Je traversais les rues et les routes sans même regarder les éventuelles voitures. Plus d’un klaxon accompagnèrent ma course ce jour là. Même plus le temps de regarder le soleil, je crachais des glaires et tenait quelques secondes en apnée pour m’empêcher de m’arrêter. J’avais l’impression que j’allais mourir. Le soleil au zénith me brûlait le dos, alors que la transpiration coulait de mes tempes jusque dans mes yeux, embuant ma vision. Chaque inspiration me donnait l’impression d’avaler du sang et mon cœur semblait battre à l’intérieur de mes oreilles. Mais je ne m’arrêtai pas. J’escaladai le grillage du lycée en deux bonds et continua ma course jusqu’au gymnase. Je ne m’étais pas changé et mon pantalon face à la grandeur inhabituelle de mes foulées du craquer à plusieurs endroit. Le terrain était devant mes yeux troublés, et je voyais déjà les autres courir, depuis sans doute très longtemps, alors que le professeur les encourageait à tenir bon, sur le coté du terrain. Je descendais les escaliers à toute vitesse quand ma cheville droite décida de me lâcher à cet instant précis. Sentant comme un appui inhabituel, je dégringolai encore plus vite l’escalier, mais désormais plus sur mes pieds. Je m’entendis crier, puis je perdis connaissance quelques instants.
« Et bah alors, Aïden, on ne t’as pas appris à ne pas courir dans les escaliers ? »
Quand je rouvris les yeux, j’étais allongé sur sur le terrain et au dessus de moi se trouvaient plusieurs têtes, dont celle mal rasée de mon professeur. Je voulus me redonner une constance en me redressant un peu, quand je sentis une lourde douleur inhabituelle au niveau de mon pied et ne pus m’empêcher une grimace de douleur.
« Bon allez, les gars, retournez courir, je m’en occupe ! »
Voyant le peu de réaction de ses élèves, il fit un léger mouvement de la main.
« Allez allez, c’est pas un spectacle ! Retournez bosser, bande de feignants ! »
Les élèves maugréèrent, mais finir bien par retourner sur la piste. Étourdi, je m’assis par terre en essayant de reconstituer ce qui venait de se passer.
« Alors, voici donc à quoi ressemble les fameux retards de mon cher Aïden ! »
La remarque me fit presque plus mal que ma cheville. J’allais commencer à m’excuser, quand le professeur m’arrêta d’un signe de la main. Il était souriant, et semblait bien plus moqueur que fâché :
« Si tu arrives comme ça à tous les cours pour lesquels tu es en retard, je pense que mes collègues sont des idiots de ne pas se sentir flatté !
– Non, mais… Enfin…
– Enfin, si chacun de mes élèves en retard devait se fouler une cheville en arrivant à mon cours, je serai très vite en chômage technique !
– Mais monsieur… C’était pas… Je voulais pas… »
Je ne pus pas continuer, car j’éclatai en larmes. Surpris de ma propre émotivité, je ramenais très vite mes genoux à mon torse et cachais ma tête à l’intérieur. Mais le professeur ne semblait pas si surpris. Il regarda ses élèves courir au loin, quand il déclama avec un faux air théâtral :
« Ah le sport, ce déferlement de passion ! Depuis la nuit des temps les sportifs hurlent, crient, pleurent sur les terrains. C’est à ça que ça sert, non ? Et après on me dit que le sport n’a rien d’un art… Mais pour faire pleurer des braves gaillards comme ça, le sport, c’est au minimum un peu artistique, non ? »
Je ne répondis pas.
« Non, artistique, ce n’est même pas assez fort pour le sport. C’est plutôt magique, qu’en penses-tu ? »
Et il rit tout seul à ses propres propos. Je ne faisais que pleurer davantage, plus capable de m’arrêter. Il du penser que quelque chose ne devait vraiment pas aller, car il demanda avec une voix plus grave :
« Tu veux aller à l’infirmerie ? Les cours ne vont pas tarder à reprendre. »
Je secouais la tête dans mes genoux. Entre deux hoquets, je finis par presque crier :
« Je vous jure, je ne voulais pas arriver en retard, monsieur… !
