Vent d'hiver (1)

Par Pouiny

Plusieurs de mes réveils sonnèrent. J’eus le réflexe d’attraper ma boussole avant de me rappeler que désormais, je me levais alors qu’il faisait encore nuit. Retrouvant avec peine les responsables du raffut dans ma chambre, je me dirigeai mollement vers la cuisine, assez démotivé. Après plusieurs mois à poursuivre le soleil, ne plus le faire dès le matin me perturbait plus que je pouvais l’imaginer. Préparant le café avant de partir en cours, je sentis une ombre s’approcher dans mon dos sans aucune finesse.

« Alors Aïden, tu ne prends plus ton appareil photo, maintenant ? »

Je me retournai alors avec une sorte de colère renfermée. Il n’avait rien fait ; c’était juste mon père, souriant, avec des cheveux courts aussi mal peignés que les miens, et un début de barbe mal rasée, et pourtant…

« Si, c’est juste que pour manger, il n’est pas très pratique.

– Tu n’as qu’à prendre le petit déjeuner en photo, sinon ! »

Je ne pris même pas la peine de répondre et m’assis à table.

« Tu as fait du café pour moi ?

– Non, mais il en reste, si tu veux. »

Il eut une sorte de petit rire nerveux, et alors qu’il cherchait de quoi se faire un café, je finis le mien et partis en vitesse de la maison. Une fois à l’air libre, je pris une grande inspiration. L’air froid emplit brutalement ma gorge. Je commençai à courir jusqu’au lycée malgré le poids de mes vêtements sur les épaules. J’essayai d’oublier la réflexion de mon père sur la photo et de ne pas m’inquiéter de ce qu’il pouvait en penser. Tout ceci ne devait pas me perturber.

 

La journée était longue et très lente. Mon chronomètre dans une main, à regarder l’heure constamment, j’observais la course circulaire du soleil timide d’hiver à travers les vitres sales de mon lycée. Les épreuves du bac blanc commençaient à se préparer doucement, mais je ne m’en inquiétais pas véritablement. Même les professeurs n’attendaient plus rien de moi et savaient que c’était peine perdue pour avoir la moyenne dans au moins une épreuve. Je ne leur en voulais pas ; à vrai dire, moi non plus, je n’y croyais pas.

 

Néanmoins, même sans y apporter trop attention je m’étais amélioré dans certains points en physique, notamment sur l’astronomie et la lumière. Cela faisait désormais plusieurs mois que je photographiais le soleil sans relâche ; il aurait fallu que je sois aveugle pour n’en faire aucune observation ni expérience. J’avais toujours le même mot d’ordre : faire en sorte que la photo ne ressemblât en rien à une autre. Si la tache semblait impossible, la descente de la courbe du soleil me facilitait grandement la chose ; j’observais tous les jours la baisse de luminosité, la différence de hauteur entre les différentes photos prises au même endroit et la diminution concrète du jour sur la nuit. Je devenais malgré moi un très bon astronome solaire, ce qui me paraissait bien ironique.

 

Je savais que l’hiver était une période difficile pour prendre des photos du ciel ; les belles journées se faisaient de plus en plus rares. Ainsi, j’étais bien content d’avoir plusieurs photos d’avance pour les semaines de mauvais temps où je ne pouvais prendre aucune photo.

 

Midi sonna. Sortant de cours avec impatience, je me dirigeai vers l’infirmerie du lycée. Elle était on ne peut plus classique ; des murs blancs avec collé de nombreuses affiches de sensibilisation sur le SIDA que tout le monde avait vues dans n’importe quelle salle d’attente de médecin. L’infirmier se tenait à son bureau, le nez plongé dans des feuilles sans doute administratives. Je toussotai légèrement pour signifier ma présence et il arbora un grand sourire en me voyant.

« Aïden ! Que puis-je faire pour toi ?

– La même chose de d’habitude, dis-je en lui tendant l’enveloppe.

– Oh. »

Il redevint sérieux en acceptant l’enveloppe et me dévisagea.

« Je suis sans doute indiscret, Aïden, mais… Qu’est-ce qu’il y a dans ces enveloppes que tu me fais transmettre à ta sœur depuis des mois ?

– Oh, rien, juste quelques photos, répondis-je en fuyant la question du regard.

