Il était une fois, en un lieu reculé au nom pour toujours et de toutes les mémoires effacé, un vieux livre de contes au coin d’une étagère branlante, qui trainait depuis une éternité.
Au milieu des autres livres dans la bibliothèque surchargée, il était là depuis si longtemps que de sa reliure tachée commençait à s’éparpiller les pages jaunies aux contenu secret, toutes froissées par le poids des années.
Ce livre n’avait pas, en vérité, l’apparence d’un beau volume recelant les trésors de savoir d’un maitre à penser. Ni l’attrait d’un grimoire de sorcière encapuchonnée.
Il avait, à dire vrai, vu de l’extérieur, tout d’un vieux manuel d’écolier oublié sur une étagère empoussiérée, et pour toujours et à jamais, condamné à attendre encore et encore la prochaine rentrée.
Mais ce livre, entre ses pages, renfermait une drôle de chose, un drôle de secret.
Le résultat d’un tout, tout petit souhait.
Car un jeune lecteur qui préférait lire plutôt que d’étudier avait un jour souhaité que les histoires qu’il lisait passent de l’encre à la réalité.
Et contre toute attente, ce souhait s’était en partie réalisé tant l’imagination nourrie de contes du garçonnet était forte et son souhait souvent répété.
Mais un jour, alors qu’il se perdait dans les contes et les histoires de fées, il avait refermé le livre et l’avait posé sur l’étagère avant de voir quoi que ce soit, hors de ses pages, pointer le bout de son nez.
De longues années passèrent pour le livre sur l’étagère sans qu’il ne soit ré ouvert.
Puis vint un jour où le sort, le destin, la chance, le hasard où peut être bien, tout compte fait, n’était ce qu’une simple histoire de probabilité, fit que quelqu’un sans se douter de rien, se saisit du livre qui dormait dans la poussière sur la vieille étagère.
Entre les pages qui se tournaient, sous les doigts avides de curiosité, s’éveillèrent doucement les lettres imprimées.
Une par une, un « A » par ci par là. Suivi par les « i » et par quelques « E » entre les deux. Puis de toutes les voyelles, consonnes et guillemets.
Bien vite ce fut l’alphabet au grand complet qui eut terminé de s’énumérer.
Alors ce furent les mots, qui s’emmêlant et se démêlant, se mirent à danser sur le papier jaunissant.
Mais voilà que les petit doigts, s’arrêtant sur une page qui aurait retenue l’attention de n’importe quel enfant, découvrir ce qui était depuis si longtemps caché pour qui n’aurait pas pris la peine de bien regarder.
Les mots, les lettres, les virgules et mêmes les chiffres qui sautaient, qui glissaient et qui s’agitaient, mais qui jamais ne parvenaient à s’accorder, que se soit pour former une phrase ou un sonnet!
Et les petits doigts, soudainement, arrachèrent la page et la glissèrent dans une poche, comme si de rien n’était.
Et le livre retourna sur son étagère, dans la poussière.
Au fond de la poche où ils demeuraient, les mots étaient fort contrariés. Maintenant qu’ils n’étaient plus rattachés au vieux volume corné, il leur était devenu impossible de se mélanger pour raconter une longue et passionnante épopée de cape et d’épée. Impossible aussi de narrer des histoires de dragon aux pouvoirs providentiels, d’étoiles parsemant le ciel, ou de princesses ensorcelées affrontant moult dangers.
Ils pourraient peut-être parler de grammaire ou bien illustrer une leçon de français, mais ils n’avaient pas été couchés sur le papier pour des choses ayant si peu d’intérêt.
Les mots, décidément, se retrouvaient dans une situation bien compliquée.
Mais le petit morceau du vœu qui demeurait sur la feuille toute froissée n’avait pas, pour autant, l’intention de prendre la poussière comme le reste du livre retourné sur son étagère couverte de saletés.
Il se souvenait des histoires qu’il avait autrefois partagées, du temps où il était encore attaché au gros volume corné, même si les lettres des autres pages étaient venues à lui manquer.
Et voilà, en résumé, ce qui se produisit:
Alors, comme par magie, la page froissée, oubliée au fond de la poche soudain se tord, se plie, se replie et prend forme comme un pliage d’Origami. Bien avant que ne sonne le dernier coup de minuit ou que le petit chapardeur ne songe à vider ses poches pourtant bien remplies, l’une d’elle se retrouve occuper par ce qui est devenu une minuscule fée faite de papier qui, au grès d’un tout petit souhait, a réussi à s’animer.
Tout doucement, la petite créature s’éveille à la vie.
Bien cachée au fond de la poche dans les replis du blouson du petit garçon, elle n’ose pas déplier ses ailes fragiles semblables à du papier crépon.
Tout autour règne une joyeuse agitation. Mais une cour de récréation n’est pas le meilleur endroit quand on est plus minuscule qu’un petit doigt, surtout quand on ne comprend pas ce qu’on peut bien faire là!
La fée ne montre pas le bout de son nez et préfère rester cachée. Elle a bien trop peur d’être froissée.
Alors qu’elle vit sa première journée dans le noir à l’abri des regards, elle écoute la classe et mesure le temps qui passe.
