Un Soleil comme on n'en avait jamais vu

Notes de l’auteur : Un texte d'anticipation et métaphysique, questionnant ce qui se produirait si l'ombre venait à disparaître. Je souhaite le réécrire pour le rendre plus immersif. Ce n'est pas vraiment une histoire, plus une "nouvelle instant", une tentative de décrire un phénomène irréel au plus juste.

C'était un soleil comme on n'en avait jamais vu, furieux, vibrant, palpant comme un cœur et tout boursouflé de turgescences jaune fournaise se déversant comme fer en fusion sur la ville hébétée, dont les remparts de granite rouge s’allumaient de myriades de cristaux de quartz. Des gens par milliers, sortis pour assister au phénomène, se trainaient avec une lenteur de cortège funèbre, tous du même pas de zombies et comme répondant à un appel de là-haut, de ce Très-Haut qui ne leur avait jamais paru si tangible.

Des bras se levaient, des mains se tendaient comme reliées à l'astre-jour par des cordes invisibles, mais que ce simple geste rendait visibles. Il leur semblait qu'en tendant le bras, ils pouvaient toucher le soleil. Pour certains toutefois, ce n'était qu'un geste de protection, tout à fait dérisoire, car le soleil était, ce jour-là, d'humeur à outrepasser les lois. Entre le soleil et l'œil, la main protectrice se translucidifiait ; les membres étaient ainsi happés, volés par la lumière crue de l'astre glouton. L'œil, à son tour sans protection, brûlait.

Mais ce n'était pas par un passage au noir que se manifestait la brûlure. La lumière s'appesantissait dans l'air, gagnait en intensité, encore et encore, sans qu'il y ait saturation. Partout cependant, l'ombre disparaissait. L'ombre tranchante de midi s'estompait uniformément jusqu'à s'effacer tout à fait des rues. Puis les gens, à leur tour, se mirent à perdre leur ombre, tous en même temps. Et ce n'est qu'en découvrant cette perte d'ombre qu'ils comprirent ce qui se jouait là. Les corps perdaient en consistance, devenaient visiblement des corps de fantôme, bien qu'encore constitués de chair véritable et d'os véritables. Avec la disparition de l'ombre, le monde perdait son opacité, et tout ce qui était apparaissait sous son vrai jour. En toute chose on apercevait les défauts, les fêlures, les faiblesses internes ; en tout être, les secrets.

Tout s'éclairait au grand jour : en se tournant vers son voisin, on voyait ses regrets, ses désirs inavoués, ses hontes ; d'une autre on voyait la maladie qu'elle se traînait et qui lui rongeait le corps. Et plus étrange encore, on apercevait le destin de chacun, le passé, l'ascendance. Tout était révélé, tout ce qui était, avait été et devrait être se trouvait éclairé d'un même jour, un jour implacable et indifférent. Et les quelques absents qui s'entretuaient dans l'ombre se trouvaient pris en flagrant délit par cette lumière trop juste ; de même les termites ayant interrompu leur travail de sape, l'araignée domestique sous la grande armoire, et le loir dans le grenier ne parvenant plus à trouver le sommeil ; tous ces habitants des recoins, ces amateurs d'ombre se retrouvaient acculés, sans la moindre possibilité de refuge.

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