L'Aurore sera Rose

Par Phoebe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Aurore sera Rose

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'espace d'un instant, les draps chauds qui m'enveloppent me transportent en arrière dans le temps. Le demi sommeil, la léthargie du réveil, ce bien-être, ce cocon de coton, tout ça brouille le temps, après tout.

Je me souviens de mes dix-huit ans, il y a un peu plus de soixante-dix ans. L'espace d'une demi-seconde, de cette demi-seconde somnolente, je redeviens celle que j'étais, jeune, pleine de rêves et d'espoir, protégée par ma coquille de tissu.

Et puis, de trois coups secs frappés contre ma porte, Hélène me rappelle à la réalité. Je ne suis plus Rose Griffon, rebelle jeune fille, je suis Rose Éluard, fourbie de rhumatismes, incapable de se lever seule, tellement ridée qu'on croirait une vieille peinture craquelée, je suis Rose Éluard, résidente aux Épicéas, qui ne lutte plus pour sauver des vies, mais qui milite pour supprimer les épinards de la carte de la cantine et autoriser les animaux dans les chambres.

-Allez, madame Éluard, c'est l'heure de la toilette.

Chère Hélène. Et sa foutue toilette. J'ai été plus intime avec cette femme qu'avec tous mes compagnons de bals de l'époque. 

Ah, cette chère Rose de l'aurore dorée, qu'elle aurait ri, qu'elle moquerait de moi si elle me voyait !  Qu'elle est belle, la vie de la grande Rose Griffon !

 

Je n'ai pas toujours été une vieille mémé placée de force aux Épicéas par son grand dadet de fils. Je n'ai pas toujours porté une couche, et été lavée par une infirmière maussade. J'ai été jeune, pleine de vie, dépourvue de vie aussi, malmenée, et pleine de bonnes volontés pour ce monde. Je n'ai pas toujours été cette vieille mégère qui méprise les autres vieux, qui fuit Georgette, dédaigne Marcel et joue de la surdité de madame Souillé, qui boude ses épinards et râle durant des jours de la supression de son émission préférée.

Dans mon esprit résonnent encore les souvenirs et les poèmes d'une autre vie, une vie qui me semble si loin, à présent, que j'ai peine à croire que je l'ai vécue. J'ai laissé tous ces moments sur le chemin, loin derrière, et cela fait longtemps, si longtemps que je les ai dépassés que parfois, je n'ai même plus le courage de faire demi-tour.

 

Je suis née en 1925, dans un petit village normand, Crèvecœur. Fille unique d'un couple âgé, je grandissais, heureuse, entre mes deux voisins, Mme Soleil et M. Boucher. Mes parents tenaient un petit bar où venait se rafraîchir et s'enivrer le village au grand complet. Je m'installais au comptoir et j'écoutais les innombrables histoires qu'ils racontaient, pleine de curiosité et d'intérêt, ignorant qu'elles étaient modifiées par les brumes nébuleuses de l'alcool. Une existence bien calme, en somme.

Et puis la guerre est arrivée.

Après l'appel de De Gaulle à résister, pendant l'Occupation, mes parents et la plupart des ivrognes du village, tous ces anciens combattants de la Der des ders, encore des héros dans l'âme, se sont mis à cacher des résistants, à les informer, à récolter des nouvelles et sauver des gens au nez et à la barbe des allemands. Ils en riaient le soir, autour de leurs bières et leurs bouteilles de piquette, et leurs gros nez enflés et rouges, leurs yeux vitreux, les décridibilisaient de toute probable implication lors du passage des allemands.

Quant j'ai eu dix-sept ans, j'ai pu les rejoindre dans cette mission. Je trépignais d'impatience, portée par les indignations journalières que cette guerre me provoquait.

Malheureusement, ma mère me cantonna seulement à une tâche bien simple. Aller porter à manger aux maquisards, la nuit tombée, avec la fille de Mme Soleil, Aurore.

