Les journées devenaient des tortures et les nuits des couloirs sans fins. Je sentais Aïden paniquer de plus en plus, ne sachant pas comment se préparer à la fin. Tout devenait plus flou, plus difficile pour moi à retenir. Je me raccrochais à quelques instants du temps en chantant du peu de voix qu’il me restait. Peu importait l’heure du jour ou de la nuit, de la présence ou d’absence de personne dans la pièce ; maintenant que je savais poser ma voix, grâce a Bastien, et que j’avais un peu pris l’habitude d’écrire, résonnait sans cesse, dans ma tête et dans mon corps, la seule chanson que j'avais mise en braille.
Comme une ombre dans le silence
Je murmure tout bas
Refusant mon absence
Je ne t’abandonne pas
Tu ne me sens ni ne me vois
Penses-tu encore à moi?
Depuis le temps que j’attends
Revenir près de toi...
Peu importe si Aïden était présent où non. Il ne l’était sûrement pas quand je chantai. Où s’il l’était, peut-être qu’il ne pouvait pas m’entendre. Je ne pouvais mesurer à quel point ma voix était audible. Mais en moi, la mélodie tournait comme une valse, lente et assurée, mesurant le poids des mots.
Mais tout un monde nous sépare
J’ai passé le miroir
Te regarde en rêvant
Soupire dans le vent
Tu ne me sens ni ne me vois
Penses-tu encore à moi?
Depuis le temps que j’attends
Revenir près de toi...
Plus les paroles me revenaient et plus j’accélérais, naturellement, ne me souciant pas de respecter un quelconque tempo. La temporalité avait toujours été pour moi une notion abstraite, tout ceci ne changeait pas même mis en musique. Tout ce qui comptait était ma voix, rien que ma voix, ainsi que le message qui malgré toute la force qu’il me restait, ne pouvait atteindre son destinataire.
Toutes ces années qui s’amassent
Et tout ce temps qui passe
A n’être qu’un reflet de moins
Chaque jour un peu plus loin
Tu ne me sens ni ne me vois
Penses-tu encore à moi?
Depuis le temps que j’attends
Revenir près de toi...
Avec ma voix me revenait la sienne, qui était si semblable et si différente de la mienne. Sa voix d’enfant résonnait encore, joyeuse, innocente, dans ma mémoire. Avec le temps, elle avait mûri, elle s’était assombrie, mais malgré tout, ses inflexions étaient restées les mêmes. Et malgré tout ce qu’elle avait pu endurer, tous les cris qu’elle avait du pousser, tout comme la mienne était encore capable de chanter, la sienne était encore capable de rire.
Et pour une éternité, seulement,
Je serais sous tes pas
Je ne puis faire autrement,
Je ne t’abandonne pas
Tu ne me sens ni ne me vois
Penses-tu encore à moi?
Je n’ai pas oublié mon serment
Revenir près de toi...
Il était possible que ma voix ne puisse plus porter jusqu’au dernier couplet. Mais malgré tout, dans l’air, sous l’impulsion d’une valse intangible, les mots portaient jusqu’au bout de la chambre, vers un autre monde. Nous étions la nuit du vingt Août, une journée qui fut marquée de rouge sur un vieux calendrier d’hôpital. Je sentis, de loin, comme dans un rêve, des pleurs m’atteindre, toucher mon corps. Mais je ne ressentai déjà plus rien. J’avais dit ce que j’avais à dire, fais ce que j’avais à faire. Dans une paix incontrôlable, je laissai l’obscurité profonde engloutir le monde.
J'ai vraiment adoré ces Fleurs, comme les premières, et même si tu reviens sur des moments que j'avais déjà lus du point de vue d'Aïden, on n'a pas tellement le sentiment de redondance comme leurs manières de vivre sont très différentes.
Merci de nous avoir partagé cette histoire, et bravo à toi de l'avoir écrit avec tant de subtilité et de beauté <3
Merci beaucoup en tout cas, je suis content si ça se lit sans qu'on s'ennuie <3 Et j'espère te revoir un jour pour les fleurs de l'ombre ? :3 On sait jamais, que Bastien ait attisé ta curiosité !
En tout cas si ça te dis pas t'es pas obligée, hein xD