeux ronds comme des soucoupes.

Heureusement, la voiture verte avait elle aussi été stoppée. Je serais bien allée voir comment allait Froitaut, mais je craignais de froisser nos deux nouveaux compagnons. Je voyais bien un homme, dont la tenue me rappelait beaucoup celle que portaient les sbires de Vercran. Il gesticulait face à un autre policier. Il ne paraissait pas avoir plus de succès que moi. Ça voulait dire qu’il me restait une chance ! Je devais les prendre de vitesse. Je lançai un sourire éclatant à l’agent de police. Il eut un reniflement blasé. Ça, c’est les personnes âgées, incapables de laisser la jeunesse faire quoi que ce soit ! Je ravalai mon venin malgré tout. 

—Monsieur l’agent, dis-je, aussi calme que possible, je suis capable de tout vous expliquer. J’irai même plus loin : j’ai besoin de votre aide. Car non seulement je sais qui est à l’origine du kidnapping de M. Froitaut -professeur très respecté, si je puis dire- mais aussi je peux affirmer que cette même personne a tenté de nous tuer à l’aéroport, à Paris, et au Nicaragua. 

L’agent fronça les sourcils et remua sa moustache. Enfin, j’étais parvenue à piquer son intérêt.

—J’ai entendu parler de la tentative d’assassinat. C’était il y quelques temps déjà… Pas de suspect non plus.

—Non, pour la bonne raison que l’instigateur de ces attaques est puissant. Il s’agit de M. Vercran, directeur de l’entreprise d’électronique All Star.

Le jeune agent releva le nez de son calepin pour mieux échanger un regard avec son collègue. Celui-ci se retourna vers moi et dit d’un ton qui ne présageait rien de bon :

—Ce sont de graves accusations, jeune fille.

—Ah, peu importe que vous me croyiez ou non ! m’exclamai -je, levant les bras au ciel. Demandez-leur s’ils travaillent pour Vercran, et vous verrez bien que je dis vrai. Et pour l’amour du ciel, faites-les relâcher mon prof ! 

Ma colère leur donna un coup de fouet. Ils nous laissèrent seuls un instant, probablement pour vérifier si Froitaut était bel et bien dans la voiture, et que je ne mentais pas. Ils étaient trop loin pour qu’on entende clairement ce qui se dise, mais au bout d’une conversation animée, l’un des agents ouvrit la portière arrière de la petite voiture verte. Froitaut en sortit. Je soupirai de soulagement. Pendant une seconde, je m’étais imaginée le pire ! Il nous rejoint en quelques enjambées, le front plissé par l’inquiétude :

—Les enfants ! Est-ce que tout va bien ? Son visage devint plus pâle encore. Je rêve ou vous avez volé une voiture ?

—C’est pas ma faute cette fois, c’est Charlotte qui a eu l’idée ! m’empressai-je de dire.

—Balance, grogna celle-ci. 

Un agent de police- encore un- passa près de nous et offrit à M. Froitaut une petite couverture, en cas de choc. Il ne faisait pas particulièrement froid, pourtant il l’accepta de bon cœur et s’en recouvrit les épaules. On aurait dit une grand-mère de conte de fées, avec cette espèce de châle à carreaux. Il la serra contre lui et déclara :

—Bon. J’imagine que, compte tenu des circonstances, je peux difficilement vous faire la morale. Par ailleurs… 

Il plongea une main dans la poche de son pantalon et tendit la clé USB à Tristan.

—Gardez ça avec vous, et n’en parlez à personne. Ils ne sont pas au courant de son existence. En revanche, ils ont compris que nous étions responsables de l’explosion dans leur QG.

—Mouais, je m’y attendais un peu, dis-je. Du coup… qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

—Là, mes petits, nous ne faisons rien. Nous attendons qu’un des policiers nous ramène à l’hôtel pour prendre nos dépositions. Avec un peu de chance, les preuves que nous avons serons suffisantes pour mettre des bâtons dans les roues de Vercran. Et si ce n’est pas assez… eh bien, j’imagine que ton père se chargera du reste, conclut mon professeur.

C’est ce que nous fîmes. Le processus fût long et ennuyeux, et entre temps plusieurs coups de fil furent passés. En effet, j’en avais oublié les Héros. Autant vous dire qu’ils étaient morts d’inquiétude, et ils insistèrent pour entendre la voix de Froitaut au téléphone, tandis qu’ils se dépêchaient de revenir eux aussi à l’hôtel.
Cette nuit-là, nous dormîmes tous dans une seule chambre. Martin et Élias nous avaient dégotés des duvets. Nous eûmes un peu de mal à nous endormir : l’adrénaline, je suppose. Cependant, savoir que nous étions tous ensemble et hors de danger finit par nous calmer. Charlotte me confia plus tard qu’apparemment, je m’étais endormie le sourire aux lèvres.

