Faune

Faune


 

I

 

La poussière du désert de cendres de Gilead-IV-b soulevé par le transporteur terrestre venait piquer les yeux de Cyril qui luttait à les garder ouverts pour contempler le spectacle devant lui. Par un subtil mélange des couleurs de la naine jaune et de la géante bleue, le double lever de soleil donnait une atmosphère verte et vaporeuse aux légers reliefs de la toundra d’ordinaire grisâtre qui s'étendait à perte de vue. Gilead était une planète démesurément gigantesque et dont la présence de tungstène était anormalement élevée, métal particulièrement important dans la fabrication de véhicules spatiaux. Et au milieu de ces terres désolées et silencieuses, le son incessant des chenilles du rover Cargo souillait la couche de cendres immaculée et l'atmosphère carbonisée de ce monde inhabité, à l'exception bien entendu des occasionnels groupes mineurs de tungstène. 

 

Le chef de rang Borgs toussa pour évacuer la cendre et la poussière de sa gorge.

— On arrive dans trois minutes, vermines ! Tenez-vous prêt !

— Reçu, vermine en chef, répondit l'un des employés en faisant rire la vingtaine de travailleurs. Le chef ria jaune avant de déclarer :

— La vermine en chef te sommes de lui donner ton dessert à la pause du midi… cracha Borgs avec un sourire malicieux, et les autres en furent d'autant plus amusés. Ce sourire malveillant était l'une des spécialités de Borgs, avec sa morale conditionnée par le profit. Il était apprécié de sa troupe. Après tout, c'était l'un des seuls chefs à travailler autant que ces partenaires pour remplir les quotas. Son visage était souvent rabougri par l’usure de plusieurs années de travail, mais il ne manquait jamais une occasion pour rire. Sa petite taille et son corps légèrement enrobé ne l'empêchaient en rien d’imposer le respect auprès de ses subordonnées.

 

La troupe arrivait alors devant la carrière de tungstène et débarquait du transport à la hâte en se jetant lourdement sur le sol, soulevant la cendre en une brume de suie grise.

Cyril, le plus jeune d'entre tous, fut le dernier à descendre. Trop occupé à s'émerveiller de l'aube, il reprit ses esprits et rattrapa au pas de course ses camarades.

 

Ils atteignirent une petite structure de fortune où se trouvait le vestiaire et dans lequel ils se vêtirent tous de leur bleu de travail et de leur manche magnétique. Quelques traits de lueur verte traversaient les volets et cela ne manqua pas d’attirer une fois de plus l’attention de Cyril. 

 

Une fois tous changés et parés, ils se rendaient à l'ascenseur qui les descendait au-devant de l'entrée de la mine et là se trouvait le « pupitre » comme ils aimaient l'appeler. C'était une masse étrange et légèrement tremblante qui se découpait de la roche et sur laquelle jaillissaient des traits de carbone renforcés en forme de piques, tels des éclairs jaillissant d'une roche molle et spasmodique. Sa texture était différente de la pierre qui l'encerclait, comme ridée d'un noir encore plus profond.

Tous les travailleurs plantaient leur manche de manière désinvolte dans le gisement naturel pour accrocher l'une de ces piques à leur manche et ils étaient fin prêts pour aller miner le tungstène avec leurs pioches de carbone toutes neuves. C'était là le secret de cette entreprise. Le tungstène de cette planète était excessivement solide dû à une pression haute et le coût de fabrication et de transport de pioches adaptés ne méritait pas que l'on y installe une carrière. Mais le grand patron, le chef du chef Borgs, avait trouvé cette solution miracle. Aucun des mineurs ne comprenait bien comment cela fonctionnait, mais il savait de manière certaine que chaque matin, de nouveaux traits de carbone apparaîtraient et feraient à nouveau office de tête de pioche pour les travailleurs. Les coûts de production étant diminués, chose étonnante, les salaires des mineurs dont faisait partie Cyril étaient anormalement élevés, pas non plus un salaire de prospecteur ou de chef de file, mais quand bien même, plus que la plupart des mineurs de glace. Sûrement pour que le travail soit fait et que personne ne pose de questions sur le processus. D'ailleurs, chaque fois qu'un des travailleurs abattait son manche sur le pupitre, il se produisait une chose très étrange aux yeux de Cyril, mais que personne d'autre ne semblait remarquer, ou du moins personne ne voulait remarquer… Au moment de planter le manche, le pupitre tressaillait toujours. Comme si la surface rocheuse réagissait à l'impact.

 

Les semaines passèrent dans ce désert gris et vert et les jours se succédaient. Il ne restait maintenant plus que trois petites semaines à l'équipe pour avoir fini de miner l'intégrité du tungstène présent dans la carrière. Quatre tout au plus s'ils étaient paresseux. Cyril avait besoin de l'argent comme tous les autres pour payer ses dettes et recommencer à zéro sa petite vie tranquille. Il avait en plus la chance d'avoir une santé solide qui le protégerait des dangers sanitaires d'un tel emploi. Mais contrairement aux autres, il était le seul à apprécier ce travail. La cendre ne le gênait pas plus que ça. Le travail avait beau être répétitif, il était dénué de tout stress. C'était une tâche simple, rude physiquement, mais simple.

