Le pays des dragons était un endroit merveilleux. Il n'y faisait jamais froid. On y mangeait de bonnes pizzas, des rôtis savoureux et des brioches moelleuses et dorées. Quand les dragons faisaient la fête, ils crachaient des feux d'artifice de toutes les couleurs qui brillaient et réchauffaient et crépitaient sur leurs écailles. Et si l'un des leurs se sentait triste, on lui réchauffait le cœur d'une douce flamme ambrée.
C'était un endroit merveilleux... sauf pour Carmina.
Carmina, c'était une ronchonne. Elle ne mangeait pas ses pizzas avec les autres, elle attendait toujours que le repas soit fini avant de prendre sa part, complètement refroidie. Elle n'aimait pas les fêtes, et quand on lui crachait des étincelles dessus, pour essayer de la dérider un peu, elle criait et s'enfuyait. Sa maman avait bien essayé de comprendre. Un jour que Carmina boudait, roulée en boule dans le salon, la dame dragonne s'était approchée de sa fille, l'avait enveloppée d'une bulle d'air chaud et lui avait glissé à l'oreille : « Ma chérie, dis-moi ce qui ne va pas. » Eh bien Carmina avait dégagé sa mère d'un coup d'aile et s'était barricadée dans sa chambre.
Le docteur avait conclu que ce n'était qu'une crise d'adolescence.
Carmina y songeait, roulée en boule dans un coin reculé du jardin. C'était l'endroit le plus éloigné de la maison, le plus venteux, le plus frais. C'était un endroit où elle se sentait bien. Elle lécha la brûlure sur sa patte avant droite, causée par le feu d'artifice de la veille. Celle-ci commençait à se résorber. Elle ne savait pas comment faisaient les autres pour supporter cette douleur à chaque fois qu'ils se retrouvaient pris dans un brasier ? « Ça picote un peu, mais c'est pour s'amuser ! » disait son ami Ignace. Carmina était-elle une chochote ? Probablement, se dit-elle en reniflant. Puisque les autres réussissaient à supporter...
« Carmina ? »
C'était son papa. Le grand dragon vert s'installa à ses côtés, l'air inquiet.
« Tout va bien ?
- Oui oui », mentit Carmina. Elle savait que si elle disait non, il allait cracher du feu sur elle pour la réconforter. Et elle ne voulait pas ça.
Mais alors le papa de Carmina approcha la tête de celle de sa fille, et lui donna un grand coup de langue sur le museau. Carmina sourit. Ça faisait du bien.
« Je ne comprends pas les gens. Pourquoi est-ce qu'ils préfèrent se cracher du feu dessus, au lieu de se lécher le museau ? C'est plus efficace de réconforter les gens en leur faisant du bien qu'en leur faisant mal.
- Ça te fait mal, quand on crache du feu sur toi ?
- Euh, pas tant que ça hein ! s'écria aussitôt Carmina. Mais des fois, quand c'est trop chaud et que ça dure trop longtemps, et aussi quand j'ai des brûlures après une fête, ça peut me faire un peu mal. »
Heureusement, le père de Carmina la prit très au sérieux. Il savait, lui, qu'une petite flammèche n'est jamais trop chaude. Les dragons pouvaient se brûler dans les fournaises de l'enfer ou lors de l'explosion d'une centrale nucléaire, mais pas avec un tout petit nuage de vapeur à 100°C. Si Carmina se plaignait, c'était qu'elle avait vraiment mal. Et si elle avait vraiment mal, c'est qu'elle avait un problème.
On l'emmena dans un hôpital. Là, des médecins décidèrent que ses écailles étaient défectueuses, et qu'il fallait les remplacer. Alors, après l'avoir endormie, ils recouvrirent sa peau de plaques de céramique fixées par des crochets métalliques.