16 Mars : Je ne suis pas une enfant ingrate. Enfin, pas plus que la moyenne. Qui pourrait me blâmer d’avoir du mal à comprendre ce que je ressentais face à mon père, à ce moment précis ?

Premier point, il m’avait manipulé. D’un autre côté, j’avais moi-même menti et trompé pas mal de monde -dont mes plus proches amis et la large majorité de mon pays, sans compter les autres. Deuxième point, il m’avait poussé dans la gueule du loup, moi, sa fille ! Contrairement à lui, je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer quand j’ai décidé de créer la Quête. Je me doutais bien que ce serait pas de la tarte, m’enfin pas à ce point-là. Troisième point… je me rendais compte que malgré tout ce qu’il m’avait fait vivre et les dangers que j’avais encourus, je n’arrivais pas à lui en vouloir entièrement. Il restait mon père. J’avais du mal à croire qu’il ait pu sciemment tenter de me faire du mal.

Gemma n’avait pas ce genre de difficultés.

—Rappelez-moi ce qu’il fiche là, ce sale…

—Il vient récupérer ses documents, d’un, et voir sa fille, répéta pour la millième fois Baptiste, adossé au mur de la cantine de l’hôtel.

—On devrait pas rester plantés là, les bras ballants, rétorqua-t-elle, furibonde. Ce type a failli nous coûter la vie, avec ses machinations grotesques ! Tout ça pour ses maudits papelards !

—Je suis bien d’accord, dit Élias à côté d’elle. Hélas, Ingrid a été claire : pas de vengeance… 

L’Assassin frotta gentiment le bras du Barde, pas apaisée. J’étais contente de les voir s’inquiéter pour moi, vraiment. Cependant, c’était un peu gênant de les entendre alors que mon père et moi étions à dix pas d’eux.

—Nous pourrions peut-être aller discuter ailleurs, proposa mon père.

—Même pas en rêve ! s’offusqua Martin, assis sur une chaise à l’envers, à côté des autres héros.

—Il a raison, le soutint Froitaut. Ne poussez pas le bouchon trop loin. Compte tenu des circonstances, soyez content qu’on vous laisse lui parler. 

Hormis les Héros, Charlotte, Tristan, mon père et moi, la pièce était vide. La cantine de l’hôtel avait des murs beiges, un peu défraichis. Les tables et les chaises me rappelaient celles de l’école. Il y avait même un pichet qui trainait, oublié du dîner de la veille. J’étais prête à me lancer dans des descriptions dignes de Balzac pour échapper à la conversation qui m’attendait. Je n’avais pas la moindre envie de penser aux motivations de mon père, d’entendre ses excuses- s’il s’excusait ! il l’avait fait une fois, pas dit qu’il le refasse.
Néanmoins, je savais que repousser le moment fatidique ne changerait rien. C’est pourquoi j’inspirai à fond et me lançai :

—Papa.

—Ingrid…

—Avant toute chose, tu vas récupérer tes travaux, d’accord ? Tristan ? 

Le garçon se glissa à côté de moi et posa la petite clé USB sur la table, juste devant mes mains croisées. Je la poussais vers mon père, qui la prit sans un mot. Il la fit tourner entre ses doigts et demanda :

—Il y a tout, dedans ?

—Oui, confirmai-je. Et nous avons détruit tous les autres exemplaires. Enfin, tous ceux qui se trouvaient dans le laboratoire souterrain.

—Incroyable. Ingrid, tu as dépassé toutes mes espérances. 

Je sentis la tension s’élever de mes amis dans mon dos. Je préférai me mordre la langue et continuer :

—Papa… Je… 

Pourquoi ma gorge se serrait-elle autant ? Je savais ce qu’il avait fait et pourquoi et comment. C’étaient des faits que je devais accepter. Être triste ou en colère n’allait rien changer. Je devais aller de l’avant. J’en avais pleinement conscience. Alors pourquoi ne pouvais-je articuler un seul mot ? Soudain, sa main se posa sur la mienne. Je faillis l’enlever.

—Je suis désolé que tu aies vécu ça, ma chérie. Sincèrement. 

Je reniflai un peu, mais m’essuyais rapidement avec ma manche. C’était dommage car c’était un chouette pull, jaune avec des fleurs bleues dessus, mais bon. Je finis par lâcher :

—Comment vont maman et François ?

