Les terres chaotiques

Par Padbol
Notes de l’auteur : Ceci est une très courte nouvelle écrite il y a quelques années, qui tente encore une fois d'aborder les thématiques chères à Lovecraft, tout en proposant quelque chose d'original.

Je vous souhaite une très bonne lecture =)

Le fiasco de la première mission de forage sur Europe, il y a deux années de cela, avait eut lieu dans des circonstances particulièrement troublantes. Les images que nous transmettait la foreuse automatique étaient pour le moins surprenantes, mais notre étonnement fut surtout dû à l'arrêt soudain des transmissions. Nous y déplorâmes la perte de moyens techniques colossaux, ainsi qu'une certaine perte de crédibilité auprès du grand public. Mais cet échec médiatique et économique n'était qu'une infime et misérable implication du formidable jeu qui se joue au-dessus de nous, en ce moment même.

J'espère de tout cœur que ce message parviendra au centre de contrôle, quoique cela ne  changera rien à mon destin. Lorsque mon récit s'achèvera, je retirerai mon casque d'un coup sec, et terminerai mes jours sur ces terres chaotiques.

 

Après plusieurs mois de traversée parmi les étoiles, moi-même et mes regrettés collègues et amis, le Professeur Guillaume Elon et le Docteur Dorian Klein, arrivâmes enfin sur la planète. Une fois l'atterrissage effectué, nous prîmes le temps d'informer le centre de contrôle de la bonne tenue des événements, malgré des bourrasques violentes et inattendues qui nous firent dévier du point d’impact initialement prévu. Nous fîmes les derniers préparatifs et les dernières vérifications de sécurité avant notre sortie extra-véhiculaire vers les formations très anciennes du Conamara Chaos, situées à neuf degrés sept de latitude nord et deux-cents soixante-douze degrés sept de longitude ouest. C'est là-bas que nous devions tenter de récupérer les données de la foreuse, qui n'avait plus donné aucun signe de vie.

A cause de notre déconvenue durant l'atterrissage, nous devions parcourir une trentaine de kilomètres pour y parvenir.

Lorsque le sas s'ouvrit, nos regards plongèrent dans un tableau de perspectives infinies et d'une insolite beauté. Un sentiment d'extase m'enivra tandis que je faisais mes premiers pas sur les terres vierges.

Nous libérâmes le Rover, situé sur le côté de la navette, et activâmes son pilotage automatique qui devait nous mener directement au Conamara, via les endroits les plus sûrs. Notre trajet devait en outre passer par l'une des nombreuses lineae d'Europe, ces immenses et larges crevasses sombres qui en déchirent la surface. Ces fractures et sillons entremêlés ont un aspect rougeâtre à leur périphérie, et l'on attribue à cette particularité géologique une remontée de fer ou de souffre, due à l'évaporation de l'eau à sa surface. Mais cela n'altère en rien leur force évocatrice de monstrueuses écorchures, tourments d'un monde d'un blanc autrefois pur.

Pris dans ces réflexions, je pris place à l'arrière, tandis que Guillaume pris le poste du conducteur (munie d'un mode de conduite manuelle, au cas où le pilote automatique nous ferait défaut). Dorian Klein, quant à lui, s'était installé à la place du co-pilote. Et dans les larges cônes de lumière des phares, la surface et les monticules de glace cristalline projetait de superbes éclats multicolores, comme si nous éclairions un gigantesque diamant .

Des collines scintillaient sur notre passage, et elles illuminaient à leur tour un paysage bercé d'une obscurité bleutée. Béats d'admiration, nous en oublions presque de consigner nos observations. Nous pouvions néanmoins de faire part de la différence spectaculaire entre la véritable nature du terrain et les images que nous avait envoyées la foreuse, peu avant la rupture de contact.

