Un caillou dégringola les marches avec quelques tintements. Un frôlement contre sa cheville fit sursauter Lysa qui manqua perdre l’équilibre.
— Thémis ? Où est-ce qu’on va ?
— Chut. Plus tard.
— On n’a rien à faire ici.
Son amie l’agrippa par le bras et l’attira derrière un pan de mur en ruines. Seuls les bruits de la ville dans le lointain troublaient le silence qui s’écoulait sur les pierres autour d’elles. Lysa dévisagea son amie. Ses yeux brillaient d’excitation dans la pénombre, et l’éclat de la lune faisait ressortir les taches de rousseur qui parsemaient sa peau pâle.
— Si je dois trouver quelque chose, c’est forcément ici !
— Oh non, Thémis, tu vas pas recommencer… soupira Lysa.
— Mais tu te rends pas compte ! C’était ici. Je suis sûre que je vais trouver quelque chose cette fois. Je ne comprends pas comment c’est possible que je n’y aie pas pensé avant !
Lysa ressentit une pointe d’agacement face à l’enthousiasme absurde de son amie. Elle aussi se demandait comment Thémis n’y avait jamais pensé, c’était pourtant évident. Mais elle refusait d’encourager son amie, elle avait même tout fait pour l’envoyer dans la mauvaise direction dès qu’elle le pouvait. Mais rien ne semblait pouvoir décourager Thémis. Pourquoi tenait-elle tant à savoir d’où elle venait ? N’importe qui aurait rêvé d’avoir la vie qu’elle avait. Lysa la première. Pourquoi était elle incapable de s’en contenter ? Mais cela faisait bien longtemps que Lysa ne prenait plus la peine d’exprimer son désaccord, elle savait bien qu’elle ne pourrait jamais avoir le dernier mot face à Thémis. Aussi, la jeune fille se contenta-t-elle de fermer son blouson. Un vent étonnamment froid pour une nuit d’été s’était levé et balayait le théâtre.
— Okay. On va où alors ?
— Viens, on y est presque !
Leurs pas résonnaient sur les lourdes dalles de pierres. Lysa retint une grimace lorsque Thémis les mena dans une sorte de petit tunnel, où elles ne pouvaient avancer que courbées. Occupée à ne pas imaginer les petites bêtes qui devaient grouiller autour d’elles sur les murs de pierre, Lysa bouscula son amie lorsque celle-ci s’arrêta.
— Lysa ! Mais qu’est-ce que tu fais ?
L’interpellée leva les yeux au ciel.
— Eclaire-moi avec ton téléphone s’il-te-plaît ! demanda Thémis.
Lorsque la lampe torche éclaira des barreaux rouillés, Lysa secoua la tête.
— Je crois bien qu’on ne va pas pouvoir aller au bout.
Thémis se mit à rire.
— Mais bien sûr que si. J’ai pris le passe-partout de Papa. C’est lui qui a installé le cadenas sur la grille quand ils ont décidé de condamner ce tunnel.
— Mais ils l’ont condamné à cause du risque d’éboulement. On ne peut pas aller là, c’est trop dangereux.
— Oh Lysa. Ce tunnel a tenu des siècles, pourquoi il s’effondrerait juste cette nuit ? Ne t’inquiète pas. On entre, on regarde s’il y a quelque chose d’intéressant et on repart.
De nouveau, Lysa se contenta de désapprouver en silence. Elle savait que son amie ne l’écouterait pas. Tandis qu’elles franchissaient la grille, aucune des deux filles ne vit l’étrange scintillement qui glissait le long des murs de pierre, se reflétant dans les flaques d’eau saumâtre à leurs pieds. Elles marchèrent lentement, toujours courbées pour ne pas se cogner au plafond. Thémis commençait à se demander si elle ne s’était pas trompée de tunnel – celui-ci était bien plus long que ce que lui avait dit son père – lorsqu’enfin elles arrivèrent dans une salle.
Les deux filles retinrent une exclamation de stupeur lorsque des torches accrochées au mur s’enflammèrent éclairant les alentours d’une soudaine lumière pourpre. Thémis sentit son cœur battre plus fort dans sa poitrine. La pièce n’était pas vide, contrairement à ce qu’elle craignait. Elle aurait pourtant dû l’être. Elle sourit. Elle touchait enfin au but.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Lysa.
Au centre de la salle se dressait une statue de marbre blanc, représentant une femme agenouillée au sol. Les mains tendues devant elle, elle semblait implorer un interlocuteur invisible. Les parois de la salle étaient recouvertes d’un mélange incroyable de tentures chatoyantes. Certaines portaient des motifs celtiques complexes ; d’autres, en soie de couleur vive, semblaient venir d’Inde et voisinaient des tapisseries grecques. Toutes représentaient des mythes célèbres.
— Mon père ne m’a jamais parlé de ces tentures. Elles n’étaient pas là avant, exulta Thémis.
Parmi les tentures, Lysa reconnut la transformation d’Arachné en araignée ou encore la mort de Narcisse, frappé par la malédiction de Némésis. Elle laissa son regard vagabonder sur les tapisseries, tentant de comprendre ce qu’elle y voyait. Quel intérêt y avait-il à décorer un souterrain de cette façon ? Fascinée par la finesse des tapisseries, la jeune fille effleura du bout des doigts les fils de soie et d’or. Tandis qu’elle les examinait un à un, un détail dérangeant vint lui titiller l’esprit. Ces mythes ne semblaient pas avoir été choisis au hasard, dans presque tous, un humain était puni pour s’être approché trop près d’une divinité quelconque ou pour l’avoir méprisée. Ce n’était pas bon signe. Un frisson la secoua. Elles n’auraient pas dû pénétrer dans cette salle. Lysa ignorait qui avait bien pu créer pareil décor mais ces tentures étaient une mise en garde. Elle voulut prévenir Thémis, mais son amie avançait vers le centre de la salle, comme hypnotisée. Qu’est-ce qu’elle faisait ? Les pieds de Thémis ne touchaient pas terre. Elle marchait à quelques centimètres au-dessus du sol, comme si de rien n’était. Affolée, Lysa hurla.
— Thémis ! Comment tu fais ça ?
A l’appel de son nom, la jeune fille tourna la tête vers Lysa, mais ne sembla même pas la voir. Des gouttes de sueur perlaient à son front.
— Thémis ! Non, ne la touche pas ! cria la jeune fille en voyant son amie tendre la main pour effleurer la chevelure de marbre de la statue.
Tandis qu’elle s’approchait de la femme agenouillée, Thémis crut voir une larme qui coulait sur sa joue. Une évidence fracassante s’imposa alors à son esprit. Mais elle n’eut pas le temps de formuler sa pensée : le plafond vola en éclats, la projetant en arrière.
Les descriptions sont immersives, notamment dans la scène du souterrain où l’on ressent bien l’étrangeté du lieu et l’importance des symboles. Le choix des tapisseries et des mythes représentés ajoute une dimension inquiétante et suggère un lien fort avec la trame principale.
Le passage où Thémis se met à léviter est particulièrement marquant et apporte un tournant efficace dans le récit, renforcé par la chute finale qui relance le suspense.
Hâte de voir comment la suite va développer ces éléments !