Il aimait se réveiller à la lumière de l'aube verte dans le camp, entouré des formations rocheuses qui les protégeaient plus ou moins bien de la chaleur des soleils.

 

Il était très peu bavard, mais appréciait de se réveiller entouré de ses amusants barbares en costume bleu qui le traitaient bien et qui le faisaient même parfois rire. Ce n'étaient pas les gens les plus intelligents qui soient, mais ils étaient simples et tous étaient aussi rustres que sympathiques. Souvent, il se réveillait plus tôt que tout le monde pour se rendre à l'extérieur et plantait ses pieds dans la cendre fraîche de la nuit. Il chérissait ses instants de plénitude et allait probablement les regretter une fois retourné dans la société bruyante. Peut-être était-ce autre chose que l'argent qui l'avait conduit ici. C'était bien l'argent qui l'avait conduit ici, mais ce qu'il y avait trouvé valait plus que tout l'or du monde : la paix.

 

Ce matin-là, Cyril ne put se réfréner à poser la question qui lui martelait la tête.

— Vous avez remarqué quelque chose de bizarre avec le pupitre ? lança-t-il dans le transport à l'attention de qui voulait bien l'écouter.

—  Comment ça ? Répliqua l'un des mineurs dans le fond.

— C'est pas ce qui a de plus bizarre sur cette planète… Lors de ma première excavation il y a 2 mois, j'ai vu une ombre de plus de 20 mètres sortir de la cendre en jaillissant comme un des mammifères marins de la terre dont j'ai oublié le nom, avant de replonger sous la surface gracieusement. Un monstre, pour sûr ! dit l'un des plus vieux  travailleurs, connut pour raconter des énormités chaque fois plus grosses les unes que les autres et qui ne manquaient jamais de déclencher des soupirs agacés et des rires chez les autres.

— Et moi, j'ai vu un oiseau de feu de 80 pieds de long atterrir sur le campement l'autre jour… rétorqua un autre travailleur ironiquement pour se moquer de son collègue.

 

Tout le monde riait et le vieux mineur fit la moue et grogna avant de détourner le regard. Cyril ne riait pas. Il était intrigué par les propos du vieux. On n'avait pas recensé de vie animale sur cette planète depuis l'arrivée de l'entreprise de minage il y a deux mois, ce qui ne représentait pas une preuve qu'il n'y en avait pas. Cette journée de travail fut une des plus rudes à cause d'une chaleur excessive. Les travailleurs discutaient moins que d'habitude au travail, plus occupé à tenter de respirer correctement dans les cavernes grises et sulfureuses de cendres ou la sueur était visible dans l'air et où le son pioches s'écrasant sur les gisements de tungstène résonnait avec un rythme quasi martial. Les hommes ne se plaignaient pas pour autant, car ils étaient habitués à ce genre de labeur. Cyril trouvait même cette répétition et cette atmosphère paradoxalement rassurante.

Alors qu'il était sur le point de décrocher un assez grand morceau de la roche, la pointe de sa pioche de carbone renforcé céda en un craquement léger. Très étonné, il se retourna circonspect vers le collègue le plus proche et tenta de distinguer son patronyme. Il était difficile de reconnaître les visages, pour la plupart masqués, voire casqués. Il hurla pour tenter de passer au-dessus du vacarme de la mine causé par l'écho et le tintement incessant des pioches sur la pierre. Son nom était difficile à crier.

— Fitzgerald !... FITZGERALD !..

L'intéressé s'arrêta et se retourna, il leva les bras comme seule réponse. Cyril agita sa pioche cassée pour lui montrer. Alors Fitzgerald posa la sienne et s'approcha en hâte et abaissa son masque.

— Comment ? lança-t-il, aussi surpris que l'était Cyril en essayant de passer au-dessus du bruit.

— Je n'en sais rien. J'ai rien fait de spécial.

— Va au pupitre prendre une nouvelle tête.. Je ne vois pas ce que tu pourrais faire d'autre. Préviens Borgs aussi ! Après sa déclaration, il retourna à son poste de travail.

Il n'était pas étrange que la tête casse, mais d'habitude, elle cassait vers la fin de journée, ce qui représentait d'ailleurs souvent la fin du travail. Il était étrange que la tête casse avant le zénith de la naine jaune. C'était la première fois que cela se produisait.

 

Cyril arrivait au pupitre et vit les entailles créées par la récolte des éclairs de carbone renforcés utilisés comme tête de pioche. Ils s’étaient déjà reformés presque de moitié et seraient totalement reformés d'ici à la prochaine matinée. Étonnamment, cet endroit se trouvait très calme lors de la journée de travail puisqu'il était à l'entrée de la cavité, donc à l’extérieur. Cela lui donne une sensation inexplicable de vertige, comme lorsque l'on est enfant et que l'on découvre un nouvel endroit qui alors nous paraît incroyable. 

