On gratta à la porte.
Madeleine leva prestement les yeux de son journal, aux aguets. Qui cela pouvait-il bien être ? Un vendeur d’assurance ? Des témoins de Jéhovah ? Un représentant de Greenpeace ? Ou pire, des cambrioleurs ?
— Miaou !
Ouf, pas de cambrioleurs, ce n’était qu’un chat ! Madeleine se détendit et se replongea dans son journal de la veille. Toujours les mêmes nouvelles effarantes : un accident de la route sous emprise de l’alcool, un règlement de compte, des manifestations… Plus rien ne tournait rond de nos jours, on ne pouvait plus avoir confiance en rien ni personne. C’était bien pour cela qu’elle préférait rester cloîtrée chez elle.
— Miaou !
Madeleine grommela. Ce chat allait-il vraiment la forcer à se lever avant qu’il ne soit l’heure d’aller vérifier sa boite aux lettres pour son journal du jour ? N’avait-il donc aucune pitié ? Avec précaution, elle se leva en prenant appui sur sa canne, mais pas trop, juste un peu. C’était une question de fierté. Elle n’aimait pas avoir l’air maladroite sur ses jambes, même quand il n’y avait personne pour la voir.
Elle se dirigea à pas lent vers la porte d’entrée, tendit la main vers la poignée et s’arrêta net. Non ! A tous les coups, c’était un piège ! A peine aurait-elle ouvert la porte qu’un gang de cambrioleurs allait entrer et la dévaliser ! Eh bien, elle n’allait pas se faire avoir. Elle brandit sa canne, prête à frapper, et ouvrit la porte d’un coup.
Ouf, pas de cambrioleurs.
Pas de chat non plus. Juste Madeleine, qui brandissait sa canne et un jeune homme affublé d’une horrible veste blanche, qui sortait de l’ascenseur. Il était arrivé dans l’immeuble quelques jours auparavant et il lui avait tout de suite déplu, avec ses cheveux en pagaille et sa vilaine manière de parler trop fort. Il lui lança un regard interrogateur puis lui sourit bêtement, comme s’il la prenait pour une folle. Mais Madeleine n’était pas folle, elle le saurait.
— Tu veux ma photo ? asséna-t-elle, sans baisser sa canne.
— Euh, non merci, ça ira. Bonne journée, madame Madeleine.
— C’est ça.
Madeleine attendit que le jeune homme disparaisse avant de baisser sa canne. Puis, comme elle était déjà sortie de chez elle, Madeleine se dirigea vers les boîtes aux lettres, en s’appuyant sur sa canne, mais pas trop, juste un peu. Avec un peu de chance, peut-être son journal aurait-il déjà été livré ?
— Miaou !
Madeleine sursauta, balaya le hall d’entrée du regard. Caché derrière les boites aux lettres, recroquevillé en une petite boule de poil tremblante, un chaton minuscule la regardait, apeuré.
— Oh, mon pauvre petit minou ! s’exclama Madeleine en recueillant délicatement le chaton dans sa paume.
Elle trottina rapidement jusque chez elle en jetant de rapides coup d’œil derrière elle pour vérifier qu’on ne la suivait pas. Elle ferma sa porte à double tour. Elle n’était pas encore tout à fait sûre qu’il ne s’agisse d’un piège de vils cambrioleurs.
Le lendemain matin, Madeleine se réveilla de bonne humeur pour la première fois de sa vie. Elle lança un regard vers le panier sur la table de nuit dans lequel elle avait déposé le chaton la veille au soir, emmitouflé dans une couverture en laine. Le panier était vide. Où était donc passé le chaton ? Madeleine se redressa dans son lit, roula des épaules, se massa les jambes. Dénouée, elle se leva et se dirigea vers le coin cuisine. L’assiette de thon était intacte, tout comme le petit bol de lait.
— Minou ? Minou, minou !
Pas de réponse. Alarmée, Madeleine se rua vers la porte d’entrée. Elle était toujours verrouillée. Ouf, pas de cambrioleurs ! Son unique fenêtre était elle aussi bien fermée. Selon toute vraisemblance, le chaton n’avait pas pu s’échapper. Madeleine inspecta son lit, sa commode, ses placards, sa poubelle…Rien. Après une bonne heure à fouiller partout en vain, elle s’écroula dans son fauteuil. Dépitée et essoufflée, elle réfléchit. Puisqu’elle ne trouvait pas le chaton, elle allait devoir le forcer à quitter sa cachette. Mais comment faire ? Elle n’y connaissait rien en chaton !
— Mais oui mais c’est bien sûr ! s’exclama soudain Madeleine.
