Le romantisme de la vampiresse

8 juin 2013

La nuit tombe. Nascana ouvre les yeux ainsi que son lit-cercueil. En se regardant dans le miroir, elle ne peut que constater que son teint blafard et ses énormes cernes lui vont encore à ravir.

— Vampire ! Vampiresse ! Raaaaah !

Comme tous les soirs, la créature allume la télévision de son salon. Le temps de se désaltérer à l'hémoglobine devant les programmes de nuit. Cette nuit, ce sera dégustation de A positif devant une telenovela. Alors que Lucinda se rend compte qu'elle aime profondément le frère de son mari Arturo, Nascana sort d'un de ces tiroirs une petite paille qu'elle enfonce dans la poche de sang. C'était pratique de subtiliser les réserves de l'hôpital d'à-côté.

— Le goût exquis de ce sang savoureux me ravit les papilles. Miam !

Se parler à elle-même l'empêche de se sentir seule. Sinon, elle s'adresse à son écran de télévision. Là, elle n'a pas envie de parler à Francesca qui vient de révéler à Eduardo qu'il a failli épouser sa sœur jumelle, Maria, qui avait pris sa place pendant ces derniers mois. Entre deux gorgées d'hémoglobine, Nascana comprend que Francesca a été contrainte de tuer sa sœur jumelle afin de récupérer sa propre vie.

— Ce A+ est délicieux. Il faut vraiment que j'en reprenne de celui-là, la prochaine fois.

Au moment où Ana s'apprête à révéler à Julio que leur fils de deux ans est en fait de fils d'Eduardo, le père de Julio, la télévision de Nascana grésille. L'écran devient noir. La vampiresse n'a pas eu l'occasion de voir la tête de Julio se décomposer suite à l'annonce à venir qui allait bouleverser tout le cours de sa vie. Elle attend ce moment depuis des mois... Folle de rage, elle presse la poche de sang jusqu'à l'épuisement. Tout le liquide se déverse dans sa bouche grande ouverte.

— Vraiment trop bon, ce sang !

Elle se déplace à la vitesse de l'éclair pour jeter la poche vide à la poubelle. Au passage, elle renverse tout son courrier. Uniquement des lettres provenant d'un asile psychiatrique. Elle n'y prête pas attention et file dans son jardin. Ou plutôt, dans son cimetière. Le jardin est rempli de pierres tombales. Au-dessus de la crypte familiale se trouve l'antenne de la télévision. Elle la déplace légèrement. Un coup vers la droite. Puis, un peu plus sur la gauche. En modifiant un peu l'inclinaison. Normalement, cela devrait suffire pour capter à nouveau la télévision.

En effet, l'image est nette. Sauf que le générique de fin de la telenovela retentit. Maintenant, il lui faut attendre la nuit du lendemain pour connaître la suite. Après avoir expulsé toute la rage coincée dans ses poumons, Nascana revient au jardin-cimetière. Elle s'attarde sur plusieurs tombes qu'elle rencontre sur son chemin. Des tombes bordés par des plants de laurier rose. Dans ces tombes, des hommes pour la plupart. D'anciens amants, en majorité. Sinon, des criminels cherchant à l'agresser dans son manoir. Des pervers cherchant à avoir une liaison torride dans un décor de cimetière. Bref... Que des gens qui ont bien cherché ce qui leur est arrivé.

Une sonnerie retentit. Qui peut bien donc sonner à sa porte à cette heure-ci ? Ou sonner tout court ?

— Encore vous ? s'exclame-t-elle, furieuse.

Monsieur Dé se tient sur le pas de la porte, en compagnie d'un petit homme roux et barbu.

— Je viens voir si je peux acheter votre manoir. C'est qu'il m'intéresse beaucoup... J'ai déjà trouvé mon architecte pour rénover un peu les lieux.

— Avec tout le respect que je vous dois, architecte ou pas, vous ne rénoverez rien du tout. C'est chez moi ici et cela le restera longtemps. Je serai chez moi jusqu'à la fin des temps !

Nascana leur claque la porte au nez non sans émettre un de ses rires sataniques. Certaines personnes ne manquent pas d'air... Elle en ignore la raison mais elle se trouve assez aimable avec ce Monsieur Dé. Lors de sa prochaine visite, elle se jure de le tuer sur-le-champ et de l'enterrer dans son cimetière privé.

La chaîne de télévision sur laquelle est diffusée sa telenovela vient d'annoncer que le dernier épisode est disponible en replay. Dans son réfrigérateur, elle extirpe une poche de O négatif, prend une nouvelle paille et s'installe confortablement. Prête à oublier les désagréments de sa nuit-journée. Prête à oublier les délires de ce Monsieur Dé qui la harcelait. Et ce, juste le temps d'un épisode.