Spectre

Lorsqu’il rentra, Camille avait une boite entre les mains et un sac pendait à son poignet.

— Tu as vu ça ? s’exclama-t-il. C’est Marité qui les a fait et me les a donné. Je les ai gouté, ils sont super bons.

Il posa son butin devant Chris. Elle était assise à table et jouait avec son verre d’eau, l’air absent.

— Son mari a un jardin, j’ai récupéré des carottes, ajouta-t-il en lui montrant le sac.

Le regard de Chris resta distant, figé sur le vide.

— Euh… tu m’as entendu ?
— C’est qui Marité ? demanda la guerrière sans lui accorder plus d’attention.
— C’est juste la femme qui habite en face de chez toi. Ta voisine.
— Ah.

Il la contempla, médusé et se dirigea vers la cuisine ranger ses trophées. Il se promit de lui rendre la pareille. Ça lui plaisait ce petit rôle d’homme au foyer. Et puis… sans ordinateur, sans téléphone, sans rien pour travailler, il s’ennuyait déjà un peu. Il lui restait beaucoup de choses à explorer, mais se créer un réseau avec les gens des alentours était un bon début et une base stable pour la suite.

— Qu’est-ce que tu fais ? l’interrogea-t-il en s’asseyant en face d’elle.
— J’écoute le volcan.

Il haussa les sourcils. Tiens, c’était pas mal, ça. Il se tut pour l’imiter, mais n’entendit rien d’autre que des adolescents qui jouaient au ballon un peu plus loin. Il l’observa en silence un long moment et se demanda si les voisins n’avaient pas raison. Est-ce que Chris n’avait pas juste perdu la boule ?

Tout à coup, elle se leva et se rua vers sa chambre. Elle en ressortit quelques secondes plus tard, son uniforme sur le dos.

— Planque-toi ! cria-t-elle avant de partir en trombe.

Sidéré, il la vit s’envoler avec son grappin. Quelques voisins se calfeutraient déjà comme si Chris était leur alerte personnelle. Camille monta sur le toit pour pouvoir la suivre des yeux. La maison était idéalement placée pour avoir une vue parfaite sur le volcan. Il la perdit du regard alors que les grondements de la terre débutaient. Ça lui faisait la même sensation que si un camion géant et invisible se rapprochait. Le sol se mit à bouger, les sirènes se déclenchèrent dans toute la ville et tout le monde se planqua dans les bâtiments. Au loin, la montagne prenait feu, son panache de fumée devenait plus épais et crépitant, des éclats rougeoyants se laissaient apercevoir près du gouffre au sommet.

— À l’abri, Camille ! cria Marité. Et ferme ta porte !

Il vit son mari la tirer à l’intérieur et poser une planche en travers de la fenêtre. Il releva la tête et fouilla l’horizon des yeux. Il repéra le couloir de cristal menant aux limbes et peut-être aussi Chris en train d’y grimper, mais c’était sûrement son imagination. C’était trop loin. Il quitta le toit par les marches extérieures et se réfugia dans la maison. Il se sentait angoissé. Il ferma la porte, tira les rideaux des fenêtres et attendit la fin de l’alerte avec l’impression qu’une menace invisible l’entourait.

La première fois, il n’avait pas eu peur. Mais c’était à peine s’il s’était rendu compte qu’il y avait un problème. Il avait suivi Chris, inconscient du danger, bille en tête. Cette fois, c’était différent. On lui avait bien fait comprendre que sa vie était en danger et il était seul avec cette évidence.

Le silence revint vite et ce fut encore pire. On n’entendait plus rien, plus le moindre bruit à l’exception de courts vacarmes impossibles à identifier, provoqués sans doute par les secousses. Elles étaient fortes. Il en avait déjà senti avant d’arriver ici. Ça l’avait impressionné, mais ce n’était rien comparé à ce qu’il vivait maintenant. À l’époque, c’était rapide et surprenant. Il se demandait s’il n’avait pas rêvé et cherchait confirmation sur internet. Là, c’était brutal, impossible à ignorer, c’était partout et ça recommençait sans cesse comme si une immense usine vrombissait en sous-sol.

Cramponné à la table, il laissa passer une nouvelle secousse en tâchant de ne pas céder à la panique. Il y céda complètement quand il entendit un hurlement inhumain. Il quitta la pièce en courant pour se réfugier dans la chambre de Chris et ferma la porte, le souffle court, terrifié. Plongé dans la nuit, il l’entendit encore. C’était à la fois loin et beaucoup trop proche.

Recroquevillé sur le lit tout au fond, contre le mur, il tenta de se ressaisir. Qu’est-ce que c’était que ce cri strident et glauque ? Et si c’était un spectre ? Et si c’était ça, ce truc que Strada lui avait dit qu’il devait craindre ? Ça, le truc pour qui il était une proie facile ? Rien qu’au son improbable de ces hurlements, il pouvait sentir à quel point c’était insidieux, terrifiant et immatériel. Il voyait désormais des lueurs traverser les murs et posa les deux mains sur sa bouche pour ne pas crier. Tout juste parvenait-il encore à respirer.