Il se demanda s'il était possible de récupérer une nouvelle tête de minage en pleine journée, il douta d'ailleurs qu'aucun ne le sache. Pas même le chef Borgs. Mais le travail attendait et il ne se ferait pas tout seul. Il leva alors son manche pour s'apprêter à le planter quand il fut soudainement stoppé net par un couinement. 

 

II

 

Fitzgerald avait eu la quarantaine ici-même, dans cette précarité fraternelle de deux semaines complètes de dur labeur sur une planète inhospitalière avec uniquement des hommes aussi stupides que divertissants pour seule compagnie. Mais cela ne représentait pas une nouveauté, c'était la cinquième fois. Bien souvent, les extra-mineurs s'arrêtaient après leur troisième expédition puisqu'ils avaient amassé assez pour vivre dignement et se lancer dans un autre business dans lequelle placer correctement son argent pour se mettre à l'aise. Personne sauf lui ne savait pourquoi il était revenu encore deux fois de plus, mais il devait clairement avoir une bonne raison. Il était l'un des plus intelligents de la troupe et en même temps l'un des moins bavards.

Fitzgerald remarqua que son collègue était parti depuis plus de quarante minutes pour remplacer son matériel et qu'il n'était pas revenu. Il s'inquiéta pour son partenaire et déposa ses outils de travail pour le rejoindre au pupitre, s'assurant que tout allait bien et qu'il avait seulement pris une pause un peu longue. 

Il remonta alors la courte pente menant vers la lumière verdâtre de Gilead-IV-b et aperçut le pupitre. Il cria le nom de Cyril. Pas de réponse. Il n’était pas là. Fitzgerald regagna alors l'intérieur pour aller demander si quelqu'un l'avait vu. Personne. Il décide alors de retourner en haut pour chercher Cyril à nouveau. Et la stupeur le prit. Le pupitre avait disparu. Un cratère de 5 mètres s’enfonçait dans la cendre et le granit à la place où il y aurait dû avoir la plaque tremblante parsemée de pic de carbone renforcé. L'inquiétude monta en lui et il fit des aller-retours de droite à gauche avec la tête pour le chercher. Rien. Il était là il y a deux minutes à peine. Après quelques secondes de réflexion, il se dit que la meilleure chose à faire maintenant était de rendre compte. Il courut donc rejoindre Borgs. 

 

— Borgs ! Il faut que tu voies ça, l'ami ! éclata Fitzgerald en pénétrant dans l'antichambre ou Borgs organisait la suite de l'excavation. 

L'intéressé sursauta.

— Calme-toi ! T'as vu un mouton qui parle ou quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Cyril est introuvable et le pupitre a disparu…

— Il est passé ou encore cet imbécile et… Attends quoi ? Comment ça… Disparu ? Qu'est-ce que tu me racontes encore ?

— Y a plus rien, un trou béant, tu dois venir voir ça ! déclara Fitzgerald en sortant de la pièce à la hâte. Borgs le suivit.

 

Borgs était accroupi devant le trou béant où devait se trouver le pupitre et se tourna vers son collègue en le fixant dans les yeux.

— Tu réalises que ça n'a aucun foutu sens, Fitz… Ce truc est censé être... Enfin, bref, c'est pas censé arriver. Dit Borgs

— Pas le moindre sens pour moi non plus. Et comment ça, c’est “pas censé” arriver ? Ça veut dire quoi ça ? 

— Rien laisse. Va me chercher les autres, qu'on leur explique tout ce merdier… Et j'ai des choses à vous dire. Grogna Borgs

— Et pour Cyril ?

— Va le chercher une fois que tu auras dit à tout le monde de remonter. Je crois que j'ai compris ce qui se passe…

Fitzgerald était déjà en route pour rassembler tout le monde et se mettre à la recherche de Cyril.

— On est vernis… lança Borgs dans le vide, sans trop se rendre compte que son interlocuteur était déjà parti. 

 

Tout le monde était rassemblé à l'entrée de la cavité et dans le calme. Plusieurs semaines de travail ensemble leur avaient permis de développer une assez bonne discipline, ils étaient donc assez dociles, même sans savoir la raison pour laquelle on les avait sortis du travail.

— Bon... J'ai des mauvaises nouvelles. Le pupitre a disparu... Et Cyril avec. 

— Comment ça, on a perdu le pupitre ? cracha l'un des mineurs. 

— On va faire comment sans pupitre pour travailler demain ? Et les jours qui suivent ?

— Et puis comment un caillou a bien pu disparaître ? C'est un caillou magique ? lança un autre.

 

— Aucune idée pour l'instant, vous pouvez commencer à réfléchir et si vous avez une idée, elle sera la bienvenue. Je suis aussi largué que vous. Le pupitre n'est pas censé partir en cette saison normalement…

— Comment ça, le pupitre n'est pas censé se tirer ? s'étonna l'un des mineurs. C'est un caillou, pour sûr qu'il est pas censé se barrer comme ça ?

— C'est un peu plus compliqué que ça… dit Borgs

— Dis-nous ce que tu sais, Borgs... réclama l'un d'eux sans méchanceté, mais avec véhémence quand même.

Borgs céda à la curiosité de ses hommes et cracha le morceau.

