Deux mouches mortes étaient posées dans l’assiette de Mireille. Mortes, car leurs ailes écartées formaient une croix ; vivantes, elles les repliaient dans leur dos, prêtes à tout moment pour décoller.
Mireille inclina la céramique vers la poubelle et l'essuya d'un revers de manche. La pluie tambourinait sur le simple vitrage.
Dire que la veille il faisait beau. Depuis la mort de Jacquot, elle avait pris l’habitude de travailler le dimanche, car sa boite aux lettres débordait de factures. Mais par un temps comme ça, les gens préféraient boire des 8.6 sur la place et jouer au caps, aussi, la journée fut calme.
Vers vingt-deux heures, elle passa la serpillière entre les tables, poussant les godasses trouées des poivrots, arrosant leurs gouttes, de son mélange de cire d'abeille et de savon noir. Comme d'habitude, ça rigolait d'amitié, ça lui faisait des déclarations d'amour goguenardes et cavalières. À ça, elle répondait que les tires quéquettes dans leur genre, ne la faisait plus rêver ; surtout depuis qu'elle avait changé de lunettes et qu'elle y voyait clair. Ils lui chantaient alors qu'il voulait la voir en mini-jupe. À son âge ? Des fantaisies ! la fantaisie elle la laissait aux putes de la nationale.
Mireille réchauffa des Knacki dans le micro-ondes quand Gégé déboula de la réserve, la gueule enfarinée, avec son œil qui disait merde à l’autre. Il avait tendance à se planquer à la fermeture et y passer la nuit, d'habitude elle vérifiait mais hier soir elle avait oublié.
— C’est lundi gros soûlot ! Arrête de coucher dans mon bistrot, et elle le chassa à coup de torchon.
— Mireille, sers-moi un rouge.
—Ton bar de chasseur t'attend si tu veux des shots de piquette.
— Il pleut Mireille !
—Tant mieux, ça te fera dessaouler !
Gégé viré, le loquet fermé, Mireille repassa derrière son comptoir et sortit les saucisses. Les bouts avaient cramé, et la peau orange s'était flétrie, un chuintement et quelques bulles sortirent d'une déchirure sur le coté. L'appétit l'ayant quitté, elle repoussa l’assiette, monta sur le marchepied, et décrocha un Goal. Depuis la mort de Jacquot, elle avait pris l’habitude d’en gratter un chaque matin. Récupérer le plaisir de son mari pour le faire vivre derrière son épaule, c'était tout ce qui lui restait. Parfois, elle croyait sentir sa présence quand elle raclait la pellicule et dévoilait les numéros.
Plus que la maladie d’amour, Jacquot avait la fièvre des courses. Il butait sur son nom de jeune fille, mais connaissait les jockeys sur le bout des doigts. Imprimeur, Justify, La Milva, c’étaient ses femmes à lui ; elles le faisaient vibrer dans un trot attelé, en tiercé ou en quinté.
Avant de jouer, il lui touchait toujours une mèche de cheveux... Il lui disait qu’elle était sa patte de lièvre et elle lui répondait d’arrêter de donner leur argent à la FDJ.
Mireille toucha l'urne sur l'étagère et gratta les trois ballons, 10,10, 300, perdu. Malheureuse aux jeux, heureuse en amour, oui, elle l'avait été - la plupart du temps.
On cogna à la porte. D'un geste vif, elle attrapa dans le tiroir, le pistolet à barillet - il était vide, mais Gégé l’ignorait.
Derrière la buée du vasistas se dessinait une silhouette fine. Mireille jeta le flingue dans la corbeille et tira le verrou. La gamine faisait le poireau sur le seuil, trempée jusqu’aux os.
— Reste pas comme ça. Entre.
La voyant dégouliner sur ses tomettes, Mireille fouilla sur le porte-manteau des affaires oubliées.
— Enlève ton « p’tit-shirt » et mets ça.
Mélissa attrapa la veste treillis et la posa sur le comptoir.
— Je peux te piquer une Gauloise Mimi ?
