Moomen, le Balladin cévenol.
C'est ici, en pays cévenol, que le regard de l'auteur se pose. Sa plume y trouve un vieur monsieur aux joues creusées, les yeux plissés par le temps et malicieux, une barbe toujours naissante et grisonnante.
Le crâne dégarni, quelques cheveux gris et sombres, arpentent encore les vallons jouxtants le sommet de son crâne. Il s'appelle Moomen. Et il est beau. Sa physionomie reflète à merveille les bancels cévenols. Vous savez ces terrasses de cultures agricoles fomentées par les habitants de ces montagnes escarpées. Abruptes et généreuses à la fois. Son sourire ne se donne pas à qui veut mais lorsqu'il s'ouvre, c'est de la poésie qui en émane. Il s'agit du balladin cévenol.
Arrivée d'Algérie dans les années 70, il a rapidement fait son nid en France. Professeur d'histoire de formation initiale, il a d'abord enchaîné quelques jobs d'appoint lors de ses premiers mois en France. Puis il a découvert les travaux du bâtiment et de la rénovation pour arrondir ses fins de mois. Quand il ne jouait pas de la gratte et n'égayait pas les cafés avignonnais par ses créations et ses reprises musicales, le bougre! Ah oui, l'auteur a failli oublier cet attrait de Moomen pour sa compagne à six cordes et sa voix aujourd'hui éraillé, mais qui a tant fait jaser lors de soirées mondaines, ou lors de repas de familles. D'où son sobriquet de balladin cévenol. Il aime à raconter ses soirées provencales où seul où en trio, ils animaient les soirées chantantes. Bon, cela lui permettait aussi de gagner quelques deniers.
A ses amis plus proches, il aimait partager cette anecdote. Alors qu'avec son petit groupe de l'époque, ils allaient donner un concert dans un café-théâtre avignonnais, un petit bonhomme, à la carrure finette, et de type métèque s'était présenté à lui. D'une voix fluette, il leur avait demandé s'il pouvait faire leur première partie. Un peu décontenancé, Moomen et ses deux comparses étaient un peu pris de cours par ce jeune opportuniste qui ne semblait, par ailleurs, pas bien méchant. Ils lui demandèrent tout de même, s'il était bien préparé ce à quoi le jeune homme acquiesca. Soit. Ils lui laissait sa chance sur un ou deux morceaux. Après tout, c'est aussi comme cela que les anciens s'étaient vues offertes leurs premières possibilités de monter sur scène. Après ces deux chansons donc, le groupe, d'un bloc, demanda expréssement au jeune chanteur de déguerpir. Ils avaient trouvé sa prestation à la limite du ridicule et ne voulaient pas saboter la suite de la soirée. Ils l'avaient gentillement remercié avant de prendre la suite avec le panache que le public attendait. Ce jeune artiste, devait quelques années plus tard, faire son chemin dans le milieu de la musique. Il s'agissait de Faudel.
Notre gaillard est un homme de foi. Il marche, il arpente, il en fait des bornes. Il philosophe, il médite, il refait le monde. Quand il est seul. Sinon, c'est à la terrasse des cafés du grand Alès que notre compagnon rabat les cartes. Il sait se faire l'ami de tout à chacun. Il ne se prive ni du jeune, ni de l'ancien, ni de la dame cherchant son chemin, ni du quidam requérant le pain. Disponible et disposé, il prend souvent de longues boufées sur sa cigarette roulée avant d'exprimer mot. Et c'est rarement pour dire bêtise, que diantre! Il en a lu des bouquins, il en a vu du pays. S'il ne vous relance pas d'un air sagace, il est en mesure de vous offrir une réponse à vos tracas en chanson. L'auteur lui doit une belle chandelle d'avoir su lui fortifier l'âme en temps d'effroi, lorsque les épisodes cévenoles grondaient par dessus le Mont Aigoual, où s'étiolaient en direction du Mont Lozère. Si le Cratère alésien a failli l'étouffer de ses fumées carbonifères, la boufée d'oxygène chantée par le balladin l'a fait remonter à la surface du Gardon plus d'une fois.
Mais comme chaque bonne âme ne se façonne jamais seule, Michèle l'accompagne depuis toutes ces années. Ils se sont rencontrées lors de leurs jeunes années en Avignon. Ils venaient tous deux de passer la trentaine. Moomen se rappelle encore leur premier café en terrasse, c'était en face du Palais des papes, en plein mois de festival. Il en a couler de l'eau sous les ponts aujourd'hui et depuis, ce fut les échancrures des vallons cévenols qui ont su accueillir nos deux tourteraux en quête de bonheur et de quiétude. Ce fut Soustelle d'abord, puis le petit hameau de la Vabreille depuis plus d'une dizaine d'année, qui a su recueillir les deux âmes, afin que celles-ci chantent à l'unisson et fortifient leur famille, bâtie autour de leurs trois jeunes filles. Une famille d'artiste! Quand l'un chante, l'autre pianote, et quand l'autre cantate, l'une gratte! On ne s'ennuie que très rarement en cette contrée, et pourtant, très peu d'écrans, un ou deux ordinateurs pour rester "branchés" au monde sociétal, un ou deux téléphone pour les mêmes raisons. Sinon, et bien le rythme des eaux du Gardon qui vient fluctuer la vie de ces âmes tendres, les coups de fil des amis pour venir partager un banquet ou retaper une baraque. Cette activité est d'ailleurs monnaie courante dans cette région où l'entraide et la solidarité sont monnaie courante.
