La vie d’Abiageal suivait son cours gris ainsi, sous les nuages et la lune. Quand le travail au champ devenait trop difficile, elle s’enfuyait sur la montagne. Abandonnant même son travail pour marcher au milieu des arbres, quel qu’en soit le temps. Respirer dans la forêt lui permettait de survivre sous la pluie morne et sur la boue puante. Le gris du ciel et les orages noirs ne pouvaient jamais délaver la couleur vivifiante du vert des arbres. Même en hiver, il ne neigeait pas ; la petite fille réparait les clôtures en chantant, son regard enflammé visant au loin. Et le chien des orages, invisible créature qui guidait les nuits noires, restait une créature de légende qu’elle ne voyait jamais malgré tout. Peu importe son existence ; les journées pluvieuses n’empêchaient pas les paysans d’avoir du travail. Seuls les forts orages, n’arrivant généralement que la nuit, pouvaient empêcher les adultes de sortir, craignant le froid et la mort. Mais même sous les éclairs blancs, Abiageal ne craignait pas le grand chien de montagnes. N’hésitant pas à vagabonder si elle en ressentait l’envie, presque protégée par les grandes cimes des arbres, elle jetait néanmoins des coups d’œil attentifs sur les cotés, au cas où un grognement canin l’arrêterait.
Le visage trempé, les mains et les genoux noirs de boue, la petite fille creusait pour déterrer les patates de son père. Le travail était trop difficile pour se permettre de chanter ; il avait eu une grosse nuit d’orage la veille, mais il était encore possible ce jour là de travailler malgré la pluie qui tombait à grosses gouttes sur la tête de tout le monde. Les vêtements d’Abbie avaient beau être solides et épais, cousus par sa mère, ils prenaient quand même l’eau. Les mains de la petite fille tremblaient, les doigts perdus dans la terre froide, à chercher les pommes de terres qu’on lui avait ordonné de mettre dans un panier qui se remplissait d’eau.
« Fais pas ta chochotte comme ça ! Lui cria son père. Au moins, tu n’auras pas besoin de les laver !
– Je vais plus vite que toi, d’abord ! »
Son père ne prit pas la peine de répondre. Malgré ses tentatives de paraître fort pour les femmes de la maison, elle savait qu’il fatiguait. L’avouer serait humiliant, et il devait jeter l’humiliation ailleurs. Si Abbie travailla dans la douleur toute la matinée, quand l’après-midi arriva avec autant d’eau, elle tenta de protester :
« Papa, c’est bon, on récupérera le reste demain ! C’est trop dur, là ! »
Pour toute réponse, la petite fille prit un revers de la main de son père dans le visage. Les mains de paysans étaient dures ; Abbie tomba a terre, la lèvre ouverte.
« Tu ne vas pas m’apprendre mon métier ! Si je te dis qu’on va travailler, tu n’as pas à protester ! »
Abbie senti des larmes de douleur monter dans ses yeux. Mais son visage était si trempé qu’il était impossible de les distinguer du reste de l’eau qui tombait.
« Et bien, puisque c’est comme ça, débrouille toi tout seul ! »
Il tenta bien de la rattraper, mais elle lui glissa des mains. Elle s’enfuit en courant, sans même qu’il puise la rattraper. Abbie savait rebondir sur la terre mouillée, et courrait plus vite que n’importe qui. Mais son cœur, pourtant, ne rêvait que de s’enfoncer dans les entrailles des racines, aux cotés des pommes de terre. S’immobilisant pour un dernier sommeil, protégé par des racines, il pourrait alors se reposer de tous ces rêves épuisants et impossible. Car Malgré tout ce temps à rêver, imaginer sur la cime des arbres, jamais rien ne changeait. Abbie était toujours sur les champs comme un oiseau en cage, et aucune porte ne semblait s’ouvrir.
Il avait tellement plu que même le sol de la montagne était boueux. Mais elle n’avait pas envie de s’en soucier. Frottant sa joue de sa main, elle vit sur ses doigts son sang se diluer avec l’eau. Sa lèvre s’était ouverte sur le coup. Sa douleur se mêla à une colère sourde, une colère désespérée. Frappant un arbre de son petit poing mouillée, elle cria.
« Alors, le chien, où est-ce que tu es ? Tu n’es pas capable d’emporter une petite fille ?! Tu ne vaux rien, en grand méchant loup ! »
Et bien que ce ne fut pas dans ces habitudes, elle couru entre les arbres. Elle voulait sentir son corps s’agiter, se dépenser. Elle voulait se mener au bord de l’explosion. Abbie s’enfonça alors dans des recoins encore inexplorés de la montagne. Profiter d’un calme ne l’intéressait plus ; c’était comme si elle fuyait les champs. Le bruit de l’orage répondit aux battements de son cœur, le son grave résonnant dans sa cage thoracique. Ses jambes lui brûlaient, perdaient en force, comme si une eau empoisonnée coulait dans ses veines. Elle allait s’arrêter quand elle poussa un cri ; son pied venait de perdre l’équilibre.