Mireille lui dit de se servir. La gamine se hissa sur le zinc, plia les genoux et pivota pour passer derrière. Elle prit un paquet bleu au casque ailé, déchiqueta l’ouverture ; et la cigarette au bec, retira son top. Sa manie de faire deux choses en même temps exaspérait Mireille. Alors pour se calmer, elle étendit le vêtement au dos d'une chaise.
— Tu te rappelles des clopes en chocolat, quand t’étais petite.
— Ouais, c’est dommage qu’ils n’en fassent plus, elles avaient un goût particulier.
Mélissa enfila la veste et d’une pression du coude, fit tinter le tiroir-caisse à l'ouverture.
— Tu t'en foutais partout. Ça faisait rire Jacquot.
Mireille aimait ressasser les souvenirs pour les faire vivre devant ses yeux. Jacquot apparut à table, le Turf dans ses paluches, Mélissa sur ses genoux, sirotant un jus d’orange. L’odeur du cigare et le goût des agrumes, Mireille s'était toujours demandé ce que ça donnait.
Jacquot était le meilleur ami de Lisa, la mère de Mélissa. Malgré trente ans de différence, les deux étaient inséparables. Ils écumaient les hippodromes et flairaient les sprinters comme personne. Le rire de Lisa éclatait comme une bouteille de champ'. Certaines personnes habillent les lieux de leur présence, quand elles les quittent, la peinture vous parait laide, l’air moite, et le bourdonnement du frigidaire vous insupportent. D'un rire, une posture, Lisa aurait fait passer des chiottes d'autoroutes pour une salle de bal.
— Mimi, il manque de l’argent dans la caisse. Tu as encore rendu un billet de cinquante sur un billet de dix. Tes lunettes jaunasses t’aident pas pour les couleurs.
Mireille grommela en attrapant la télécommande et pointa la télévision. Les grilles du Rapido apparurent à l’écran.
— Regarde, orange c’est cinquante, gris, cinq. Et c’est pas des francs Mimi.
— Je compte encore en anciens, alors tu sais…
Mireille tapa le cul de la zappette. La télé passa sur une compétition de culturisme. De beaux gars en slip prenaient des poses athéniennes. Mireille enviait leurs musculatures puissantes. Ce corps de force brute, d’acier, de propagande, elle en rêva un peu. Mélissa, quant à elle, jugea que trop baraqué, c’était moche, puis se replongea dans ses calculs.
_ Je ne comprend pas. Les gens te connaissent depuis toujours, et ils t’arnaquent ? Ça me dépasse.
Mireille haussa les épaules. Mélissa lui annonça qu’avec un trou de vint-cinq euros, elle était la seule bistrotière à perdre de l’argent en vendant de l’alcool, mais Mireille n’écoutait pas. Sans Jacquot,les murs pouvaient s'écrouler, le cœur n’y était plus.
En partant, Mélissa roula son tee-shirt dans sa poche.
— Tu vas où ?
— Dehors. À plus Mimi, je repasse demain.
Avant que Mélissa ne passe l'encadrure, la bouche de Mireille parla d'elle-même.
— Et si tu t’installais ici ?
Mélissa se retourna, l'air interrogatif.
— Si tu reprenais le bistrot avec moi, on ferait un truc de jeunes avec un flipper et des fléchettes.
Les mots étaient sortit d'une traite.
— Mireille, t’es pas obligée de couler avec ton bar, tu sais.
Melissa lança un baiser volant. La porte claqua. Mireille s'installa devant la télé, mais ses yeux ne se fixaient pas sur les images. L’idée de Mélissa l’effleura comme une caresse hésitante ; maladroite ; invasive. Mireille la repoussait quand un grésillement pénible parvint à son oreille. Le bruit semblait venir de son ventre, plus précisément de la poche de son tablier. Elle y plongea la main et sentit au creux de sa paume un chatouillis. Mireille déplia ses doigts. La mouche était sur le dos, remuant les pattes en vain, traçant de son corps, des ronds infinis.
Déjà, je te dis que j'aime bien l'image illustrant ton histoire. Elle campe à elle seule l'ambiance du bistrot.
