Lundi matin
Dans un petit bistrot, « L’Estaminet », rue du Dauphin à Lyon. Tables de marbre blanc, simples. Émile le barman va d’un client à l’autre, attentif. La radio, en sourdine, diffuse des chansonnettes anciennes. Yves Duteil chante « Mélancolie ».
Lui
Sur le coin de sa table usée par le temps, son double café fume. Il rêve en écrivant quelques mots sur son carnet en moleskine noire. Un début de poème flotte sous sa plume :
- Quand dans mes bras tu viens
- Là contre moi blottie,
- Toi la douce et tendre…
Il soupire au temps qui passe, il regarde l’horloge au mur, il n’a pas de rendez-vous, mais a conscience du temps qui file, inutile.
Elle
Une mèche, lui tombe sur le front, elle entre dans le bistrot. Au passage du bar, elle commande un café, un peu allongé. Elle pose son sac sur la table à côté de lui, s’assoit. Elle tourne les pages d’une revue laissée là, machinalement, sans lire. Sa tête tourne un peu. Son regard se pose, par hasard, sur son voisin, revient à la revue. Il ne l’a pas vue. Elle porte la tasse à ses lèvres, le café est trop chaud. Attendre.
Lui
La vibration vient de la table d’à côté. Il prend conscience d’une présence. Un espace occupé. Une odeur douce de fruit. Il tourne à peine le regard. Mouvement immobile de la tête. Un mot se pose sur son esprit ; elle est attrayante. Pourquoi ce mot, il ne le sait pas. Peut-être par son élégance. Celle de ses vêtements, simples. Aussi celle des gestes qui touchent la revue, de son regard qui oscille dans les hésitations de sa pensée.
Il vit mal sa solitude, une phrase, banale vient, s’échappe de ses lèvres :
- Vous aimez le café du matin ?
Elle
La surprise fait frissonner son dos. Sa tête tourne, son visage reste neutre. Mais ses yeux l’on vu, une vibration sympathique s’installe sur ses tempes. Il est séduisant malgré son âge et ses cheveux blancs. Des sillons sur son visage marquent ses expériences. Elle ne se sent pas obligée de répondre à la question, mais une réponse également banale arrive portée par un sourire. Sourire calme, simple qui passe sur le visage, son regard et ses lèvres en sont le reflet.
- Oui, il m’aide à passer la dernière porte du réveil.
Lui
Sa tête repose dans sa main, le coude en appui sur la table, manifeste une attention excessive à la réponse. Il entend, il écoute, seul son regard réagit, il la regarde. Seul un sourire tendre, un peu fatigué donne de la lumière à son visage.
Elle
Sa phrase a filé, elle le regarde, elle voit ses yeux, au fond, elle aperçoit son esprit. Elle y observe une sincérité forte. Elle regarde ses épaules, il est solide et il doit être bon de s’appuyer dessus.
Elle ne parle pas, et dans le silence seuls les regards se parlent, envisagent, projettent.
Lui
Ses lèvres bougent, leur mouvement, anticipe le son. Un murmure.
- Je vous attendais, merci d’être venue.
Elle
Mais que dites-vous ? Je ne suis venue ici que pour prendre un café.
Lui
Non, vous êtes venue à ma rencontre.
Elle
Nous ne nous connaissons pas, nous ne nous sommes jamais rencontrés.
Lui
Et alors !
Elle
Mais… Excusez-moi, il faut que j’aille à mon travail…
Lui
Alors, je vous souhaite une belle journée, à demain.
Elle
À demain ?
Lui
Oui, à demain matin, ici.
Elle
Vous êtes fou, ce n’est pas possible.
Lui
À demain.
Elle passe au bar pour régler son café, elle sent le regard sur ses épaules et sur ses hanches. Elle passe la porte, seuls ses cils font un signe d’au revoir. Lui se tasse sur la banquette, un sourire simple sur son visage pas même conquérant.
Mardi matin
Dans le bistrot, une odeur de propre du matin voisine avec celle des cafés. Émile le gérant arbore un magnifique tablier noir neuf dont la broderie rouge vante les mérites du beaujolais nouveau. Le ciel au-dessus de la rue étroite reste gris, un peu tristounet.
Elle
Un mouvement de la tête pour avoir une vision panoramique du bar, il n’est pas là. La table où l’homme a ses habitudes est inoccupée. Sans réfléchir, elle s’y installe. Elle perçoit l'absence comme une tristesse qui l’envahit. Elle se sent stupide, adolescente stupide. Elle si fière de son indépendance, de son autonomie. Elle a brusquement le sentiment d’avoir répondu à une convocation, cela n’est pas possible, ce n’est pas vrai, pas elle ! Elle est furieuse, elle espère.