– Pourquoi tiens-tu à lui à en envoyer tous les jours ? »

L’infirmier avait l’air inquiet, comme si j’étais malade. J’eus du mal à répondre une phrase voulant dire quelque chose, ne trouvant pas comment formuler ma pensée.

– Et bien… elle vit tous les jours, non ? »

Il fut sans doute surpris par ma réponse. Il eut un sourire avenant. L’infirmier était un homme mûr avec de l’expérience dans son métier, je lui faisais confiance pour comprendre au moins une partie du problème.

« Ce que je veux dire, c’est que tout ça envoyé aussi quotidiennement, ça doit te revenir cher, non ?

– Oh, ça va. Mes parents ne me refusent rien, donc bon…

– Ah oui, c’est vrai que tu es le petit chouchou de tes parents, n’est-ce pas ? »

Je sentai que c’était une sorte de blague, mais les battements de mon cœur qui en suivirent furent excessivement lourds. Je baissai la tête en silence. L’infirmier dut sans doute comprendre que ce qu’il venait de dire venait de me toucher. Profitant de l’occasion, il se pencha pour me regarder dans les yeux.

– Aïden… Tu le sais, que c’est bientôt la fin de l’année et qu’il va falloir que tu choisisses ton avenir. Ton bulletin est catastrophique et tu n’as toujours pas rempli tes fiches d’orientation, n’est-ce pas ? Ton professeur principal m’a parlé de ton cas, espérant avoir des réponses. Il me dit s’inquiéter pour toi, que tu ne réponds jamais à aucune question, aussi bien de cours que personnelle. Je suis sûr que tes parents s’inquiètent aussi pour ton avenir. A vrai dire, nous sommes convaincus que tu aurais les capacités de faire bien mieux, si tu étais attentif et sérieux en cours, mais tu as moult avertissements sur ton comportement et sur ton travail. Je ne compte même plus le nombre de chronomètres, minuteurs, montres ou tout autre objet bipeur que les professeurs ont signalé avoir confisqué. »

Je me renfermai davantage, mais à vrai dire, ma seule crainte était qu’il refuse de transmettre l’enveloppe à Béryl.

– Tu es un gentil garçon, Aïden, et c’est ce que j’ai répondu à ton professeur. Tous ici connaissons ta situation familiale et nous imaginons bien à quel point ça doit être difficile pour toi, mais…

– Ce n’est pas difficile ! »

Je me redressai brusquement en reculant. Il eut un tressaillement de surprise.

« La situation n’est pas difficile et ce n’est pas à cause de ça que je suis nul au lycée. Ne mettez pas mon manque d’intelligence sur le dos de ma sœur !

– Ce n’est pas un problème d’intelligence, répondit l’infirmier avec une grimace. »

Il avait l’air de se sentir glisser sur un terrain peu avenant.

« Le problème est que tu n’es pas attentif en cours et que tu n’as pas l’air de produire de travail en dehors du lycée. Tes parents m’ont dit que tu passais beaucoup de temps dehors ou à l’hôpital pour voir ta sœur, peut-être est-ce ça qui t’empêche d’être au meilleur de ta forme pendant les cours ?

– C’est n’importe quoi ! »

Mais à présent, c’était moi qui me sentais glisser.

– Tu n’as pas envie d’avoir ton bac, Aïden ? Tu ne vas quand même pas rester au lycée éternellement. Il est possible de te proposer de redoubler l’année prochaine, au vu de ton cas, mais il faut que tu saches que c’est une procédure complexe qui demande que tu t’investisses afin que ce ne soit pas vain. »

Je ne répondis pas. Je ne pouvais que le fixer avec des yeux brillants de colère.

« Je suis sûr que tes parents seraient heureux que tu aies ton bac. Après tout, tu es leur enfant. Et je suis sûr que Béryl…

– Ne parlez pas à la place de Béryl !! »

N’y tenant plus, je sortis de la pièce en courant et me dirigeai vers le gymnase en ravalant des larmes. Je fis néanmoins de mon mieux pour ne pas pleurer devant mon prof de sport.

