Épisode 1

Notes de l’auteur : Cette nouvelle a été écrite pendant les événements du mois de mai 2011 qui ont vu Dominique Straus-Kahn, alors directeur du Fond Monétaire International, être arrêté à l'aéroport JFK de New-York parce que mis en cause d'une affaire d'agression sexuelle sur une femme de chambre. Lors de la procédure judiciaire, sa liberté sous caution ne lui est pas accordée. Dominique Strauss-Kahn passera alors une courte semaine dans une prison new-yorkaise nommée Rikers Island.

Rappelons que, dans cette affaire, Dominique Strauss-Kahn a bénéficié d'un non-lieu au pénal le 23 août 2011. Au civil, c'est une « transaction financière » qui mettra fin aux procédures engagées par sa victime.

Dans l'affaire dite du "Carlton", Dominique Strauss-Kahn a été relaxé par le tribunal correctionnel de Lille dans un jugement rendu le 12 juin 2015.

Cette nouvelle propose un récit imaginaire du séjour en prison de Dominique Strauss-Kahn à Rikers Island.

Qu’est ce que tu fais dans la vie ?

L'homme se tenait droit sur la banquette. Dos au mur. Le plus dignement possible dans sa tenue de prisonnier. La cellule était étroite. Douze mètres carrés à tout casser. Neuf mètres carrés, si on enlevait l’espace qu’occupait le lit à double étage qui reposait sur le mur d’en face. Les coins au plafond suintaient la moisissure, le sol du cachot avait des allures de banquise.

- Qu’est ce que tu fais dans la vie ?

Le cou fort d'un taureau, les yeux aussi clairs que les ciels d'hiver, la bouche aussi fine qu'un billet de banque. Ses cheveux grisonnant s’éclaircissaient sous les rayons du soleil. Ils passaient à travers une petite lucarne, tel le projecteur d’un cinéma où se joue un film de mauvais goût. Une crispation sur le sourire : la lumière le fatigue. Ses yeux se plissent douloureusement sous ce projecteur de mauvaise compagnie.

- Qu’est ce que tu fais dans la vie ?

Le ventre dodu se cogne contre un pantalon de trop petite taille. Ses jambes se sclérosent, immobiles, incapables de faire le moindre mouvement, comme coulées dans le béton ; c'est un homme quelconque dans le béton d’une prison. Un homme qui ne sait plus s’évader. Une conscience sans échappatoire. C’est à cela que ça sert une prison. Cela détruit les hommes, leur liberté, parfois les destins. Ses mains puissantes tremblent. Ne savent quoi faire d’un environnement aussi insignifiant. Mécaniquement, elles recherchent les poches d’un haillon qui n’en possède pas. À la recherche d’un portable égaré dans la suite d’un hôtel new-yorkais.

- Qu’est ce que tu fais dans la vie ?

Le compagnon de fortune est brun de peau. Biceps avantageux, glaçons fièrement dessinés sur l'abdomen. Ses jambes puissantes tournent en rond, éprises de liberté. Parfois, l’envie de courir lui vient dans ce neuf mètres carrés. Sa tête passe et repasse devant l’unique ouverture de la pièce, ce qui donne l’impression que les jours et les nuits se succédent à une vitesse fulgurante. Comme si le temps s’accélérait d’un seul coup. De ses yeux d’amande, le jeune prisonnier n’arrête pas de marteler son nouveau compagnon du regard.

- Qu’est ce que tu fais dans la vie ?

Un spectacle d’ombre chinoise. L’ombre et la lumière. La douceur d’un matin qui se lève, et l’ombre de la solitude dans la salle de bain. L’extase d’une pulsion exterminée gratuitement, puis la prise de conscience d’un acte grave. L’espoir d’une évasion à l’aéroport JFK et les manteaux noirs des enquêteurs. La lumière criarde des gyrophares, le mauvais sang d’une séance de garde à vue. Le flash des photographes et les robes austères des juges. Liberté conditionnelle refusée, prison jusque vendredi pour établir si un procès aura lieu ou non. Le jeune homme continuait ses rondes de plus en plus vite, comme si la roue qui le faisait tourner avait décidé de s’accélérer.