Ah que l'auteur remercie le Ciel et tombe en gratitude à l'évocation de ces montagnes et de cette région ! Que de les avoir connus, et de pouvoir y retourner à l'occasion! Que de pouvoir se baigner dans ses lagons d'eau fraiche et cristalline, d'arpenter ses sentiers escarpés qui n'en finissent pas de vous suprendre! Que de retrouver toutes ces bonnes vielles figures, de gens au coeur lourd d'amour et de générosité! Quel beau Païs!
De l'algérie, Moomen en garde quelques expressions. Il en garde également un lien prégnant, notamment avec sa maman et ses frères avec qui il est régulièrement en contact. Tiens, durant le confinement qui a touché le monde au courant du mars de l'an 2020, Moomen était parti comme à l'accoutumée, rendre une visite de quelques semaines à sa mère. Il y aura finalement passer trois mois! Qu'à cela ne tienne, Michèle a été patiente. Ils n'en étaient pas moins heureux de se retrouver l'été arrivé, et avait davantage de choses à se raconter. Mais tout de même, sacrée expérience. En parlant de sacré, Moomen est un féru de spiritualité. Il a grandi avec les contes d'Idris Shah qu'il considère d'ailleurs comme son premier maître. L'auteur se rappellera toujours ce premier temps de prière décidé en commun, ou le balladin jeta sur leur tapis un livre intitulé "Rire avec Dieu". L'auteur éclata alors de rire. En effet, Moomen a cette propension à vous parler avec gravité de choses légères et avec frivolité d'éléments que d'aucun tiennent pour très importantes. Une sagacité vous disais-je... Aguerri d'une connaissance encyclopédique, il est possible d'évoquer avec lui toutes formes religieuses ou spirituelles. Epris à titre personnelle du soufisme, coeur battant de la tradition musulmane, il n'en reste pas moins aimant et tolérant vis à vis des autres courants spirituels. Amoureux des mots, il n'en rate pas une pour se jouer d'eux, pour les faire voler au travers du langage des oiseaux. Et puisque lettres sans chiffres laisseraient Laurent Romeschko et Bertrand Renard comme cul sans chemise, Moomen se joue de la charge symbolique des nombres également pour humblement expliquer le monde.
Enfin, en apprenant à connître le renard, par une compagnie assidue et patiente, il est possible alors de commencer à l'apprivoiser. Mais tout doux, car comme dans le récit de Saint-Exupéry, c'est dans le temps passer à s'occuper de sa rose que l'on saisi l'importance qu'elle sied dans sa vie. Et gard à celui qui viendrait se frotter aux épines! Il s'agit alors pour le visiteur opportun d'éviter les sujets de discorde, les opinions fâcheuses. Les questions relatives à la création de l'état d'Israël par exemple, ou tout autre sujet qui semblent tirer leurs sèves dans le feu de l'injustice, sont des lieux de remontées pour notre ami cévenol. Et mieux vaut ne pas se trouver sur le chemin de ses invectives à ce moment là!
Mois de ramadan de l'an 2018, soit le mois de juin pour tous ceux qui relèvent du calendrier grégorien, l'auteur est convié à la tablée familiale. Au coeur du hameau de la Vabreille, se trouve un petit mazet en pierres de schistes. Au milieu de ce vieux petit mas brûle une cheminée qui chauffe la maisonnée. Le soleil s'apprête à redescendre derrière les collines de chênes verts, le dernier train vient de passer, reliant la gare d'Alès, au Massif Central, stoppant sa course à Clermont-Ferrand à plus d'une centaine de kilomètres plus haut. Le rituel est quotidien, du moins pendant trente jours. Moomen remonte du jardin attenant au village, où il aime à travailler quelques heures avant le couchant, remontant avec lui les paniers de légumes et autres plantes aromatiques offerts par la terre généreuse. Certains serviront directement pour le repas du soir, d'autres seront mis en conserve pour les périodes plus froides. A quelques minutes du coucher du soleil donc, notre balladin allume son poste, un transistor. Et oui mesdames et messieurs, cela existe encore!
Toujours la même station qui rellie directement le cévenol à son bled natal. Et voilà le petit hameau gardois propulsé, d'une chaîne de montagne à une autre, des Cévennes, aux Aurès. La soupe est prête sur la tablée, le verre de lait aussi. Quelques dattes. Ah oui, ce soir Moomen a préparé l'une de ses nombreuses spécialités: le couscous aux sardines! Autant dire que personne n'oubliera cette soirée. Il est l'heure, Moomen se retire discrètement pour aller faire ses ablutions. Dans le coin de la fenêtre laissée à moitié ouverte, il sera alors possible de percevoir et d'ouïr légèrement, la voix d'un vieil homme qui gratifie la vie le front posé sur le sol. De retour à table, quelques goutelettes d'eau encore ruisselantes de sa barbe grisonnante, l'ambiance repart de plus belle. Et comme à chaque fin de soirée, après moultes coups de fouchettes et franches rigolades, le balladin cévenol tire sa gratte de son étui et se met à chanter. De Marley à Léonard Cohen, de Idir aux complaintes arabo-andalouses, le répertoire est varié et chacun y trouve son compte.
Lorsque la Vie perdra ce bonhomme, c'est un immense monsieur qu'elle prendra en son sein. Et pourtant, maigre comme un clou, faux mal rasé, et discret dans son apparence pour pas un sou, personne n'irait penser que son âme est ruisselante de bonté et son coeur paré d'or.
Sauf ceux qui voudraient, comme feu Robert Louis Stevenson marcher sur les sentiers cévenols à la rencontre de ses habitants, de ses villages, de ses maisonnées. Et qui accepteraient de troquer leurs lunettes habituelles contre un regard nouveau!
Le balladin cévenol.