A gauche, de hauts reliefs, se détachant sur un ciel d'un blanc pâle, bordaient une  vallée sombre qui allait se dissoudre dans d'autre pays de mystères, à l'Est. A droite, le terrain était plus aplani, mais de légères aurores pourpres, ornées des lointaines étoiles, dansaient gracieusement sur la fine pellicule atmosphérique. Le trajet se déroula ainsi pendant un bon moment, lorsque nous arrivâmes devant une fantastique chaîne de roches, d'un noir de jais, à la hauteur vertigineuse et se perdant dans l'obscurité du ciel, qui contrastait singulièrement avec le paysage environnant. Elle ne scintillait nullement sous l'effet des phares, et son tracé du Sud Est au Nord Ouest, paraissait sans fin. Il y avait, en outre, quelque chose d'étrangement régulier dans ses contours, quoique son origine naturelle ne semblait faire de doute. Ses versants, uniformément escarpés et lisses, dégageaient pourtant une aura singulière et impressionnante de barrière se voulant infranchissable, mais peu de temps nous suffit pour nous rendre compte que la ligne comportait bien des failles. En longeant les parois sur cinq ou six kilomètres, nous parvînmes à une ouverture, large d'au moins six cents mètres et s'étendant à perte de vue, entre les excroissances rocheuses menaçantes. Ces dernières se révélaient d'une épaisseur prodigieuse. Au bout d'une brève concertation, nous nous y engageâmes avec résolution, conscients d'écrire de nouvelles et incroyables pages de l'Histoire dans notre sillage, sur des plaines improbables.   

Il semblait qu'un sentier avait été tracé spécialement pour nous dans l'énorme col de la linea, tant le terrain était plat et régulier. Ce dernier serpentait avec assurance entre les crevasses, qui se faisaient plus nombreuses à mesure que nous progressions  Le rêve y côtoyait le cauchemar, car si le paysage tirait sa splendeur de ses parois sombres et glacées, les profils effilés de ces dernières lui octroyait l'aspect d'une angoissante forêt de couteaux levés au ciel. L'avancée fut malgré tout aisée et même relativement rapide, comparée aux dimensions gargantuesques de la topographie.

Après seulement une heure, nous débouchâmes de l'autre côté de la barrière. Nous progressions alors sur des plaines glacées immaculées, que très peu d'hommes avant nous avaient seulement osé imaginé. Les étendues n'avaient plus aucune aspérité, ce qui donnait l'étrange impression d'un polissage artificiel, que venait pourtant démentir les prises de vue de la surface depuis le satellite lancé peu avant par l'Agence. Certes, nous nous attendions à parcourir des portions non négligeables de terrains lisses, mais leur étendue nous donnait parfois l'impression de rouler sur une parfaite sphère de glace, ce qui était impossible.

A mesure que nous avancions dans les ténèbres, d'improbables projections écumantes et multicolores apparurent loin au-dessus de nous, desquelles jaillissaient de brefs éclats sur la surface. Les volutes informes, aux couleurs chaudes mais indéfinissables, dansaient sur le ciel. Leurs gesticulations psychédéliques, envoûtantes et malaisantes à la fois, avaient pour témoins les innombrables étoiles, qui perçaient aisément à travers la fine atmosphère de ce monde.

Pour autant, ce ne sont pas tant les lumières qui ont le plus retenu mon attention, que ce qu'elles dévoilaient progressivement. La topographie du Conamara devait être relativement plane, avec des différences de niveau n'excédant pas quelques mètres, mais au bout de quelques kilomètres supplémentaires, de gigantesques structures de glace, translucide et maculée de tâches brunâtres, émergèrent dans cette clarté indéfinissable. Elles devaient, en moyenne, être espacées de plusieurs centaines de mètres, mais j'ai bien peur que leurs proportions folles et les mauvaises couleurs qu'elles reflétaient, ne faussèrent mes estimations du moment. Enfin, elles étaient de compositions cubiques déconcertantes : chacune donnait en effet l'impression d'être constituée d'innombrables arêtes à moitié rouillées et fondues les unes dans les autres, dans des enchevêtrements orgiaques. La gravité même semblait y être prisonnière de lois contradictoires. Je ne saurai résumer autrement cette scène qu'en disant que nous avancions dans une version hypertrophiée et démentiellement caricaturale d'une mégapole terrestre.

La plupart des structures devaient bien mesurer plusieurs centaines de mètres à leur base, mais s'élançaient à des hauteurs vertigineuses, au point que je m'étonnais qu'elles n'aient pas été clairement visibles depuis l'espace. Nous ne pouvions nous exprimer autrement qu'en onomatopées et en exclamation étouffées. Dorian, tétanisé, contemplait avec moi ces anomalies extraterrestres, qui reposaient sur la surface toujours aussi sinistrement lisse et régulière.

Dans un sursaut de lucidité, je me demandai si le pilote automatique, au vu de la nature totalement imprévue de ce terrain, n'allait pas nous écraser contre l'une de ces constructions pseudo-naturelles. Ou, pire, s'il ne nous engageait pas insensiblement vers quelque gouffre sans fin. J'en parlai à mes amis, et ils admirent sans résistance qu'au vu de la nature totalement inconnue et imprévue du terrain, il était tout à fait imprudent de se laisser guider par le programme informatique du Rover, qui ne prenait sûrement pas les véritables reliefs en compte. Nous passâmes donc en mode manuel.

