Jour 16 : Journal

Mardi 31 mars 2020, 20h30 / Depuis février 2017, je tiens régulièrement à jour ce que beaucoup appellent un "bullet journal". Si j'en reparle aujourd'hui, c'est qu'à ce sujet, je vis un moment assez particulier. Nous sommes à la fin du mois de mars ; demain, le mois d'avril s'ouvrira et dans un bullet journal, cela signifie, de façon très concrète, qu'il faut tourner une page et préparer le terrain pour le mois à venir. Tous les trackers sont remis à zéro et par le même procédé cela permet de faire les comptes, d'effectuer un retour sur le mois vécu. Le changement de mois, c'est un peu comme la relecture d'un roman déjà parcouru, il s'agit de se rappeler de ce que nous avons fait de bien pendant ce temps-là. Il permet de nous rendre compte que nos projets avancent et que, contrairement à certaines apparences, tout ce temps n'était pas perdu. Cela génère un élan de confiance en soi tellement positif que j'ai peine à imaginer comment je pourrais me passer de cet outil. 

La frénésie de nos vies étant ce qu'elles étaient avant le 16 mars, le bullet journal permettait surtout de se réserver quasi-quotidiennement un temps de pause, de prendre un moment pour faire le point sur de nombreux plans de nos vies : intime, professionnel, associatif etc. C'était une respiration. Une décharge mentale. Et pour cela, je trouve qu'il méritait amplement son statut de deuxième cerveau : c'est même cela qui m'a poussé à adopter la tenue régulière de ce genre de document. C'était une époque où un deuxième cerveau n'avait rien de superflu pour moi : je préparais un concours et parallèlement, j'occupais, à mi-temps, un emploi de professeur de Lettres dans l'enseignement secondaire, full-time job s'il en est (même à mi-temps). Je dois, en partie, l'obtention de ce concours à cet outil : il m'a permis d'organiser mon effort sur la longueur et surtout de ne pas perdre de vue l'objectif à atteindre. Durant ma prise de poste, j'ai continué à mener mes missions, ma vie privée et mes engagements associatifs avec succès grâce à cela.

Alors, avec le ralentissement soudain de nos journées, au point qu'il devient possible de s'y ennuyer, la tenue d'un bullet journal peut paraître désuète. Il n'en est rien ! Il permet, au contraire, de garder pied avec la réalité, de ne pas se laisser emporter par le flot des journées qui se ressemblent toutes, de continuer à fixer certains repères ; ne serait-ce qu'en inscrivant la date chaque jour, par exemple. Le bullet journal montre son utilité en cette période plus que dans nulle autre. Avant, l'enjeu consistait à capturer le temps avant qu'il ne s'échappe ; aujourd'hui, il s'agit d'occuper le temps qui nous est offert ; le bullet journal est un remède contre l'ennui autant qu'il était une assistance pour maîtriser notre temps.

Je ne sais pas si j'avais réalisé cela, au tout début de ce mois de mars, du temps où tout était encore normal, en achetant un nouveau carnet ; j'avais simplement anticipé qu'il ne me resterait pas suffisamment de pages pour avril, alors, prévoyant, j'avais fait le nécessaire. Je ne m'étais pas figuré, en faisant cet achat, à quel point cette période de confinement pouvait faire de ce geste anodin (passer d'un carnet à l'autre) quelque chose de tout à fait singulier et rare. Demain, jour étrange, j'archiverai un carnet en moleskine noir et un autre, en moleskine rouge, prendra sa place. Demain, donc, il ne s'agira pas seulement de tourner une nouvelle page, il s'agira aussi d'ouvrir un nouveau livre, inconnu. Demain, je range ma vie passée, et peut-être, au train où vont les choses, par ce même geste : je rangerais aussi un monde ancien. Demain, un autre monde pourrait commencer, et je dois l'avouer, j'ai plus de facilités à imaginer cela qu'à me projeter dans une autre vie. Je ne sais pas quel sera le contenu de ces pages blanches, pour la première fois j'ai un doute sincère quant à ce qu'elles contiendront à l'avenir. Demain. Ce mot sonne étrange, vous ne trouvez pas ? 

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Eloïse Shin
Posté le 24/10/2021
Entre nous, je trouve que tu écris vraiment et je prends beaucoup de plaisir à lire ton "bullet journal" :)
J'ai l'impression de revenir 15 ans en arrière que c'était il y a plus d'un an et demi ^^
Debout la Nuit
Posté le 02/05/2021
Étrange, oui, dans la mesure où nos vies semblent obliterees. Comme si l'avenir sera un confinement éternel. Mais nous savons bien que ce ne sera pas le cas. Pour quel scénario, là est le défi.
Imre Décéka
Posté le 10/05/2021
Vu, merci pour ton commentaire, réponse détaillée au chapitre 31
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