Note de l'autrice : J'ai repris le texte du début pour modifier un peu la caractérisation du personnage principal, et j'ai fait une jolie boulette temporelle dans ce chapitre (merci, Itchane). Il va donc être modifié... dès que je le pourrai.
De près, la Maria de le sombres avait encore maigri. Sa main, glissée dans celle de l’ombre, apparaissait fragile, aussi délicate qu’une porcelaine usée. Nous nous raclâmes légèrement la gorge pour l’alerter de notre présence, bien que cela ne fut pas nécessaire : une des silhouette avait quitté le ruisseau pour l’avertir de notre arrivée. Maria tourna vers nous son visage. Nous n’arrivions pas à décider si elle le faisait par politesse ou par habitude. Cela faisait longtemps qu’elle ne voyait plus, son regard mangé par son obscurité intérieure. Elle nous souriait, cependant, à chaque fois que nous lui rendions visite.
- Candelaria, quelle bonne surprise, dit-elle. Comment allez-vous toutes, aujourd’hui ?
Sa voix frêle avait la beauté d’une cloche fêlée. Nous pouvions passer des heures à l’écouter nous raconter sa jeunesse et ses enfants, tandis qu’elle nous caressait les cheveux. Notre coeur se serra, comme à chaque fois, de la sentir un peu plus ténue, un peu plus proches de notre domaine que du monde des vivants.
- Nous allons bien, Maria, merci. Et toi ? Qui sont tes visiteurs ?
- Oh, tu les connais, sourit la vieille femme. Mon Abelina et mon Sandro. Et les petits de Sandro, bien sûr. Ne sont-ils pas mignons ?
Nous plissâmes nos yeux et tendîmes nos cous. À bien y regarder, certaines ombres étaient en effet différentes des deux que nous voyions d’habitude. Et la silhouette à côté de notre amie ressemblaient bien à son fils, mais à un âge qu’il n’avait jamais atteint de son vivant. Comment cela était-il possible, commençaient à demander certaines d’entre-nous. Que cela avait-il coûté à Maria, s’inquiétaient d’autres. Les ombres peuvent imiter le monde, le déformer aussi, mais elles sont incapables de refléter ce qui ne fut jamais. Et pourtant, devant nous, un Sandro plus âgé tenait avec tendresse les mains de sa mère dans les siennes. Nous devions faire quelque chose. Si nous la laissions ainsi, elle se viderait de sa substance à force de nourrir ces chimères. Elle mourrait de toutes les manières, nous nous raisonnâmes. Mais si nous arrêtions cette folie, elle resterait plus longtemps avec nous. Et n’était-ce pas ce que nous étions censée faire ? Accompagner les mourants, pas les précipiter vers la tombe.
Maria ne voyait rien de nos atermoiements. Elle riait à des paroles qu’elle était seule à entendre, son regard plein d’une tendresse égoïste. Nous aurions voulu la saisir par les épaules, dissiper ce monde qu’elle s’était bâti, lui dire qu’elle pouvait encore nous brosser les cheveux, comme lorsque nous étions enfant, et que nous l’écouterions sans jamais nous lasser nous parler de Sandro et Adeline.
Mais quel bien cela ferait-il ? Et à qui ? Malgré tous nos efforts, malgré tout l’amour pour elle que nous n’avouions qu’à demi-mot, nous l’avions déjà perdue, ô ironie, pour des ombres moins tangibles que nous ne l’étions. Maria de le sombres n’avait jamais été notre mère, aussi fort que nous l’ayons souhaité, et c’était trop tard, de toutes les manières. Un de nos pieds s’envola pour frapper une pierre, laquelle traversa les petites ombres accroupies et s’écrasa dans le ruisseau. Tournant le dos à Maria et à ses illusions, nous repartîmes vers le village. À peine avions-nous pointé le nez hors du creux que nous sentîmes que quelque chose n’allait pas. Nous fronçâmes les sourcils, essayant d’identifier lequel de nos yeux nous mettait ainsi en émoi. Devant nous, la plaine baignait dans la nuit, se confondant avec le ciel où poignaient les premières étoiles. Derrière, les collines s’ourlaient de pourpre et d’or. Ce spectacle, nous l’avions déjà vu un millier de fois. Nous nous rappelions d’un temps où sa beauté nous amenait au bord des larmes. Désormais, il nous oppressait. Le manteau noir de la plaine, nous l’avions rêvé océan, nous l’avons espéré sauveur, nous emportant loin, au-delà de tout retour possible. En vérité, il s’était révélé aussi étriqué et raide qu’une robe de première communiante. Les collines, elles, semblaient prêtes à écraser sur nous leurs roches flamboyantes, puisque nous étions coincées là, dans le nulle-part où nous étions nées.
