Le dernier espoir

Notes de l’auteur : Bonjour ! Cette histoire est écrite selon différents points de vue, qui seront mentionnés à chaque fois.

MILA TORRES, 27 ans, Estepona en Espagne. 

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Il me rongeait de l'intérieur, se nourrissant de mon enveloppe charnelle et de mes rêves. Comment contrer la mort ? Comment me défaire de cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête ? La science m'aiderait-elle ? Ou devrais-je m'en remettre à l'espoir ? L'espoir de continuer à vivre et de donner un jour la vie à mon tour.

L'histoire se finissait rarement bien. J'en avais eu la preuve dans mon entourage. Le cancer gagnait la plupart du temps.

La voix de mon très cher époux m'extirpa de mes songes.

« Ma princesse, ce soir, je sors avec mes amis, d'accord ? Ne m'attends pas. Je ne sais pas à quelle heure je rentrerai. »

Il m'annonça son absence avec un petit sourire satisfait, laissant un baiser sur ma joue, et me serrant ensuite dans ses bras qui m'avaient un jour rassurée. Ces derniers mois, ils ne m'apaisaient plus. Bien au contraire, ses étreintes rimaient de plus en plus avec manipulation et amertume.

Ce jour-là, nous avions passé la journée dans les boutiques, à la recherche du parfait aspirateur, toujours trop cher pour Adam, mon mari depuis moins d'un an. Je travaillais, autrefois, dans un magasin de dessous féminins haut de gamme. Renvoyée - tel un vieux linge sale - de mon job de vendeuse, j'étais, par conséquent, sans emploi depuis peu.

On peut dire sur une échelle d'un à dix que ma vie à ce moment-là était plus proche du minimum que du maximum. C'est, à mon grand désarroi, l'homme dont j'étais la femme qui payait pratiquement tout, bien malgré moi.

— Bon amusement ! Quel privilège de m'avoir gratifié de ta présence ! Amuse-toi bien avec tes amis ! Pourquoi aurais-je donc envie de passer mon samedi soir avec mon mari ?

Ce n'était malheureusement pas la première fois qu'Adam m'annonçait à la dernière minute qu'il préférait faire la fête loin de moi, avec ses camarades. J'y étais habituée. J'étais le genre de femme docile et naïve, prête à tout pour assouvir les besoins de son jeune mari.

D'habitude, j'aurais simplement ravalé mes larmes et j'aurais attendu son départ pour sangloter en silence, comme s'il pouvait m'entendre malgré son absence. Mais cette fois-ci, je n'en pouvais plus, j'étais à bout.

Voyant mon manque de compréhension et l'impatience se dessiner sur mon visage, Adam m'agrippa par la taille et m'attira vers lui.

— Tu es heureuse d'avoir enfin un aspirateur, chérie ? m'avait-il alors demandé le regard enjôleur, changeant de sujet de conversation comme si de rien était.

Il avait cette manière pas très subtile de basculer d'une situation à une autre afin d'éviter les conflits. Mais pour qui me prenait-il ? Une minette écervelée qu'on paie à coup d'électroménager ?

— Ohhh merci beaucoup ! Quel prince ! Toute ma vie, j'ai rêvé d'avoir un aspirateur ! J'ai trouvé ce que j'allais faire de ma soirée ! Aspirer la maison en chantant siffler en travaillant à tue-tête !

Je m'étais alors éloignée de son étreinte. Adam me regardait d'un air stoïque tandis que je m'agitais toute seule. Je ne lui laissai pas le temps de rétorquer.

— Non, mais tu penses vraiment que m'acheter un aspirateur me rend la plus heureuse des femmes de la planète ? Me demander ça après m'avoir annoncé que tu ne passerais pas la soirée près de moi ? Une fois de plus... Tu n'es pas croyable, ma parole !

Ma voix était altérée par les sanglots qui débarquèrent sans prévenir et la colère qui bouillonnait en moi. Ce qu'Adam ignorait, c'est que le jour précédent, on m'avait annoncé un cancer du col de l'utérus. Je n'avais pas encore trouvé le moment propice pour le lui divulguer.

Depuis quelques mois, nous essayions d'avoir un enfant sans succès. J'étais alors allé voir mon gynécologue qui, après avoir procédé à tous les tests nécessaires, m'avait demandé par téléphone de me présenter à son cabinet.