Son encyclopédie ! Une vraie, en plusieurs volumes, que sa défunte mère lui avait offerte lorsqu’elle avait réussi son certificat d’étude. Madeleine y avait toujours trouvé réponse à ses questions, on ne faisait rien de mieux ! Malheureusement, ladite encyclopédie avait été rangée dans un gros carton tout en haut de son placard par son fils qui doutait qu’elle en aurait un jour à nouveau besoin. Eh bien, voilà que ce jour était arrivé !
Sans tergiverser, Madeleine attrapa une chaise et la traina au pied du placard. Elle leva la tête, localisa le carton. C’était haut, très haut. Elle allait devoir se surpasser. Telle une équilibriste, prenant appui à la fois sur sa canne et sur le dossier de la chaise, elle entreprit de se hisser debout sur le siège. Sur la pointe des pieds, elle tendit les bras, attrapa le carton de l’encyclopédie et bascula en arrière.
— Madame Madeleine !
Elle ouvrit les yeux sur le visage du jeune voisin en veste blanche. Terrifiée, Madeleine hurla à plein poumon. Le jeune homme recula, mais pas assez pour éviter les coups de canne.
— Ah non, madame Madeleine, on ne frappe pas les gens comme ça !
— A l’aide ! Au secours ! Un cambrioleur !
— Hein ? Mais non, madame Madeleine. Je vous ai entendu crier quand vous êtes tombée ! Attendez, je vais vous aider à vous relever.
— Lâchez-moi, voleur de chat !
Madeleine se rassit tant bien que mal, indemne. Par miracle, son lit avait amorti sa chute.
— Un chat, quel chat ? demanda le jeune homme en regardant tout autour de lui, perplexe.
— Un petit chaton tout noir, que j’ai trouvé hier pelotonné derrière les boites aux lettres. Je l’ai ramené chez moi et voilà que je ne le trouve plus ! Pouf, disparu ! Qu’est-ce que vous en avez fait, hein ?
— Je n’ai rien fait du tout, madame Madeleine. Mais je peux vous aider à le retrouver si vous voulez.
— C’est ça, oui. Et pendant ce temps-là, vous en profiterez pour voler toutes mes affaires !
— Il n’y a rien qui m’intéresse chez vous, madame Madeleine.
— Bien. Dans ce cas-là, sortez de chez moi !
— Et votre chat ?
— Je vais le retrouver grâce à mon encyclopédie, affirma Madeleine.
— Euh, vous êtes sûre ?
— Pourquoi vous me demandez ça comme si j’étais folle ?
—C’est juste qu’en général, les chats, on les attire avec de la nourriture, pas des encyclopédies.
Madeleine détailla le jeune voisin, les lèvres pincées. Elle n’aimait vraiment pas son petit air condescendant.
— Comment vous vous appelez déjà ?
— Malik.
— Oui, oui. Vous vous croyez malin, Malik. On dirait mon fils. Mais ce n’est pas vous qui allez m’apprendre la vie !
Madeleine planta sa canne dans le dos du jeune homme et le poussa vers le coin cuisine.
— Tenez, regardez. Il n’a pas touché à son thon ni à son lait ! Alors ?
Malik réfléchit un instant, l’air hébété et ne sachant trop que faire. Lorsqu’il sortit son téléphone portable de sa poche, Madeleine brandit sa canne aussitôt.
— Qu’est-ce que vous faites ? Vous appelez vos copains cambrioleurs ?
— Non, non. Attendez. Ah !
Des miaulements s’élevèrent du téléphone. Sur l’écran, deux petits chatons jouaient à chat perché dans une vidéo mal cadrée.
— Je suis sûr qu’on va l’attirer avec ça, assura fièrement Malik.
Madeleine fit la moue, peu convaincue. Et en effet, lorsque la vidéo toucha à sa fin, le chaton n’avait toujours pas réapparu.
— Mince…Bon, on aura essayé. Vous avez vraiment cherché partout ?
— Ben puisque je vous le dis !
— Je vais jeter un nouveau coup d’œil, si vous le voulez bien ?
Madeleine hésita un instant. Bien qu’elle n’ait toujours pas totalement confiance en lui, Malik avait vraiment l’air de vouloir l’aider. Et puis, s’il avait voulu l’agresser, il l’aurait déjà fait.
— D’accord. Mais je vous préviens, si je vous vois mettre quoi que ce soit dans vos poches…, menaça-t-elle en brandissant sa canne. Et ne touchez pas à mon encyclopédie !
Malik acquiesça et fit rapidement le tour de la pièce. Malheureusement, il parvint à la même conclusion que Madeleine : le chaton était introuvable.
— Dites, pardonnez-moi si je me trompe mais… Le thon n’a pas été touché, le bol de lait est plein … Vous êtes sûre que vous n’avez pas tout imaginé ?
