Objectif révélation

Chapitre 7.

Le groupe d’amis resta silencieux en attendant que James ne descende. Ils étaient tous anxieux, stressés de savoir ce qu’il allait leur dire mais le plus dur restait pour Ted et Blaise qui se sentaient coupable. Les mains enfoncées dans leurs poches, les regards baissés sur leurs chaussures, ils ne relevèrent la tête qu’en entendant des bruits de pas dans l’escalier. L’un et l’autre avaient le visage crispé et pâlissaient devant l’expression du père de Caleb. Il était contrarié, et bien que tous en comprenne la raison, chacun retenait son souffle.

- Zoey m’a dit ce qu’il s’était passé sur le lac. Commença-t-il d’une voix blanche.
- Monsieur Trinyski, je suis vraiment désolé. On voulait juste plaisanter. Souffla Blaise avant d'être coupé par son ami.
- Et on a pas réfléchi. On pensait vraiment qu’il voulait nous faire une blague en retour. M’sieur, il va s’en sortir n’est-ce-pas? Il n’a rien de grave?
- Il y a eu plus de peur que de mal. Quand il sera en état de parler je lui demanderai qu’il m’explique ce qu’il s’est passé. En attendant, le mieux est que vous rentriez chez-vous, il vous enverra un message quand il le pourra. Les congédia-t-il sans plus attendre.

Les adolescents le remerciaient et s’excusaient une fois de plus en quittant la maison. Chacun y allait de son commentaire mais tous en venaient à la même conclusion, ils n’avaient pas d’autre choix que d’attendre d’avoir des nouvelles de leur ami.
Ted était resté en retrait lorsque les autres avaient quitté la maison. Il se figea un instant devant James et souffla.

- Il avait dû mal à marcher. C’est sa jambe droite qui lui faisait mal je crois. Au début, j'ai pensé qu’il blaguait, qu’il voulait nous faire croire qu’il avait été blessé ou un truc du genre. Si on oublie cinq minutes que ce n’est dans sa nature, c’était crédible. Après, quand on l’a raccompagné à notre petit campement, j’ai vu qu’il avait vraiment mal, qu’il avait l’air complètement paumé. C’est pour ça qu’on a pu le convaincre de rentrer.
- Je demanderais au médecin de passer quand il sera réveillé. Pour pouvoir contrôler tout ça. Je mentirai si je disais que je ne t’en veux pas pour ce qu’il s’est passé mais j’entends bien que c’est simplement parti d’une blague.
- Je m’en veux aussi. Je sais bien que ça n’excuse rien mais croyez-moi, je suis vraiment désolé.

James tapota l’épaule de l’adolescent avant de prendre congé de ce dernier. Remontant directement dans la chambre de son fils, il retira le paquet de linge encore mouillé qui traînait pour le mettre à laver et revint s’installer au bord du lit. Caleb dormait toujours malgré les quelques grimaces qui venaient de temps à autre étirer son visage ou les grognements qu’il poussait lorsqu’il tentait de se tourner. James soupira. Si Ted ne lui avait pas parlé des douleurs de son fils, il se doutait que celui-ci n’en aurait jamais parlé. Pourtant, il se devait de savoir ce qu’il s’était passé pour l’aider, s’il le pouvait.
Après plus de deux heures à attendre, Caleb finit par se réveiller. Surpris de voir son père assis auprès de lui, il se redressa et le fixa.

- P’pa? Tout va bien?
- Tes amis m’ont raconté qu’il s’était passé un truc au lac et que tu t’étais sentis mal alors non. Non, tout ne va pas bien. Tu aurais dû me prévenir, m’appeler pour que je vienne te chercher. Comment peux tu imaginer que j’aille bien alors que tu as eu des soucis et que tu as cherché à me le cacher! S’insurgea le père de famille sans parvenir à dissimuler ses craintes.
- Ecoute, je sais que ça va te paraître fou, mais avec ce qu’il s’était passé, je voulais essayer de…comment dire, de passer le reste de la journée le plus normalement possible. Marmonna Caleb.
- Caleb, il s’est passé quelque chose n’est-ce-pas? Quelque chose que tes amis n’ont pas vu. Tu veux bien me raconter? Tenta James avec un peu plus de douceur.