Lorsque ces mots fatals franchirent ses lèvres, j'eus l'impression que tout tourna au ralenti autour de moi. Les paroles du médecin me semblèrent prononcées au loin et je mis un certain temps avant de réaliser ce qu'il se passait. Il évoqua la chimiothérapie et les premiers mots qui jaillirent de mes lèvres furent : « Je vais perdre mes cheveux ? »

Ne me demandez pas pourquoi j'ai posé cette question-là. Un tas d'interrogations se bousculaient dans ma tête, mais seulement cette dernière trouva son chemin dans le labyrinthe de mes pensées tortueuses. J'avais de magnifiques cheveux bouclés naturellement et très longs que beaucoup de mes connaissances féminines m'enviaient. Depuis, ils ont repoussé, mais beaucoup plus lisses.

Mais revenons à mon mari Adam, et à ce début de soirée, où j'allais lui avouer de manière brutale qu'on n'aurait probablement jamais d'enfants et, surtout, qu'il y avait des risques que je ne survive pas.

Adam regardait son téléphone portable - dont le vibreur faisait trembler la table - avec insistance, ce qui eut le don de m'agacer un peu plus. Je pris alors son moyen de communication avec ses amis avant qu'il n'eût le temps de s'en emparer. Je le jetai violemment contre le mur et hurlai :

— Va-t'en ! Je pourrais mourir que tu n'en aurais rien à faire ! D'ailleurs, à ce propos, tes désirs vont probablement se réaliser ! J'ai un putain de cancer !

Mon mari eut une réaction à laquelle je ne m'attendais pas. Il se leva calmement, agrippa alors mon téléphone, y composa un numéro et patienta jusqu'à ce qu'on lui réponde tout en ne m'adressant, à aucun moment, un regard ou un mot.

— Je ne vais pas pouvoir venir ce soir. Je vous rappellerai dans la semaine, prononça-t-il tranquillement avant de raccrocher et de laisser l'appareil sur la table où il l'avait précédemment trouvé.

Il se retourna enfin vers moi, m'adressa un regard plein de bienveillance et de compassion. Il me serra fort contre lui et un torrent de larmes m'envahit. Je ne saurais dire combien de temps nous sommes restés ainsi.

Notre soirée se déroula semblable à un enterrement précoce, dans la tristesse la plus profonde. Je me sentis presque coupable d'avoir gâché sa petite fiesta. Il a quand même fallu que je lui affirme que j'allais peut-être mourir pour qu'il daigne m'accorder son temps. Je n'avais pas encore rendu mon dernier souffle. Et après cette soirée de deuil, je comptais bien me battre corps et âme pour le prouver.

Si je suis restée avec Adam ? Non... J'aimerais vous dire que c'est mon cancer, les chimiothérapies, mes opérations et ce qui en découle qui ont eu raison de mon couple, mais notre mariage était déjà bel et bien compromis avant ce malheur. Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre, pas plus que nous étions prêts à élever un enfant ensemble, mais ça, je ne l'ai compris que bien plus tard. J'ignore ce que mon ex-mari est devenu et je ne veux pas le savoir.

Ce que je suis devenue moi ? Je cherche encore à le découvrir. Ce que je peux par contre affirmer, c'est que je ne suis plus la même. Ma vie a radicalement changé depuis que j'ai rencontré celui qui m'a tendu la main au moment où j'ai cru que j'allais vraiment y rester.

Le nom de mon sauveur est Alvez, docteur Alvez. Il est celui qui m'a proposé un nouveau traitement expérimental totalement gratuit si je voulais bien servir de cobaye. Mon cancer s'étant manifesté à nouveau, malgré les chimiothérapies et l'ablation partielle de mon appareil reproducteur, j'acceptai sans même prendre le temps de réfléchir. Après tout, je n'avais plus rien à perdre...

*

 

Ce matin-là, lorsque je pénétrai dans l'hôpital, un frisson me parcourut l'échine : et si le traitement me faisait plus de mal que de bien ? Et si ça ne fonctionnait pas ? Et si c'était pire que les étapes par lesquelles j'étais déjà passée ?

 

Un bref instant, j'hésitai à faire demi-tour et laisser faire la nature. Je refusais de passer à nouveau par le calvaire que furent les chimiothérapies et tout le reste. Je pris cependant mon courage à deux mains et me dirigeai vers le lieu de rendez-vous. Je voulais y croire. Je désirais vivre plus que tout.


Arrivée à bon port, je patientai dans la salle d'attente jusqu'à ce que le Dr Alvez m'appelle. Je m'installai dans le cabinet, en face du cancérologue de renom, qui m'adressa un regard rassurant.

— Bonjour, Mademoiselle Torres, comment allez-vous aujourd'hui ? Prête pour le traitement qui va probablement changer votre vie ?

Je le regardai d'une moue décidée et acquiesçai d'un signe de la tête. Il paraissait tellement sûr de lui que j'avais envie de lui rappeler qu'il s'agissait d'un traitement expérimental. Comment pouvait-il être aussi confiant alors que rien n'était certain concernant mon avenir ?