Madeleine en resta bouche bée, outrée. Comment osait-il insinuer ce qu’il était en train d’insinuer ? Elle n’était pas folle ! Elle avait recueilli ce chaton, l’avait réchauffé, lui avait servi à manger, l’avait caressé toute la journée et passé la soirée à lui raconter ses meilleures anecdotes. Elle n’avait pas pu l’imaginer. Sauf que… et si le jeune homme avait raison ? Et si elle était véritablement en train de perdre la tête ? Sa poitrine se serra.
— Ne vous inquiétez pas, madame Madeleine, on va arranger ça, la rassura Malik. Alors dites-moi, ça fait longtemps que vous habitez ici ? Moi je viens d’arriver, je ne connais pas encore tout le monde.
— Je n’ai pas trop le cœur à faire la conversation, mon petit.
— Même pas pour me parler de votre encyclopédie ?
— Vous avez de l’humour vous, répondit Madeleine en ne riant pas du tout. Bon, asseyez-vous, je vais vous préparer un thé.
Elle se dirigea vers le placard de la cuisine en prenant pleinement appui sur sa canne, soudain fatiguée. Elle attrapa sa théière et…
— Miaou !
Madeleine sourit, les yeux pétillants alors que deux petites oreilles noires surgissaient de la théière.
— Ha ! Je le savais bien que je n’avais rien imaginé ! triompha-t-elle en se retournant vers Malik.
Mais sa chaise était vide. Elle fronça les sourcils. Quel manque de manière de s’en aller ainsi avant d’avoir bu son thé ! Elle avança jusqu’à la porte d’entrée. Elle était verrouillée de l’intérieur. Ouf, pas de cambrioleurs !
— Miaou !
J'ai beaucoup aimé moi aussi ta nouvelle.
Selon moi, je pense aussi que le monsieur est la même personne que le chaton puisque celui ci a disparu quand elle a retrouvé le chat...
C'est une histoire trop mignonne et j'adore la personnage principale qui est drôle et très attachante !!!
Vous avez écrit une très jolie nouvelle que chacun peut selon moi interpréter à sa guise et selon sa sensibilité. pour moi, Le jeune homme n'existe pas, le chaton si.
J'ai bien aimé le personnage de Madeleine, la vieille dame qui vit seule et craint plus que tout les cambrioleurs. Le récit est à la fois tendre et drôle et respecte bien le thème du mystère.
Bravo.
J'avais aussi pensé que Malik et le chaton était la même personne. Après tout, il rentre chez Madeleine alors que c'est fermé à clé. Peut-être est-il venu pour égailler le quotidien d'une vieille femme ?
En tout cas, j'ai bien aimé la nouvelle toute douce, mais avec un sujet de fond sérieux : la solitude des personnes âgées.
Cette nouvelle m'a beaucoup plu ! J'adore le ton, ta plume est toute douce et énergique à la fois ! J'aime bien le fait qu'on découvre les choses petit à petit (notamment l'âge de Madeleine, que j'imaginais par défaut en femme de 30 ans pendant les premières lignes), la lubie de l'encyclopédie que tu as trop bien dosé et qui m'a fait sourire du début à la fin, et puis le mystère de cette histoire qui reste entier jusqu'à la fin tout en laissant des pistes d'interprétation . D'ailleurs tant que j'y suis je peux te partager la mienne haha : pour moi Malik et le chaton sont une seule et même entité puisqu'on ne les voit jamais ensemble, et c'est renforcé par le fait que Malik soit apparu dans l'appartement après la chute alors que la porte était fermée, et pareil quand il disparait. J'ai vu aussi dans les commentaires que des Plumes supposaient que les deux étaient imaginaires, j'avoue que c'est très plausible aussi, mais un peu moins fun pour le coup haha ^^
Merci pour ce bon moment !
On entre dans l’intimité et surtout dans la tête de Madeleine, avec sa solitude qui lui fait avoir peur des autres et rêver à d’autres, aussi, pour égayer son quotidien.
Une nouvelle où il faut se creuser un peu les méninges non ? :)
J'ai l'impression que ni le chaton, ni Malik n'est réel.
Je trouve que tu as créé un personnage de façon très efficace avec Madeleine. En quelques phrases, tu nous as fait un portrait d'elle, dans sa façon d'être, sa manière de parler, qui était extrêmement vivante !
Un très bon moment de lecture :).
A bientôt !
Ça me fait plaisir de te voir participer à ce concours, d'autant que ta nouvelle est vraiment réussie (et aussi trop choupie ^^) !
Comme d'autres plumes j'avais fait l'hypothèse assez tôt dans le récit que le chat et Malik puissent être la même personne mais il semblerait que ce soit finalement une solution "bonus" à laquelle tu n'avais pas forcément pensé ? Haha, ce serait vraiment marrant si c'était le cas ^^
En tout cas j'ai adoré ma lecture, c'est tout en finesse, très dynamique, très touchant, les personnages sonnent parfaitement justes, c'est une grande réussite !