Caleb restait un moment dubitatif. Devait-il raconter ou non à son père tout ce qu’il avait vu et vécu au lac? Il poussa dans un premier temps, la couverture qui cachait ses jambes. Les traces de sa lutte contre le serpent bleu étaient toujours présentes mais James, comme ses camarades, ne semblait pas les voir.

- C’est comme avec l’orage? Il n’y a que toi qui voyait ce qu’il se passait? L’interrogea son père en le voyant fixer sa jambe.
- Ouai, c’était pareil. Et entre nous, il vaut mieux dans certains cas que personne d’autre que moi ne voit ce qu’il se passe.
- J’ai fait l’erreur une fois de ne pas t’écouter, de ne pas croire ce que tu cherchais à me dire alors vas y, raconte moi tout.

La gorge serrée, Caleb commença son récit. L’arrivée au lac, la baignade de ses amis, la visite du Maymaygwashi qu’il appelait plus facilement Maymay. James fronça alors les sourcils et le coupa aussi subitement.

- Ton Maymay là, c’est une créature qui vient souvent te voir non?
- Ouai, lui il n’est jamais très loin. Déjà quand j’étais petit je le voyais dans mes rêves et puis depuis un moment il apparaît souvent dans ma chambre. Soupira Caleb. Il parle une langue que je ne comprends pas alors souvent…C’est difficile à expliquer, il a juste à me toucher et j’entends une voix qui me parle. Je…je ne sais pas trop comment ça marche mais il m’aide beaucoup. Au lac, j’avais peur qu’il s’énerve sur les autres si jamais ils faisaient une connerie mais non ça c’est bien passé avec lui. Il surveille juste.

James n’était pas totalement convaincu mais entendre enfin son fils lui révéler toutes ces choses le poussa à sourire pour qu’il reprenne son récit. Caleb croisa ses doigts, soupirant un peu il en arrivait à lui parler de la petite virée en canoë, comment ses amis avaient tenté de les faire chavirer avant de tomber eux-mêmes dans l’eau.

- Le truc, tu vois, c’est que Blaise m’a dit que quelque chose l’avait touché dans l’eau donc j’ai eu peur pour lui. Je ne sais pas si c’était vrai ou pas mais juste après ils ont réussi à monter dans le canoë en me faisant tomber. J’aime pas nager, c’est pas un secret, mais là, il s’est passé…je ne sais pas comment l’expliquer, j’avais l’impression qu’on me tirait encore et encore, Maymay est arrivé, il n’a pas cherché à m’aider, pas vraiment. Les voix sont revenues et.
- Attends comment ça les voix? Le coupa alors James.
- Oh ça euh ouai. Un peu avant manger j’ai suivi le Maymaygwashi qui voulait me montrer une autre créature. C’était comme une grande panthère aquatique. Très jolie mais très impressionnante, le Mishi…mishiquelquechose. Souffla Caleb en haussant les épaules.
- Et elle t’a parlé aussi?
- Non, non pas vraiment. Il y avait une autre voix, mais ce n’était pas celle qui accompagne le Maymaygwashi. Elle ne provenait pas non plus de l’autre créature. Elle s’est contentée de me fixer avec méfiance. Enfin, pour en revenir à ce que je te disais, quand j’étais sous l’eau, il y avait ces voix et à force de me sentir tirer, j’ai eu mal dans la jambe. Au départ je ne voyais qu’une ombre mais c’est vite devenu autre chose.

Devoir replonger aussi vite dans ses souvenirs fut douloureux pour Caleb. Il soupira, fixa sa jambe un bon moment avant d’oser regarder vers son père.

