Mal

Notes de l’auteur : A lire sans juger. Rassurez vous la suite sera plus fun car romancé...

Mal

J’ai 51 ans demain, et je dois être honnête : j’ai mal partout.

Moi, c’est Ludovic.
Je vis au nord de Dijon (France), et depuis le mois d’août, c’est la catastrophe au niveau professionnel.
J’ai démissionné pour rejoindre un poste qui, sur le papier, semblait passionnant. La réalité fut tout autre.
Un mois de galère, avant de finir mis à la porte pour avoir eu le malheur de me rebeller contre le port des cuves d’oxygène.

Depuis, je suis maître de maison dans une structure pour jeunes handicapés.
Je passe mes journées à préparer des repas, nettoyer les parties communes et les sanitaires des résidents.
Je suis loin, très loin, de m’éclater.

Quoique… Il y a quelques mois, un résident en crise m’a poussé violemment, et je me suis blessé plutôt sévèrement.
Arrachement des ligaments, épanchement de synovie au genou…
N’écoutant que ma bêtise, je suis resté travailler et n’ai rien déclaré du tout.
En cause ? Ma démission et la perte de mes droits.
Et ce n’est pas le malheureux mois passé chez ces exploiteurs d’Artane Santé, spécialistes de l’apnée du sommeil et de l’oxygène, qui m’a permis de sortir de ce bazar.

Je ne blâme personne…
Je me suis mis dans les ennuis tout seul, comme un grand.

Heureusement, dans tout cela, il y a du positif.
Ma moto.
Ou plutôt mon avion de chasse sur deux roues.
La KTM 1290 Duke en version R.
The Beast, pour les initiés.
Un missile, pour le commun des mortels.

Entièrement équipée, j’ai revendu mon ancienne moto et cassé mon PEL pour l’acheter.
Aucun regret.
Une partie non négligeable de ma personnalité est liée à la moto.
La moto, pour moi, n’est pas un simple véhicule, ni même une passion.
C’est l’amour de ma vie.

Peu de gens peuvent comprendre.
Et ce n’est pas un souci…

Chaque week-end, qu’il fasse beau ou pas, je sors ma Katoche et je roule.
Je me sens vivant et j’oublie tous mes soucis.

Cela me permet aussi de m’auto-analyser.
Souvent, je pense à mon enfance.
Je revois le vieux monsieur que j’appelais "papa" me dire, sur son lit de mort, que je n’étais pas son fils…
Je comprends mieux les coups et la violence.

Ma mère, alias ma génitrice, nous avait abandonnés quelques années auparavant.
Idem, de son côté.
Je n’ai jamais eu la chance qu’elle me serre dans ses bras.
Par contre, j’ai dû le faire à de nombreuses reprises, lors de ses crises psychotiques.

Cela explique peut-être mon côté sauvage et mon incapacité à me lier avec qui que ce soit.
Un atelier via France Travail explique que l’être humain se construit entre la naissance et ses 6 ans…
Tout ce que j’ai connu, c’est la violence.
Les coups, les humiliations.

Et je ne parle même pas de mes années collège…
Logique que je n’aie pas réussi mes études.

Mais déjà, à l’époque, le sport et la moto étaient mes piliers.
Je me suis construit une discipline de vie et des valeurs bien à moi.
Aider les autres et ne pas m’occuper de mes émotions.

Au contraire, les cacher profondément.

 

Dimanche 2 mars.

Le dernier jour du reste de ma vie.

Je dois vous raconter le plus fidèlement possible ce qui est arrivé ce jour-là.

Deux jours auparavant, lors de mon dernier jour d’atelier, j’apprenais que le poste promis d’ASH et de faisant fonction d’aide-soignant me passait sous le nez.
Un simple mail…
Sympa.
Juste parce que j’avais demandé à ne pas faire de toilettes.
À la base, j’étais allé à l’EHPAD de Silongay pour proposer mes services en tant qu’ASH en remplacement.
La bienveillance de ces gens n’a d’égal que mon agacement sur le moment…

Je devais donc trouver autre chose et me retrouvais classé parmi les chômeurs.
Dur, dur…

Mais il y avait pire.
À force de sport et d’acharnement à perdre du poids, j’avais réussi à me bousiller les articulations.
J’en étais réduit à 4000-5000 pas par jour, contre les 12 000 à 15 000 auparavant.
Je souffrais beaucoup… et ne parlons même pas de ma mâchoire ravagée par une dentiste incompétente.
Bizarre… la même ville que l’EHPAD.
Ça doit être l’atmosphère.

Alors, comme tous les dimanches matin, je récupérais ma moto… et je retrouvais le sourire.
Mon cœur battait plus fort, et mes doigts tremblaient presque lorsque je glissais la clé dans le contacteur.
Je tournais.
Le tableau de bord couleur s’allumait, m’inondant de données.
Je souriais dans mon casque.
J’étais bien équipé.

D’un coup de pouce, le gros bicylindre s’ébroua.
L’échappement Akrapovic en titane donnait un son à nul autre pareil.
Des frissons de plaisir parcouraient ma colonne vertébrale.
Je sentais mon cœur se caler au rythme des soupapes…

Il était temps de monter en selle.

Le terme était adapté.
La moto était relativement haute, offrant un contrôle supplémentaire, une position dominante.

J’enclenchais la première, et les pneus mordaient doucement l’asphalte défoncé du parking.
Je roulais sur un filet de gaz.
Le mode de conduite était sur Street, mais aujourd’hui, j’étais joueur et un brin agacé.
Ce serait Mode Sport.