- Qu’est ce que tu fais dans la vie ?

Un homme de plus de cinquante ans dans une prison réservée aux plus grands criminels, cela n’arrive pas tous les jours ! Le jeune homme s’impatiente. Qui est ce type ? Il n’avait rien d’un américain, il était trop fier. Pourquoi les flics lui avaient intimé l'ordre « de ne pas trop l’abîmer » ? Le prisonnier connaissait pas les flics pour leur compassion envers les prisonniers. Ils les jettent au trou, sans un mot. Pourquoi celui-ci avait-il eu cette « faveur » ? Pourquoi refusait-il de répondre aux questions ? En temps normal, les nouveaux prisonniers ne se réfugient pas dans le silence aussi facilement après quelques minutes d'incarcération. En temps normal, ils comprennent assez vite qu'une partie de leur vie est foutue et sombrent dans le désespoir pendant plusieurs jours. Ce type était louche. Plus que les autres. Il n'avait rien de normal...

- Hey l’affreux, je te cause ! 

L'homme tiqua et haussa le sourcil. Il se leva et avança son impressionnante carrure, avec un calme froid qui déstabilisa le jeune homme. Un orateur assurément, en tout cas quelqu’un qui aimait dominer. Il soutint le regard, impassible ; la lumière de la lucarne balafrait son visage d'une diagonale nette, coupante. La cicatrice du projecteur laissait perler quelques gouttes de sueur sur le côté éclairé et le co-détenue eut l’inquiétante impression d’avoir un homme à double face devant lui. C'est alors que cette créature à moitié ombre, à moitié lumière lui déclara :

- Je suis le maître du monde !

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
noth
Posté le 30/04/2021
Imre, j'ai trouvé le temps de lire ce premier chapitre. Désolé mon retour sera moins positif que sur le chauffeur de bus, en partie car j'avoue que le sujet ayant passé un peu de date, l'affaire Dsk etc et que l'exercice de la fiction politique n'étant pas un genre qui me parle beaucoup, j'ai eu du mal à rentrer dedans. Il y a de bonnes idées, dans la structure, la qualité d'écriture aussi, tu as de l'expérience, ça se voit et ce malgré la date du texte.
Ces retours sont assez subjectif, de l'ordre du ressentis.
J'ai l'impression que ce genre de littérature, pour prendre consistance et intérêt, doit avoir une grande crédibilité dans la psychologie et l'incarnation des personnages.
Je trouve - ce n'est que mon avis que dans les dialogues- les choix des personnages, ça manque un peu de finesse par rapport aux bouquin de ce genre là. Tous les livres de gangster, de prison etc. que j'ai lu, sont vraiment basé sur des répliques travaillées, une tension, du suspens et un travail sur la psychologie poussé. Or ce qui me gène, c'est vraiment le comportement de Dsk, ses répliques etc sont un peu too much, selon mon ressenti. Et le narrateur, ne pense pas assez avec une voix personnel avec son caractère, c'est quelqu'un qui amoche des prisonniers, il devrait avoir un phrasé propre à lui vraiment particulier, un caractère plus précis, là il est un peu neutre.
Est ce que tu as lu ce livre : Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon. Je t'invite à y jeter un coup d'œil? ça se passe en prison dans une cellule au début. Ou sinon des livres de Chuck Palahniuk, ou Denis Lehanne pour le genre.

Un autre conseil, n'hésites pas à utiliser le décors pour ta mise en scène, c'est ce qui rendra ta scène plus percutante, le lavabo, les W.C les lits, la porte, la fenêtre, et des accessoires (jusqu'au slip qu'ils portent) .

J'espère que mon commentaire t'aideras ! Garde la motivation et continue de travailler tes personnages. :)
Imre Décéka
Posté le 05/05/2021
Bonjour Noth,
Merci pour ton commentaire. C'est peut-être là l'écueil dans lequel je suis tombé. J'ai de réel problème avec la psychologie de mes personnages. Elles sont souvent incohérentes. Aussi, je suis pas coutumier des histoire de prison et de gangster. Je m'essayais à ce genre via l'actualité. Merci pour ta suggestion de lecture, j'y jetterai un oeil. ;)
Vous lisez