« Ah ça ! S’exclama-t-il en riant. J’aurais du mal à ne pas te croire vu l’entrée que tu as faite. Même un aveugle aurait compris que ça n’avait pas été dépendant de ta volonté ! »
Il fit un cran d’arrêt, regardant ma cheville douloureuse et enflée.
« Tu ne t’es pas raté, par contre. Il va falloir attendre quelques semaines avant de pouvoir courir. »
Et il parut désemparé en me voyant pleurer davantage encore.
« Hé, mon garçon, reprend toi, tout va bien… Je ne suis vraiment pas le champion pour gérer ce genre de situation, tu es sûr que tu ne préfères pas en discuter avec l’infirmier ? »
Je hochais à nouveau la tête, presque nerveusement. Mon professeur eut un soupir comme désemparé, puis me caressa les cheveux. Surpris, mes sanglots se calmèrent. Au loin, la sonnerie retentissait et les autres élèves quittaient la piste, se dirigeant vers les vestiaires en riant.
« Bon, déclara mon professeur, je vais aller ouvrir les vestiaires aux gars, reste là, calme toi, et tu me parles de tout ça quand je reviens d’accord ? Ok. »
Se doutant que je ne lui répondrais pas de toute façon, il partit avec les clés en direction des vestiaires, évitant ainsi aux autres élèves de m’approcher. J’étais seul, sur le terrain, faisant face au soleil, et mon chronomètre sonna pour me rappeler de regarder le ciel. L’ironie me prit tellement de court que je manquai de m’étouffer dans mes larmes. J’étais à terre en train de pleurer et recracher mes poumons quand le professeurs revint sur le terrain. Il posa une main sur mon épaule et s’assit à coté de moi, attendant que je récupère. En s’asseyant, il posa à coté de moi un sandwich, venant sûrement de la cafétéria du lycée, enrubanné de plastique.
« C’est de la part de Bastien, m’informa le professeur. Tu sais, le grand blond. Il avait l’air inquiet pour toi… Vous avez sympathisé, un peu ? »
Je hochais la tête, sans pouvoir déterminer si c’était le cas ou non.
« Remercie le quand tu pourras. C’est un élève gentil et il n’est pas mauvais sportif. »
Mon professeur semblait néanmoins assez décontenancé de la sonnerie de mon chronomètre qui résonnait encore près de moi. Il me parut faire un effort surhumain pour le retrouver à l’aveugle et l’éteindre. Je commençai a reprendre contrôle sur ma respiration quand le professeur me demanda :
« Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Je ne savais pas comment répondre. Je n’avais pas envie de donner une mauvaise image de ma sœur, mais je n’avais pas envie de dire que je n’avais pas fait attention, car ce n’était pas vrai.
« Que tu te sois simplement pas réveillé ce matin, que tu aies hontes ou pas, je m’en fiche, je veux juste que tu sois sincère, insista mon professeur. Alors ?
– J’étais à l’hôpital, avec ma sœur.
– Ah ! Elle va bien ? »
Il avait un grand sourire amical, pas l’ombre de peur ou de malaise. Son calme et sa franchise me prirent de court. Que savait-il de ma situation familiale ? Etait-il au courant de l’handicap et la condition irrévocable de ma sœur ? De ce que tout ceci impliquait ? Avec sa réponse, je n’arrivais plus à être sûr.
– Oui, à peu près. Comme d’habitude, je crois.
– Et qu’est ce que tu faisais, ce matin avec elle ?
– On développait des photos.
– Oh, tu sais développer ?
– Oui, et tirer les photos, aussi.
– C’est bien, ça ! »
Il semblait ravi. Je reniflai, la respiration encore assez faible.