—Ils vont bien. Ils sont très inquiets pour toi, ils ont hâte que tu rentres. Je hochai la tête à ces mots. Moi aussi, j’avais envie de rentrer à la maison. D’ailleurs, je pourrais te ramener à Paris. Je suis venu en voiture. Bien sûr, il y a de la place pour Charlotte et Tristan, s’ils le veulent. 

Tristan grimaça le sourire le plus faux que j’avais jamais vu, sans un mot. Charlotte se contenta de tourner la tête en jurant dans sa barbe. Étrangement, j’eus envie de rire. Je secouais la tête et dis :

—Ça ira, papa. Je pense que je vais plutôt attendre de prendre le train avec tout le monde. 

J’aurais juré que Martin avait lâché un soupir soulagé, mais je n’en eus jamais la confirmation. Mon père fronça les sourcils, et sa main eut un minuscule sursaut nerveux.

—Tu es sûre ?

—Certaine. 

Il me fixa un instant, avant de baisser les yeux. Il se leva de sa chaise et déposa un léger baiser sur mon front en murmurant :

—Je comprends. Je te reverrai à la maison, dans ce cas.

—Mmm, fis-je en le serrant brièvement dans mes bras. Embrasse maman et François pour moi.

Il hésita, je crois, mais finit par s’en aller. La porte s’était à peine fermée derrière lui que Gemma se jeta sur moi. Elle me prit le visage entre les mains et s’exclama :

—Surtout, ne sois pas triste. Tu t’en es sortie comme une chef. OK ?

—OK, marmonnai-je. 

Difficile d’articuler quand on a la bouche d’un poisson-lune. J’entendis Baptiste souffler quelque chose à Martin, mais je ne compris pas quoi. Il n’avait pas l’air content, lui non plus. Cependant, il perdit sa mine maussade en croisant mon regard et vint à son tour à côté de moi.

—Elle a raison, tu sais. Tu t’es bien débrouillée.

—Oh, vous savez, c’est rien. Je reste un génie, tout de même. Je me balançai sur ma chaise, avant de demander : Du coup, on repart quand ?

—Demain ! Je viens de prendre nos billets, déclara Charlotte en pianotant sur son téléphone. J’ai vérifié trois fois la destination, cette fois. Histoire qu’on débarque pas à Poitiers ou Perpignan ou je-ne-sais où. Par contre, je crois qu’on va pas pouvoir couper aux festivités.

—Festivités ? répétai-je. Qu’est-ce que tu me chantes ?

—Ben, il se pourrait que la nouvelle se soit répandue. Que les Héros ait mis fin à la Quête, que vous avez sauvé le monde, tout ça. On ne parle que de ça sur Twitter, par exemple. Cela dit, faut voir les choses du bon côté : qui dit fête, dit buffet ! 

Mes Héros n’avaient pas l’air trop choqués par la nouvelle. Voilà au moins une bonne nouvelle. Je me laissais glisser dans ma chaise, pensive. Une partie de moi ne rêvait que d’une cérémonie glorieuse où mon nom rentrerait dans la légende à jamais, ne serait-ce que pour me changer les idées. De l’autre, une sieste d’une bonne douzaine d’années me tentait aussi. 
Toutefois, mon instinct me souffla que je n’allais pas y couper. Autant se jeter dedans le cœur joyeux, donc !

—J’espère que vous êtes prêts, alors, dis-je à mes Héros. Parce qu’il est temps de rentrer chez nous ! 
 

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Edouard PArle
Posté le 24/06/2023
Coucou Bleiz !
L'histoire se conclut finalement assez vite et on ne revoit plus Vercran. Je suis un peu étonné qu'il n'y ait pas de confrontation finale mais en vrai c'est pas plus mal, ça change de la trame classique. Un peu plus déçu par contre que la discussion entre Ingrid et son père ne dure pas plus longtemps et même plus largement qu'elle ne soit pas davantage développée tout au long de l'histoire car je la trouve très intéressante. Après, c'est sûr que l'histoire dure déjà pas mal, qu'il y a beaucoup de personnages, tu ne peux pas tout traiter. Mais j'aurais bien aimé l'entendre plus parler de lui, de sa relation avec Amos et Vercran, ses recherches etc...
Je me lance dans le dernier chapitre !
Bleiz
Posté le 03/07/2023
Coucou !
Ce serait peut-être mieux de faire rappliquer Vercran dans les derniers chapitres pour suivre la trame classique, mais c'est vrai que sa présence me paraîtrait presque superflue. Ses actions ont rythmé la Quête depuis le début sans qu'on le voit vraiment et je trouve que le fait que sa chute se fasse dans l'ombre plutôt raccord avec le personnage. C'est sûr que j'ai dû laisser beaucoup d'éléments qui auraient pu être développés de côté. Pour une suite, un jour ? x)
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