C'était encore pire comme ça. Les crochets lui faisaient mal, et les plaques de céramique la gênaient dans ses mouvements. Au début, elle se dit que ça irait, qu'il ne fallait pas se plaindre, qu'elle s'y habituerait, et que de toute façon, c'était pour la réparer. Mais les mois passaient et les fausses écailles lui faisaient toujours aussi mal.
On retourna à l'hôpital, et les médecins lui donnèrent des anti-douleurs. Les médicaments apaisèrent ses souffrances, et Carmina crut que c'était bon, on l'avait soignée. Jusqu'au jour où elle se rendit compte que du pus s'écoulait d'entre ses écailles. Après investigation, il apparut qu'elle avait fait un faux mouvement. Cela arrive à tout le monde ; mais l'un des crochets métalliques avait entaillé sa chair. Et comme, à cause des anti-douleurs, elle n'avait rien senti, elle avait négligé de désinfecter la plaie.
Carmina commençait à comprendre que les plaques de céramique n'étaient pas une bonne solution. Certes, elles la protégeaient des flammes, mais les désagréments provoqués par cette carapace étaient presque pires qu'à l'époque où elle se cachait au fond du jardin. Mais ses proches n'y voyaient que du feu. Après tout, puisqu'elle pouvait de nouveau participer aux fêtes et qu'elle ne s'enfuyait plus quand on la consolait, ce devait être qu'elle allait bien, non ?
Un soir, alors qu'ils appelaient pour le dîner, les parents de Carmina furent étonnés de ne pas voir leur fille descendre. Depuis qu'elle avait ses plaques, elle mangeait systématiquement avec eux et ne laissait jamais refroidir sa pizza. Ils haussèrent les épaules, mangèrent, puis prévinrent Carmina qu'ils avaient terminé. La jeune dragonne ne venait toujours pas. Alors sa mère monta voir ce qui se passait.
Elle trouva Carmina étendue dans une mare de sang. Sur sa patte avant gauche, ses fines écailles blanches apparaissaient, striées de plaies là où l'on avait attaché les plaques de céramique. Carmina avait visiblement arraché sa carapace, sans anesthésie, avec les dents. Mais elle n'avait pas réussi à aller jusqu'au bout et s'était écroulée au fur et à mesure que le sang s'écoulait de son corps.
Heureusement, elle n'était pas morte. On l'emmena à l'hôpital, un autre hôpital que celui qui lui avait prescrit les plaques de céramique. Là-bas, les soignants s'occupèrent d'abord de ses plaies. Puis, avec le matériel chirurgical, ils lui enlevèrent délicatement toutes les autres plaques qui couvraient son corps. L'état de ses écailles était alarmant. Tout d'abord, les attaches avaient laissé de profondes meurtrissures dans sa chair.
« Elle m'avait dit qu'elle avait mal, mais je ne m'étais pas imaginé que c'était à ce point-là !
- Ça va, ce n'est rien, ça ne fait pas si mal que ça, murmura Carmina, à demi-consciente sur son lit d'hôpital.
- Comprenez qu'elle a eu mal toute sa vie, expliquèrent les médecins. Pour elle, ce genre de douleur, c'est normal. Et puis, elle était sous anti-douleurs. »
Ensuite, une fois les plaques enlevées, on se rendit compte que ses écailles étaient disjointes et laissaient certaines zones de sa peau à nu. Le diagnostic tomba : manque de vitamine D. Privées d'exposition au soleil, ses écailles n'avaient pas pu terminer leur croissance. Enfin, après un examen plus détaillé, on se rendit compte qu'elle avait aussi une carie.
« Pourquoi n'es-tu pas allée chez le dentiste ?
- Je ne voulais pas qu'il me mette une dent en céramique avec des crochets de métal, comme on me l'a fait au premier hôpital », pleura Carmina.
Heureusement, dans le deuxième hôpital, il y avait une médecin qui avait déjà entendu parler des problèmes de dragons sensibles aux brûlures. Elle s'appelait madame Séraphina, et elle conseilla à Carmina de passer trois mois de convalescence à la montagne.