« Elle a modifié l’heure de mon chronomètre pour que je reste plus longtemps avec elle. »
Et pour toute preuve, je lui montrai l’objet rond, dont l’écran affichait de retard.
« Tu as couru de l’hôpital jusqu’ici ? »
Je hochais la tête avec douleur. Le goût du sang dans ma gorge, mélangé aux larmes et au mucus était très bizarre.
« C’est quand même pas la porte d’à coté… Je me disais bien que tu avais une tête de Philippidès !
– De… Quoi ?
– L’inventeur présumé du marathon. Le soldat Philippidès avait couru plus de quarante deux kilomètres avant de mourir sur son point d’arrivée pour annoncer la victoire d’Athènes sur les Perses ! Une preuve de courage et de dévotion qui inspira bon nombre de sportifs après lui.
– Je ne savais pas que vous étiez bon en histoire…
– On est plus au niveau mythologique sur cette histoire. Tu sais, c’est ça qui est merveilleux avec le sport ; il a accompagné la vie des hommes depuis les premières civilisations. On retrouve une place importante à l’esprit sportif et aux pratiques sportifs dans les sculptures, les tableaux, les peintures… Le sport a accompagné l’histoire de la photo, d’ailleurs ! Nombre de photos historiques, sociales, sont des photos prise dans un cadre sportif.
– Ah bon ?
– Mais oui ! Tu ne connais pas cette célèbre photo des coureurs américains Tommie Smith et John Carlos qui brandissent un poing avec un gant noir sur leur podium, pour la célébration du black power ? Elle est vraiment incroyable, elle a fait le tour du monde !
– Vous savez, moi… Je connais rien du tout… »
Je me recroquevillai un peu sur moi même. Ce fut une toute petite voix, dont je n’avais pas l’habitude, qui parla pour moi.
« Je sais qu’on attend beaucoup de moi… Je suis l’enfant du soleil, le feu, la lumière, la réussite. Je le vois toujours dans le regard de mes parents, je suis leur enfant, leur valide, leur normalité, qui a de l’avenir, des possibilités et des capacités. Ils voulaient tellement que je sois leur enfant parfait, leur enfant prodige, qui réussit tout et qui obéit bien. Je sais parfaitement ce qu’on attend de moi et je sais très bien que je suis encore plus brillant quand on sait à quel point ma sœur est anormale, ratée et sans avenir… Mais j’en veux pas, de tout ça… »
Je dus faire un gros effort pour ne pas pleurer à nouveau.
« Je n’ai pas envie de vivre cette vie que ma sœur aurait tout fait pour avoir. Je sais qu’elle aimerait être moi, qu’elle aimerait sortir ; et elle est tellement brillante, tellement enjouée, tellement douée, elle s’en sortirait tellement mieux… Moi, je ne suis qu’un crétin, je n’ai pas de rêve, je ne fais que passer… Ce monde dont elle rêve tant et dont elle voulait tant, moi je n’en profite même pas du dixième, du centième de ses possibilités…. Je suis sûr que si elle, elle pouvait prendre ma place, elle aurait déjà fait tellement mieux que moi ! Mais elle ne peut pas… C’est elle qui est coincée dans le noir, et moi l’idiot sous les projecteurs. Je … J’ai l’impression de la priver, constamment, de ce qu’elle aurait pu vivre. Si peut-être je n’étais pas né, si peut-être elle avait été un seul fœtus qui aurait pu prendre tous les bons gênes… Si jamais personne ne nous avait comparé… Tout le monde la voit comme la ratée, ce qui était en plus, mais en vérité c’est plutôt moi le parasite qui lui ait volé toute la bonne constitution, non ?
– Je ne suis pas vraiment sûr que la génétique fonctionne ainsi. »
Il avait pris un ton très grave, que je ne lui connaissais pas. Je relevais la tête. Il avait un visage impassible, assis à coté de moi avec une détente hors pair, le regard perdu dans le vague.
