rencontre avec Ralphe

Notes de l’auteur : Vos annotations et vos remarques sont les bienvenues:

Victor resta en retrait tandis que Cendrillon s’avançait vers la grande porte. À l’entrée, deux gardes se tenaient en faction : l’un était petit et chauve, l’autre, grand et moustachu. Ce dernier, soucieux de son apparence, ne cessait de remettre en place une mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux, tout en dépoussiérant ses habits avec l’autre main. Lorsque Cendrillon s’approcha, il se redressa, récupérant la lance posée à ses côtés, et d’un ton sérieux, déclara : « Jeune demoiselle, bonsoir. Pourrais-je voir votre carton d’invitation ?

   — Je n’en ai pas ! rétorqua-t-elle précipitamment, négligeant les formules de politesse. Ma belle-mère et mes sœurs sont arrivées en premier. Contrairement à elles, je suis en retard.

   —  Nous en sommes vraiment désolés, répondit le plus petit des gardes, mais sans invitation, nous ne pouvons vous laisser passer.

   — Tant pis ! lâcha-t-elle, sans insister davantage. Se tournant vers Victor, elle ajouta : Connaîtriez-vous une bonne taverne où nous pourrions passer la soirée ?

Ignorant sa question, le cocher s’avança vers les gardes et insista : « C’est une personne d’une grande importance. Si vous ne la laissez pas passer, vous commettez une grave erreur.

    — Sans invitation, seules les princesses peuvent entrer, répondit le moustachu.

    — Qu’est-ce qui vous fait croire que ce n’en est pas une ? répliqua Victor, feignant la vexation.

    — Si c’était le cas, où est sa propre garde ? demanda le plus petit des deux en pouffant de rire. Une vraie princesse ne se contenterait pas, tout simplement, compagnie d’un cocher. »

Cendrillon, indifférente à la moquerie, intervint avec désinvolture : « Dites-moi, messieurs, n’était-il pas prévu que toutes les jeunes filles du royaume soient invitées ?

    — Bien sûr, acquiesça l’un des gardes. Mais sans carton d’invitation, rien ne prouve que vous apparteniez à ce royaume.

    — Et si j’étais une princesse d’un autre royaume, m’auriez-vous laissée passer ?

   — Tout à fait ! répondirent en chœur les deux gardes.

    — Vos lois sont injustes et ne me donnent vraiment pas envie d’assister à cette soirée.

    — Cela n’a rien à voir avec l’injustice, reprit le moustachu. Notre priorité est d’éviter tout incident diplomatique avec les royaumes voisins. »

Cendrillon, peu convaincue par cet argument – difficile de lui faire entendre raison une fois son idée en tête – se tourna vers Victor et poursuivit : « Vous voyez ce groupe de personnes là-bas ?  dit-elle en désignant les sans-abris réunis près du château. Je suis certaine que leur fête est mille fois plus agréable. Peut-être que la nourriture n’est pas aussi copieuse, mais les cœurs de ces braves gens sont bien supérieurs à ceux des invités qui sont ici grâce à un bout de carton. Victor, qu’en pensez-vous si nous allions les rejoindre et… »

Mais avant qu’elle ne puisse terminer sa phrase, une voix imposante s’éleva derrière les gardes : « Laissez-la passer ! »

À l’instant où ils entendirent cet ordre, les deux gardes se retirèrent sans un mot, décollant chacun leur lance. De là où elle se tenait, Cendrillon ne pouvait apercevoir la personne qui avait imposé ce revirement.

« Avancez, jeune fille, avant que je ne change d’avis ! » déclara la voix avec autorité. Mais au moment où Cendrillon voulut répondre, le cocher lui fit signe de se taire et de profiter de cette occasion pour entrer.

Une fois à l’intérieur, Cendrillon se retrouva face à un jeune homme à peine plus âgé qu’elle. Il était grand et imposant, dégageant une aura à la fois charismatique et mystérieuse. Ses yeux en amande brillaient d’un éclat profond, reflétant une intelligence vive. Ses cheveux châtains, ondulés et soyeux, lui tombaient avec élégance sur les épaules, ajoutant à son allure nonchalante. Son sourire, chaleureux illuminait son visage.         

   — Permettez-moi de vous accompagner à l’intérieur du château, dit-il en inclinant légèrement la tête.

   — Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, méfiante.

Le jeune homme hésita un moment avant de dévoiler son identité. « Mon nom est Ralph, le plus jeune des chevaliers de la cour, » s’exclama-t-il avec une pointe de fierté dans la voix.

Cendrillon l’observa longuement avant d’accepter sa proposition. Elle avança de quelques pas, glissa son bras sous le sien, et ensemble, ils prirent la direction du château.

