Au voyageur du cosmos
Lady or gentleman, hybrid alien or gendered sheep, hermaphrodite with golden hands or blue dwarf, strawberry phoenix or generative AI, welcome to my funny box !
Stuart Benton.
Je m'appelais Stuart Benton.
Infructueux serait de chercher ma tombe autour de vos "pieds" - ou tout autre système de locomotion de votre anatomie -. Deux fibres de cubitus à l'est, un chicot gomme-gutte au nord, je pense être disloqué aux quatre vents depuis fort longtemps, contraint que je fus, sans tact ni finesse, d'avaler ma chique hors des sentiers battus.
Si seulement à l'école j'avais laissé Asmodée contaminer mes lubies, et si plus tard j'étais devenu doctorant en brutalité de masse, peut-être aurais-je pu profiter d'une mort naturelle, comme en bénéficièrent Staline et son AVC, Mao embaumé comme un panda en peluche, Mengele et sa noyade dans un lagon de Bertioga. Mais peut-être aussi qu'à se faire assassiner par plus fou que soi, on gagne en sainteté. Et que là-haut, dans le Brahmaloka des couillons finis, des sylphides aux seins mafflus vous accueillent avec des colliers de lotus et des "Merci Stuart, d'être resté vous-même !"
Traversant moult épreuves d'une implacable dureté, mon chemin s'est donc arrêté ici. Par chance, je peux dire que je n'ai pas trop souffert. N'en pouvant plus de voir toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, j'attendais ma mort programmée avec gourmandise. Au final, j'aurais vécu mon agonie comme un miracle. Un fin sourire aux lèvres !
Était-ce un pourboire d'Anubis pour récompenser mon détachement ? Toujours est-il que dans mes derniers instants une paix édénique a commencé à m'envahir. La tête posée sur le ventre d'un chien, je me laissais doucement bercer par un afflux de couleurs étonnantes et de voix pimpesouées. Les sylphides me ukulélaient-elles déjà les sens ? Peut-être bien ! Quoi qu'il en soit, aucun râle ne perturbait le fond de ma poitrine. J'avais juste cette sensation ineffable que mes organes murmuraient : qu'il est doux ce berceau ! Attendri par ce prestige, une larme sucrée a roulé sur ma joue, est tombée de mon menton...
C'est à cet instant-là qu'une fulguration m'a traversé l'esprit et fait rouvrir les yeux.
Non loin de moi, j'ai aperçu une boîte d'un noir profond et miroitant qui avait l'apparence de l'obsidienne. Cette boîte exerça aussitôt sur ma psyché une attirance magnétique intense. Elle semblait vouloir me dire : viens à moi, moribond ! Je ne sais par quel prodige encore, je suis parvenu à me déplacer jusqu'à elle. J'ai soulevé son couvercle et j'y ai placé mes carnets manuscrits que j'avais mis tant d'heures et d'impudeur à noircir. Tout aussi étrange, au contact de cette pierre vitrifiée je me suis senti soudain investi d'un supplément de vigueur et, profitant d'un bonus de lucidité, j'ai pu rédiger cette préface qui vous était dédiée, comme on le ferait sous la dictée. Que vous soyez colon en goguette, funambule en station orbitale, amant des Muses, clown d'ascenseur, styliste d'androïde ou dealer d'épices, mon intuition me dit que vous parviendrez aisément à décrypter ce récit immémorial dans l'idiome cher à votre culture, traduction sans laquelle vous ne sauriez cerner les intentions qui m’ont poussé à vous réserver ce témoignage historique.
Sachez cependant que ces carnets ne sont en rien testamentaires. Ils souhaiteraient plutôt être dans l'absolu un legs de mon âme adressé aux annales akashiques, en lesquelles j'ai toujours cru sans que la science ait pu en apporter la moindre preuve.
Que sont les annales akashiques ? Bonne question !
Si l'on s'en réfère aux grands initiés, seuls aptes à pouvoir les lire, elles seraient une incommensutable mémoire cosmique, fusionnant dans l'éther, et se situant entre l'empyrée et le ventricule gauche du coeur. Là, dans ce miroir magique hautement symbolique s'inscriraient toutes les paroles, les actions, les pensées de tous les êtres et évènements des mondes depuis la nuit des temps.
Vous trouverez au long de ces chapitres le déroulement chronologique de mes périgrinations à partir du "Doomsday", ce jour néfaste qui sonna l'heure de notre décrépitude expéditive. Mettant en lumière mon état d'esprit de l'époque, ils sont écrits dans le ton de l'ironie classique qui m'a toujours été une manière naturelle et instinctive de m'exprimer.
Ainsi, en ce jour, mon présage est donc accompli ! Puisque ces carnets, vous les tenez sans doute entre vos mains - ou toute autre partie préhensible de votre anatomie - et que vous m'en voyez réjoui par delà le continuum espace-temps.
