Je me souviens encore de ce jour, c’était un jour de pluie. Je marchais lentement au milieu de la foule, il était dix-huit heures, j’avais renoncé à prendre les transports pour rentrer afin de ne pas subir l’asphyxie du métro. Il pleuvait ce soir là. Les gouttes froides tombaient à rythme régulier sur mes joues, mon front, mon nez et mes épaules. La tête baissée j’avançais sans regarder devant moi, comme un robot qui répète une tâche pour la millième fois. Lorsque mes pieds lourds croisaient le chemin de flaques, l’eau giclait et mouillait mon pantalon, je n’en avais que faire.
Une fois encore, une dure journée venait de se terminer. On venait à nouveau de me refuser un emploi. Alors que je tentais tant bien que mal de rester optimiste, ce soir là, je laissais le désespoir m’envahir, me traîner avec lui dans un gouffre sans fond. Je n’avais plus aucun espoir, je n’avais plus aucune envie. Tout était de ma faute, je n’avais pas assez de compétences, mais comment en avoir si personne n’accepte de vous embaucher ? Dans ce moment de désespoir intense, me revint en tête les paroles de camarades du collège. « Bon à rien », « sous merde », « parasite », « tu pourrais crever ça changerait rien pour personne ». Peut-être avaient-ils raison. Le désespoir qui me prenait l’esprit vint me compresser le cœur, c’était une douleur très particulière. Une douleur d’une grande intensité. Ce travail était mon dernier moyen de survie, sans lui, sans la possibilité d’avoir ne serait-ce qu’un peu d’argent je ne pourrais plus continuer à payer le loyer exorbitant de mon petit studio, j’allais me faire expulser.
Et alors que je déambulais tête basse comme un fantôme, j’aperçus quelque chose ou quelqu’un, je ne saurais dire si c’était réel tellement ce fut bouleversant. Au bout de la rue se tenait une petite fille. Dans l’atmosphère grisâtre de la ville sous la pluie, elle faisait contraste, elle était à elle seule une source de lumière et illuminait tout autour d’elle. Elle n’était pas très grande, elle m’arrivait à l’épaule. De ses grands yeux bleus et brillant elle me fixait. Ce regard, je ne l’oublierai jamais, on aurait une fille regardant son père, un regard plein d’affection et de confiance. Elle avait de longs cheveux blancs qui tombaient jusqu’au bas de son dos, on aurait dit qu’ils brillaient tant ils étaient beaux et ressortait dans le monochrome gris de la rue.
Toute souriante elle s’adressa à moi : « Bonjour monsieur ». Elle avait un parapluie en main qu’elle me tendit, je ne savais pas exactement pourquoi, mais je le pris et l’ouvris afin de nous abriter des gouttes froides. Tout naturellement, comme si nous nous connaissions depuis toujours nous marchions côtes à côtes. Elle me parlait et je lui répondais. Cette petite fille était la gentillesse incarnée, elle était bonne, généreuse, drôle. Son sourire faisait revivre le mien. Cet instant me sembla une éternité, j’étais apaisé, heureux tout à coup. J’en oubliais les tracas de ma vie, mon angoisse, mon désespoir. Elle m’avait attrapé la main et m’avait sorti de ce gouffre où je laissais seul le désespoir. Sous les larmes du ciel, un rayon de soleil m’accompagnait et me redonnait la joie de vivre. J’étais heureux, je me sentais bien, serein. J’avais comme l’impression que plus rien ne pouvait me faire obstacle.
Sans aucune gêne, je lui racontais tout, toute ma vie. Depuis mon plus jeunes âges en passant par l’adolescence et ses crises existentielles jusqu’à maintenant. C’était une sensation étrange, j’avais un recul par rapport aux malheurs de ma vie, ceux dont je n’avais jamais parlé à personne, par honte ou par peur de me souvenir d’eux. Mais avec sa présence, tout était simple. Je n’avais plus de rancœur envers qui que ce soit, plus de remords, plus de tristesse. C’est comme si j’avais finalement enfin accepté mon passé, enfin accepté ma douleur. Je la regardais en face et elle ne me faisait plus rien. Dans cette incroyable introspection, je pris soudain peur de l’ennuyer, elle qui n’était qu’une enfant et qui peut être n’allait pas comprendre. Mais à ma grande surprise, lorsque je posa mon regard sur elle, je vis un regard compatissant. Elle comprenait tout, ma douleur, ma joie, ma tristesse, ma peur. Elle me regardait fixement avec ses grands yeux.