Lui
Son pas rapide marque le tempo caractéristique d’un régiment qui remonterait la rue. Plusieurs mètres en avance, sa main se tend, s’étend pour attraper la poignée. La porte est poussée fermement avec douceur. Il la voit, à sa propre place, un sourire explose sur son visage.
Elle
Un sourire aquarelle son visage, elle le regarde s’installer à la table qu’elle occupait hier. Elle le regarde franchement comme une gageure alors qu’ils n’ont dit aucun mot. Elle regarde, observe ses gestes pour ôter sa veste, son écharpe, les poser soigneusement sur la patère, son cartable posé en diagonale sur la table.
Lui
Grand sourire rieur lorsqu’il s’assoit. Il lance d’une voix forte sa commande : Un grand café s’il vous plait Émile. Il tourne la tête et la regarde dans les yeux, cherche le partage de la volonté d’être là. Il tend la main pour saisir la main de la table voisine. Cette main se retire.
Merci d’être venue.
Elle
Mais, monsieur, je ne suis pas venue, juste passé par habitude.
Lui
Non, nous avions rendez-vous.
Elle
Absolument pas !
Lui
Bien sûr que si !
Elle
Vous alors !
Lui
Donnez-moi votre main s’il vous plait.
Sans attendre de réponse, il lui prend la main qui n’offre pas de résistance et qui se fait docile dans le creux de la sienne.
Elle
Elle ressent être protégée par la douceur, la chaleur du contact. Elle se sent folle. Elle pense à ses amis qui seraient étonnés s’ils la voyaient. Elle s’en fout.
Elle le regarde, ses yeux apparaissent fatigués.
Pardonnez-moi, il ne faut pas…
Lui
Il serre sa main pour retenir celle qu’il a comme un cadeau. Il ne veut pas qu’elle s’échappe. En la retenant, il veut maintenir l’instant, arrêter le temps.
Vous n’êtes pas folle, vous êtes belle, belle dans l’intérieur de votre être. Je ne vous connais pas, mais je le sens. Je le perçois dans ma certitude.
Elle
Reste dans son silence, attentive, prisonnière consentante. Ses yeux se posent sur les mains. Magma de vie et de sensibilité tactile. Un soupir discret s’échappe de sa gorge.
Lui
Allons marcher.
Il règle le café en laissant quelques pièces sur la table. Il lui tend la main.
Elle
Elle le regarde comme effrayée, puis son regard s’apaise, elle hésite, elle se lève. Elle voit ses jambes se déplier pour créer le mouvement, elle est étonnée.
Lui
Passe la porte, tend sa main pour accueillir la main fine qui vient à sa rencontre. Il sent le regard du barman amusé, peut-être envieux. Il serre la main qui se pose dans la sienne.
Elle
Elle ajuste son pas sur le sien, lent, un pas de promenade. Elle sent la main qui se pose sur son épaule. Chaleur. Elle sent la main qui la tire, l’attire vers lui, elle accepte le mouvement, sa tête chute vers le creux de l’épaule, se cale ici, elle est bien.
Lui
Son bras maintient le contact, ferme, mais sans force, il se tourne, pose un léger baiser sur le duvet de la joue. Il aperçoit juste un coin de l’œil qui brille. Une esquisse de larme ? Sa voix se fait basse douce :
- C’est vrai, je t’attendais, je savais que tu viendrais. Je ne savais pas qui tu étais, comment tu étais, mais je t’attendais. Mon cœur, mon esprit, mon corps, tout en moi t’attendait, tu es là, je suis là, nous sommes vivants.
Elle
Il y a trois nuits, j’ai rêvé. Je ne me souviens que rarement de mes rêves. Celui-là si. Je me souviens plus du visage ; sans doute le tien. Enfin, peut-être, peu importe. Un homme élégant devait me prendre la main et m’emmener. Tu l’as fait, c’est bien.
Lui
Élégant - Merci. Moi aussi j’aime comme tu es. Ton allure. Le choix précis de tes vêtements. J’aime ton visage et dans ton visage, ton regard. Il me donne une émotion juvénile. Il y a tant de messages dans ton regard ! Tu ne sais pas trahir.
Elle
Mais comment peux-tu dire cela ? Nous n’avons que quelques minutes en commun, à peine une heure.
Lui
Faut-il rester une heure devant un tableau de Renoir pour en percevoir la beauté, la douceur, l’humanité ?
Faut-il rester une heure devant une œuvre de Camille Claudel pour ressentir l’envie de lui prendre la main, de la caresser, de l’aimer ?