Bravo ♥
Et c'est un plaisir de te voir de retour ici ^^
Très sympa ! Merci !
Le personnage de Madeleine est trop attendrissant même s'il semble qu'elle a complètement pété les plombs.
ça fait du bien de lire ce genre de nouvelles , ça nous sort de la grisaille ambiante et c'est original.
Bon week end!
Je suis contente que tu l'aies appréciée et qu'elle ait pu apporter un peu de gaieté dans ton weekend :)
Et j'ai été trompé par le titre, bien joué aussi.
La vieille me semble bonne pour l'hospice :D
Très original et bien écrit, bravo
A+
En effet, Madeleine est bonne pour la maison de retraite, à moins qu'elle n'y soit déjà ? ;)
L'histoire est très bien montée, jusqu'au détail de la porte qui est fermée à double tour, et qui fait se demander comment Malik est entré... Sans même se douter qu'il puisse être le fruit de l'imagination de Madeleine !
En bref, une nouvelle drôle et pleine de mystère, mon coup de coeur pour le moment 😉
Il m'a semblé voire une coquille : dépitée et essoufflé -> essoufflé ne prend pas un e pour l'accord de genre ?
C'est en effet dans les petits détails que le lecteur peut s'y retrouver sur ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, même si cela peut apparament être ambigüe pour certains.
Merci d'avoir relevé la coquille !
Voilà voilà, fallait que je le dise.
Bon, heureusement, le chaton est imaginaire, Malik aussi. Ou pas ? Une histoire qui reste mystérieuse et est amusante à lire, merci pour cette lecture :)
Et oui, pas de lait pour les chatons, il me semblait bien avoir lu ça quelque part justement. Mais puisque Madeleine n'avait pas son encyclopédie sous la main...
Le chaton et Malik sont-ils tous deux imaginaires ? Intéressant... ;)
Bref, c'était une très chouette lecture ! Et tu vas rire, avec le titre, je m'attendais à ce que le chaton ait embarqué genre la télé hahaha me demande pas comment
Je ne m'attendais pas à ce qu'autant de personnes trouvent la fin ambigüe. Mais finalement, j'aime bien l'idée qu'il puisse y avoir plusieurs hypothèses, même (et surtout) celles auxquelles je n'avais pas pensé.
Le chaton qui embarque la télé, ça pourrait faire une bonne suite, de quoi donner des sueurs froides à Madeleine !
Mélange d'absurde et de réalité, la petite grand mère toute seule et revêche pour laquelle chaque geste et chaque événement est une complication. Et ce chat qui joue à cache cache, c'est très amusant, de même que la grimpette pour aller chercher l'encyclopédie (risquer sa vie pour quelque chose d'insignifiant, une idée baroque !)
J'ai bien aimé le chaton dans la théière, c'est très mignon ... évidemment quand on aime les chats ...
Et j'ai eu l'impression qu'il y avait un jeu entre les apparitions du chat et celles de Malik, tous les deux ou un seul qui se métamorphose ? en tout cas quelqu'un pour sortir Madeleine de sa solitude.
Avec la petite dose d'humour ça passe très bien.
Tu est la deuxième personne à mentionner la possibilité d'une métamorphose entre Malik et le chaton. Je trouve cette idée fort intéressante !
Par contre, Madeleine n'apprécierait vraiment pas que tu traite son encyclopédie de chose insignifiante ;)
Voilà, voilà. Tout ça pour dire que j'ai beaucoup aimé ^^
"Est-ce Madeleine qui perd la tête ou est-ce le chat qui se transforme en Malik et Malik qui se transforme en chat? "
--> L'une des deux options ne m'avait même pas traversé l'esprit et je me rends compte maintenant de cette seconde possibilité ! Je ne gâcherai pas le mystère en précisant de laquelle je parle ... ;)
"Pourquoi Malik a une chemise blanche, d'ailleurs ?"
--> Tu es sur la bonne piste ! On peut tout à fait imaginer que Madeleine se trouve en maison de retraite, c'était d'ailleurs quelque chose que je pensais mettre plus en avant dans la "chute" mais qui finalement a été laissé de côté.
Merci encore pour ton retour !
Va falloir que je fasse lire ça à ma mamie, digne vieille dame à chats de son état et parfois aussi obstinée que Madeleine :D
Il faut savoir que Malik ne faisait même pas partie de l'histoire à la base, alors je suis contente que son personnage ait réussi à prendre forme et à ajouter quelque chose à l'intrigue.
Bien le bonjour à ta mamie si elle lit cette histoire :D
Le ton et les personnages sont sympas.
La magie de la chute aussi.
Ce qu'il manque serait de developper un paragraphe-intrigue pour justifier le titre.