Tout se durcit.
Les 190 chevaux se firent sentir.
La moto était en pleine forme.
La moindre rotation de la poignée de gaz délestait légèrement la roue avant.
Un bonheur.

Je quittais le quartier à un petit 55… limite 60…
À ce rythme, le moteur était au ralenti, et je bouillais à l’idée de rouler comme un papy…

Encore quelques minutes, et je pourrais prendre la rocade.
Sortir avant le radar.
Me perdre dans les enfilades de virages rapides.

Enfin.

90 en même pas une fraction de seconde.
Je quittais la route principale pour prendre la voie d’accès.

Comme d’habitude, je priais pour trouver un copain de jeu.
Un petit plaisir.

Et là… bonheur suprême.

Une grosse BMW typé sport....
Avec un jeune au volant.

Je restais à ma place quelques secondes… et le gars, joueur, accéléra.
Je m’arrêtais quelques minutes plus tard.
La M4 était loin dans mon rétro, et le chiffre affiché sur mon compteur me fit sourire.

217 km/h.

Il était temps de sortir avant d’avoir des soucis…

Je quittais la rocade et atterris vite en pleine campagne.
Plus besoin du Mode Sport, je redescendis en Street et profitais du châssis exceptionnel autant que de la puissance.
Les virages s’enchaînaient, toujours plus vite.
La moto était merveilleuse, le pilote pas mauvais, et les conditions optimales.

C’est alors qu’en sortant d’un village, j’accélérai un peu fort…

Petit wheelie sympathique.

Et c’est là que je le vis.

Un hélicoptère.

Merde…

La gendarmerie, sans doute.

Je jetai un œil à mon compteur.
104 km/h.
Pas totalement hors la loi.
Je baissai légèrement le rythme.

Puis, soudain, une voiture et deux motos apparurent dans mon rétro.

Par réflexe, je repassai en Mode Sport et ralentis encore.
Ma plaque était petite et l’hélicoptère relativement loin…

Je vis arriver sur moi un gros 4x4 Porsche, suivi de deux Ducati Hypermotard noires.

Les motards m’encerclèrent et me firent signe de m’arrêter…

Je ralentis, mais n’obtempérai pas immédiatement.
Coupant les gaz.

D’un ton sec, je demandai au type à ma gauche :

Vous êtes police ou gendarmerie ?

Le mec me répondit juste :

"Casse pas les c... et arrête-toi, ou ça va mal finir."

Puis, il fit un écart, me poussant presque sur le côté.

Les deux motos étaient à quelques millimètres de moi.

Je perdis mon calme.

Tomba une vitesse.
De 3 à 2.

Toute la puissance, mêlée au couple brutal du bicylindre, transforma mon accélération en un coup de fusil.

Je laissai les deux Ducati sur place.
La Porsche, qui avait pourtant anticipé ma manœuvre, n’arrivait pas à me tenir.

3, puis 4, puis 5…

J’envoyais du lourd avec ma KTM !

La Porsche était larguée.
Les motos, un simple souvenir.

Mon esprit et mon corps étaient dopés à l’adrénaline.

Et tout à coup…

Trou noir.

Plus rien.

Mon esprit se vidait.

Je perdis connaissance.

La chute fut ultra-violente.

Des dizaines d’os brisés.
Mon pauvre bébé fracassé.
Mon casque en deux.
Mon blouson en lambeaux.
Et du sang. Partout.

Mais bizarrement… malgré ce terrible accident…

Pour la première fois depuis des années, voire des décennies… je n’avais pas mal.

Je me sentais… absent.


 


 


 


 

 

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Kaelane
Posté le 03/03/2025
L'écriture est fluide et agréable à lire, aucun doute là-dessus. Je trouve ça presque dommage que la suite soit obligatoirement "plus fun". C'est bien d'avoir des histoires sombres aussi. Surtout si c'est un exutoire.
Je vais attendre la suite, en te souhaitant du courage parce que partir de soi pour écrire c'est difficile.
ludwigsburg21
Posté le 03/03/2025
Bonjour et merci Kaelane. Je n'ai pas la prétention d'être écrivain mais j'avoue adorer cela.
Exutoire c'est le terme approprié....C'est un conseil qu'une amie du site m'a donné...J'ai donc décidé de modifié un peu mon récit...
ludwigsburg21
Posté le 03/03/2025
J'écris toujours en débutant de mon histoire...J'ai pas trop de mal avec cela j'avoue.
Kaelane
Posté le 03/03/2025
Le seul vrai conseil, c'est de faire comme bon te semble. L'écriture, c'est personnel et peu importe comment tu écris, tu auras forcément un public cible. Prends plaisir à écrire, prend plaisir à être toi-même. Si tu en ce moment tu as envie d'être sombre, ça veut pas dire que dans dix chapitres tu auras pas envie de nous raconter une jolie chose :) Ne te force pas à "convenir"
ludwigsburg21
Posté le 03/03/2025
C'est un conseil en or !!!!!
MERCI
Archange
Posté le 02/03/2025
Jolie écriture, mais triste histoire. Malheureusement, là est la vraie vie ! Beau début, et je serais ravie de lire la suite !
Courage à vous, pour l'histoire et pour le reste !
ludwigsburg21
Posté le 02/03/2025
Merci Archange !!!le reste est plus fun a lire...
ludwigsburg21
Posté le 02/03/2025
je vais peut être le mettre....
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