— Je vais bien et je suis prête. Quelles sont les chances pour que le traitement fonctionne ? Y a-t-il d'autres gens qui vont en bénéficier ?

— Comme je vous l'ai déjà dit, l'équipe de scientifiques derrière ce projet est incroyable. Ils sont reconnus mondialement pour leurs années de recherche contre de nombreuses pathologies en tout genre. Quelques personnes ont eu recours à un remède similaire, et de très bons résultats se sont avérés sur la plupart des patients atteints de maladies orphelines. Dans les grandes lignes, il s'agit du même traitement remanié à plus vaste échelle et qui se veut universel. Je ne peux rien vous promettre, mais s'il y a de l'espoir à avoir, c'est ici et maintenant. Ne laissez pas passer cette chance... Vous n'êtes pas la seule. D'autres personnes ont été contactées, mais vous êtes peu à côté de tous les gens qui n'en profiteront pas pour le moment; et surtout, si ce petit miracle fait ses preuves, il ne sera plus gratuit et risque de coûter cher.

Je faisais confiance au docteur Alvez qui m'avait suivie et aidée depuis le début, mais j'avais besoin d'être rassurée. Je lui rendis son sourire et me demandai un instant : pourquoi moi ? Pourquoi avais-je été choisie parmi tant de personnes malades dans le monde ? Mais mes interrogations furent interrompues par la voix du spécialiste.

— Si vous n'avez plus de questions, le moment est venu de procéder au traitement. Il s'agit simplement d'un vaccin administré via une seringue. Ce sera rapide et pratiquement indolore.

Ses mots me retirèrent une bonne partie de mon stress et de mes inquiétudes. À côté de ce que j'avais déjà subi, une petite piqûre n'était que pur plaisir. On verrait par la suite pour les effets secondaires.

Je vivais au jour le jour depuis l'annonce de mon cancer. Il m'invita à le suivre, ce que je fis d'un pas résolu. Je m'installai sur le lit d'hôpital tandis que le docteur préparait le vaccin. Je l'observai s'approcher de moi, seringue remplie d'un liquide translucide orangé et lui offris mon bras.

Mon dernier espoir se trouvait-il dans ce tube ?

Ma couleur préférée étant l'orange, je choisis d'y voir un présage de bon augure tandis que le docteur m'administrait le remède consciencieusement. Je ressentis un léger picotement lorsqu'il injecta le produit, mais rien de bien douloureux.

Une fois tout terminé, Alvez me raccompagna jusqu'à la porte, toujours aussi souriant et confiant.

— Et voilà ! On se reverra dans un mois pour vérifier si le traitement a eu l'effet escompté. N'hésitez pas à revenir ou à me téléphoner si vous avez des questions ou des effets secondaires indésirables. Passez une agréable journée !

Il me serra la main fermement.

— Merci beaucoup, au revoir ! lui répondis-je avant de sortir.

Arpentant les couloirs de l'hôpital, pressée de retrouver mon petit cocon et de m'évader de ce lieu empli de mauvais souvenirs, mon attention fut portée un moment sur ce qui sembla être un couple en train de se disputer.

De dos, l'homme aux cheveux sombres restait calme tandis que la femme, une infirmière à la crinière dorée, s'agitait devant lui en s'énervant. Tout se déroula très vite. La belle blonde frappa violemment l'Apollon au visage avant de disparaître dans le long couloir.

Je continuai mon chemin, regardant le sol, passant à côté de l'homme en question qui se retournait juste à ce moment-là, me bousculant légèrement. J'entendis son « pardon », mais ne réagit pas, perdue dans mes pensées. Cette scène m'avait rappelé mes disputes avec Adam et j'avais continué à marcher d'un pas rapide jusqu'à la sortie, tel un automate.

Je ne savais pas que cet inconnu qui m'avait effleurée ce jour-là allait réapparaître dans ma vie quelques semaines plus tard. J'ignorais la place importante qu'il allait avoir dans mon cœur dans un futur proche.

Le destin existe-t-il réellement ? Pouvons-nous parler de fatalité ? Désormais, je ne crois plus vraiment aux coïncidences. Et vous ? N'avez-vous jamais été confronté à des situations similaires, vous faisant douter du rationnel, de la science, de ce qu'on nous a toujours inculqué ?

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Amine_Aouragh
Posté le 05/07/2020
"comme si de rien n'était" au lieu de "comme si de rien était". A part ça, ce chapitre est un sans-faute.
Tu es parvenue à nous présenter une tranche de vie et un drame familial d'une manière qui est assez magnifique. C'est très réaliste. Bonne continuation.
Insanessa
Posté le 05/07/2020
Un grand merci à toi, ça me fait extrêmement plaisir !
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