Soleil et saturne

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Toujours le même exercice, les mots imposés sont : nuage, désert, criquet, saturne
J'espère que l'histoire que j'ai mis sur ces mots vous plaira !

Le vent soufflait doucement, emportant malgré lui une infinité de minscules grains. Les dunes, petit à petit, se déplaçaient comme des nuages sur une mer de sable. Mouvant tranquillement dans leur immense danse, bordant le ciel bleu comme une plage d’or, les dunes sous le vent créaient dans ce désert aride deux océans côte à côte, agitées par des vagues tranquilles, blanches et claires. Peu de son s’échappaient sous ce soleil aveuglant : peu de vie était visible au-dessus des vagues. Quelques buissons tout au plus, secs et éparpillés, qui se laissaient bercer par le vent incessant. Sous l’air chaud et pesant d’un vent ensoleillé qui semblait se refléter sur chaque grain de sable, peu d’animaux osaient sortir. Terrés sous les dunes, recherchant la fraîcheur des abysses, ils se cachaient de l’or aveuglant pour la froide obscurité.

 

Ainsi, une journée dans un désert de sable pouvait sembler figée. Seul le discret mouvement des dunes rythmait le jour, tout comme seul le sifflement du vent semblait résonner entre les vagues. Pourtant, parfois, un bruit sourd pouvait faire trembler le sable. Comme à l’apparition d’un nuage d’orage dans un ciel bleu, l’univers se perturbait alors d’un coup ; un bourdonnement, grave et fort, comme un grondement, cassait le mouvement des dunes, créant un vent contraire. Car cette masse difforme, bruyante et mouvante était comme un courant d'air visible, un nuage aussi bruyant qu’un éclair. Plus le son s’intensifiait entre les dunes, plus il en semblait différent ; car ce nuage noir et grondant avec menace n’était pas un nuage. Il grouillait, grouillait de centaines de milliers d’élément aussi minuscule que le sable, se regroupant du mieux qu’ils pouvaient en un banc volant tout juste au-dessus des dunes. Traversait le désert un gigantesque essaim de criquets en pèlerinage.

 

Leurs immenses bonds pris avec leur ailes en arrière comme s'ils tentaient de voler n’avaient pour seul point commun de se diriger dans la même direction. Les plus jeunes insectes sautaient moins haut ; certains restaient en l’air plus longtemps que d’autres. D’autres semblaient presque capable de s’envoler. Chacun allait, plus vite, plus lentement qu’un autre. Malgré la taille et la densité de ce nuage, il n’y avait pas de cohésion ; les criquets ne formaient pas de dunes, belles et unies. Leur groupe ressemblait à une débandade qui n’avait pas d’autre choix pour survivre. Sautant sans rythme, leur vitesse aveugle semblait capable de détruire les fragiles montagnes du désert. Et ainsi, les criquets avançaient ; ne se souciant de rien d’autre que de leur direction sans fin vers la nourriture et le soleil.

 

Mais dans cet essaim, pourtant identique à tant d’autres, il y avait parmi tous ces insectes si uniformément différent, un élément étrange. Un criquet, en fin de nuage, qui semblait bien plus vouloir sauter le ciel que vers l’avant. Dépassant du haut de l’essaim, comme s'il cherchait à se dégager, il sortait du nuage dans des bonds désespérés. Mais il retombait toujours, entouré des centaines de ses camarades qui ne semblait pas s’intéresser à lui. Il continuait alors, inlassablement ; pour les quelques secondes où il sortait du de l’essaim, il était lui-même.

« Que fais-tu ? Demandait certains de ses camarades.

– Je vais ailleurs, soupirait-il. »

Pourtant, jamais il ne sortait du groupe.

 

Toute la journée, les pélerins traversaient le désert, avec le même bruit assourdissant, le même rythme insoutenable. Et toujours, ce petit criquet sautait, encore et encore, comme s'il cherchait à sortir de l’eau ; un poisson volant. Quand le soleil se couchait, les innombrables criquets ralentissaient alors. Le bleu et l’or disparaissaient pour des teintes plus sombres, plus froides. Des étoiles, les unes après les autres, perçaient le ciel comme des milliers de criquets lumineux, alors que les vrais, les sombres au sol, s’arrêtaient enfin pour se reposer. La nuit, dans ce désert de sable, les prédateurs se réveillaient à la lueur de la lune. Voyager de nuit pour des criquets, même avec leur immense groupe, était trop dangereux. Ainsi, récupérant immobile sur le sable, les uns contre les autres, ils attendaient patiemment le retour du soleil faisant un trou dans le ciel bleu pour repartir dans sa direction, et gronder à nouveau sur le sable.