Nous étions ainsi tous trois en état de choc, totalement submergés, et livrés à nous-mêmes dans ces dédales monstrueux de formes et de dimensions grotesques. Chacun d’entre eux constituait la manifestation physique de paradoxes mathématiques, et notre passage à bord du véhicule semblait profaner cet temple d’aberrations.

Les lumières difformes du ciel, quant à elles, procédaient à des danses de plus en plus monstrueuses et frénétiques, et il y avait quelque chose de cynique dans leur contraste avec les étendues d'immensités mortes. Pour ma part, je me souviens d'un lent affaissement de mon discernement. Cet ébranlement continu s'accélérait à mesure que de nouveaux blocs monstrueux émergeaient dans la nuit et coïncidait étrangement avec l'impression d'être observé.  

Tandis que nous progressions, les imbrications colossales et absurdes se multipliaient. La prédominance toujours plus poussée de ces tâches brunâtres ignobles, sur des constructions géométriques d'une cohérence insaisissable, me faisaient voir en ce paysage une caricature délirante du Paysage avec pont de Picasso. Je croyais rouler sur le cadavre sanguinolent de la raison.

Après un moment à nous glisser entre ces monstruosités, nous aperçûmes, trônant dans un voile de brouillard multicolore écœurant, une hideuse falaise, d'une hauteur absurdement colossale, et dont la longueur se perdait dans une ligne de fuite infinie vers notre droite. Ses énormes flancs croûteux, ses arêtes émoussées, et les élancements sporadiques à sa surface lui donnaient les allures d'une terrifiante église de mort, dont l'âge remontait à la naissance même du système solaire. Mon cœur manqua un battement, devant les proportions étourdissantes de ce titan cadavérique, à partir duquel les immondes lumières puisaient un regain de luminescence. Bien que nous étions tous conscients de l'impossibilité qu'une telle structure puisse avoir été bâtie consciemment, cela ne suffisait pas à endiguer la présence oppressante qui émanait des tréfonds de ce temple infernal.

L'état de Dorian devint subitement préoccupant. Il marmonnait par moment des phrases inintelligibles, et prenait parfois un ton de résignation des plus inquiétants. Je tentai d'interpeller le copilote pour qu'il tente de le calmer, mais, à la manière dont Guillaume dernier agitait ses mains, je me rendis compte qu'il était lui-même en proie à une terreur panique. J'en eus la confirmation lorsque, en me penchant vers lui, je croisai son regard affolé, bien visible derrière sa visière, sur laquelle vint soudainement éclater un vif éclair d'un vert absolument écœurant et d'une rare violence. Je fus immédiatement pris de vertige, et un puissant acouphène me poignarda les tympans pendant plusieurs minutes. Le temps lui-même s'était alors dilué dans un abîme de folies obscures et de pensées inconcevables. Des hurlements rauques grésillaient dans mon casque et, par instinct, je tentais de saisir ma tête entre mes mains et m'agitais en tous sens, comme pour évacuer les sons obsédants et l'ignoble forme que l'éclair avait imprimée sur mes rétines. Puis un grand choc survint et j'eus été violemment projeté vers le pare-brise du Rover si la ceinture ne m'avait stoppé net, me coupant la respiration l'espace d'un instant.

Tandis que le sifflement disparaissait et que la tâche d'un vert immonde s'effaçait peu à peu, les hurlements gagnaient en intensité et en réalité. C'étaient ceux de Dorian, et je compris avec horreur, en voyant le siège conducteur vide, qu'il s’était enfui.

Le véhicule, quant à lui, avait fini encastré dans la paroi de l'un des monolithes. Les phares avant, enfoncés dans la carlingue, agonisaient dans de brefs et rapides sursauts de lumière blanche, pour finalement s'éteindre. Le moteur, lui, avait résisté au choc. 

La voix de Dorian devenait de moins en moins audible sous les interférences, pour cesser brusquement. Sans la lumière salvatrice du véhicule, les dédales se fondaient en un étalage de géométries surréalistes, flottant dans dans des vapeurs de lumières dont les couleurs n'étaient pas censées exister. Je ne peux que trembler d'angoisse à l'idée qu'il ait pu disparaître quelque part dans ce labyrinthe.