Le jeudi midi, c’était entraînement à la course. Je me dirigeai en toute hâte sur la piste avec la rage au ventre, sans un regard pour les autres membres du club. Ce jour là, je battis mon record, ainsi que celui du lycée au passage. Je courais le plus rapidement possible, ne m’arrêtant que pour boire. Je voulais ressentir ces brûlures dans mes jambes, dans le ventre et le vent dans mes cheveux. Je voulais tout oublier, ma sœur, le soleil, l’infirmier, mes études. Tout me semblait ligué contre moi. Alors que je m’énervais contre tout ceci, ma foulée s’agrandissait, encore, et encore. Si d’ordinaire courir me rendait heureux, et battre un record euphorique, ce jour là, alors que j’avais effacé comme d’un revers de la main tout ce que j’avais pu faire jusqu’à présent, je ne fus même pas un tant soit peu fier de ma performance. Après une heure sur le terrain, Il ne restait en moi qu'amertume et frustration. Mais il fallait arrêter et se changer avant de retourner en cours. Je me dirigeai lentement vers les vestiaires avec dépit quand le professeur m’invita à m’asseoir. Je me dirigeai vers lui, non sans cacher ma mauvaise humeur.

« S’il vous plaît, ne me dites pas que vous allez me faire un sermon, l’infirmier s’en est déjà chargé tout à l’heure.

– Ah, c’est donc ça ! Me fit-il en riant. Je me disais bien que tu étais plus énervé que d’habitude. »

Assis, en train de reprendre mon souffle, j’attendais qu’il me dise ce qu’il avait à me dire, sans chercher à l’aider. Ma gorge brûlait, et je n'étais pas d'humeur à discuter.

Mon professeur était plus jeune que l’infirmier et paraissait beaucoup moins sérieux que lui. Sa bedaine prouvait déjà qu’il était un bon vivant avant d’être un sportif ou un professeur. Et puis, il se déchargeait beaucoup des taches ingrates sur les élèves dévoués, ce que je n’avais jamais vu faire aucun professeur avant lui. Mais les élèves lui pardonnaient, car il était souriant, encourageant et motivant. Je pense qu’il aimait sincèrement les sportifs, et il devait même les aimer plus que le sport.

« Tu sais, ton cas intrigue beaucoup les collègues.

– Je n’ai pourtant rien fait de spécial.

– Rien fait ? En soi, si, tu vis, ça te rend particulier. »

Un de mes sourcils se leva, ne comprenant pas où il voulait en venir. Mais au lieu d’instaurer un malaise, cela fit rire mon professeur.

« Il y a eu lors du conseil de classe récemment un assez lourd passage sur toi. Je peux te dire que ça s’est disputé à ton sujet !

– Ah bon, il y a eu un conseil de classe. »

Cette fois-ci, il rit franchement.

« C’est exactement de ça dont on a parlé. ‘‘Aïden, Aïden, il n’est jamais là, même si il est présent’’ s’est exclamée ma collègue en philo, pensant faire de l’esprit. En mathématiques, mon collègue s’est écrié tout aussi sec ’’Aïden, c’est un bon à rien qui ne mérite même pas l’éducation que ses parents se sont évertués à lui fournir’’.

– Tiens, je ne savais pas qu’il connaissait ma mère, grommelais-je avec un sourire cynique. Je ne veux pas savoir ce qu’ils ont fait…

– Tous les professeurs se sont ralliés pour dire que tu étais mou, fainéant et bon-à-rien, impertinent et mal élevé, avec une foutue sonnerie qui provient d’objets qui n’ont rien à faire en classe. Des retards, des absences et des excuses discutables pour sortir de cours à n’importe quel moment, continua-t-il sans prendre en compte ma remarque. Bref, qu’il ne fallait même pas espérer de toi que tu aies un quelconque avenir après le lycée et que tu finirais à ramasser les feuilles mortes dans les squares.

– Chouette plan de carrière, je continuai sur le même ton, je vais y penser. Et vous, monsieur, vous avez dit quoi ?

– Je leur ai dit ce que je pense de toi. Que tu es un garçon brillant et éveillé, qui suis mes consignes sans aucun souci, avec beaucoup de sérieux et d’attention. Que tu étais toujours volontaire pour ranger les affaires de sport alors que les autres se ruent au réfectoire. Et enfin, que cette fameuse sonnerie, moi, je ne l’ai jamais entendue dans aucun de mes cours.

– Normal, mes affaires sont dans les vestiaires.