Quant à elle, elle parlait aussi. Elle me racontait des choses dont je ne me souviens pas. C’est une sensation étrange, comme un rêve dont on ne se souvient qu’à moitié. Je n’ai qu’un souvenir, j’étais fasciné par ce qu’elle me disait. Nous discutions tranquillement, dans la joie, comme si plus rien ne nous entourait, comme si nous étions dans un autre monde, je ne sentais même plus la pluie, ni son froid. Mais alors que nous continuions notre discussion, une voix nous interrompit. C’était une amie, je ne l’avais pas vue depuis des mois. J’étais très heureux de la croiser et dans la joie dans laquelle j’étais emporté, je lui parlais de ma vie, de ma difficulté à trouver du travail et elle de sa vie également. Je voulu alors lui présenter la petite fille mais je me rendu compte que je ne connaissais pas son nom. Je me tourna dans sa direction mais il n’y avait personne. Elle avait disparu, me laissant son parapluie.
Quelque peu paniqué je demandai à mon amie si elle avait vu où elle avait pu partir mais celle-ci me répondu : « Mais de quoi tu parles ? Tu étais seul quand je t’ai vu ». Je resta muet, dans l’incompréhension. Je n’étais pas fou, elle était bien là. Était-ce le fruit de mon imagination ? Non puisque j’avais encore son parapluie en main. Ce n’était pas le mien je l’avais justement oublié en partant de chez moi. Je laissa mon amie et parti à la recherche de la petite fille, je ne pouvais même pas l’appeler, je ne connaissais pas son nom. Et puis comme au réveil après un rêve, alors que j’essayais de me remémorer ce moment, les souvenirs commençaient à s’effacer partiellement. Une tristesse immense emplit mon cœur, les larmes étaient prêtes à couler de mes canaux lacrymaux et soudain un souvenir me vint, un souvenir vivant comme une vidéo que l’on garde et que l’on peut regarder à l’infini, c’était la dernière chose que cette étrange fille m’avait dit : « Monsieur, vous savez, le monde est cruel mais il est aussi beau. Il faut le comprendre et l’aimer ».
Cette image d’elle, sa bonté fit partir ma tristesse et me réchauffa à nouveau le cœur. J’essayais de me souvenir de choses plus précises, de nos conversations dans leur entièreté, je n’y arrivais pas. Qui pouvait-elle bien être ? Je me le demande encore.
Mais depuis ce jour, j’avais à nouveau confiance en moi. Le lendemain m’attendait un nouvel entretien d’embauche que je réussis avec brio. Dans le désespoir dans lequel j’étais j’avais l’intention de ne pas y aller, j’étais persuadé qu’une fois encore j’allais échouer. Je dois mon emploi, ma vie et ma survie à cette petite fille.
Aujourd’hui encore je garde son parapluie, dans un placard, bien à l’abri de la poussière. Et lorsque quelque chose ne va pas, lorsque je sens que le désespoir essaye encore de m’attirer auprès de lui, je le prends et repense à ce jour, du moins aux souvenirs qu’il m’en reste.
Je retrouve dans la petite fille un luminosité incroyable, comme si c'était l'espoir en personne et tu as très bien su le décrire.
Le fait que ses souvenirs d'elle disparaissent ramènent à une révélation qui nous vient du ciel, j'aime beaucoup cette image.
C'est très agréable à lire, merci pour cette belle lecture ! :)
Bonne continuation,
Fy
Quelques coquilles et oublis à vous signaler :
- l’eau giclais --> faute d'accord : giclait
- "Mais alors que nous continuions notre discussion, une voix nous interrompue." --> nous a interrompue/(ou bien) nous interrompit.
- "C’était une amie, je ne l’avais pas vu depuis des mois." --> je ne l'avais pas vue...
- "Une tristesse immense empli mon cœur," --> emplit
- "Le lendemain m’attendait un nouvel entretien d’embauche que je réussi avec brio." --> réussis