Abbie de venait tomber à terre, en plein milieu de la forêt. Ses longs cheveux bruns étaient couvert de boue et elle se sentait honteuse. Mais elle ne s’était pas fait mal. Elle resta à terre, avec l’épuisement à la gorge et l’envie de pleurer dans son ventre. Elle s’assit en s’appuyant le dos contre un tronc d’arbre. Toute envie de bouger l’avait quitté. Elle se sentait capable de se laisser mourir sans bouger pendant plusieurs jours. De toute façon, qui l’aurait cherché ? Prenant les cailloux qui traînaient près d’elle, elle les lança dans un geste mécanique de dépit. Elle regardait avec ennui les rebonds des petites pierre sur le sol, avant de se figer et de s’enfoncer dans la boue. Elle se demandait même si il était possible qu’elle aussi, puisse s’enfoncer dans la terre de la même manière. Quand un grognement sourd la fit sortir de sa torpeur.
Abbie tourna lentement la tête. Mais ce qu’elle vit fit paniquer son cœur. Elle avait déjà vu nombres de bêtes dans les montagnes, et avait appris à les rencontrer sans crainte. Mais celle qui lui faisait face ce jour là, elle ne l’avait jamais vue, malgré toutes ses escapades. Et bien qu’elle n’avait pas peur de l’inconnu, ce qu’il lui sembla reconnaître la figea de terreur. Car c’était un immense chien qui lui faisait face, les oreilles tombantes, les babines retroussées. Il n’aboyait pas, mais ses grognements menaçant à son encontre laissait supposer. Ce ne pouvait être un chien errant ; musclé, bien nourri, c’était le genre d’animaux sauvage, qui savaient pleinement chasser pour survivre. Mais ce n’était pas un loup ; il était bien plus gros qu’un loup commun, faisant presque la taille de l’enfant qui lui faisait face. Ses oreilles étaient tombantes, comme pour les chiens domestiques, que l’on pouvait voir dans le village. Mais surtout son pelage était d’un blanc éblouissant, un blanc immaculé, qui n’était même pas tâché par la terre grasse et sombre de la forêt. Et ses yeux jaunes d’or, brillant comme des éclairs, semblaient menacer la petite fille.
Abbie, choquée, se releva lentement. Mais le chien se fit davantage menaçant. Son corps entier sembla se préparer à bondir, comme pour la dévorer. La petite fille n’arrivait plus à penser, à ses provocations, toutes ses remarques sur le chien chimère des montagnes. Elle tenta de reculer lentement. Son pied se posa quelques pas en arrière. Un caillou s’échappa, dégringolant en un léger bruit. Le chien sauta en aboyant. Abbie prit la fuite.
Sa course n’avait plus rien à voir. Tout semblait hurler autour d’elle, comme si toute la forêt lui criait de disparaître ; le chien à ses talons, elle n’osait pas regarder en arrière. Elle ne ressentait plus aucune fatigue, aucun poisson. Elle dévalait la montagne comme si des ailes lui avaient poussé dans le dos. Les cris du chien résonnaient dans la montagne, dans ses oreilles. Elle courrait si vite qu’elle se griffa sur nombre de ronces et branches qui étaient sur son passage. Alors qu’elle redescendait, persuadée qu’elle mourrait avant d’atteindre le village, elle fini là encore par glisser et perdre l’équilibre. Elle cria alors; elle continua de dévaler la pente, roulant comme un petit caillou sur la terre mouillée. Elle crut mourir alors à cet instant ; tout contrôle sur son corps avait désormais disparu.
Mais il fini bien par s’arrêter de lui-même. Elle était désormais tout juste sortie de la montagne, à la lisière du bois. Elle attendit, figée au sol, que le chien la dévore sur place. Mais il n’en fit rien ; seule la pluie frôla sa peau collée au sol. Les grognements et les aboiements avaient cessés. Mais la petite fille, figée de terreur, n’osa pas bouger, comme si le moindre tremblement allait rappeler le chien sauvage sur elle. Après une éternité à n’entendre que le tambourinement de la pluie et les battements paniqués de son cœur qui hurlait à l’aide, Abbie , transie de froid, ne put s’empêcher d’éternuer. Paniquée, elle se redressa aussitôt. Mais aucun chien ne lui sauta dessus. Avec un soupir de soulagement, elle regarda le chemin dont elle venait de chuter. Son soupir se coupa net ; le chien blanc l’observait, en hauteur. Bien qu’elle se releva d’un bond, prête a courir, l’animal ne sembla pas vouloir continuer la course poursuite. Assis tranquillement, comme les bons chiens de ferme qu’elle pouvait voir de temps en temps, il ne semblait désormais nullement agressif. Sa beauté blanche lui coupa le souffle ; même de loin, ses yeux jaunes brillaient avec un éclat qui, une fois la peur passée, semblait bien plus éblouissant qu’effrayant. Ce chien, aussi gros pouvait-il être, était d’une splendeur à couper le souffle.