Je parlais de courage, elle me répondait en pronant l'insouciance. « Qu'est-ce qui différencie, après tout, les courageux des casses-cous et des naïfs ? »

Je prenais donc ma bicyclette et ma moue boudeuse, le panier préparé par Mme Soleil, puis on partait, avec Aurore, le long du chemin, juste avant la tombée de la nuit. On ne devait pas faire de bruit. Et puis c'était loin, on avait mal aux jambes, et on ne parlait pas, ça épuisait encore plus.

Nous étions toujours contentes d'arriver chez les maquisards. La lueur dorée de leur feu de camp brillait entre les troncs, on se faufilait entre les buissons bruissants, et ils étaient là, sales, boueux, mais le visage lumineux de ceux qui savent qu'ils sont justes et bons, éclairés par les flammes.

Il y avait Charles, Paul, André, et Sylvain. Parfois, quelques résistants étaient de passage.

Ils chantaient, autour du feu. Je ne voulais pas repartir. Autour de ce feu, c'était l'éternité. J'étendais le temps au maximum, mais il filait entre les doigts. Je rechignais peut-être de la simplicité de la tâche, mais j'aimais venir là. Je ne me rendais pas compte du danger. Non, pas une seule fois, je n'ai pensé à tous les dangers auxquels nous nous exposions, Aurore et moi.

Le lendemain, je traînais toujours au lit le plus longtemps possible, profitant de la chaleur de mes draps, imaginant que Sylvain et les autres dormaient sur un tapis de feuilles, dans la glace de l'air.

C'est cela qui m'arrive encore, quand je me réveille, le matin, avant qu'Hélène n'arrive, et que je tente de me remémorer ces sensations. Le réveil intemporel, les draps protecteurs du lendemain. Le feu éternel, la bicyclette qui vacille, le poids du panier, les branches. Aurore qui geint légèrement, moi qui chantonne sur le long chemin qui nous mène aux maquisards. Et tous. Charles, Paul, André, Sylvain.

 

Sylvain.

-Tu vois, tu tires, comme ça. Voilà, comme ça, le bras. Pourquoi tu trembles tant?

Ils nous apprenaient à tirer, avec les fusils qu'ils avaient. Ils avaient toujours un ou deux fusils et quelques pistolets cachés dans les fourrés, en plus de leurs petits poignards.

-Bien, Rose. Ne tire pas, ça va attirer du monde.

C'est dingue comme on devient sentimental en vieillissant. Je viens de finir de manger, leurs fichus champignons à la grecque me restent sur le gosier, mes lunettes glissent de mon nez, la grille de mots croisés devient plus floue. Et dès que je somnole, je retourne là-bas. Adieu, assiettes blanches et javelisées de la cantine, adieu, chansons mélodramatiques de Georgette, adieu, pantoufles qui couinent toutes dans le couloir, adieu, rhumatismes qui me clouent dans le fauteuil, adieu, sale odeur de vieux partout, dans les couloirs nus. Je retourne dans la foissonante forêt, pleine de bruit et de vie.

Je tends le fusil à Sylvain avec un sourire, et retourne m'asseoir près du feu. Aurore se penche vers moi et me murmure à l'oreille:

-Il est beau, hein, Sylvain?

Et elle ajoute:

-J'aime bien Charles, pour ma part.

Charles et Aurore ont seize ans tous les deux. Nous commençons à rire. Bien insouciantes. Ils nous somment de nous taire, tout en sachant qu'il est impossible qu'on nous entende. Personne ne vient jamais par là.

-C'est un trou de verdure où chante une rivière...

Sylvain récite, à la lueur du feu. Je perds mes yeux dans les lueurs qui dansent sur ses joues. Qu'importe le contexte. En cet instant, je suis comme toute jeune fille de dix-huit ans, à n'importe quelle époque et de n'importe où, incapable de détourner le regard de la personne qu'elle aime.

 

Ça a duré deux ans. Deux ans que la joie que j'éprouvais à aller là-bas retirait à la gravité de la guerre. Deux ans. Deux ans où je louais presque la guerre de me donner ce bonheur, cette activité, plutôt que de m'avoir laissé dans la morosité rébarbative d'une vie paisible dans un petit village.

Je n'ai jamais été paisible. 