« A vrai dire, je n’ai aucune idée de ce qui a pu faire que vous naissiez ainsi. Tu te sens responsable, de ce que j’ai pu en voir de mon coté, tes parents se sentent coupable, et ta sœur doit subir tout ça depuis des années peut être sans trop comprendre. »
Il souffla un coup sec, comme si il se préparait à courir un marathon.
« Tu sais, avant d’être professeur ici, j’étais coach. J’étais totalement passionné par les jeux olympiques. D’abord, je ne suivais que les J.O. classiques, avec des hommes, celui qui déchaîne les foules. Puis j’ai fini par me lasser. J’avais l’impression d’assister toujours à la même chose. Donc je me suis tourné vers les jeux olympiques féminins. Ce fut une toute nouvelle expérience, un nouvel état d’esprit, un autre engouement, qui porte bien plus d’espoir et de persévérance que le premier, car plus ambitieux. Je ne me suis jamais lassé de ces jeux olympiques féminins, luttant pour un progrès social, mais je n’ai pu me résoudre à me diriger vers ce genre de pratiques, parce que j’étais un homme. Je me disais, naturellement, même si je soutenais la cause de tout mon cœur, que mon engouement pouvait être mal perçu. Et ce fut vers ma trentaine, avec un bon petit début de carrière en coach et entraîneur, qu’on m’a ouvert une grande porte vers le milieu paralympiques.
« En vérité, c’est que personne ne voulait aller dans ce genre de milieu, comme si ce n’était que des déchets, des rebuts qui devaient se trouver là dedans. Mais j’y suis allé, et j’y ai passé quelques années à entraîner des personnes avec des handicaps de toute sortes. On pouvait trouver des personnes avec des handicaps physiques et des prothèses, des handicaps mentaux, voire même des personnes aveugles. »
Il sourit, comme si il revoyait défiler ces souvenirs de sa vie, alors que je ne savais pas vraiment où il voulait en venir.
« Ce fut, je pense, l’expérience la plus enrichissante de ma vie. J’y découvrais un tout type de personne, des personnes que je n’aurais jamais croisé ailleurs, avec une façon de penser et d’appréhender le monde totalement différente. Et des personnes avec bien plus d’espoir et d’énergie que n’importe quel autre sportif de haut niveau, parce qu’elles avaient bien plus envie que quiconque de prouver leur valeur. J’ai fait énormément d’erreurs avec ces personnes, surtout au début. Puis j’ai fini par quitter ce travail pour quelque chose de plus calme, et au final ça ne fait que quelques années que je suis professeur pour des jeunes comme vous. »
« J’ai énormément discuté avec notamment de jeunes personnes mal-voyantes, que je considérais les plus inaptes au sport. Je veux dire, tu as déjà vu une personne aveugle courir, toi ? Personnellement, j’avais eu jusque là cette image d’une personne aveugle lente à découvrir le monde au bout de sa canne. J’ai du briser cette image en entraînant ces jeunes là. Un jour, je leur ait demandé, sans doute un peu bêtement, si la vue ne leur manquait pas. Hé, j’étais jeune, je ne comprenais pas grand-chose ! J’eus pour réponse que quelque chose qu’elles n’avaient jamais connu ne pouvait pas leur manquer, et qu’elles étaient même heureuse d’être aveugle, car elles ne pouvaient s’imaginer vivre sans leurs autres sens, qui leur apportaient tellement de bonheur.
– Mais, monsieur… là, vous parlez de personnes qui peuvent sortir, qui peuvent avoir des interactions sociales, qui peuvent même faire du sport…
– Tu connais les restaurants sensoriels ?
– Pardon ?
– Ce sont des restaurants mis dans un noir complet, où les personnes voyantes peuvent y manger dans l’obscurité la plus complète pour y découvrir les senteurs des plats qu’on ne voit pas. Il paraît que le goût peut totalement changer.