— Bon d'accord… Voilà ce que je sais…

 

Fitzgerald avait commencé par les galeries vides pour chercher Cyril. Tous étaient remontés à l'entrée pour aller écouter Borgs et le silence des cavités lui donna le tournis tant il était habitué à la cacophonie incessante des fracas de pioches sur la roche brute. Ils connaissaient la topographie de l'excavation par cœur et c'est grâce à cela qu'il put découvrir en moins de dix minutes une nouvelle crevasse de taille humaine dans un des bras vides de tungstène du site. Il hésitait entre aller prévenir les autres ou aller enquêter seul. Il choisit la deuxième option et s'engouffra. Il descendit alors quelques mètres et l'éclairage aux néons des galeries ne lui suffisait plus pour progresser. Il sortit une tige bleue, la brisa, et l'oxygène fit son travail, emplissant le couloir d'une lueur bleue très faible et vacillante. Il tendit son bâton de lumière devant lui pour essayer de voir plus loin en avançant. Le couloir cessa d'en être un et les parois de ce dernier s'éloignaient maintenant comme s'il avait pénétré soudainement dans un espace plus grand. Il craqua un deuxième bâton de lumière et lança le premier de toutes ses forces vers l'avant. Le bâton rebondit une fois, puis une deuxième et sa course fut stoppée net par une masse tremblante. Une masse jonchée d’éclairs de carbone renforcés. Une masse que Fitz connaissait bien. Il sourit alors, se relaxa et s'approcha, confiant quand la masse se redressa de toute sa taille. Fitzgerald se figea de terreur, se mit à reculer doucement et se dit qu'il était temps d'aller prévenir les autres. Il fit volte-face et regagna l'entrée de la crevasse alors que la masse tournoyait encore. Il regarda derrière lui en quittant la pièce et crut apercevoir deux yeux verts perçants le fixer alors qu'il sortait de la pièce. Il se frotta les yeux, pensant que sa vue le trahissait, et traversait frénétiquement les galeries pour retrouver la surface en regardant périodiquement derrière lui comme si quelque chose le suivait. Au détour d'un croisement, alors qu’il jetait un coup d'œil par-dessus son épaule, il sentit un choc au niveau de sa tête et chuta dans l'inconscient.

 

III

 

Le silence s'imposa dans l'assemblée au moment où Borgs avait fini d'exposer ce qu'il savait. Certains étaient troublés et profondément outrés. L'un d'entre eux brisa le silence.

— Comment qu'on va faire pour la payer ? demanda innocemment un jeune, encouragé par des bruits d'approbation.

— Et pourquoi ne nous a-t-on pas prévenus que toute cette entreprise se reposait sur la souffrance de cette… chose. Pas que ça me dérange particulièrement. Nous aussi, on souffre, mais… j'aurais préféré savoir dans quoi je mettais les pieds, déclara un autre un peu perturbé par la nouvelle.

— Après ça, messieurs, je n'en sais pas plus que vous. Et sachez qu'il était dans mon contrat de ne révéler cette information à personne. Ce qui signifie qu'à l'instant où je vous l'ai dit, j'ai rompu les conditions inhérentes. Si la compagnie l'apprenait, je perdrais mon salaire intégralement. Alors, je compte sur vous, les gars... Oubliez pas que j'ai été plus que correct avec vous, expliqua Borgs qui tentait de parler plus fort que les chuchotements qui prenaient de plus en plus d'ampleur.

— Où sont Fitz et Cyril ? demanda calmement quelqu'un et les chuchotements se calmèrent comme pour écouter la réponse.

— J'ai envoyé Fitz chercher Cyril. Il a disparu quelque temps avant que Fitz soit venu me parler du pupitre manquant… D'ailleurs, il est toujours pas revenu ?… se demanda Borgs plus à lui qu'à autre chose.

— Allez les gars. Faut trouver Cyril ! cria l'un des plus expérimentés, comme pour couper court à la discussion et passer à l'action. On va ratisser le désert alentour pour voir si on le trouve ! 

Tout le monde s'exécuta. Borgs quant à lui, comprenait enfin ce qu'il se passait et ordonna à deux hommes de le suivre dans la caverne et partit trouver Fitzgerald.

 

Borgs et ses deux hommes avaient fini de fouiller toutes les galeries sans trouver personne. Cela était encore plus étrange et chaotique qu'il l'avait imaginé. Il se rendit dans son antichambre et entreprit d'ouvrir le coffre scellé dans lequel reposait une arme à feu bon marché. Il était inscrit dessus :  N'OUVRIR QU'EN CAS DE NÉCESSITÉ VITALE. Borgs estima que c'était un cas de nécessité vital et empoigna l'arme quand il entendit deux bruits sourds. Il se leva et pointa l'arme vers le coin d'entrée de son antichambre. Soudainement, Cyril entra en furie et leva les bras très haut aussitôt qu'il se rendit compte que Borgs le prenait en joue.  Il suait abondamment et avait l'air à la fois étonné et pressé. Il déglutit et se calma rapidement après avoir vu l'arme, néanmoins.