Et, un matin, une nuit, tout a basculé. Ce jour-là, Aurore se plaignait, car les chaussures qu'elle portait lui faisaient saigner les pieds. Je n'écoutais pas. Comme d'habitude, je roulais. Les cailloux crissaient sous les roues du vélo. Je pensais à Maman qui m'avait encore embrassée comme si elle me voyait pour la dernière fois. Je m'étais coiffée avec des jolies boucles, j'avais mis une jupe cintrée à ma taille encore fine. Le poids du panier se faisait sentir sur le guidon. On entendait le repas qui bougeait à chaque virage. Les étoiles étaient accrochées là-haut, la lune éclairait notre chemin, tout était étouffé par le noir du ciel. Tout comme chaque nuit.

Quand nous sommes arrivées au camp, il y avait quelqu'un d'autre autour du feu. Ça arrivait, ça aussi. Rien de bien étrange. Un homme qui parlait vite et bas, et les autres l'écoutaient attentivement. Puis, je vis se dessiner un air terrifié sur leurs visages, et ils nous regardèrent d'un air affolé.

-Il faut que vous partiez, les filles! Ils savent, ils arrivent.

Ça, par contre, ce n'était pas comme chaque nuit. Ça, c'était la première fois. Et la dernière.

 

-Je reste! Il y a Aurore... protesta Charles.

-Aurore est déjà partie!

Sylvain pousse Charles dans les profondeurs de la forêt:

-Dégage, Charles. T'es même pas majeur.

Il lance un dernier regard grave, rempli de larmes, serre la bouche, et s'enfuit en détalant, ne quittant les yeux de Sylvain qu'au dernier moment. Je me suis arrêtée, à demi-juchée sur ma bicyclette, hésitant à faire demi-tour.

-Allez, Rose, allez, roule roule, fuis!

Je l'entends crier le long de la route, je l'entends, et moi je suis le chemin, je pédale à toute vitesse, j'attends de voir les silhouettes de Charles et Aurore. Je ne veux pas, je ne veux pas, et pourtant j'y vais. Qu'est-ce qui différencie le courageux des insouciants, des casses-cous et des naïfs ? Je ne me retourne pas. Comment ça se fait que je n'ai pas rejoint les deux autres ? Ils ont du passer par la forêt. Pourquoi pas par le chemin ? La peur m'empêche de raisonner normalement.

Mais soudain, je comprends. Je me dirige droit vers eux. J'entends leurs voix qui arrivent. Mon sang ne fait qu'un tour. Je me cache dans les fourrés, la respiration haletante, et je jette la bicyclette derrière moi. Pitié, qu'ils n'aient pas croisé les autres...

Et je les entends qui passent. Ils me résonnent toujours à l'oreille, certaines nuits, quand je n'arrive pas à dormir. L'un d'eux chantait. Un autre toussait en riant. Et les deux autres conversaient activement. J'ai été étonnée de leur humanité, -de leurs mécanismes humains, je veux dire. Ils m'avaient tous parus si réels, en cet instant.

Je serre dans mes mains le petit panier de Mme Soleil, en me recroquevillant. Étonnamment, je me concentre sur des futilités, et je n'arrive pas à les sortir de mon crâne, elles m'obsédent encore plus que la situation présente.

Mme Soleil va être triste quand elle va voir qu'ils n'ont pas mangé son pain. Ma jupe va être tâchée de terre.

J'entends les éclats de voix au loin. Il est encore temps de faire demi-tour. Mais je ferme les yeux, fort, fort. Comme si ça allait aider.

Et après tout, merde. Il n'y a que maintenant que tu peux agir, Rose. Que maintenant. Demain, dans vingt minutes, il sera trop tard. Quand tout sera fini, il sera trop tard. En cet instant, Sylvain et les autres sont encore vivants: le sang coule encore dans leurs veines. Leurs cerveaux battent de peur à leurs tempes, leur cœur s'agite à en rompre, mais ils sont encore là. Ils sont encore des tripes, des cerveaux, des poumons qui se battent et bougent pour fonctionner. Dans quelques minutes, tout va s'arrêter, c'est sûr. Ils vont pas hésiter. Le cœur s'arrêtera immédiatement, comme un oiseau arrêté en plein vol par la pierre d'une fronde. Du bruit, de l'air, et puis le son fugace, rapide et fatal, qui siffle dans l'air, et tout qui s'arrête.

