Epilogue

Ça ressemblait à une blague, se dit-il en sortant de l'auberge, Yû'Chin sur les talons. Le soleil ardent de ce début d'après-midi cognait sur sa nuque, et sur sa tête encore farcie des révélations du matin.

- Magne-toi ! cria-t-il à Yû'Chin.

Celui-ci découvrait la ville avec ébahissement et, le nez en l'air, ralentissait sans y prendre garde.

- Désolé, Arthen, je viens.

Il le vit accélérer pour le rejoindre, trébucher, se rattraper, puis continuer en baissant le nez, concentré sur ses mouvements.

Agaçant ! Il faudrait bien qu'il arrive à lui faire rentrer dans la tête, à celui-là, qu'il ne lui devait rien. Arthen s'était juste trouvé au bon endroit au bon moment, par deux fois, et avait eu de bons réflexes. D'ailleurs, la seconde fois, sans Olaia, il n'aurait rien pu faire pour Yû'Chin.

Le garçon n'avait ni besoin ni envie d'un petit chien sur les talons, jour et nuit, et encore moins d'un serviteur zélé qui lui passait l'eau, le sel, le beurre avant même qu'il en exprime le désir, ou courait chercher ses chaussures quand il souhaitait sortir. C'est tout juste si l'autre ne l'appelait pas maître ; il attendait de voir s'il n'allait pas de nouveau tenter de se coucher à ses pieds cette nuit.

En même temps, il se sentait injuste, égoïste et s'en voulait de le rabrouer. La vie avait pris une tournure si compliquée !

Arthen n'avait ni besoin ni envie d'une sœur, non plus ! Avoir un frère, cela avait dû lui traverser l'esprit, autrefois, mais maintenant que cela devenait réel, il s'apercevait qu'il n'avait guère envie de partager sa mère et son oncle avec un frère, et encore moins avec une sœur.

Une sœur ! Voilà bien le plus difficile à croire, finalement. Comment pouvait-il l'avoir oubliée ?... Oui, bien sûr, la plupart des enfants ne gardent aucun souvenir avant leurs trois ou quatre ans. Ils avaient été séparés à un an ; Naelmo était partie avec son père, lui était resté.

En fin de compte, il n'avait rien compris : depuis qu'il avait découvert l'identité de son père, il s'était imaginé qu'il les avait abandonnés ici. En réalité, c'était presque l'opposé. Kaelán avait été obligé de fuir, sans Oanell et Sio qui avaient décidé de ne pas le suivre. Un choix qu'il ne saisissait pas, un choix qui laissait Arthen peiné et perplexe.

Kaelán avait emmené Naelmo, comme lui capable d'exploits qui auraient effrayé n'importe qui ici. Oanell n'avait pas eu le choix, elle non plus. Naelmo ne pouvait simplement pas rester dans leur monde, où elle aurait été considérée comme un monstre.

Quant à lui, Arthen, ses parents connaissaient le potentiel qui dormait en lui, prêt à s'éveiller à l'adolescence... ou pas. Cette combinaison génétique, que les appareils des spatiaux avaient identifiée en lui dès sa naissance, elle était nécessaire, mais ils n'avaient jamais compris pourquoi une majorité d'enfants la possédant demeuraient parfaitement « normaux » tandis que certains devenaient télépathes à l'adolescence. Télépathes, juste télépathes. Arthen ne serait jamais capable des prouesses inquiétantes de son père, de Nin ou de sa sœur...

Depuis qu'il tournait et retournait dans sa tête toutes ces nouvelles surprenantes, Arthen prenait conscience que le monde qu'il avait cru connaître, régi par les règles simples enseignées aux enfants, présentait en réalité tellement d'autres facettes !

- Attend-moi Arthen ! geignit Yu'Chin, encore largué dix mètres derrière.

- Magne-toi !

Arthen s'arrêta machinalement pour l'attendre. À peine distrait de ses réflexions, il se mit à penser aux pliages de papier, que sa grand-mère pratiquait en artiste. On partait d'une ou plusieurs fines feuilles carrées, qu'on métamorphosait en un objet multidimensionnel, comme un cube, ou un animal avec une tête, des pattes, une queue. Des ailes, quelquefois...

Les adultes montraient le monde aux petits enfants comme ce carré de papier plat, blanc d'un côté, noir de l'autre... le bon, le mauvais. Alors qu'il ressemblait bien plus aux élégantes grues de papier fleuri, que Trisbée confectionnait avec minutie. On découvrait de nouveaux détails à chaque fois qu'on prenait le pliage entre des doigts précautionneux, afin de faire bouger les ailes.

Mhm, des ailes... des oiseaux...

L'idée de revoir F'lyr Nin n'était pas pour lui déplaire... Est-ce qu'il comptait un peu pour elle ? Leur contact, tenu mais constant, avait été rompu pendant le passage. Sa présence à la lisière de ses pensées lui manquait, depuis son réveil. Pourraient-ils retrouver ces petits moments de complicité qu'ils partageaient à deux ?

Qui sait, elle leur préparerait peut-être quelque cours d'histoire, à Djéfen, Yû'Chin et à lui ? Mais d'abord, il voulait l'inviter à son anniversaire, dans quelques jours, avec ses deux autres amis. Il avait demandé la permission à Sio de l'amener à l'auberge, afin de la présenter à la famille. Ils avaient bien accepté Kaelán, ils n'allaient pas bouder pour quelques plumes... Arthen espérait que tout se passerait bien...

Un oiseau au-dessus de lui lança un trille enthousiaste. Arthen, rappelé à l'ordre, attrapa la main du neutre : ses amis les attendaient. La petite troupe allait être réunie... dans la villa... avec Tenzem.

Une école d'un nouveau genre... S'il se montrait à la hauteur, il y obtiendrait la clé du mystère : pourquoi les spatiaux étaient-ils partis ? Qui était leur méprisable agresseur ?

Arthen s'élança, tirant Yu'Chin derrière lui : inconvenant d'être en retard dès le premier jour !

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L'envers du carnet

(Extrait du livret de poésie de F'lyr Nin)

A iles déployées, cri dans le vent

R uisseaux et prés, vallées et pics, loups et marmottes

T out est rétréci, tout petit...

H abitations pour les poupées, village de fourmis

E n bas, ta main vers moi

N id