Guillaume, quant à lui, était demeuré immobile, observant ses mains qui tremblaient fiévreusement. Je tentais de le rassurer, ou du moins de lui rappeler que nous courrions sûrement à notre perte si nous demeurions ici plus longtemps, et à celle de notre ami disparu. Ce ne fut pas chose facile compte-tenu de mon propre état d'effarement, et ce n'est qu'après de nombreuses tentatives que je parvins enfin à capter l'attention de mon ami, sous la couche de terreur qui le pétrifiait.

Nous collections alors tout ce qui nous restais de lucidité, et nous nous lançâmes à la recherche de notre collègue et ami, reléguant bien sûr la mission au second plan. Nous n'osâmes pas nous lancer à pieds dans les dédales, de peur de ne plus pouvoir retrouver l'emplacement du Rover sur le chemin du retour. La simple pensée que nous puissions nous perdre dans ces enchevêtrements escheriens de formes et de teintes nous interdisait de ne faire le moindre pas sur ce sol. Selon toute vraisemblance (ce mot a-t-il encore un sens ?), Dorian ne pouvait avoir pris que deux directions : droit devant nous, ou bien de là où nous venions. Nous remontâmes dans le Rover et décidâmes donc de tenter l’impossible.

 

Guillaume nous guidais depuis environ cinq minutes, mais je ne saurais l'affirmer, nos montres étant totalement désynchronisées, et toujours aucune trace de notre ami. Tourmentés de peur et par ce paysage infâme, nous nous enfoncions toujours un peu plus loin dans ces ténèbres de lumières inconcevables, qui brisaient peu à peu les remparts de notre entendement. La seule pensée insupportable d'aggraver un peu plus la situation, nous empêchait de succomber à la terreur panique.

C'est cependant lors d'une dispute qui avait fini par éclater entre nous, pour des motifs qui m'échappent à présent, que nous réalisâmes une nouvelle aberration : nous roulions sur de larges octogones, aux contours parfaitement délimités, constitués de ce qui s'apparentait à de l'onyx blanchâtre et aux marbrures écarlates. Depuis combien de temps, impossible de le dire. Ces dernières ressemblaient en tout point à d'ignobles veines qui, par quelque procédé inconnu, s'intégrait aux roches. Ces octogones pavaient une voie inconcevable entre les monolithes oxydés, sur lesquels les lumières folles perpétuaient leur délires et s'amoncelaient en une brume versicolore. Ce fut au moment où le Rover ralentit de lui-même, malgré tous les efforts de mon ami pour maintenir l'allure, que nous nous sûmes condamnés. Notre instinct de survie se heurtait fatalement à à l’évidence : la mort par asphyxie dans nos combinaisons, était la seule conclusion à notre expédition, à moins qu’un sort bien plus horrible ne nous attende au milieu de ce labyrinthe.  

Le véhicule finit par s'immobiliser, au milieu d'une gigantesque allée de plaques sous lesquelles transparaissaient d'imposants canaux rouges sang. Nous nous regardions, pétrifiés à l'idée de finir nos jours sur ces étendues irréalistes, et la simple évocation de la perte de Dorian dans cet enfer d'absurdité suffisait à nous inonder d'une douleur infinie. Je n'ose d'ailleurs espérer qu'il ne lui soit pas arrivé malheur. Nous mîmes beaucoup de temps à retrouver un semblant de bon sens, et nous nous soutenions mutuellement. Nous nous hasardions dans des hypothèses qui ne pouvaient qu'être faussement logiques, mais qui nous permettaient de préserver un semblant de notre dignité d'êtres raisonnables. Je remarquai alors que les reflets narquois des lumières sur les monolithes étaient plus intenses et plus hideux que jamais, mais ces dernières avaient encore une caractéristiques supplémentaire que je ne parvenais pas à comprendre, bien que je la percevais clairement. Le vague sentiment que j'avais jusque là d'être observé se mua en certitude intuitive. Je tentais vaguement d'objecter à moi-même qu'il s'agissait d'une subterfuge de mon cerveau, qui ne parvenait plus à analyser ce à quoi il faisait face.