Alors je me relève doucement. J'essaie de marcher sans faire de bruit. Et puis je cours. Je vole, même. Ils sont loin, maintenant. Je ne laisse pas la fatigue, le mal aux jambes me prendre de court, me ralentir. J'ai laissé ma bicyclette dans les buissons. Je ne sais même pas ce que je veux faire. Pourquoi j'ai fait demi-tour ? Comment je compte les sauver ? Ça se bouscule dans ma tête, à côté d'une nouvelle question stupide mais indispensable pour ne pas sombrer « Et si je me fais voler le vélo, Papa va m'empêcher de sortir pendant un mois, au moins... ». J'arrive au lieu du camp, et je ralentis. Mais je n'entends déjà plus les voix. Ils sont repartis. Le feu est éteint au milieu des branches marrons. Ils n'éteignent jamais le feu. La peur m'étreint. Mon estomac se serre. Je me précipite vers le buisson touffu, et fouille entre les branches. Ils sont là. Les deux fusils. Cela veut dire qu'ils n'ont sur eux que leurs petits poignards.

Je prends l'un des fusils, le plus petit, mon préféré. Il est chargé.

Et je suis le doux murmure des voix que j'entends par bribes, au loin. Des bruits de pelles? Je me faufile entre les arbres. Je sens mon cœur battre si fort que j'ai l'impression qu'on l'entend dans tout le bois. La sueur et le sang battent à mes tempes. "Canalise ton souffle, Rose."

Ils sont là, au milieu d'une clairière sombre. Sylvain et les autres creusent des trous, sous les fusils des allemands. Je connais cette méthode. Je sais ce qui les attend.

L'un d'eux les presse de se dépêcher. Je n'hésite qu'à moitié. Que ce soit de la naïveté, de l'insouciance ou du courage, c'est la seule chose à faire pour les sauver. C'est peut-être cela, la différence. Je suis cachée derrière des fourrés. L'éclat de la lune sur le canon du fusil attire l'attention d'André. Il me jette un regard, puis se tourne, l'air frébile, continue sa tâche comme s'il ne m'avait pas vue.

Alors je vise. Le soldat le plus proche, celui d'André. Il évite de me regarder, mais il a compris. Il se rapproche du bord du trou qu'il creuse, prêt à sauter en-dehors. Canalise ton souffle. Et je tire. La balle atteint l'officier à l'épaule. Il hurle et se retourne vers moi, mais il ne me voit pas. Alors André se jette sur lui, lui attrape son arme, et lui arrache des mains, en lui donnant un coup de pied pour le faire tomber, et l'achève d'une balle en plein cœur.

Je vise encore.

C'est un ballet. Les SS et les résistants se mêlent, se baissent, se jettent les uns sur les autres, évitent les balles et les poings, répandent du sang et des cris, et moi, pétrifiée dans mon buisson, je regarde cette scène au ralenti. C'est presque beau, cette unité de mouvement.

Et soudain, mes jambes se lèvent seules. Et je sors des buissons. Les branches s'ouvrent sur mon passage, j'arrive dans la clairière, éclairée par un rai de lune. Le silence est total.

Le choc les laisse tous immobiles l'espace d'un instant. Et puis je lève mon fusil, je vise, hop, une autre balle dans un cœur. Les SS dirigent leurs armes vers moi, les garçons se précipitent sur eux.  André, qui ne doit plus avoir de balles dans son fusil, se bat en donnant des coups de crosse et de poignard, une arme dans chaque main. Je n'ose pas regarder le corps de Paul qui gît à côté de celui d'un SS, une jambe à moitié dans le trou qu'il a creusé. Il n'est pas encore temps. Je ne peux pas y penser.

Les détonations sont fortes, vous savez. Ça résonne dans le tympan plusieurs secondes, ça assourdit. Elles partent du bout du bras, du haut de l'épaule, du torse presque, on dirait que notre âme quitte notre corps pour se jeter sur la personne au bout du canon. Il ne faut pas s'attarder, il faut garder la tête froide, viser, fixer, deux yeux ouverts, souffle canalisé, appuyer sur la gâchette, voilà. Regarder le sang s'élargir comme une rose sur les torses.

