Little Yellow Blanket - Dean Brody

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/iVTDOCvm8Ww

J’avais 16 ans. L’été était arrivé, j’avais enfin passé mes épreuves du bac de français. On était libre, on avait une piscine dans le jardin et mes parents avaient décidé d’organiser un concert privé de country avec le groupe de ma mère à la maison. Ils avaient invité tous leurs amis et connaissances musiciennes en promettant de laisser une scène ouverte au bœuf et à l’improvisation en fin de soirée. C’était certainement le moment le plus mal choisi pour rencontrer pour la première fois un garçon pour lequel j’avais le béguin. Mais je n’avais pas trop le choix. J’avais demandé à ma mère s’il pouvait rester pour quelques jours. Il venait de loin, après tout. Elle me demanda d’où je le connaissais, je fus contraint de lui avouer que je l’avais rencontré sur internet. J’avais peur qu’elle refuse, le dernier homme que j’avais invité à la maison ayant manqué de détruire notre vie familiale. Mais elle avait compris que c’était important pour moi, sans même que je lui dise. Elle avait accepté. « Il sera obligé de dormir dans une tente par contre, parce qu’il n’y aura plus assez de chambres dans la maison. » Toute la famille de Sarthe avait été conviée pour un autre évènement qui suivait ce concert et auquel ce garçon allait devoir également assister : les vingt-cinq ans de mariage de mes parents. Définitivement pas le bon moment pour rencontrer pour la première fois un garçon pour lequel j’avais le béguin.

 

J’ai quitté la maison pour le retrouver alors que mon père installait les micros sur la terrasse. Toute la maison vibrait de l’arrivée de la soirée. J’étais parti à pied, à une heure de route, pour le rejoindre loin du monde. Je marchais sous le soleil éclatant du sud de la France. J’étais sur un chemin qui traversait la colline, un sentier que j’avais tant fait

à vélo en priant que les freins ne me lâchent pas tant elle descendait ardemment. Pendant que je marchais en silence, j’écoutais le chant des oiseaux et je sautillai, fébrile. J’imaginais la rencontre, j’espérai que le contact allait bien se faire. On ne s’était jamais vu, je n’avais qu’entendu sa voix au téléphone. J’imaginais, je rêvais en priant que tout se passe bien. Car je savais ce que ma famille allait en penser.

 

Je l’ai retrouvé sur le parking de mon ancien collège. Il avait une petite voiture rouge, je ne risquai pas de la rater. Il n’avait pas la climatisation à l’intérieur et il ne venait pas du sud, il ne s’attendait pas à une telle chaleur. Avant de retourner à la maison, je lui ai proposé une petite pause dans le parc juste à côté. Je n’en pouvais plus de marcher, alors nous nous sommes assis sur un banc. On n’osait pas se toucher. Il avait déjà avoué m’aimer, mais maintenant que nous étions ‘‘en vrai’’, tout semblait plus difficile. La conversation peinait, nous étions mal à l’aise, timides. Puis, ma mère m’appela sur mon téléphone portable et m’assena d’un ton moqueur : « tu aurais pu nous le dire, on t’aurait directement déposé!» J’avais évacué la remarque avec une réplique gênée et le rouge aux joues. Il eut un léger rire. La situation se décoinça, quelque peu. On retrouvait, lentement, un peu de ce qui nous plaisait au téléphone. Une fois dans la voiture, sur le chemin de la maison, nous parlions comme si nous nous étions toujours connus. On trompait notre timidité avec des blagues et des rires. Très bientôt, le concert allait commencer.

 

La porte vitrée de ma chambre, qui donnait sur la terrasse, avait été masquée par un drapeau américain. Tous les musiciens étaient déjà sur scène, prêts à jouer, quand nous arrivâmes. Même si j’aimais les écouter, car leurs chansons me rappelaient tant de bonnes soirées d’après répétitions où mon père faisait réchauffer des pizzas avec des apéritifs, je prétextais de devoir ranger les valises pour m’éclipser avec ce garçon. On nous avait juste demandé de ne pas allumer la lampe de ma chambre, pour que cela ne rende pas étrange avec le drapeau américain qui décorait l’arrière de la scène improvisée.

 

C’était le soleil des États-Unis qui offrait donc à ma chambre une lumière tamisée. Le rouge du drapeau créait une ambiance singulière sur les murs peints en violet. Une fois les affaires déposées, je me posais sur le lit, il en fit autant. Ma porte-fenêtre n’avait pas de double vitrage, on les entendait jouer comme si l’on était en face. Il me prit la main sur les premières notes de « Little Yellow Blanket ».

 

Elle faisait partie de mes chansons préférées de leur répertoire. Je les aimais toutes, mais celle-ci avait un soupçon de tendresse qui me touchait. Et silencieusement, il me prit dans ses bras en s’asseyant derrière moi. Il ne fit rien d’autre que de me caresser la main, frôler mes doigts. Nous étions tous les deux fatigués, somnolents. La musique à peine étouffée par les murs de ma chambre nous berçait.

 

« Honey bees, a little lady bug. Squirrel behind a tree hangin’ out with us. Gonna drink your sweet tea and a little cherry pie, on a little yellow blanket just you and I… » Je fermai les yeux pour mieux apprécier son contact. Il savait ce que j’avais vécu, savait que je ne voulais rien de plus, que je n’avais pas besoin de plus. J’avais eu si peur qu’il s’en vexe, je compris vite que cela lui suffisait, à lui aussi. Vint alors un sentiment intense, dans notre silence accompagné de musique. Notre relation, sur le bout de nos doigts qui s’entrelaçaient, avait débuté. Nous nous aimions, il n’y avait plus de retour en arrière possible. Nous étions capables de l’action la plus absurde pour faire vivre un petit moment d’existence à deux, même caché derrière le drapeau ensoleillé des États-Unis sous une musique country. Très vite, submergé par les émotions de la musique et celles que je ressentais, je me suis endormi dans ses bras. Et alors que le concert continua, il veilla sur moi, sans un mot, jusqu’à ce que le soleil descende sur les montagnes et que l’obscurité me réveille.

 

Ce fut très certainement l’un des plus beaux étés de ma vie. Il avait prévu de ne rester que quelques jours, il s’installa deux semaines chez nous. Nous allions à la piscine, nous marchions dans les bois, nous jouions à des jeux vidéos, je lui faisais découvrir ces Cévennes que j’aimais tant. Ces Cévennes, qui, pour l’espace d’une soirée, s’étaient transformées en l’état du Tennessee sous les accords de la mandoline et la voix d’un chanteur qui aimait bien la bière. Elles avaient changé de couleur, pour moi. Et désormais, en écoutant Little Yellow Blanket, je revois ces rayons de soleil rougis par le drapeau américain. Je revois cette chambre d’enfant, qui depuis a perdu son violet pour un beau rouge et blanc. Et surtout, je retrouve au bout de mes doigts un minuscule morceau de cette relation de presque adulte, qui avait tant compté pour deux ans de ma vie. Un minuscule bout qui me permet de ne jamais regretter de l’avoir invité, ce jour-là, en dépit de toutes les circonstances.

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