Elle
Tu es fou, me comparer aux œuvres de Camille Claudel, de Renoir, c’est de la folie.
Lui
Toi aussi tu m’as dit que tu étais folle, cheminons ensemble vers les chemins de la sagesse folle. Rêvons ensemble, mais crois-moi, je suis convaincu de la validité de mes comparaisons.
Elle
Ma tête est bien sur ton épaule qui est solide. Cela me fait du bien de la poser. Hélas, j’arrive devant mon bureau, je dois te quitter.
Lui
Quittons-nous dans le bonheur, je veux te voir sourire en me quittant. Notre sourire sera le bonheur fébrile de l’attente.
Elle
Merci pour ta main. À demain ?
Lui
Bien sûr, à demain.
Il se penche vers elle et le baiser qu’il pose sur sa joue, glisse sur la commissure des lèvres, juste pour connaitre le goût de sa bouche.
Mercredi matin
Elle
Elle tend la main vers la large poignée de la porte du bistrot. Un bras la contourne, une main se pose sur la sienne.
- Je ne t’ai pas entendu, mais j’ai senti ta présence. J’ai senti l’énergie que ton corps dégage se confondre avec la mienne. Viens entrons.
Lui
Entrons. Je suis heureux que nous soyons ensemble, au même moment à notre rendez-vous. Puis-je t’embrasser ?
Derrière la porte à peine fermée du bistrot, ils s’enlacent, les bras de l’un serrent le torse de l’autre dans une symétrie parfaite. Émile les regarde, amusé, ému. Il se jure de mettre, un jour, un panneau sur la porte avec la mention : « Ici, il y a eu un miracle ! ».
Lui
Viens à côté de moi, je veux ressentir ta présence. Émile, deux thés citron s’il vous plait !
Elle
Aujourd’hui, nous n’avons besoin que d’une seule table. Il fait chaud auprès de toi. Serre ton bras sur mon épaule, protège-moi, j’ai peur.
Lui
Tu as peur ? Quel est ton agresseur, qui t’effraie ainsi ?
Elle
La vie. Pardonne-moi, j’ai de la difficulté à croire à la vérité de ce que nous vivons.
Lui
Moi aussi, j’ai cette sensation. Pose ta main sur la mienne. Oui, là, maintenant pince la peau.
Elle
Comme ça ?
Lui
Aïe ! Oui, tu existes vraiment. J’existe vraiment, nous existons ensemble.
Elle
Oui, rassure-toi, nous existons. - Merci, Émile, votre café sent bon ! – On trinque ?
Comme lui, elle lève sa tasse, un petit choc qui tinte comme deux coupes de champagne.
Qu’est-ce qui est en train de naître ? À quoi trinquons-nous ?
Lui
À l’amour.
Elle
Chut ! N’emploie pas ce mot là, c’est trop tôt !
Lui
D’accord, j’attendrai demain !
Éclat de rire réciproque pendant qu’ils avalent la première gorgée de thé. Derrière, le bruit des rires, un silence tendre s’installe. Émile, écoute discrètement avec eux ce silence. Fier que son petit bistrot soit un écrin pour ces amoureux de la vie.
Lui
Je voudrais savoir…
Elle
Que veux-tu savoir…
Lui
J’hésite, je ne voudrais pas… Je ne voudrais pas être indiscret…
Elle
Tu sais, je suis capable de ne pas répondre. Tu veux savoir qui je suis, ce que je suis.
Lui
Oui !
Elle
Moi aussi, j’ai besoin de savoir, de connaitre qui tu es. Mais toi aussi tu peux avoir ton jardin bien à toi.
Pendant un moment, les mots passent, s’échangent, se précisent, se vérifient. Ils arrivent seuls ou par saccades. Ils sont légers ou lourds, ils se posent, ils volent. Ils sont affirmatifs, interrogatifs, jamais négatifs. Ils font rire ou ils font perler une larme d’émotion. Ils sont riches.
Ils se regardent comme épuisés par ce débit, par la confiance qu’ils ont perçue dans les paroles de l’autre.
Chacun est étonné de ce qu’il a osé dire dans ce climat de confiance pure.
Elle
L’heure est déjà passée pour mon travail, je dois partir.
Lui
Va, maintenant que je sais combien tu aimes ce que tu fais. Je suis admiratif de ta réussite professionnelle.
Elle
Tu es gentil. Embrasse-moi vraiment maintenant, j’en ai envie.
Les lèvres dansent des joues aux lèvres de l’autre. Les pointes de langue vérifient si la bouche de l’autre a un goût de dessert.
Émile tourne la tête.
Lui
À demain…
Elle
Non, demain matin, je ne pourrai pas être là.