Voir la rose de Sylvain devenir de plus en plus large, voir les couleurs quitter son visage, voir un sourire de victoire sur les lèvres de celui qui a tiré.

Je hurle. André hurle. Il se jette sur le soldat, par derrière, lui plante son poignard en plein cœur en hurlant de tous ses poumons, et puis s'assure qu'il est bien mort. Il ne reste que nous deux. Je suis tombée à terre, les genoux dans la boue, mes larmes constellent ma jupe, abreuvent le sol comme le sang de tous ceux qui sont morts.

Tout s'est passé en moins de deux minutes, et pourtant, tout est bien découpé scène par scène dans ma tête. Tout est bien prédisposé à revenir me hanter. André s'est approché de Paul, et baisse la tête en pleurant. Paul est mort aussi.

 

Nous enterrons les corps de nos amis avec le plus de dignité possible. Nous closons leurs yeux, nous ignorons le mal de vivre qui nous enserre le ventre. Je reste prostrée devant leurs tombes, incapable de bouger.

André me prend par le bras:

-Allez, Rose. Allez.

Mes jambes ne me tiennent plus. Je pleure, et je vois que lui aussi, les larmes tracent des sillons dans la boue et le sang sur sa joue.

Il prend l'habit d'un officier, les échange avec les siens. Il hésite, puis me jette une autre tenue, celle d'un tout petit.

-Mets ça.

-Non!

-Discute pas. On passera inaperçus, avec ça.

J'enfile avec dégoût les vêtements de l'officier par-dessus les miens. Je tremble de rage, et me sens souillée et sale. Je pleure, j'ai des spasmes de haine. André enterre les allemands dans un trou commun, celui qui devait lui servir de tombe. Et nous sortons de la clairière. Il me prend par la main pour me calmer, pour m'empêcher de regarder en arrière, m'empêcher de fixer mes pensées. Si je laisse le flot de la réalité me toucher, il m'emportera, c'est certain.

Je prends le chemin du village, mais il m'attrape par le bras.

-Non, on peut pas, Rose. On peut pas rentrer. Faut partir, maintenant.

Et alors, sans opposer de résistance, je hoche la tête, et je le suis, sur le chemin inverse. Au revoir, Charles, Aurore et Maman, et Papa et les ivrognes. À quand l'avenir sera beau.

 

Au loin, le soleil se lève. Sylvain s'est sacrifié pour vivre dans un monde juste. Au fond, des fois, je ne peux m'empêcher de l'envier. Il est mort aux aurores, sous un ciel rose, jeune et plein de vie, pour une cause qui le faisait rêver, en héros. Il a presque souri quand la balle l'a touché.

Je suis vieille. Je mourrais aux Épicéas.

 

J'ai fait tant de choses. André et moi avons floué des dizaines de gens dans nos tenues de SS. J'ai sauvé deux enfants par moi-même, j'ai nourri pendant deux ans des maquisards qui en ont sauvé encore plus. J'ai fait se rencontrer deux réseaux de résistance. J'ai envoyé, réceptionné des messages et informations essentielles. J'ai même inventé un code. J'ai tiré au fusil sur un ennemi. J'ai sauvé mon futur mari, André, des griffes des SS. J'ai fait une conférence à l'université de ma fille et j'ai fait pleurer un amphi entier. Je...

-Mme Griffon, il est peut-être temps d'aller faire votre toilette?

J'ai fait tant de choses et je ne suis plus rien. On doit prendre soin de moi comme d'un bébé, dans une maison silencieuse et triste. Je ne suis pas remontée sur un vélo depuis vingt ans. André, Aurore et Charles sont morts il y a dix, sept et trois ans. La résistante n'est plus. Les moments passés, les souvenirs sont partis avec eux.

