J’ai déjà dit être tombé amoureux de la musique traditionnelle irlandaise quand j’avais 13 ans. Peut-être que ce n’était pas vraiment vrai. Peut-être qu’avant ma rencontre avec Flook il y eut quelque chose. Peut-être qu’il y eut des signes avant-coureurs auparavant, dans mon enfance, même si ce n’était pas de la musique traditionnelle à proprement parler.
Je devais avoir 8 ans. Mes parents étaient abonnés à la salle de théâtre de la ville voisine. Régulièrement, quand les représentations étaient considérées comme « tout public », nous les accompagnions. Ils prenaient parfois même des performances jeune public spécifiquement pour nous. Il était important pour eux de contribuer à la pérennité du spectacle vivant et de le faire perdurer en nous donnant l’habitude d’y aller jusqu’à l’adolescence. Ce fut une très bonne chose pour nous, car malgré quelques mauvaises surprises effrayantes, peu adaptées aux enfants ou dérangeantes, nous avons découvert beaucoup de belles œuvres et passé des soirées dont je me souviens encore aujourd’hui. Allant du cirque, des concerts au théâtre classique ou moderne, l’horizon était vaste. Et comme nous ne nous renseignons pas nécessairement sur ce que nous allions voir, quand les lumières s’éteignaient, il y avait toujours une petite excitation. Qu’est-ce que ça va être, ce soir-là ? Est-ce que ce sera bien ?
C’était un concert de Robinson, un chanteur spécialisé pour les enfants. Je ne vais pas le cacher, je ne m’en rappelle qu’assez peu. Je me souviens que j’aimais, sans qu’il y ait plus. Je pouvais presque avoir la sensation de m’ennuyer, alors que j’appuyais ma tête contre l’épaule de ma maman. Le réveil n’en fut que plus fort, quand il sortit de sa poche une petite flûte à l’éclat doré, comme une flûte à bec en fer. Alors qu’intrigué, j’avais envie qu’il joue, il réclama au petit public qui l’observait de participer avec lui.
Demander à des spectateurs de jouer avec l’artiste est souvent une bonne idée. Quand le public est composé d’enfants qui, généralement, ont du mal à tenir en place toute l’heure sans parler et sans bouger, c’est d’autant plus efficace. Toute la volonté du monde se réveilla avec moi. Robinson, quant à lui, entonna l’un de ses chansons les plus populaires : Laissons la baleine. Il nous apprit, tranquillement, l’introduction à la voix qu’il faisait avant de commencer avec la flûte, qui se révélait être une tin wistle. Pour mon grand bonheur, il expliqua ce qu’elle était : une flûte traditionnelle irlandaise, au son très aigu, allant très bien avec les chants de marin. Dès lors, dans mon cœur ne battait qu’une chose : je voulais une tin wistle.
Son solo était magnifique. Le timbre de l’instrument me plaisait. Je ne me souciais plus de la musique autour d’elle, j’avais juste envie de l’entendre jouer, encore et encore. Ma mère me fit une petite remarque, chuchotant à mon oreille ; « Tu as vu cette flûte ! Elle n’est pas comme la tienne, hein ? » Évidemment que je l’avais vue. Je ne pouvais plus voir autre chose.
La chanson en elle-même était belle. Son message de paix envers la mer, la protection des baleines, cela parle à tous les enfants sans hésiter. Il n’en fallait pas davantage pour nous faire tous voyager sur un bateau ruisselant sous les vagues. Je ne tenais plus en place. Dès qu’il me demandait de chanter, je le faisais, du plus fort que je pouvais. J’avais presque envie qu’il me remarque.
À peine sorti de la pièce, je réclamai à mes parents la même flûte. Mon père, amusé, céda au caprice. Quelques jours plus tard, je me retrouvais avec la même flûte que le chanteur, à l’identique. Ma mère, quant à elle, acheta l’album du concert. Avec mon frère et ma sœur, il devint très vite notre album préféré, que nous écoutions très régulièrement quand nous jouions ensemble. Avec des chansons dont les instruments et les paroles incitaient au voyage, reprenant des codes de musiques que nous ne connaissions pas, nous inventions des histoires. C’était très potentiellement notre jeu préféré. La musique avait toujours exacerbé notre imagination.
Malheureusement, sans professeur et sans répertoire, je me retrouvai rapidement démuni avec la flûte que l’on m’avait offerte. Ses notes réduites me limitaient, m’empêchaient de jouer ce que je voulais. Si bien que pendant des années, elle resta cachée dans un placard. J’en avais un peu honte, j’étais déçu : il n’était pas si facile d’apprendre à jouer d’un instrument. J’ai continué sur ma flûte traversière, sur laquelle je progressais à vue d’œil.
Dans le cadre de mon travail, il me fallait trouver des chansons à transmettre aux enfants sur le thème du voyage. En cherchant dans mes albums d’enfance, je retombais sur cette musique. L’émotion me frappa dès les premières notes de la tin witsle, me ramenant des années en arrière. Cette émotion de joie et de fierté quand on entonnait cette introduction comme un chant de marin, accompagné de la petite flûte aux sons aigus. Je l’avais presque perdue, me dirigeant en grandissant vers d’autres horizons que la musique pour enfant. Quelle erreur. Si cette musique peut émerveiller des enfants, son instrumentation riche peut également séduire les adultes. Aucune rencontre aussi puissante, même à un jeune âge, ne mérite de sombrer dans l’oubli.