— Où est Fitz? Et les deux imbéciles que tu as croisés ? demanda Borgs extrêmement méfiant.  

— Tu peux poser cette arme, Borgs? Tu me fais peur… répondit doucement Cyril, réellement apeuré.

— Réponds d'abord à mes questions et peut-être que je baisserai mon arme. Où est Fitz? Répond Cyril.

— Il est en sécurité, ne t'en fait pas. Et les deux autres vont bien aussi.

— Qu'est-ce que tu fabriques, mon gars ?

— Tu le savais ? Dis-moi la vérité ! répondit Cyril avec insistance, sans être agressif pour autant.

— Je savais. Mais j'avais des clauses de confidentialité. Je risquais ma place et mon salaire en vous le révélant. Mais je l'ai dit aux autres maintenant. Laisse tomber et on fera comme s'il ne s'était rien passé. Sois raisonnable, mon bonhomme. J'ai pas envie qu'on en arrive là.

— Bon... D'accord, je suis désolé… J'arrête là…  Dit Cyril en abaissant les bras.

Borgs abaissa son arme quelques secondes pour souffler de soulagement et s'approcha de la sortie pour rejoindre Cyril et retrouver les autres quand il fut percuté de plein fouet par la pierre cachée dans la main de Cyril.

 

Il se réveilla attaché et déboussolé. Il avait mal à la nuque et tous ses sens étaient encore endoloris. Il entendit Cyril lui présenter ses excuses, mais avait encore du mal à distinguer les mots exacts et lorsqu'il leva les yeux, il se rendit compte qu'il voyait tout à l'envers.

— ... J'n'avais pas le choix. Sache que Fitzgerald et les autres vont bien, dit Cyril sincère.

À mesure qu'il reprenait ses esprits. Borgs comprenait qu'il était allongé sur le dos, la tête en arrière sur le dos de… quelque chose. Quelque chose en mouvement qui marchait tout doucement et qui avait l'air de ramper. Il parvint à se concentrer pour parler.

— Tu peux encore… changer d'avis… Cyril, ne fait pas l'idiot. Relâche-moi et on va trouver une solution ensemble… Au calme. On va discuter comment gérer cette crise et ce qu'on va faire d'elle

— Je peux pas faire ça, chef… répondit Cyril, gêné.

— Qu'est-ce que tu comptes faire au juste ?...

— On va à l'extérieur. 

— Tous les hommes sont dehors en train de ratisser pour te retrouver… Aucune chance que tu passes sans qu'ils te voient.

— C'est pour ça que j'ai pris ça ! dit Cyril en levant l'arme à feu. La gorge de Borgs se serra.

— Fais attention avec ça s'il te plait. T'as pas envie de faire une bêtise, dit doucement Borgs

— Tant que tout le monde fera ce que je dis. Tout se passera très bien, rétorqua Cyril, extrêmement déterminé et sûr de lui pour la première fois. Cela ne rassura pas le moins du monde Borgs qui était conscient du manque de subtilité des hommes qui les attendaient là-haut.

 

Ils finirent enfin par atteindre l'entrée de la caverne et sortirent lentement à la lueur de fin de journée, alors que la lueur de la naine jaune déclinait et que l'atmosphère passait progressivement du vert au bleu. Les hommes qui revenaient du ratissage s'arrêtèrent net et furent tout simplement choqués par l'ombre d'un monstre qui s'élevait à plus de dix mètres de haut devant eux à l'entrée de la caverne. La bête qui s'approchait d'eux était recouverte d'éclairs de carbone et on pouvait voir que Borgs était accroché à ce que l'on pourrait considérer comme son cou. Ils reculaient doucement. Borgs avait parlé d'un monstre. Mais il n'avait pas dit à quel point ce monstre était gigantesque. Il ne semblait absolument pas agressif pour autant et ne paraissait représenter aucune menace imminente. Le monstre avait une forme vaguement similaire à celle d'un lézard immense et ses yeux paraissaient emplis d'une profonde détresse. Il marchait à pas lents comme s'il traversait le couloir de la mort en direction du désert de cendres. Les travailleurs se calmèrent donc un peu, voyant que le danger n’était pas imminent, avant de se rendre compte que Cyril, debout sur le dos de la créature, les tenait en joue.

 

CORRECTION  ++++++++++

 

— Personne bouge! Il y a Borgs là-haut et je le tuerai, lui et tous ceux qui s'interposent. Je suis désolé. Mais je dois le faire. Si vous m'écoutez, je laisserai Borgs plus loin, là-bas dans le désert de cendres. Vous attendrez trente minutes et vous viendrez le récupérer.

Les mineurs commencèrent à réfléchir et tous arrivèrent vite à la même conclusion. Leur salaire était en train de foutre le camp. Littéralement. 

— Et tu comptes aller où comme ça au juste ? lança l'un des plus vieux travailleurs.

— Loin d’ici. Et je tirerai dans la jambe de quiconque essayera de m'en empêcher.

— Et après ? dit un autre. 

— Y a rien sur cette planète. Tu as nulle part où aller…

— Je m'en sortirai, je dois aider cette.. Chose… Désolé. 