Ils se fixèrent longtemps, les yeux dans les yeux. Abbie avait l’impression de rêver. Mais la douleur qui parcourait tout son corps lui assurait que ce n’était pas un rêve. Puis, lentement, le chien blanc se redressa et s’éloigna dans la forêt. La petite fille manqua de s’effondrer de nouveau sur elle-même, ses jambes la portant a peine. Le chien sauvage était parti, et maintenant que sa beauté envoûtante s’en était allée, il lui semblait presque qu’il n’avait pu exister. Abbie resta un long moment, immobile sous la pluie, a regarder l’endroit où le chien plus tôt l’avait observé, espérant presque qu’il revienne. Mais le chien blanc avait disparu. Et Abbie fini bien par faire demi tour, boitillant, se battant contre son corps endolori.
« Abiageal ! Qu’as-tu fais ! »
A cette heure ci de la journée, son père travaillait encore dans les champs. Sa mère avait l’air d’avoir effectué une pause nettoyage de la maison et de la cuisine. Fatiguée, la petite fille répondit :
« J’ai trébuché.
– Tu es couverte de boue ! Et ton père t’as cherché de partout. Il va être furieux contre toi si tu continues à te comporter de cette manière !
– Alors, qu’il le soit. Je vais me changer, maman. »
Mais au moment de monter l’escalier qui donnait accès à sa chambre, elle ne put retenir un léger gémissement de douleur. Sa cheville lui faisait plus mal que ce qu’elle pensait.
« Qu’est-ce que tu t’es fait, Abbie ?
– Rien, j’ai trébuché, je te dis !
– Tu n’as pas intérêt à t’être fait trop mal ! On a besoin de toi pour…
– Je retournerai aux champs demain, maman, lâche moi !
– Ton comportement n’est pas digne d’une bonne fille, Abiageal !
– C’est ça, bonne nuit ! »
Abbie claqua la porte de sa chambre. Elle se changea et se lava autant qu’elle le pouvait, avant d’aller se coucher dans son lit, se cachant dans la couverture. Sa mère irait sûrement voir le curé du village pour parler d’elle dès le lendemain. Elle n’avait pas envie de s’en soucier. Ne pensant qu’à la rencontre extra ordinaire qu’elle venait de faire, elle s’endormit avec en tête les yeux d’or du chien des orages.
Le lendemain, sa cheville avait enflée. Mais elle n’en parla pas à son père, reprenant le travail dans les champs comme si de rien n’était. Pendant plusieurs jours, elle ne retourna pas dans les montagnes, au grand étonnement de certains curieux du village. Restant à travailler sans faire d’histoire, elle avait également cessé de jeter un regard de dédain à toute personne parlant du chien des orages. Silencieuse, réservée, elle devenait enfin ce que ses parents n’osaient plus rêver.
Cela ne dura que quelques jours, des jours où Abbie goûtait au bonheur de ne pas se faire remarquer,glissant sur les nuages gris. Elle chantait toujours autant, mais son père avait appris à apprécier sa voix douce et résonnante. Parfois, elle regardait les montagnes, l’espace d’une seconde ; et bien qu’il lui semblait encore être appelée par elle, la douleur à sa cheville lui rappelait la peur profonde que lui inspirait désormais les bois. Il n’y avait plus besoin que son père la rappelle à l’ordre : elle détournait les yeux et retournait à la terre. Au fond de son cœur, une résignation s’était installée. Plus besoin de rêver de la ville, d’étoile-public et de lune-projecteur, quand tous ces rêves sont impossibles. C’était comme si le chien des orages l’avait guidé à la raison. Mais cette morne existence réaliste et uniforme lui donnait l’impression de disparaître.
tu es une bonne conteuse. Il y a tout ici pour faire un chouette bouquin.
Des questions cependant pourquoi elle ne 'enfuit pas une fois pour toute.
Ou alors expliques qu'elle voudrait partir mais ne le peux pas (trop jeune, peur d'être seule,c'est dur de quitter ses parents°
et puis le chien il est gentil ou méchant?
On ne comprend pas vraiement...
Continue c'est un bon texte!
ça me semblait évident qu'Abbie était trop jeune pour s'enfuir comme ça, et même si elle en rêve, ça lui parait inconcevable. Mais je peux rectifier ça ^^
c'est une histoire que j'ai du mal à écrire et que je dois reprendre de toute manière (c'est pour me motiver que j'ai mis le début sur plume d'argent) Donc, c'est pas celle dont je suis le plus fier au niveau de la forme (je suis pas satisfait du tout), mais effectivement, je pense que l'histoire mérite d'être racontée donc quand je pourrai je reprendrai ça correctement
(je suis un homme ^^)