– Et… donc ?
– Tu ne penses pas que ta sœur pourrait très bien être dans ce genre de lieu ? »
Je restai silencieux, ne sachant pas trop quoi penser. Mes larmes et mes hoquets s’étaient arrêtés.
« Il aurait juste besoin d’un centre un peu adapté à sa condition, et des personnes ouvertes et prête à l’accepter comme elle est pour qu’elle puisse avoir une vie bien remplie. Différente, certes, sombre, sans doute, mais avec des expériences à elle.
– Mais ça n’existe pas… »
Plus la réflexion avançait, et plus je me sentais perdu. Je demandai alors avec une voix timide.
« Qu’est ce que je dois faire ?
– De ce que je pense, déjà, vivre ta vie. Peut-être prendre un peu de distance avec le handicap de ta sœur ? En l’état, tu ne peux rien y faire. Tu n’es pas adulte, donc tu ne peux pas prendre de décision pour elle, donc ni changer le lieu où elle vit ni ses conditions de vie, et encore moins la soigner, de ce que j’en ai compris.
– Mais je veux pas l’abandonner, criai-je, en proie au désespoir.
– Je n’ai pas dit ça, Aïden, continua mon professeur sur le même ton conciliant, mais ta vie et ton mental ne devrait pas être a ce point négativement affecté par ta sœur. Être avec elle ne devrait pas te faire souffrir, ni te sacrifier, au contraire, ce devrait être un boost positif. Tu es jeune, et elle aussi, vous avez encore le temps de trouver comment vivre chacun de votre coté, et comment améliorer vos conditions de vie.
– Et comment ?
– Et bien… Par exemple, tu pourrais gagner les jeux olympiques, devenir connu, raconter ton histoire et celle de ta sœur, et sensibiliser tout le monde les conditions dans lesquelles elle a du vivre, enfermée dans un hôpital. L’impact médiatique pourrait être fort pour que ça puisse changer significativement les choses, pour ta sœur et d’autre personnes. Ça, c’est penser à long terme, tu vois ce que je veux dire ?
– Mais… c’est pas possible…
– Ça, je ne te le dirais pas, répliqua mon professeur en se levant. »
Il épousseta un peu son vieux jogging, puis me tendit la main pour m’aider à me lever. En la prenant et me redressant, je sentis ma cheville me tirer douloureusement. Voyant ma grimace de douleur, il du se rappeler de mon état et me tendit son épaule.
« Bon, pas le choix, on va devoir passer à l’infirmerie aller te chercher une béquille. Appuie toi sur moi, je vais t’aider. »
Et on se dirigea clopin-clopant, traversant le terrain et remontant les escaliers, jusqu’à retourner dans la cours de récréation, pour rentrer dans les bâtiments de rez de chaussé. Si la plupart des élèves avaient encore cours, quelques personnes traînaient dans la cours de récréation, profitant des premiers rayons chaleureux du printemps. Et comme se rappelant de son existence, mon chronomètre sonna pour me signifier que le soleil était dans un bon angle. Surpris, mon professeur s’arrêta, et j’arrêtai aussi rapidement que je pus la musique criarde.
« Alors voilà comment sonnent les fameuses sonneries d’Aïden, me dit mon professeur avec un ton moqueur.
– Je suis vraiment désolé…
– Ce n’est pas grave, de toute façon, nous ne sommes pas en cours, n’est-ce pas ? »
J’eus un léger rire nerveux, et nous reprirent la marche. Mon pied pouvait à peine toucher le sol. La douleur le rendait inutilisable. Arrivé à l’infirmerie, je ne sus pas si l’infirmier était plus surpris de voir ma tête ou de me voir blessé.
« Que s’est-il passé ? Me demanda-t-il avec des yeux ronds.