 

Borgs, Cyril et le monstre s'avançaient encerclés par les hommes, tous très tendus par la situation. Personne n'avait osé réagir. Cyril n'était pas bavard et ils ne savaient pas réellement de quoi il était capable. Ils observaient donc, impuissants, la créature s'éloignant pour atteindre le désert. Et le deuxième soleil se couchait lentement.

 

IV

 

La fin de journée bleutée cédait peu à peu sa place à un ciel bleu nuit qui gagnerait davantage d'intensité pour finir en une nuit noire sans lune dans laquelle la cendre ne trahirait aucun reflet. Plus qu'une petite heure et les mineurs seraient totalement incapables de suivre la trace de Cyril de Borgs et de la bête. Ils avaient désormais rejoint le désert profond. 

— Tu réalises les chances que ton plan se produise comme tu le souhaites ? Zéro ! Lâche l'affaire, Cyril.

— Je suis désolé, chef. Mais je pouvais pas laisser souffrir cette pauvre bête. Vous devez comprendre…  

 

— Non, mon p’tit gars, t’es pas un mauvais bougre. Mais je peux pas te suivre sur ce coup et ils seront du même avis que moi. Il ne restait que trois semaines de minage. Tu nous enlèves notre avenir comme ça. Certains ont besoin du salaire de ce boulot pour nourrir leur famille et s'occuper de leurs enfants. Tu dois renoncer. 

— Je... 

Avant de pouvoir finir sa phrase, Cyril se retourna et se rendit compte que tous les mineurs étaient en train de les suivre de loin. Il s'approcha de l'animal et posa délicatement sa main sur l'une de ses pattes. Elle s'arrêta alors d'avancer.

Cyril grimpa sur le monstre pour détacher Borgs de ce dernier. Il chuta le sol assez rudement pour laisser échapper un grognement.

— Quand la lumière aura disparu, tu pourras allumer ce bâton pour qu'il te retrouve plus facilement.

— Cyril, t'es un brave type. Mais on va pas te lâcher. On va te retrouver toi et la bête. On n'a pas le choix non plus. T'as pas été mauvais avec moi, alors j'essayerai de convaincre les autres d'y aller molo avec toi… Enfin, relativement. 

Le jeune homme avait déjà reprit la route accompagné du monstre alors que le vent se levait et faisait voltiger les cendres du désert en des petits tourbillons grandissant. Une tempête se levait. En quelques minutes à peine, ils disparurent dans l'obscurité et se mêlèrent à la toundra.

 

Quelques minutes plus tard, la tempête battait son plein et les cendres fouettaient le visage de Borgs qui était allongé au milieu de nulle part dans la nuit noire. Et la température chutait de plus en plus. Il craqua son bâton de lumière en priant pour que ses hommes la voient. Et après deux longues minutes. Il entendit des hurlements qui couvrirent légèrement le son des vents violents qui remuaient la nature. Il hurla en retour pour être secouru et ses gars vinrent à son secours. La tempête les empêchait de s'entendre et ils regagnèrent au plus vite le transport pour rentrer au camp.

Un silence morne régnait dans la salle commune de l'abri. Fitzgerald, qui avait été retrouvé assommé près du transport, prit la parole.

— Cette enfoirée de Cyril… explosa-t-il.

— Moi aussi, j'ai envie de me le faire, rétorqua l'un des deux qu'ils avaient également assommés.

— Vous avez pas été foutu de vous défendre de cet avorton et vous la ramener maintenant… bande d'abrutis finis à l'opium… grinça Borgs 

— Comment on va faire ?... demanda l'un des mineurs.

— On va faire un vote. À mains levées, qui vote pour qu'on les traque ?... 

Toutes les mains se levèrent.

— Bon et bien, je vois qu'on est tous d'accord. Dans ce cas, reposez-vous parce que ça risque d'être long. On part à l'aube en transport dans la direction où je les ai perdus de vue et on ratisse…

— Tu veux qu'on ratisse une planète ?... Demain ils auront pris trop de distance, il faut partir maintenant, dit Fitzgerald.

— On va juste tomber dans une crevasse avec le rover et on n'aura ni pioche ni transport pour aller récupérer ce qu'on a déjà miné. Trop dangereux de partir ce soir. On a trois semaines avant l'arrivée du vaisseau retour. Ça laisse le temps et t’as vu la vitesse de cette créature, il va pas s’envoler. Je vous réveille tous dans six heures, alors, reposez-vous comme vous le pouvez. On a du travail demain. Mais les gars, Cyril est pas un mauvais type. Je pense qu’il est juste tout simplement fou ou totalement stupide. Quand on lui tombera dessus, ménagez-le. 

— C'est ça, oui... rétorqua Fitzgerald en parlant dans sa barbe.

Tous les autres obéirent et même Fitzgerald qui avait la haine reconnut que c'était plus sage et partit également ce coucher.