Dans l'hospice de l'Himalaya, Carmina se sentit revivre. Pour la première fois de sa vie, elle n'avait plus mal, plus du tout. Elle rencontra deux autres dragons, Tanguy et Nora, qui avaient comme elle des problèmes d'hypersensibilité au feu ; ainsi qu'Hélios, dont les écailles le protégeaient des brûlures mais qui n'aimait pas plus que cela les brasiers ardents. Ils se roulèrent dans la neige, glissèrent sur la glace et dansèrent sous les flocons. Les blessures de Carmina cicatrisèrent rapidement, et, sous l'exposition des rayons du soleil, ses écailles reprirent peu à peu la forme qu'elles auraient dû avoir. Après trois mois, la jeune dragonne avait retrouvé sa joie de vivre et sa plus parfaite santé.
Vint alors l'heure de rentrer à la maison.
Carmina embrassa ses nouveaux amis : « Je reviendrai, promis ! » Pour dire vrai, elle n'avait pas vraiment envie de partir, mais ses parents lui manquaient. Alors elle déploya ses ailes et décolla.
Quelle ne fut pas sa surprise quand elle passa la porte de chez elle ! Il y faisait beaucoup moins chaud que dans ses souvenirs.
« On a décidé qu'on n'allumerait le four que pour faire la cuisine, lui expliqua sa mère. En plus, comme ça, on économise du bois.
- Nous avons déménagé ta chambre au sous-sol, ajouta son père. Il y fait plus frais.
- Je suis allée parler avec ta professeure principale. Elle a accepté de modifier le plan de classe pour que tu ne sois plus assise trop près de la cheminée. Seule la professeure de français a refusé de suivre les modifications, on ne sait pas pourquoi. Apparemment, elle a déjà refusé de déplacer au premier rang un élève qui avait des problèmes de vue.
- Ah oui, et le parlement est en train d'examiner une loi pour interdire aux magasins de mettre du chauffage en été. Pour que les dragons comme toi puissent faire leurs courses plus facilement. »
Carmina écarquilla les yeux. Le parlement était génial. Sa professeure principale était merveilleuse. Et ses parents, tout simplement extraordinaires ! Elle se précipita dans leurs bras, ils lui léchèrent le museau. Alors bien sûr, elle risquerait encore de se brûler. Mais désormais, ce ne seraient plus que des brûlures occasionnelles. Elle pourrait cicatriser sans être constamment dans une fournaise. Et elle savait que ses proches ne mettraient plus jamais sa douleur sur le compte d'une crise d'adolescence.
Enfin, sauf peut-être cette peau de vache de professeure de français.
J'ai juste relevé des petites répétitions qui selon moi pourraient être modifiées :
"Elle ne mangeait pas ses pizzas avec les autres, elle attendait toujours que le repas soit fini avant de manger sa part complètement refroidie."
Verbe "manger" utilisé 2 fois dans la même phrase
"C'était l'endroit le plus éloigné de la maison, le plus venteux, le plus frais. C'était un endroit où elle se sentait bien."
"endroit" 2 fois de suite en début de phrase
"Certes, elles la protégeaient du feu, mais les désagréments provoqués par cette carapace étaient presque pires qu'à l'époque où elle se cachait au fond du jardin. Mais ses proches n'y voyaient que du feu."
Même si le sens est différent pour les deux utilisations, il y a quand même "feu" 2 fois en peu de temps. Peut-être remplacer "du feu" par "des brûlures" ?
Rien à dire à part ces petits détails. A bientôt !
Habituée des hôpitaux et des dénis de douleurs, cette histoire m'a beaucoup touchée. Le massage sanglant sur l'automutilation peut être dur pour les plus jeunes, mais j'ai senti beaucoup de justesse dans le déroulement de l'histoire. Les parents prennent conscience et font tout leur possible. Tout n'est pas rose, tout de même, il y a toujours des peaux de vaches...