Lui
Quelle tristesse ! Alors, garde-moi du temps pour aller au restaurant le soir.
Elle
Belle idée, cela me fera plaisir, je te laisse choisir, où tu veux, comme tu veux. Demain, nous débuterons par une journée lentilles pour finir par une journée caviar !
Lui
Qu’est-ce que tu dis ?
Elle
Ne te prends pas la tête, c’est ma manière de parler. Mais tu l’as déjà compris, je suis un peu folle !
Lui
Un peu ?
Elle
Va savoir !
Lui
Un éclat de rire ricoche encore entre les murs du bistrot quand elle a déjà passé la porte.
– Émile ! Un autre thé s’il vous plait.
Émile
Elle est très jolie…
Jeudi matin
Lui
Il entre dans le bistrot, il sourit à Émile qui lui fait un signe pour le café. Un sourire plein de brouillard.
Émile
S’approche et pose la grande tasse de café et le verre d’eau fraîche. Il se penche vers lui et demande à voix basse :
- Elle ne vient pas aujourd’hui ? Vous semblez triste d’être seul… Voulez-vous un journal ?
Lui
Merci, Émile, oui, donnez-moi un journal, mais rien qu’avec de bonnes nouvelles ! Je vais rester un moment pour écrire dans mon calepin.
Émile
Tant que vous voulez ! D’ailleurs, il n’y a pas beaucoup de passage ce matin.
Lui
Il feuillette rapidement le journal en haussant les épaules. Il n’arrive pas à se déterminer entre les bêtises de gauche et les stupidités de droite. Il repose le journal, gribouille un peu sur le calepin, puis les mots viennent, indépendants de son esprit, se posent d’autorité sur le papier et guident sa plume. Les rimes dansent en musique :
Toi ma douce,
Quand dans mes bras tu viens
Là contre moi blottie
Toi la douce et tendre
Il ne me manque rien
Car le chemin du paradis
Est la seule route à prendre.
Lui
Il jette un coup d’œil à la pendule murale. Il est étonné que le temps soit passé si vite. Il finit une dernière goutte du deuxième café servi par Émile. Il se lève, la monnaie à la main, la pose sur le comptoir.
Lui
Salut Émile, à bientôt.
La réponse d’Émile l’accompagne quand il passe la porte.
Dans la petite rue où l’herbe pousse encore entre les pavés, il lève les yeux au ciel vers un ciel gris. Seul un bout de ciel bleu apparait dans la grisaille. – Tiens, moi aussi j’ai un bout de ciel bleu dans ma tête, ce sera ce soir…
Jeudi soir
Lui
Au moment où le jour s’apaise, il est assis sur le tabouret du bistrot et discute avec Émile. Comme ils ne discutent que de banalités, il s’étonne du grand sourire de son interlocuteur. Sans avoir le temps de l’interpréter, il sent une pression sur ses épaules et des lèvres qui se posent sur son cou. Il est vexé, peut-être même honteux de ne pas l’avoir sentie arrivée.
Elle
Bonjour bel homme !
Lui
Bonjour jolie dame. Oh, attend, recule-toi ! C’est pour moi que tu t’es faite si belle ? Quelle chance j’ai ! Tu es magnifique !
Émile s’est éloigné de son bar en souriant.
Elle
Elle se recule d’un pas et se laisse admirer en riant. Pantalon de velours noir avec un boléro qui cache à peine un chemisier dont le haut transparent permet de deviner des trésors à découvrir. Se tournant vers lui, elle l’apostrophe :
- Vous êtes aussi très élégant cher monsieur ! Un vrai gentleman. Vous avez belle allure.
Lui
Puis-je chère madame sur un coin de votre joue, déposer un baiser en hommage à votre beauté ?
Bien sûr, il avance sa bouche vers la joue qui se dérobe pour laisser place à des lèvres à peine entrouvertes.
Instinctivement, le baiser se fait plus passionné dans la solitude du bistrot, Émile s’étant trouvé une occupation sans doute importante dans sa cuisine.
Elle
Elle respire un peu, son visage et ses yeux laissent discerner une étrange brillance.
- Monsieur m’a-t-il invitée pour seulement m’embrasser ou pour m’emmener au restaurant ?
Lui
Allez savoir, chère Madame, mais l’un n’est pas exclusif de l’autre !
C’est main dans la main qu’ils passent la porte avec un sonore :
- À bientôt Émile !