La traversée des jardins à ses côtés se fit dans un calme apaisant. La nouveauté de ce qui l’entourait fit rapidement oublier à la jeune fille les questions qu’elle avait l’intention de poser au chevalier. Jamais elle n’avait vu des jardins aussi vastes, luxueux et bien entretenus. De vieux arbres caoutchouc, vieux de plusieurs siècles, flanquaient l’allée de chaque côté. Leurs branches entrelacées formaient un ciel de feuillage. Les racines s’étendaient de manière à rendre le chemin presque indiscernable, comme si l’on marchait au cœur d’une forêt. Des fleurs aux couleurs éclatantes s’épanouissaient partout, sur les arbres, à leurs pieds, et pendaient en dessous des branches. Des torches étaient accrochées à mi-hauteur autour des immenses troncs, veillant à ne pas les enflammer. Plus loin, un mélange de rosiers et de fleurs sauvages formait un cercle, au centre duquel une fontaine en marbre beige abritait de petits poissons rouges nageant dans ses eaux cristallines. Deux majestueux araucarias se dressaient de chaque côté de l’escalier menant à l’entrée principale de la salle de réception. Ces grands sapins du Chili, par leur rareté et leur beauté singulière, imposaient leur présence. Cendrillon, intriguée par l’aspect particulier de leurs épines, s’approcha pour toucher une de leurs branches, mais se piqua aussitôt.

« Mince alors ! s’écria-t-elle, portant son doigt à sa bouche. À quoi bon tant de beauté si l’on ne peut l’approcher ? »

N’ayant jamais vu de tels arbres, elle se trouva un peu déconcertée, ne sachant pas si elle devait les considérer comme la plus belle découverte de la soirée ou la pire. La magie des lieux perdit soudain son éclat lorsqu’elle réalisa que tout ceci avait été rendu possible grâce aux taxes imposées aux paysans.

« Étiez-vous au courant du thème de la soirée ? demanda le chevalier, interrompant ses pensées.

    — Oui, oui, répondit Cendrillon, un peu étourdie par sa dernière réflexion. « Le prince doit choisir une épouse, n’est-ce pas ?

   — Savez-vous comment il va procéder ?

   — Aucune idée ! Je ne connais pas ses goûts, déclara-t-elle en même temps qu’elle nettoyait avec sa salive une tache sur le bout de sa manche qu’elle venait de découvrir. »

Le chevalier s’arrêta sur l’une des marches menant à la salle de réception. Il se racla la gorge avant de poursuivre : « Quarante jeunes hommes, y compris moi, sont habillés de la même façon. Nous nous faisons passer pour le prince. Le quarante et unième est le véritable héritier du roi. Cette mise en scène lui permettra de se faufiler parmi les jeunes filles à la recherche de sa dulcinée.

— Étrange façon de procéder ! commenta Cendrillon en continuant de nettoyer sa manche. Que fait-il de toutes ces filles qui le connaissent déjà ?

 — Les familles nobles ne sont pas invitées. Ce sont les seules à connaître son visage, ainsi que nous, les quarante imposteurs, bien entendu. »

À cette remarque, Cendrillon esquissa un sourire. Elle était convaincue qu’il y avait anguille sous roche.

« Si tous ces jeunes hommes se montrent aussi bavards que vous, l’identité du prince ne va pas tarder à se faire connaître. Vous, vous vous êtes dévoilé trop facilement à mon goût.

— Oui, vous avez raison, acquiesça le chevalier, un peu confus. Votre candeur me pousse à être honnête. Je voulais partir sur de bonnes bases et ne pas me faire passer pour le prince à vos yeux, car je suis le seul à ne pas me délecter de ce jeu ridicule.

   — Je vous remercie pour votre franchise, répondit-elle en inclinant la tête. Puis elle reprit : Il y aura certainement des gens qui vont reconnaître quelques jeunes parmi ces quarante.

   — Effectivement ! Mais cela ne sera pas si simple. Le temps que ces personnes communiquent leurs informations et déduisent qui est le prince, le fils du roi aura déjà trouvé sa promise.

   — Cette situation poussera surtout les invités à se creuser la tête, à affiner leurs tactiques et à tricher ouvertement en mettant d’autres sur de fausses pistes au lieu de simplement s’amuser.

   — Ces comportements obéissent aux mêmes règles qui mènent l’individu vers le pouvoir ! On sait très bien par quoi toutes ces jeunes filles sont attirées…

    — Si j’étais vous, se dépêcha-t-elle d’interrompre, je ne dirais pas : toutes ces jeunes filles. Il doit y en avoir parmi elles qui sont là uniquement pour la nourriture et pour s’amuser en regardant les autres se disputer le prince…

    — Comme vous, par exemple.

    — Peut-être bien ! répondit-elle en insistant, une dernière fois, sur la tâche. Il aurait été préférable de faire un bal masqué, ajouta-t-elle, satisfaite de sa trouvaille.

    — Cela aurait été une bien meilleure idée, acquiesça-t-il avec empressement, désireux de lui faire plaisir.

 

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