Puis il y eut un autre bruit. Un feulement de triomphe glauque et effroyable. Il imaginait sans mal la créature tournant autour d’une proie innocente. Le silence qui suivit était tout aussi crispant. Ça voulait dire que quelqu’un dans les parages était possédé. Marité lui avait raconté que les infectés agissaient normalement, reprenaient leur vie comme si de rien n’était. Puis un jour, ils déraillaient complètement et l’on commençait à découvrir de plus en plus de cadavres dans un quartier, jusqu’à l’explosion finale qui réduisait à néant un bâtiment entier et tous ses habitants. Des bombes à retardement.

Le silence s’éternisait. C’était long et tendu. Insupportable. Camille avait l’impression que ça durait des heures. Il voulait sortir de là, mais il n’arrivait pas à trouver le courage, persuadé que s’il le faisait, il tomberait nez à nez avec un spectre à l’instant où il ouvrirait. Il l’imaginait parfaitement, gris, en haillons, lui hurlant à la figure avant de plonger sur lui et de s’insinuer en lui par ses yeux, ses narines et sa bouche figée grande ouverte en un cri de terreur. Bon sang… il pouvait de moins en moins respirer. Une sueur glacée recouvrait son corps et son cœur lui faisait de plus en plus mal. Et si c’était ça, les symptômes ? Et si en fait, il était contaminé ? Et si c’était lui et que parce qu’il faisait complètement nuit, il ne l’avait pas vu ?

Les pires images et sensations de souffrance l’entourèrent. Il s’effondra dans des rêves poisseux où il devait courir avec des bottes de plomb pour échapper à des spectres furieux. Perdu dans ses cauchemars, il fut brusquement réveillé par la semonce de fin d’alerte. Il se secoua, nauséeux et se passa une main dans les cheveux. Ils étaient trempés de sueur. De sa vie, jamais il n’avait autant flippé, pas même lorsque la porte de son appartement avait été arrachée et qu’il avait été kidnappé pour être laissé à Eïr.

Il sortit au moment où Chris rentrait. Ils se dévisagèrent. Elle remarqua son teint crayeux et son air décomposé. Il était stupéfait de voir à quel point l’uniforme faisait d’elle une autre femme.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nakama93
Posté le 09/11/2024
Re !

Et bien on passe d'une lecture agréable à une lecture horrifique bien amenée. On est bien a la place de Camille en train de prier pour notre vie que le spectre n'entre pas dans la pièce où on se trouve.

Est ce que Tony serait le spectre et aurait voulu rendre visite à Camille son fils ? Peu probable mais je me suis imaginé cela lol.

J'ai utilisé beaucoup de fois le mot bien dans mon commentaire, ça reflète le niveau du chapitre en ajoutant un très avant (TB) comme les notes en primaire ^^'.

Merci pour la lecture :)
Solamades
Posté le 13/11/2024
Re !  J’attendais ta réaction sur ce chapitre et je ne suis pas déçue 😁
Les spectres auront une grande place dans la suite du récit et… laisse-moi te dire que ta théorie risque de ressurgir de temps en temps. 😏
Merci pour ce commentaire adorable ! <3
Raza
Posté le 05/11/2024
Eh bien, intéressant, ce petit coup de flip soudain. La montée en panique est peut être un petit peu rapide, mais pourquoi pas? (Ça me laisse une impression que Camille peut paniquer vite). Un point sur le "kidnapping", je suis pas sûr de comprendre, il parle de son arrestation? Parce que kidnapping c'est illegal, arrestation c'est plutôt l'inverse? Ou Eir est le lieu dans le volcan, et j'ai raté un truc, oublié un truc?
Petit point de rien du tout: pourquoibil va dans la chambre de Chris, et pas dans la sienne ?
Mini répétition:
"peut-être aussi Chris en train d’y grimper, mais c’était peut-être son imagination"
À bientôt et merci pour le partage!
Solamades
Posté le 06/11/2024
Hello !
Que ce soit les flics ou n’importe qui, quand quelqu’un défonce sans sommation la porte de ton appartement pour te mettre un sac sur la tête et te jeter dans un désert hostiles, tu n’appelles pas ça une arrestation, je pense. Je n’ai jamais précisé de quel pays vient Camille, mais ce qui lui est arrivé ne semble pas avoir l’air de quelque chose d’officiel ou de légal.
Et Eïr, c’est la ville dans laquelle se passe cette histoire, à l’intérieur des murs qui la coupent du monde. Camille fait référence à son tout premier chapitre dans cette histoire, la façon dont c’est arrivé. Je met une note comme quoi c’est pas clair ?
Il va dans la chambre de Chris parce qu’elle n’a aucune fenêtre. Ce sera précisé dans le chapitre suivant ! 
Pour la répétition, je corrige tout de suite, je l’avais remarqué mais j’ai eu la flemme… XD
Merci pour ce commentaire !
Solamades
Posté le 06/11/2024
Dont il est arrivé
Vous lisez