Pour le texte, je donne juste mon ressenti, n'ayant aucune compétence à corriger.
Le style rend bien l'ambiance glauque, la vie lamentable de cette pauvre femme, qui néanmoins s'accroche à son barre. Ss
Bar et non barre. Ss à supprimer.
La symbolique de la mouche étant extrêmement négative, elle n'augure rien de bon pour l'avenir. Mireille s'obstine dans son bar miteux.
Le retour sur la mouche pour cloturer le sujet, en faire une symbolique, c'est vraiment très intéressant : je pense que pour le fond, l'histoire est très bien comme ça, qu'il est vraiment intéressant de ne pas tout savoir. Mais, je pense qu'il y a de petites maladresses au niveau de l'écriture, sur la forme ^^
en tout cas tu peux déjà être fier de ce texte ! Bon courage :)
Je trouve aussi certaines tournures trop familière. Ex : "Les bouts avaient cramé"
Mis à part cela, le texte se lit tout seul et on s'attache vite à Mireille et à son bar. J'aime beaucoup l'ambiance que tu installes, c'est écrit avec beaucoup de justesse. Bravo pour ce texte et merci pour le partage !
Quant aux figures trop familière, j'hésite, n'est ce pas comme ça qu'elle parlerai, je crois que j'aime bien le mélange des genre, prendre du familier pour en faire quelque chose de beau, après j'avoue les bouts avaient cramé, ça sonne pas super.
"les tires quéquettes dans leur genre, ne la faisait plus rêver" Je trouve que la virgule casse un peu le rythme de la phrase, qui pourtant est très drôle
"la fantaisie elle la laissait aux putes de la nationale." Il faut une majuscule à "La fantaisie"
"Arrête de coucher dans mon bistrot, et elle le chassa à coup de torchon." Là c'est peut-être un avis subjectif avec lequel tu ne seras pas d'accord, mais je trouve ça un peu étrange cette description en fin de dialogue. Elle serait très bien à la ligne, même si elle est courte ! (Au contraire, ça n'en soulignerait que l'action qu'on s'imagine déjà avec beaucoup de tendresse.)
"10,10, 300" Il manque une espace entre les deux 10 (bon je suis d'accord, c'est vraiment du détail)
"Tu te rappelles des clopes en chocolat, quand t’étais petite." Si c'est une phrase interrogative, un point d'interrogation à la fin ?
"Certaines personnes habillent les lieux de leur présence, quand elles les quittent, la peinture vous parait laide, l’air moite, et le bourdonnement du frigidaire vous insupportent." Là je relève simplement pour le plaisir, c'est dur d'en élire et ça n'aurait pas trop de sens, mais c'est un de mes passages préférés (avec la mention des tomettes, je crois).
"Je ne comprend pas." comprends*
"Sans Jacquot,les murs pouvaient s'écrouler, le cœur n’y était plus." Il manque une espace entre Jacquot et les murs, mais autrement c'était une phrase que je voulais aussi relever parce qu'elle nous serre le cœur à nous.
"Melissa" L'accent s'est fait la malle !
Du coup c'est la deuxième fois que je le lis, et vraiment c'est un petit bout de plaisir ce texte. On s'imagine bien les gestes et les petites choses, et tu vais vivre le lieu par des détails qui nous renvoient à un monde et des personnages tellement caractéristiques qu'on se les imagine vraiment devant nos yeux, je trouve. L'exercice voulait qu'il n'y ait aucune description physique, mais pourtant j'imagine bien Mireille avancer avec des petits pas et un bruit de chaussons sur ses tomettes. Elle n'est probablement pas en chaussons, mais c'est pour te dire qu'on prolonge tout ça très bien par l'imagination.
Les points que j'ai relevés sont du détail, franchement. Après moi je n'ai pas tellement d'expérience liée aux concours comme celui-ci, mais même s'il n'a pas été retenu, je ne doute pas un instant qu'il ait été très apprécié du jury.
Bravo à toi et au plaisir de te lire à nouveau bientôt :) !