– Notre jeune Aïden a jugé bon de faire un footing dans les escaliers, je crois ! Affirma le professeur avec une pointe de malice. »
Redevenant vite très professionnel, l’infirmier hocha la tête et commença à examiner ma cheville.
« Tu es tombé dans les escaliers, alors ? Tu n’as pas mal ailleurs ?
– Oui, mais ça va pour le reste.
– Ça va, tu es chanceux, alors. Pas de douleur aux cotes, de difficultés pour respirer ?
– Non, tout va bien.
– Bon. »
Il s’éloigna un peu, s’assit à son bureau pour noter des papiers.
« Je vais justifier tes absences pour cette journée et je t’autorise à ne pas venir en cours demain pour te reposer et que tu ailles chez le médecin. Je vais te prêter une attelle et des béquilles, mais il faudra que tu achètes les tiennes le plus vite possible et que tu n’abîmes surtout pas celle de l’établissement, d’accord ?
– Compris.
– Il ne va plus falloir faire de sport pendant sans doute environ deux mois. Tu verras plus précisément avec le médecin.
– Deux mois ?! »
Je fus plus surpris que je ne le pensais. Mon professeur de sport semblait aussi bien embêté.
« Tu devras voir ça avec le médecin, mais je partirais là dessus.
– Mais ça veut dire que je ne pourrai plus faire de sport avant l’été ?
– Tu pourras sans doute faire de la rééducation ou des sports n’utilisant pas la cheville, mais oui, il va falloir désormais éviter les courses dans les escaliers. »
Je ne sus pas si j’étais plus démoli par la nouvelle ou par la tentative d’humour de l’infirmier.
« D’ailleurs, tant que je te tiens, Aïden, continua-t-il en m’installant l’atèle. Tu as trouvé alors ce que tu comptais faire après le lycée ? Il t’es toujours possible de redoubler si tu veux tenter de faire une meilleure année l’année prochaine et réussir ton bac…. »
Mon professeur commençait a faire des signes à l’infirmier, sans doute pour lui dire d’éviter le sujet, alors que je réfléchissais, abattu.
« Je ne sais pas…
– C’est bien ce qu’il me semblait, soupira l’infirmier.
– … Mais je ne pense pas que ça m’apporterais grand-chose de redoubler. Je ne me pense pas être capable d’obtenir ce bac. »
Surpris, les deux hommes me fixèrent silencieusement. Je me levai, empoignant les béquilles, l’atèle fixée.
« Est ce que je peux y aller ?
– Oui, bonne fin de semaine, Aïden. Sylvain ? Fit-il en s’adressant à mon professeur. J’aimerais vous parler. »
Et je laissai derrière moi les deux adultes, commençant à discuter de façon à ce que je ne les entende pas.
C'est un gros coup dur pour Aïden dis donc. J'espère qu'il s'en remettra et qu'ils se réconcilieront facilement avec Béryl malgré ce qui vient de se passer...
"on ne t’a(/) pas appris"
"de ne pas se sentir flatté(s)"
"Il t’es(t) toujours possible"
C'est là où pour moi l'échange avec le professeur est important à mes yeux, c'est réaliser la difficulté de la situation, certes, mais de prendre du recul, réaliser que la façon dont ils vivent n'était la seule solution et qu'au final, ce qui rend les choses plus compliqué c'est moins la situation de Béryl que la façon dont le monde s'en occupe...
J'avoue que l'échange avec le prof me paraissait un peu didactique, j'avais peur qu'on sorte un peu de l'histoire ? Entre les références sportives, l'évocation des restaurants sensoriels, ça devient très ancré dans le réel, j'avais peur que ça casse un peu la scène. Mais après, c'est un professeur, donc je me dis que ça va bien avec son "rôle". Est-ce que ça va, pour toi ?
En ce qui concerne l'histoire de la femme dont tu parles au début de ton commentaire... woaw. C'est clair que ça pose question. Tu résumes assez bien les choses : "un handicap n'est jamais la définition d'une personne mais d'une situation".