Ce dernier apparait à la porte de sa cuisine et se contente d’un signe amical de la main. Dans la rue, ils marchent en se tenant la main, les doigts se croisent, se décroisent, se cherchent, se perdent, se retrouvent dans le dédale du bonheur d’un menuet. Puis, au passage d’un trottoir, la main cherche la taille, la trouve, s’y appuie, enserre. Dans un passage plus étroit, au croisement d’autres piétons, la main glisse dans le dos, se pose sur l’épaule, effleure la nuque, joue un instant avec les mèches en écoutant les vibrations émises par ce contact. Cette main assure sa présence en profitant d’un instant de bavardage lorsqu’ils arrivent devant l’entrée du restaurant. Porte vitrée moderne sur un encadrement de pierres anciennes.
Lui
J’ai choisi ce restaurant parce qu’il est beau. Je voulais pour ce premier repas que nous partageons, une sorte d’écrin pour protéger ce moment de grande valeur. J’espère qu’il sera bon, car j’ai relevé son nom dans la liste des rendez-vous gastronomiques de notre ville.
Elle
Souriante, les yeux levés vers le sourire qui la regarde :
Pour cela, je prends votre invitation pour un cadeau, je ne doute pas de la qualité du cadeau, et j’apprécie son emballage, son écrin
Accueil cordial du personnel, belle table ronde, isolée, deux assiettes blanches, face à face, et avant qu’ils ne soient assis, les assiettes sont côte à côte, par des gestes naturels, à peine marqués. La main de l’un passe dans la main de l’autre, la presse légèrement au fil des mots du bavardage.
Lui
Puis-je lever mon verre à notre rencontre, à ma chance d’avoir votre présence, votre élégance à mes côtés ?
Elle
Moi aussi, je suis heureuse d’être là, vous êtes un homme rassurant.
Lui
Rassurant ?
Elle.
Oui. Votre allure, vos épaules semblent solides, pas seulement au sens physique. J’aime la douceur de votre voix, le calme avec lequel vous parlez.
Lui
Mais, que me dites-vous ! Vous êtes en train de me séduire avec les jolis mots que vous me dites.
Elle
En riant :
- Seulement avec les mots ?
Lui
Vous êtes superbe quand vous riez ! Non, ce n’est pas seulement avec les mots que je vous trouve séduisante, j’aime bien regarder votre visage.
Elle
Mon visage ?
Lui
Oui. Il est harmonieux, sa forme, sa luminosité. J’aime bien regarder votre visage et même un peu en dessous.
Elle
Coquin !
Le repas se poursuit sous l’œil amusé du serveur qui constate que l’espace entre les deux chaises s’est encore réduit.
Fin de repas, note réglée avec discrétion. Veste tendue posée sur les épaules, effleurement. Ils se retrouvent dans la fraîcheur de la petite rue.
Elle
Ses mains enserrent les mains de l’homme. Son regard devient sourire.
- Merci pour ce repas, pour ce moment.
Lui
Moi aussi je vous remercie pour ce moment partagé, j’ai beaucoup de plaisir à être avec vous, de vous regarder, de vous écouter. Voulez-vous une promenade au hasard des rues ?
Elle
Pourquoi pas, mais ma journée a été un peu chargée et je suis fatiguée ce soir. Puis-je vous offrir un verre pour vous remercier de ce délicieux repas ?
Lui
Volontiers, c’est gentil, où voulez-vous aller ?
Elle
Pourquoi pas chez moi, ce n’est pas très loin.
Lui
Je serai ravi de découvrir là où vous vivez. Ce doit-être un endroit bien décoré.
Elle
À votre avis, quelle est la couleur dominante ?
Lui
Oh, la question est difficile !
Elle
Laissez aller votre intuition.
Lui
Alors, je le vois beige, crème, rehaussé de tons rouges, non plutôt bordeaux.
Pourquoi souriez-vous ?
Elle
Vous verrez…
Elle sourit encore en ouvrant la portière de sa voiture. Elle sourit toujours, un moment plus tard quand elle pousse la porte de l’appartement.
Il entre à sa suite, son regard survole la pièce de séjour. Le canapé et les fauteuils sont beiges, presque jaunes, à la grande baie vitrée, des voilages crème et grenat pendent avec élégance.
Lui
J’ai gagné ?
Elle
Ce n’était pas trop mal
Ils s’installent sur le canapé, oubliant qu’ils étaient venus là pour prendre un verre. Une tête se pose au creux d’une épaule, les baisers deviennent plus élaborés. Les doigts découvrent d’autres courbes, d’autres territoires. Une main effleure une nuque sur laquelle se dépose un baiser là où les cheveux laissent place à la peau douce.
Elle
Oui, là, c’est agréable, j’aime…
Lui
Il sait maintenant qu’il ne rentrera chez lui que très tard, demain sans doute.
© Pierre Delphin –