Le réveil fut rude pour tout le monde. Les seize mineurs sautèrent dans le transport et filèrent à toute vitesse vers le site d'excavation pour démarrer les recherches. Ils déposèrent six personnes sur l'excavation pour monter la garde et les dix autres partirent à la recherche du traître. Chacun avait ses propres raisons, mais il leur fallait à tous cet argent, sans exception. Tous ceux qui choisissent de devenir un jour extra-mineur en arrivent là pour les mêmes raisons. Ils n'avaient rien contre cette bête. Pour la plupart, ils n'avaient même rien non plus contre Cyril. Mais ils avaient tous des crédits, des ex-femmes, des dettes de jeu ou pire. Dans le cas de Fitzgerald, c'était sa fille. Elle était atteinte d'une maladie dégénérescente et subissait un traitement expérimental hors de prix. Il lui faudrait d'ailleurs même encore deux missions de plus pour rembourser la totalité de la somme.

Ils roulèrent quatre heures dans la direction dans laquelle Borgs les avait perdus et ils trouvèrent quelques traces de passages de la bestiole. À la fin de la journée, ils tombèrent même sur un feu de camp éteint. Ils passèrent la nuit et continuèrent la traque le lendemain. Encore et encore. Et après presque deux jours de traque intensive. Ils parvinrent à remonter la piste jusqu'à une grotte.

— Fitzgerald, prend le fusil et rentre. Mais par pitié, ne fais pas de mal au monstre, s'il est mort, on est foutu. Il faut le capturer. Je serai juste derrière toi, déclara Borgs.

— Avec joie ! lui répondit l'autre sèchement.


 

 

V

 

Ils progressèrent lentement dans les dédales de cette grotte inconnue jusqu'à une immense pièce baignée d'une lueur verdâtre du milieu de l'après-midi grâce à une fente qui donnait sur l'extérieur.  Un léger cours d'eau filait aussi sur la roche et de la mousse était présente sur les parois. C'était un coin de paradis. Et lorsqu'ils furent tous dedans, Cyril sortit de sa cachette, les mains bien en évidence…

— Garde le bien en joue. La dernière fois, j'ai baissé ma garde cinq secondes et ça lui a suffi, chuchota Borgs à Fitzgerald, concentré sur le fait de garder la tête de Cyril dans son viseur.

— Ne tirez pas… Écoutez-moi. Dit Cyril.

— Dis-nous juste où est la bête ! dit Borgs en levant les mains en signe de calme.

— Je ne peux pas ! Je suis désolé. Je l’ai perdu. Mais il faut que je vous montre quelque chose…

— C'est un piège, cracha Fitz.

— Tu veux nous montrer quoi ? demanda Borgs

— C'est l'animal. Il m'a conduit ici. Et si vous acceptez de me suivre. Je vous garantis que nos problèmes, tous nos problèmes à tous seront résolus.

— Ça vaut pas le coup, chuchota Fitz en posant son doigt sur la gâchette.

— Attends... Cyril est un imbécile, mais c'est pas un menteur pour autant que je sache. Je vais y aller, je vais le cuisiner pour savoir où est l'animal. File-moi ça et retourne prévenir les autres, dit Borgs en prenant l'arme des mains de Fitzgerald.  Il s'approcha lentement de Cyril en tenant son arme à la hanche, dirigée vers le jeune rebelle.

— J'y vais en premier, tu auras qu'à me suivre dans les galeries, dit Cyril en se retournant et en replongeant sans attendre dans le couloir descendant. Borgs le suivit tout en le gardant en joue.

 

Ils évoluaient progressivement au travers des embranchements de l'immense caverne traversant de très longs couloirs et Cyril se mit à parler à Borgs.

— Il y a dans ces cavernes plus de richesses que si on restait des années à miner du tungstène. Tu ne vas pas y croire.

— On a vu que de la roche brute pour l'instant. J'espère réellement que tu te fiches pas de moi Cyril, parce que j'espère que tu comprendras que je vais devoir utiliser la force autrement, dit Borgs aussi calmement qu'il le pouvait.

— Crois-moi. Je pensais que j'allais mourir en rentrant ici. J'avais sauvé l'animal, mais j'allais le payer de ma vie. Je serais mort de faim ou vous m’auriez trouvé et tué avant. Et alors que je perdais espoir en suivant la bête dans les galeries. J'ai vu… quelque chose et j'ai compris que cette histoire allait bien finir pour tout le monde, déclara solennellement Cyril en souriant.

Il descendait de plus en plus et Borgs commençait à transpirer de la chaleur. La pression et la température avaient augmenté sans arrêt au fur et à mesure qu'ils progressaient, mais il ne s'en rendit compte que maintenant.

— On y est presque, dit Cyril en pressant le pas. Borgs le suivait sans relâcher son attention.

La température était encore montée et elle était devenue insupportable. Il y avait un feu immense quelque part au fond de cette caverne.

— Voilà, c'est ici ! Déclara vivement Cyril. Regarde !

Borgs s'approche lentement pour apercevoir une coulée de lave qui sortait par une petite cavité et qui s'écoulait vers une autre pour disparaître telle une veine apparente des entrailles de ce monde.

— Tu te fous de ma gueule?? On a fait tout ce chemin pour que tu me montres une putain de rivière de lave ! Hurla Borgs qui avait de plus en plus de mal à garder son calme avec cette chaleur étouffante. Il releva son arme et s'approcha dangereusement de Cyril.