- L’ombre est devenue réelle, c’était une sorte de serpent dragon bleu, gigantesque. J’ai cherché à me débattre mais je savais que je n’aurais pas la force de lutter contre lui. Et puis, le Maymaygwashi est revenu avec l’autre créature et c’est elle qui a combattu le serpent. Quand- Quand il est parti il a lancé un éclair avec sa langue, et, ça faisait vraiment comme de l’orage mais sous l’eau. Ouai, je sais, ça à l’air complètement fou!

James soupira lourdement, d’instinct il vint poser sa main sur l’épaule de son fils avant de secouer la tête.

- Je te crois. Et, tout ça me fait peur. Caleb. Tu mets ta vie en danger et ça ne me plaît pas. Tu as été blessé par une créature que personne ne peut voir. Elle aurait aussi bien pu te tuer ou pire encore. Je n’aime vraiment pas ça.
- Je crois que si elle avait vraiment voulu me tuer elle l’aurait fait. C’était comme une mise en garde je pense. Tu crois que même si toi tu ne vois pas les blessures, je peux quand même mettre du désinfectant? Hasarda-t-il en repliant sa jambe pour passer son doigts sur l’une des plaies.

Père et fils se regardaient. L’un comme l’autre savait qu’ils camperaient sur leurs positions et aucun ne voulait voir une nouvelle discorde s’immiscer entre eux. James fit la moue, filant à la salle de bain il attrapa ce qu’il trouvait en espérant que cela suffise et murmura en observant son propre reflet dans le miroir.
- Chérie, je ne sais pas dans quoi notre fils est impliqué désormais mais j’ai peur. J’ai peur pour lui, j’ai peur qu’il ne disparaisse comme toi, du jour au lendemain sans laisser de traces. Je suis seul, démuni, et je ne sais pas qui pourrait aider Caleb. Oh, je sais bien que je pourrais me tourner vers ton père, mais imagine un peu sa réaction. Nous savons tous deux ce que cela impliquerait et il n’a pas été élevé pour ça. Qu’est-ce que je dois faire? Qu’est-ce que je peux faire?
- Qu’est-ce que tu fais? Tu parles tout seul maintenant? Faut croire que c’est de famille du coup! Lança Caleb de la porte de la salle de bain en souriant en coin bien qu’il n’ait pas compris un mot de ce que baragouinait son père.

James avait sursauté, se retournant pour faire face à son fils, il souffla de mécontentement et lui désigna sa chambre en la pointant du doigt.

- T’es pas censé te lever avant que je ne sois sûr que tu puisses marcher.
- Je peux marcher puisque je suis là. Répliqua aussitôt l’adolescent en levant les yeux au ciel. 
- Caleb, ne fais pas le malin s’il te plaît. Grogna James en lui tendant des compresses et du désinfectant.
- Et toi arrête de flipper. Je vais bien! Ça me fait beaucoup moins mal et même si c’est pas joli-joli ça va. Je vais nettoyer et c’est bon. Tiens tu sais quoi? Je suis même tellement en forme que je vais faire mes devoirs pendant que tu fais à manger. Mais évites le poisson, là, tout ce qui vient de la flotte je vais l’éviter un moment! Plaisanta-t-il en repartant dans sa chambre.

Inconscient. Insouciant. James l’avait regardé filer en alternant les deux mots dans son esprit. Il ne parvenait pas à savoir, ni à comprendre comment fonctionnait son fils. Une part de lui regrettait cette période bénie où Caleb n’était qu’un petit garçon. Quand il venait le trouver pour parler, quand il voyait en lui une protection, un rempart contre le monde. Il le voyait maintenant défier la nature et toutes ces créatures mythiques, se dresser devant elles pour protéger il ne savait quoi, il voyait en lui Nirvelli et son combat quotidien et malgré lui, son cœur se serra de nouveau. Et si tout cela était de sa faute!