Mon regard fut tellement rivé sur l'ineffable perception, que je ne surpris que plusieurs minutes plus tard les secousses qui agitaient mon ami. Je me précipitai alors sur lui pour tentant de le rassurer, mais je compris tout de suite, à son visage crispé, à ses cris étouffés et aux larmes qui coulaient de ses yeux, qu'il était en proie à des visions qui dépassaient l'entendement humain. Ses gémissements avaient quelque chose d'inhumain et je ne comprenais pas pourquoi, alors que ma visière était collée à la sienne, sa voix grésilla à la manière de celle de Dorian, lorsqu'il avait disparu.  Brusquement, son casque cessa d'émettre, et je ne pus voir que les lèvres de mon camarade remuer dans le silence. Sa bouche tremblait et, à en croire ses yeux, il semblait parler à quelque entité que je n'osait imaginer, pendant ce qui me parut une éternité. Puis, son regard revint vers le mien, et ce fut la dernière fois que je pu dire à Guillaume, par les mouvements muets de mes lèvres, Courage. Totalement effondré, je demeurais assis dans le véhicule immobile, à côté de lui.

Mais quelques temps plus tard, ce fut à mon tour de subir ce qu'aucun être humain ne devrait jamais subir.

Les lumières s'étaient matérialisées en une brume luminescente et écumante, un torrent furieux de plasma aveuglant, dans lequel pourtant les abominables structures s'élançaient en masses sombres aux contours indécis. Et chacune d'entre elle voyait son sommet auréolé d'une mitre de lumière rougeâtre, qui se prolongeait en un faisceau lumineux et effilé dans la fine atmosphère. Tous ces faisceaux convergeaient en un même point, loin au-dessus du ciel d'Europe, et, alors que levais les yeux au ciel, vers la source de ce jour malsain, je Le vis.

Depuis combien de temps m'observait-il ? Pourquoi ? L'Oeil jupitérien, d'un rouge incandescent, était la source de tous mes malheurs et de ceux de mes camarades, cela ne fait aucun doute. Comment le sais-je ? Je ne saurais vous en faire entrevoir les raisons qu'au travers d'une association inconcevable d'idées contradictoires, et parvenant pourtant à s'harmoniser selon des règles qui ne sont pas les nôtres. Une cascade de putréfaction mentale y puisait sa source infiniment ignoble, et avait déversée sur moi son flot de sensations, de formes et d'idées hideuses. Ce matin, l'Oeil est le prince du monde, l'Oeil sans paupière, le brasier torrentiel et insondable, qui garde ce monde et lui imprime ses lois ignobles. Ma terreur n'était pas uniquement une peur normale qui avait gagné en puissance jusqu'à atteindre son paroxysme : elle était d'une nature autre, me faisait expérimenter des sensations que jamais je n'avais ressenti. Ma tête était le terrain d'un cataclysme d'images et de concepts fous, tout se mêlait en une bouillie torrentielle d'intuitions et de silhouettes dont je ne saurai même pas dire si elles sont absolument belles ou atroces. Dire que cela, mes deux amis l'on subit avant moi, à mon insu ! Les principes sur lesquels reposaient toutes mes réflexions n'avaient plus aucune emprise sur ce qui s'imposait à mes sens, et je remercierai éternellement ce qui me permis de ne pas sombrer définitivement dans cet antre de la folie, le temps que je puisse vous faire part de mes derniers instants. Dans mon état de folie frénétique, j'avais fini par chuter du véhicule, sur un pavé octogonal. Tout en me débattant, je m'étais engagé inconsciemment, seul, dans un renfoncement à la base d'un monolithe. Si les reflets grotesques persistaient sur sa surface, il semblait m'offrir un rempart inespéré à Son regard.

Je sais, je sais pourtant qu’il me trouvera...qu’il m’a déjà trouvé. Nul échappatoire à son regard, je ne suis qu’un insecte en sursis, entièrement soumis à la volonté d’une entité que je ne puis même concevoir. Et c'est adossé à l'un des innombrables flancs translucides de la structure que cet insecte achève son histoire.

 

 

Adieu.

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alxf
Posté le 10/02/2025
L'influence de Lovecraft est indéniable, et j'y ai retrouvé des échos des Montagnes hallucinées. Ce que j'ai trouvé réussi, c'est la manière dont la science et la logique s'effacent progressivement face à l'indicible.
Le moment où l'exploration cède la perte de raison est bien amené et l'œil Jupitérien fait son effet à la perfection.
Bonne lecture !
Padbol
Posté le 12/02/2025
Merci beaucoup ! Les prochaines publications essayeront de se démarquer davantage des récits de lovecraft, tout en reprenant sa thématique de l'horreur cosmique 🙂
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