Je ne suis plus, à présent, qu'une femme banale, blottie dans un faux confort, râleuse et pointilleuse. Heurtée par la vie. Et pourtant, je préférerais encore me réveiller sur le sol épineux d'une forêt que dans ce lit aseptisé qui sent le trop propre. Je préférerais me réveiller sous une aurore rose, aux senteurs fraîches de la liberté, et de tous les possibles.

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Klyfire
Posté le 27/09/2019
Bonjour !
J'ai adoré lire cette nouvelle. C'est une petite histoire merveilleuse et ça ma beaucoup touchée ! Ton style d'écriture est très agréable et on ressent bien les émotions que tu cherches à nous donner.
Félicitations ;)
Phoebe
Posté le 06/06/2018
Ahaha! Merci Wendy!
Je suis assez d'accord avec toi, mais il y a une raison propice à ça... Ce texte a été écrit dans le cadre d'un concours, et j'étais donc très très TRES réduite en termes de caractères... (à vrai dire, j'ai même dépassé...) 
Merci quand même! 
 
 
Fannie
Posté le 22/05/2019
Coucou Phoebe,
Tout d’abord, bravo pour ton succès à ce concours !
C’est une belle histoire, même si elle est triste aussi. Elle est bien écrite et elle amène le lecteur à s’interroger, sur la mort notamment. Vaut-il mieux mourir jeune et en pleine forme, tandis qu’on poursuit un idéal, ou dans la vieillesse, alors qu’on est rassasié de la vie ? Ce qui est sûr, c’est qu’on préférerait ne pas devenir grabataire.
Peut-être qu’après avoir lu ce récit, on ne connaît pas vraiment Rose, mais c’est dû au format de la nouvelle, et l’histoire qu’elle raconte reflète probablement les souvenirs qui l’ont le plus marquée et qui la hantent encore.
Coquilles et remarques :
tous mes compagnons de bals [de bal ; même s’il y en a eu plusieurs]
qu'elle moquerait de moi si elle me voyait [se moquerait]
et pleine de bonnes volontés [de bonne volonté]
une vie qui me semble si loin [j’aurais tendance à dire « lointaine »]
au nez et à la barbe des allemands [des Allemands]
les décridibilisaient de toute probable implication lors du passage des allemands. [décrédibilisaient ; l’emploi de ce verbe me semble suspect, voir ici : http://www.academie-francaise.fr/decredibiliser-pour-discrediter / des Allemands]
Je rechignais peut-être de la simplicité de la tâche [rechignais (…) à]
Je ne me rendais pas compte du danger. Non, pas une seule fois, je n'ai pensé à tous les dangers auxquels nous nous exposions [Pour éviter la répétition de « danger(s) », je propose « tous les risques ».]
Je retourne dans la foissonante forêt [foisonnante]
plutôt que de m'avoir laissé dans la morosité [laissée]
Ils ont du passer par la forêt [dû]
Ma jupe va être tâchée de terre [tachée]
mais indispensable pour ne pas sombrer « Et si je me fais voler le vélo [Je mettrais deux points après « sombrer ».]
au milieu des branches marrons [marron ; invariable : c’est un nom utilisé pour désigner une couleur]
Sylvain et les autres creusent des trous, sous les fusils des allemands [des Allemands]
j'arrive dans la clairière, éclairée par un rai de lune [rais]
souffle canalisé, appuyer sur la gâchette [sur la détente ; mais cette confusion entre détente et gâchette est très courante, notamment dans les films]
Il prend l'habit d'un officier, les échange avec les siens [« l'habit d'un officier, l’échange avec le sien » ou « les habits d'un officier, les échange avec les siens »]
André enterre les allemands dans un trou commun [les Allemands]
Je mourrais aux Épicéas [je mourrai ; futur simple]
-Mme Griffon, il est peut-être temps d'aller faire votre toilette? [Une infirmière l’appelle par son nom de jeune fille ?]
En français, les signes de ponctuation doubles [? - ! - ; - :] doivent être précédés d’une espace insécable.
Dans les dialogues, il est préférable d’utiliser le tiret cadratin suivi d’une espace.
Autre petit détail : ici, sur FPA, c’est un peu ennuyeux que tu aies mis autant d’espace, de lignes blanches, autour du titre de ta nouvelle.
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