Très vite elle s’ennuie, ne comprend pas pourquoi les enfants doivent perdre leur temps à apprendre l’histoire et la géographie.
Ce soir-là, le garçon accrocha sans y faire attention son veston au bord de son lit. Il avait oublié, depuis au moins, le déjeuner, son forfait et la page du livre qu’il avait arrachée.
Mais cette page devenue fée faite d’encre, de magie et de papie, ne l’avait pas oubliée. Elle attendait, fébrilement, un peu de calme et d’obscurité. Car il n’existe pas, assurément, de fée qui ne sache voler.
La voilà sortie de sa cachette et prête à s’élancer. Mais ses ailes sont si fines qu’une fois déployées, elles ne peuvent la porter.
Malheur, elle ne peut ni voler, ni raconter les histoires du vieux grimoire fatigué. « Quelle bien piètre fée » songe-t-elle, à peine née.
Comme elle est fort désappointée, la moutarde lui monte au nez! S’il n’y avait pas eu ce petit importun pour l’arracher à son écrin de vélin, elle serait toujours une page d’une épopée et pas ce petit bout de rien, incapable de voler ou de faire vivre le moindre petit conte de fée!
Et le voilà qui dort comme si de rien n’était!
Or, comme chacun sait, les fées, qu’elles soient jeunes, veilles, grandes ou plus petites qu’un dé, ont quand quelqu’un ou quelque chose les font se lever du mauvais pied, le pire des caractères qui se puisse imaginer.
Mais elle a beau rouspéter, s’époumoner et même sauter sur le nez du garçonnet qui ronfle sous ses minuscules pieds, rien ni fait. Elle est bien trop petite pour réussir à le réveiller.
Seulement, voilà. La fée est tellement contrariée, elle se sent si seule et si désemparée que son encre, le peu qui lui restait, se met à couler le long de son tout petit visage de papier.
A son tour fatiguée, elle finit par retourner dormir au fond de la poche où elle est née.
Le lendemain matin, la maisonnée s’éveille tranquillement sans se douter de ce qui s’est joué alors que le soleil était encore couché.
Le petit garçon, s’il se souvient bien d’avoir rêvé d’une drôle de danse qui se serait déroulée juste sur son nez, ne remarque rien de différent quand il met le pied hors de son lit, si ce n’est qu’il se sent tout chiffonné.
Et sa journée qui avait mal commencée ne fait qu’empirer!
Au début, ce n’est rien de bien méchant. Juste une dictée qui ne veut pas s’écrire correctement.
Mais le maitre d’école le regarde avec des yeux tous ronds quant à la place du texte sur les départements, il récupère une carte marine qui détaille avec précision comment trouver la cachette des monstres qui peuplent les océans.
Il est encore plus surpris quand il voit le kraken onduler entre les vagues qui roulent au rythme des marées, juste avant l’heure d’aller manger.
Tellement surpris qu’il manque de s’étouffer entre deux bouchées, mais quand il regarde à nouveau, la carte s’est immobilisée et il se dit qu’il a rêvé.
Il décide quand même de mettre zéro, même si la carte est bien dessinée.
Au même moment, pendant que les autres enfants mangent sans se préoccuper de la mine renfrognée de leur camarade habituellement si enjoué, celui-ci s’occupe en faisant un volcan dans sa purée.
Il est tout triste de se sentir ignoré, alors, sentant la colère monter, le voilà qui imagine la lave du volcan entrer en éruption et inonder la cantine comme un torrent rugissant.
Et soudain, Paf! La sauce dans son assiette, comme par magie, surgit du petit monticule de purée pour éclabousser tout ce qui se trouve à bout portant.
Il a beau dire qu’il n’a rien fait, que s’est injuste et le répéter, personne ne veut y croire et tous l’accusent de l’attaque du volcan de sauce dégoulinant.
Mais c’est en art plastique, que se produit l’événement le plus marquant de ce drôle de jour sans précédent dans l’histoire des jours étranges et des faits surprenants.
Car en effet, on exigea ce jour-là de chaque enfant qu’il dessina son animal favori, et le petit garçon décida que ce jour-là précisément, serait un jour ou il aimerait particulièrement les dragons.
Le lendemain ce serait surement les lions et la veille les ours géants, mais ce jour-là une petite voix lui souffla que les dragons étaient de loin les plus intéressants.
Alors s’emparant de son crayon, il se mit à tracer fébrilement les contours du plus terrible, du plus merveilleux, du plus magique de tous les dragons d’on puisse rêver un petit garçon.
Bien évidemment, chacun se fera sa propre idée de ce que ce à quoi ce dragon pouvait bien ressembler, mais ce qui est certain, c’est qu’une telle création ne pouvait se limiter à la petite feuille de papier que la maitresse lui avait donnée.
Alors il déborda un peu, puis beaucoup sur le pupitre de bois déjà tout abimé par les générations de bambins qui l’avaient précédé.
Bientôt un museau, puis un visage tout entier se détachèrent de la table de bois écaillée. La queue et les pattes suivirent, arrachant des exclamations de surprise à tous les écoliers.