Cher, très cher inconnu ! Permettez-moi cette déférence, car vous venez sans doute d'infiniment loin. Oh, comme j'aimerais que ce soit de l'exoplanète Proxima du Centaure dont mon père était féru et me disait, plein de tendresse, qu'elle pouvait être habitable.
Mais stoppons ici la sensiblerie de mes ferveurs extraterrestres.
Venons en au fait !
Beaucoup de poussière ayant filé sous les ponts, il est fort plausible que votre engin spatial se soit posé au beau milieu d'une contrée blafarde. Il se peut même que son sol couvert de régolithe, de rognures et autres roches ignées, vous ait donné l'impression d'atterrir sur une hamada inviolée, veuve de tout rêve, éclairée par une lune néon-radium. Ce sentiment absorbé, le nez encore collé au hublot peut-être, vous avez sûrement dû vous demander si quelque chose ou quelqu'un avait pu vivre ici ?
Surtout, ne vous méprenez pas. La réponse est oui !
Jadis, cette terre ardoise n'était que charité. Son ventre, fertile à souhait, recelait l'inlassable énergie de la vie. De continent en continent, de mer en mer, la fécondation y était une fête perpétuelle. Pour enjoliver cet entrain, des milliards de racines étalaient complaisamment leur beauté en surface à travers des forêts, des prairies, d'admirables jardins. Quel spectacle ! Dans ce feutrage luxuriant, nombre de bêtes microscopiques, d'autres monumentales apparurent, se déplacèrent en cortège d'un point à l'autre, s'ingénièrent à créer de nouvelles espèces, toujours plus fortes, plus inventives et fascinantes. Ici et là coexistèrent des bactéries, des procaryotes, des algues bleues, des belugas, des poulpes, des manchots, des dugongs, des austroposéidons magnificus, des pucerons, des coccinelles, des kinkajous, des cochons de Göttingen, des douroucoulis, des choucadors à ailes vertes, des opossums volants, des tatous à trois bandes, des calaos, des euplectes monseigneur, des guépards, des mustangs, des pierres vivantes. Et aussi une race d'individus qui s'appelaient des Hommes, mais que je préfère appeler des Zhoms car ils n'auront jamais su atteindre la perfection, cet état d'accomplissement moral et spirituel auquel ils semblaient destinés. Qu'aura t-il manqué à ces Zhoms pour tendre vers la liberté totale et l'allégresse absolue ? Tout simplement un travail constant sur leurs pensées, leurs paroles, leurs comportements. Et peut-être aussi l'humilité de la fleur d'hibiscus dont la vénusté ne dure qu'un jour.
Maintenant, cher inconnu, si vous jugez que votre civilisation est bien plus avancée que ne fut la nôtre, j'imagine que vous rirez sans doute de ce qui va suivre. Si, au contraire, vos semblables s'amusent encore à s'envoyer des sagaies dans la figure pour un regard de travers, alors j'espère que le contenu de ces carnets vous servira d'exemple pour ne pas commettre les mêmes délits d'imprudence.
Très respectueusement.
Bien à vous.
Feu, Stuart Benton
Post Scriptum : les mots "délits d’imprudence" peuvent être remplacés sans problème par le mot "conneries".
PS : une faute de frappe, "je ne souhaite qu'unE chose et, plus loin, "les ´recoltes vont encore trinquER".
Sacré narrateur, wow. La manière dont il s'extasie de la fin du monde est super bien décrite, on est pris dans le tourbillon de ses pensées, sa joie de voir la société remise à 0. Son ton cynique est super bien décrit. En général, j'aime bien les personnages cyniques dans les romans (alors que je déteste cet état d'esprit dans la vie xD). Je suis donc curieux de suivre la suite.
"Ce con comme une bite a appuyé sur le bouton rouge, et son pire ennemi qui n'était pas encore tout à fait psychopathe l'a imité dans une sorte de réflexe pavlovien." bonne manière de résumer le début d'une guerre nucléaire xD
Un plaisir,
A bientôt !
Une petite tournure étrange cependant :
"Chargé de noir symbole", chargé sous-entends plusieurs. "Noir" et "symbole" ne devraient-ils pas être au pluriel ?
Bien à toi !
Heureuse de retrouver ta plume incisive et déchirante, quelle claque ! Toute la dramaturgie de la scène épicée de dérision, toutes les inepties pulvérisées d'un geste vindicatif, toutes les vaines espérances anéanties comme l'élan de ce pauvre corbeau, victime collatérale d'un monde devenu fou. Et de ce feu d'artifice, le narrateur jubile, trouvant dans ce chaos un juste retour des choses, un réalignement des planètes. Reset, on repart à zéro. Réinitialisation définitive certes, mais attendue presque comme une délivrance par le narrateur.
Toujours un plaisir.
A bientôt