Jules souffle sur ses bougies aujourd'hui. Il n'aime pas la pluie et, comme toujours à cette date, elle est sa seule amie. Peut-être est-ce pour ça qu'il ne l'aime pas. Elle est à l'heure pour chacun de ses rendez-vous pourtant, mais lui, claque la porte et préfère la laisser sur le portant. Souvent, il part flâner dans ce bois voisin qu'il connaît si bien. Marche lentement entre les feuilles jaunes et rouges perdu dans ses pensées, parfois, tend l'oreille pour écouter le joli son de la futaie. Sur cette grosse branche, toujours le même oiseau de malheur au regard brave. Il lui rappelle que ses souvenirs sont comme boulet au pied, réification de son entrave. Quand il arpente ces sentiers à peine dessinés, il se souvient de cette douleur qu'aucun cœur ne peut oublier.
Les vacances passent et sa compagne envahissante finit étouffée par les retrouvailles et les soirées bruyantes. Jules est peut-être encore garçon, ses amis et lui jouent à un jeu. Ils lui demandent ce qui l'effraie le plus, le fixent de leurs grands yeux. Bien qu'il soit jeune, il a juste peur d'oublier. Peur de ne plus se souvenir de la ferme de ses grands parents et de leur basse-cour et des repas de famille barbants, des pétards que ses amis et lui faisaient sauter après les cours, des virées à la mer, cheveux aux quatre vents. Pourtant, Jules en oubliera des tas et se rappellera d'autres avec nostalgie, semblables à de vieilles étoiles perçant au beau milieu de la nuit. En réalité, c'est surtout cette fille qu'il veut garder en mémoire, ou bien seulement cette fameuse nuit, ce fameux soir. Évidemment il ne le dit pas, garde cette histoire pour lui : sa souffrance est la sienne, il refuse d'en faire cadeau à ses amis.
Jules a des copains et des parents aimants, personne ne s'inquiète pour lui. Ils le pensent incapable de tomber comme le ferait un soleil couchant. De telles pensées sont bien naïves, car Jules va tout échouer et il le sait. Son naufrage n'a pas encore eu lieu cependant et, ne dit-on pas que l'espoir préserve le vivant ? Même si nous devons tirer notre révérence, attendons ce moment bercé par une mer sifflant l'espérance. Non, Jules n'est pas d'accord ; il pense même que l'espoir est une bonne raison pour se présenter à la mort. Oui, c'est bien parce que sa vie tient encore à peine debout sur ce radeau, qu'il se doit de saluer le monde et de baisser le rideau.
Alors qu'il se retrouve là, au milieu des arbres fins aux sommets étrangers à toute vie, Jules sourit. Il a menti à ses amis : finalement, il a aussi peur d'oublier que de se rappeler. Il s'en moque. Pour lui, le souvenir vaut la douleur comme le sourire vient étonnamment du cœur. Le même qui, bien trop souvent, pleure silencieusement. Il repense à cette écharpe que cette belle rouquine a oublié chez lui, à la branche sur laquelle se tenait ce fier oiseau. Il se rappelle cette fille qu'il a harcelée lorsqu'il était plus jeune et sûrement plus idiot. Est-ce qu'elle va bien maintenant ? Bon, ce n'est pas son problème ou peut-être que si, mais il ne préfère pas se poser cette question. Déjà, pourquoi repensait-il à elle ?... Ah, ça y est, il se souvient. Elle avait la même écharpe que celle entre ses mains. La sienne était bleu turquoise par contre... ou bien vert fluo. Peu importe, il se sent coupable au delà des mots.
Jules lève la tête vers le ciel nuageux, sûrement pour dire au revoir à sa vieille amie. Cet après-midi encore, il pleut : il part mais pourtant elle pleure plus que lui. Elle reconnaît là pour la énième fois la douleur d'un cœur et d'un cou meurtris. Lui, aura attendu toute sa vie pour ces fleurs qui, parait-il, viennent après la pluie.
Mes pensées à Aragon et Eric Rohmer
Yerzo
Ce texte est bouleversant, comme le dit Moondrip, j'ai eu l'impression de me reconnaître dans beaucoup de lignes et impressions de vie... je ne sais pas si c'est très bon signe pour moi x'D
J'ai adoré l'ambiance, le ton et ta plume, cette lecture m'a beaucoup touchée.
Un seul petit moment d'incompréhension pour le passage suivant : "Il repense à cette écharpe que cette belle rouquine a oublié chez lui, à la branche sur laquelle se tenait ce fier oiseau. Il se rappelle cette fille qu'il a harcelée lorsqu'il était plus jeune et sûrement plus idiot."
J'ai eu un instant d'hésitation, pensant d'abord que la rouquine et la fille harcelée étaient la même personne car le "cette fille" fait penser à celle que l'on vient de citer avant. Et c'est en relisant que j'ai fini par comprendre que non. Ce n'est pas bien grave mais il serait idéal qu'il n'y ait aucun doute dès la première lecture je pense ^^
Les phrases qui ont le plus résonné en moi :
"Sa souffrance est la sienne, il refuse d'en faire cadeau à ses amis" ♥
"Personne ne s'inquiète pour lui. Ils le pensent incapable de tomber comme le ferait un soleil couchant." ♥♥
Et bien sûr, je rejoins Edouard sur la dernière :
"Lui, aura attendu toute sa vie pour ces fleurs qui, parait-il, viennent après la pluie." ♥♥♥
Bravo pour ce texte poignant de justesse : )
J'écris au fil de ma pensée en raccordant les phrases pour qu'elles sonnent bien, je ne me rends donc pas compte lorsqu'il peut y avoir incompréhension sur qui est qui, j'y ferai attention à l'avenir, merci:)
(En effet, je vous comprends je me retrouve aussi dans quelques (bcp) de lignes ahah)
Wow ! C'est encore un super beau texte.
"En réalité, c'est surtout cette fille qu'il veut garder en mémoire, ou bien seulement cette fameuse nuit, ce fameux soir." Très joli passage.
Ce que j'ai préféré c'est la phrase de fin, elle est magnifique, super émouvante ! Merci pour ce moment (=
A bientôt !
J'aime toujours autant tes écrits ! La touche très poétique nous fait presque flotter... Mais la dure réalité revient toujours à la charge et nous ramène à notre situation d'être humain, sensible et si fragile.
Un vrai plaisir à lire, toujours aussi agréable malgré les frissons (qui font évidemment partie intégrante du texte ! x) ! Merci beaucoup pour ce moment de lecture et de partage ! Bon courage !!
Merci pour cette lecture agréable !