— Non, attends ! Regarde mieux ! Cria Cyril en montrant la coulée.

Borgs mit un peu de temps à se concentrer en essuyant les énormes gouttes de sueur. Il jeta rapidement un œil sur la coulée et aperçut que la lave avait une couleur étrange et un éclat brillant... Il baissa alors son arme et s'approcha doucement, s'accroupit devant la rivière en recevant encore une énorme vague de chaleur, mais il l'ignorait cette fois. Il se mit à sourire bêtement et lorsqu'il se retourna vers Cyril. Il s'aperçut qu'il souriait aussi.

— Du tungstène ! Du putain de tungstène ! Explosa Borgs en riant.

— Du tungstène liquide. Facilement collectable. Il suffirait presque de tendre la main si elle ne fondait pas sur place… Mais avec les outils adaptés…

— Comment ? Comment t'as fait ça ?

— J’ai rien fait. Je te l'ai dit. C'est la bête qui m'a conduit jusqu'ici.

— Où est-elle maintenant ?

— Elle s'est jetée dedans. Dans la rivière. J'ai l'impression qu'elle souffrait dehors. L'environnement là-haut était bien trop froid pour elle qui vit normalement dans ce magma de tungstène qui repose dans les profondeurs de ce monde. Un truc comme ça, je suppose… Les éclats de carbone qui apparaissaient sur son corps étaient sûrement des « brûlures » causées par le froid.

— Fascinant ! Ce monde est une bénédiction. Et toi ! T'as une chance de tous les diables.

— J'ai juste suivi mon instinct, dit Cyril, amusé.

— Allez ! Allons prévenir les autres et décider de la suite.

— Putain d'enfoirée de salopard de merde, Cyril ! Déclara Fitzgerald en écoutant les propos délirants de son chef Borgs qui lui expliquait la situation. T'es un sacré veinard… Viens par là !

— Je t'avais dit que ça règlerait tous nos problèmes ! Tenta de dire Cyril alors que Fitz le serrait fort dans ses bras.

— Y a même pas une heure, j'aurais pu t’étriper, imbécile. C'était pas personnel, Cyril. Mais ma fille… J'avais vraiment besoin d'argent, lui dit Fitzgerald un peu pitoyablement. 

— Ne te justifie pas. Je comprends, lui répondit son ami.

— Allez, viens, trainons pas ici, il fait aussi chaud que dans le cul du diable ! dit Borgs.

 

VI

 

Tout le monde était rentré au camp et le calme était revenu entre les hommes. Borgs prit alors la parole pour expliquer la situation, et ils firent tous la fête. Ils n'allaient pas travailler le lendemain, ni celui d'après. Ils avaient tous mérité un congé.

Cyril se réveilla à l'aube et contempla une fois de plus le paysage de désolation totale devant lui. Il avait 42 jours désormais pour récolter le plus de tungstène liquide et filer en douce. Cela allait être cinq semaines de rigolade, de camaraderie, de travail acharné aussi, mais cette fois dûment récompensé. Peut-être les plus belles semaines de leur vie de mineurs, probablement les dernières aussi. Une nostalgie ambiante prenait légèrement place à mesure que les jours avançaient et que les récoltes rendaient de plus en plus tangible l'immense richesse dont jouissaient maintenant ces hommes d'origine très modeste. Une nostalgie parce qu'il savait tous que leurs chemins se séparaient ici et que leur vie à chacun allait drastiquement changer, positivement bien sûr. Ils ne connaîtraient plus la galère ni le labeur. Et cela leur procurait un étrange mélange de mélancolie et de soulagement. Ils profitaient alors de leurs derniers verres d'alcool miteux remplis de poussière ensemble. Borgs n'allait pas en finir avec les affaires, au contraire, il ouvrirait sûrement sa propre compagnie de minage, enfin plutôt de récolte. Les autres flamberaient assurément leur argent pour le reste de leurs vies. La fille de Fitzgerald, quant à elle, fut soignée, et les recherches liées à sa guérison couplées aux investissements de son père permirent même la découverte d'un traitement efficace contre toutes les maladies dégénératives. Quant à Cyril, disons simplement qu’il prolongea un peu son séjour sur cette planète bénie de Gilead IV. Il avait toujours un ami présent dans cet enfer de cendre. Et il comptait bien le retrouver.


 

FIN

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Arline
Posté le 16/02/2025
Faune est un récit captivant ! L'exploitation minière d'une créature vivante, la quête de Cyril, la découverte du tungstène liquide... Une ambiance unique, des personnages forts, une réflexion éthique. Superbe et original !
Buck
Posté le 11/12/2024
Des "prolos "dans l'espace ! J'aime bien l'idée. Je trouve également originale le rapport créé entre ces mineurs et "la bête" qui n'est pas une créature assoiffée de sang. Pour une fois, cela fait du bien... Il y aurait peut-être un brin de relecture à faire car j'ai vu quelques fautes... Cela ne nuit pas à la lecture, ceci dit.
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