Nos pupilles s’étrécirent, alors que nous nous tournions pour faire face à la lumière. Au-dessus du village, la maison du Juan prenait part à ce brasier céleste. De grandes langues lumineuses s’en échappaient pour venir lécher la route empoussiérée. L’intérieur étincelait, d’immenses flammes se reflétaient dans le verre des fenêtres démesurées. Sans atermoyer davantage, nous nous jetâmes sur le chemin de chèvres, espérant ne pas arriver trop tard.
C'est toujours un plaisir de te lire. L'histoire avance à tout petits pas dans une belle épaisseur de description qui se déroulent comme des poèmes. J'ai relevé cette image "Derrière, les collines s’ourlaient de pourpre et d’or" que j'ai trouvée particulièrement belle, mais il y en a plein d'autres.
A très vite
Au fil de la lecture de ce chapitre :
«Nous n’arrivions pas à décider si elle le faisait par politesse ou par habitude. Cela faisait longtemps qu’elle ne voyait plus, son regard mangé par son obscurité intérieure. Elle nous souriait, cependant, à chaque fois que nous lui rendions visite.» --> J’aime trop, c’est vraiment joli et ça apporte une certaine crédibilité à sa cécité. :)
«Sa voix frêle avait la beauté d’une cloche fêlée.» --> C’est bien trouvé, hi hi hi.^^
J’aime beaucoup le personnage de Maria de les Sombres, au début, on pense à un personnage fantastique et au final, on comprend que c’est quand même elle qui a créé ces fantômes. Ça ajoute une touche supplémentaire à sa folie, je trouve. :)
«Nous devions faire quelque chose. Si nous la laissions ainsi, elle se viderait de sa substance à force de nourrir ces chimères. Elle mourrait de toutes les manières, nous nous raisonnâmes. Mais si nous arrêtions cette folie, elle resterait plus longtemps avec nous. Et n’était-ce pas ce que nous étions censée faire ? Accompagner les mourants, pas les précipiter vers la tombe.»
--> Ici, j’ai un peu bloqué à l’enchaînement des phrases, en particulier pour la toute dernière que j’aurais formulée sous forme de question pour accompagner la phrase précédente. Mais après, ce n’est que mon avis et si je suis le seul à avoir eu de la peine, il n’est pas nécéssaire de changer.^^
--> Est-ce que «de toutes les manières» signifie la même chose que «de toute manière» ? Je ne l’avais jamais entendu formulé ainsi, mais c’est peut-être juste, je ne suis pas vraiment calé dans ce domaine...😅
«Maria ne voyait rien de nos atermoiements. Elle riait à des paroles qu’elle était seule à entendre, son regard plein d’une tendresse égoïste. Nous aurions voulu la saisir par les épaules, dissiper ce monde qu’elle s’était bâti, lui dire qu’elle pouvait encore nous brosser les cheveux, comme lorsque nous étions enfant, et que nous l’écouterions sans jamais nous lasser nous parler de Sandro et Adeline.» --> Je comprends le dilemme de(s) Candelaria, elles auraient besoin d’affection, mais Maria de les Sombres la donne à des personnes qui n’existent plus... C’est vraiment bien trouvé et ça rend Candelaria vraiment attachante(s).^^
J’adore la fin du chapitre, avec la super description du paysage qui s’inscrirait presque dans le mouvement du romantisme et qui bascule d’un seul coup à une horrible vision d’incendie. Je trouve que c’est vraiment bien amené, on comprend très vite la situation, sans même que le mot «incendie» ou « feu » ne soient mentionné.^^
Voilà voilà, désolé si mon commentaire était long à lire...😅
A bientôt, j’ai hâte de lire la suite !^^
Ce chapitre m'a un peu déboussolée, je n'avais pas vu la nuit arriver.
Dans le chapitre précédent il fait encore chaud et seul le Juancho a le courage de monter la colline jusqu'à la maison de Juan.
Et voilà que tout à coup, après quelques courts instants passés avec Maria de les Sombres, la nuit est tombée ?
Est-ce que cela fait part des mystère ces journées étrangement raccourcies ou bien le temps passé avec Maria n'est peut-être pas assez long ?
Sinon je suis bien intriguée par cette fin en suspens, car je me demande vraiment "trop tard pour quoi ?" ^^
Je reste accrochée à l'histoire et à ce monde d'ombres fleurtant avec le fantastique. Courage pour l'écriture de la suite ! : )
(Courage pour l'avion !)