Mais le dragon jamais ne s’envola, car le petit garçon, pour réaliser son chef d’œuvre, avait si bien travaillé, que tout le corps était dessiné sur le pauvre pupitre cabossé tandis que les ailes tenaient sur la pauvre feuille de papier.
Et malheureusement, tout dragon qu’il fut, courageux, féroce et fort têtu, quelques grammes de canson n’ont jamais soulevé une tel cargaison.
Et tout comme la petite fée dans la veste du garçonnet, ce fut là un être qui ne pouvait pas voler, bien que ce fut ce pourquoi il était fait.
Comme vous le devinez surement, le dragon lui aussi, fut fort chagriné de cet état de fait. Mais il n’était pas, très loin de là, un être plus petit qu’un dé et n’était pas non plus fait uniquement de papier. Et si en vérité, les dragons n’ont pas plus mauvais caractère que les fées, nulle ne saurait s’y tromper quand de colère leur cœur se trouve animé.
Alors très vite, il se mit à rugir, à sauter et à menacer tous ceux qu’il croisait dans la salle de classe ou désormais un innommable chaos régnait.
Mais jamais, malgré toutes ses tentatives, il ne parvint à s’envoler.
Au même moment, la petite fée toujours cachée au fond de la poche du garçonnet, comprenait bien que quelque chose d’anormal se tramait.
Les enfants, avait-elle appris, si ils étaient bruyants et un peu étourdi, attendaient généralement d’être dans la cour de récréation avant de chahuter comme le faisait le petit garçon qui portait la veste dans laquelle elle se cachait.
Elle décida donc de pointer le bout de son nez pour voir ce qui pouvait bien se passer.
Si elle fut juste un petit peu surprise, après tout comprenez que petite comme elle l’était, elle n’avait pas assez de place pour de trop grandes émotions entre ses plis de crépons, elle comprit vite l’émoi du dragon.
Elle aussi souffrait de n’avoir en guise d’ailes que de jolie décorations, aussi fragiles qu’inutiles.
Mais comme l’encre lui manquait, car elle avait tout fait couler dans les yeux du petit garçon, il lui était impossible de glisser un mot jusqu’au dragon, pourtant elle connaissait la solution!
Qu’à cela ne tienne! Pensa-t-elle.
Il n’y a pas une fée qui resterait dissimulée dans l’obscurité à l’heure ou se manifeste le danger. Ou une opportunité. Cela dépend de qui l’on est. Et après tout, elle était belle et bien faite d’un papier tiré d’un livre d’aventures, de magie, de cap et d’épée!
Sans attendre plus longtemps, la fée qui ne pouvait pas voler sauta sur le dos du dragon qui, pour la même raison, se débattait avec ses ailes de canson. Elle était si légère qu’il ne remarqua pas la minuscule passagère agrippée à son dos maladroitement esquissé, alors même que cette dernière se retrouvait exposée, pour la première fois, à des yeux étrangers .
Alors qu’il ruait et mugissait, la fée entre ses ailes solidement installée, remarqua les ratures sur le papier qui vers le ciel refusait de s’élever.
Autour d’eux la salle de classe qui le matin était si bien ordonnée n’était plus que chaos, cris et chaises retournées.
En vérité et c’est une chose difficile à avouer, les fées ne s’intéressent pas tant que cela aux enfants et ne sont pas comme on nous les décrit dans les contes de fées. Elles ne sont ni méchantes ni cruelles mais comme maintenant vous le savez, elles sont bien trop petites pour les émotions et les pensées compliquées.
Et celle-ci se savait faite pour voler, c’était après tout la seule chose qui comptait.
Alors sentant le vœu qui sommeillait en elle s’animer, elle se trempa les pieds dans l’encre qui n’avait pas encore séché, se déplia, se replia et détacha les ailes du dragon qui ne pourrait jamais voler.
Le dragon qui perdit ses ailes et l’encre ensorcelée redevint le pupitre qu’il avait toujours était.
Et la fée gagna deux grandes ailes assez fortes pour enfin lui permettre de s’élancer.
Avant de partir, elle regarda le petit garçon qui avait déchiré la feuille du vieux livre abimé.
Il était, comme les autres enfants, un petit peu effrayé mais surtout curieux de comprendre ce qui se passait.
Peut-être, se dit-elle finalement que ce moment valait bien toutes ses mésaventures. Et tant pis pour le dragon car comme je vous le disais, les fées n’aiment pas les émotions tarabiscotées.
A l’inverse du petit garçon qui regretta amèrement son beau dragon et qui quand vint le soir, déposa un vieux grimoire aux pages déchirées sur son pupitre taché d’encre afin de se mettre en quête d’un nouveau souhait.
On ne sent pas ce qui va venir, il y a de l'ironie tout le long envers tout le monde, sans que cela gâche l'esprit.
Je viens de commenter une autre histoire où la narration était au passé puis présent, ici on fait passé-présent-passé ^^'
Mon expression préférée: "la fée entre ses ailes solidement installée"
De manière générale j'aime beaucoup tes phrases où le complément est placé avant le verbe. Ca va vraiment bien avec le style.