 

Mais durant cette nuit, le petit criquet désespéré ne cessait pas d’être étrange. Regardant le ciel parsemé de points blancs, il sautait légèrement en direction d’une en particulière. Une étoile, si commune et pourtant si étrange, qui l’attirait sans même qu’il puisse le comprendre. Crissant ses ailes en des cris d’admiration, il fixait l’astre superbe, rêvant de s’en approcher. Durant toute la nuit, et même tout le jour, ce criquet n’admirait que Saturne.

 

Lui-même ne savait pas pourquoi il appréciait cette petite étoile discrète, dont il pouvait à peine deviner des anneaux l’encerclant. Mais tout en son corps résonnait de joie à la vue de cet astre précis. Elle était pour lui, son soleil, son but, son voyage. Mais si les criquets du nuages pouvaient penser véritablement toucher un jour le soleil quand ils se dirigeaient vers lui, celui-ci était parfaitement conscient qu’il ne pourrait jamais s’en approcher plus, malgré les bonds qu’il pouvait faire. « Si seulement je pouvais y aller, au moins une fois... » Après tout, la nuit était faite pour rêver. Frissonnant de froid dans la nuit désertique, il regardait, toute la nuit, le lent mouvement de saturne dans le ciel parsemé d’étoiles toutes identiques. Et il ne pouvait s’empêcher d’imaginer son étoile, sa planète, aussi grosse que le soleil du matin, jusqu’à ce que celui-ci passe la barrière de l’horizon.

 

Alors, il s’agitait. Sautant jusqu’au dessus des montagnes, sans se soucier de ses compagnons de route qui ne lui accordait pas un regard, il traînait dans le peloton, tantôt trop haut, tantôt trop loin : un véritable électron libre du désert. La nuit où le jour l’importait plus. Il avait tellement contemplé l’astre qu’il était capable de le situer même en plein jour avec autant de facilité que si c’était la lune. Même en dormant, il lui arriver que ses pattes vibrent, contractant par réflexe, rêvant de saturne même dans son sommeil le plus profond.

 

Si les autres criquets ne lui accordaient pas un regard, ne lui faisait aucune remarque, ils savaient tous autant qu’ils étaient que personne n’approuvait son comportement qui ne suivait pas le groupe. Alors, petit un petit, de plus en plus, un trou se formait entre lui et les autres. Séparé des autres, le petit criquet ne se rendait même plus compte qu’il ne faisait déjà plus partie du mouton. Ne fixant que le ciel, il oubliait l’existence des autres êtres vivants. Mais un jour, il regarda les dunes : tout était trop calme. Le grondement du nuage d’orage avait disparu tout autour de lui. Le désert était jaune sable et bleu d’or. Le groupe auquel il avait appartenu avait disparu en un coup de vent, et il avait oublié de les suivre. Quand il réalisa alors l’immensité du monde, une fois seul, il sauta en avant. La panique résonnait entre ses ailes ; pour la première fois de sa vie, le criquet craignait de mourir seul. Se rappelant pourquoi son espèce vivait comme un être immense, il sauta sans discontinuer, invisible entre les dunes. Partant dans toutes les directions à la fois, il guettait le moindre point noir, le moindre murmure. Mais le nuage était parti. Les criquets l’avaient abandonnés, et n’étant qu’une goutte d’eau dans l’océan, personne ne s’était rendu compte de son absence. Le petit criquet, petit et fragile, n’était indispensable à personne.

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Cherry
Posté le 11/06/2021
j'aurais jamais cru être triste un jour pour un insecte...

encore une très belle découverte, dis donc, tu n'écris que des textes de qualité. J'ai rarement vu ça ;-)

"dans ce désert aride deux mer côtes à côtes" : dans ce désert aride deux mers côte à côte

"comme si il cherchait à se dégager" : comme s'il cherchait à se dégager

"certains restaient en l’air plus longtemps que d’autres. D’autres pouvaient être presque capable de s’envoler. " : répétitions "d'autres", c'est redondant
Pouiny
Posté le 11/06/2021
ah oui les "si il" tu vas en voir partout dans mes textes, parce que pendant très longtemps je savais pas que la contraction était obligatoire xD

merci beaucoup ça me flatte :O
Amusile
Posté le 17/03/2021
C'est un texte très poétique. La description des dunes, puis du nuage de criquet est bien mené. On s’intéresse très vite à ce criquet qui rêve d'ailleurs, et la fin est d'une douceur amère.
Pouiny
Posté le 17/03/2021
Merci beaucoup ! J'espère que la suite te plaira :)
Amusile
Posté le 18/03/2021
J'essayerai de passer pour lire la suite.
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