– Peu importe ! Tu n’es jamais arrivé en retard, au contraire, tu restes après les cours, tu n’oublies jamais ta tenue de sport, et tu ne t’es jamais enfui pendant une séance, même pendant celles qui n’étaient pas agréables. Déjà rien que pour soutenir ça, la totalité des autres professeurs présents m’ont regardé avec des yeux ronds. »

Je restai silencieux. En effet, mon chronomètre était toujours dans les vestiaires, mais si j’avais vraiment voulu partir en plein cours ou garder la sonnerie et le soleil avec moi, j’aurais très bien pu me débrouiller. La raison qui m’avait poussé à ne pas le faire m’échappa quelque peu.

« Après ça, l’infirmier a tenu à faire un rappel sur ta situation pour inciter les autres professeurs à la clémence. Après tout, certains parlaient même de te renvoyer ! Mais je m’y serai opposé, même sans lui.

– Pourquoi ?

– Parce que, pour moi mon garçon, tu as de l’avenir et un bon fond. Je ne vais pas à chercher à savoir pourquoi tu te comportes comme ça, je m’en fiche. Ce qui m’importe, c’est de t’inciter à te comporter ailleurs comme ce que je peux en voir dans mes cours. Et du coup, je me demandais… Est-ce que tu ne serais pas intéressé à faire carrière dans le sport ? »

La question me prit de court. A dire vrai, je n’y avais jamais pensé. Je commençais à bredouiller.

« Moi… Mais… Enfin… Je ne suis pas… Je n’ai pas... »

Je devais avoir l’air pitoyable, car à nouveau le professeur éclata de rire.

« Je ne te demande pas de me répondre tout de suite, mais si je te le demande c’est que je pense que ce serait un chemin où tu pourrais t’épanouir bien mieux que dans une salle de classe. »

Il inspira grandement.

« Tu sais, moi aussi il y a eu une époque où je faisais les quatre-cents coups. Si on ne m’avait pas guidé à l’époque, je ne serais sûrement pas là ou j’en suis aujourd’hui. »

Alors que je réfléchissais comment répondre, pensant que son cas était en tout point différent, la sonnerie de reprise des cours retentit. Il me tapota l’épaule en se redressant.

« Allez, dépêche toi champion, tu vas être en retard. »

Je pris alors conscience de ma tenue et de mon odeur alors que je repartais en cours sans me changer. Les élèves à coté de moi en cours d’histoire quelque temps plus tard, avaient du passer un moment très désagréable à coté d’une larve suante et poisseuse. Mon chronomètre sonna une fois ou deux pendant les cours de l’après-midi, mais malgré un soleil dégagé, je ne quittai pas la classe et mis tout simplement fin aux sonneries. Pensif, je rentrai chez moi à la nuit tombée avec un pas lourd, avec l'impression d'avoir manqué ma journée. Mais malgré tout, l’essentiel de la journée avait été accompli ; l’infirmier pouvait avoir bien des défauts, je savais qu’il transmettrait malgré tout l'enveloppe à Béryl. Le reste était sans importance.

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dodoreve
Posté le 14/03/2021
"Le monde dont ma sœur devait rêver ne devait en rien ressembler à celui dans lequel je vivais." Bon, déjà, il est tard (en tout cas pour moi), mais en plus ce chapitre se finit sur cette note qui me serre encore plus le cœur. Je l'ai trouvé très beau, malgré sa violence (la discussion avec la mère...! pire que le harcèlement même si ça n'a pas grand sens de comparer). On sent bien la colère d'Aïden, et en même temps combien cette situation le désempare. "Et bien… elle vit tous les jours, non ?" : ça c'est un truc qui me frappe tant c'est juste et tant ça exprime bien ce sentiment là. Je me rends compte avec ce deuxième chapitre que je ne sais pas du tout à quelle fin je m'attends. Bah, une chose est sûre, je la lirai.
Merci pour cette lecture !

Quelques petits trucs relevés au passage :
"coté" (côté)
"le matériel sportif à la foi,." (ponctuation)
"je hochais la tête." (majuscule)
"ma sœur ne passât pas ses dix-sept ans totalement seule" au passé simple plutôt
"Elle fini alors par quitter la pièce" (finit)
"il en restai quelques uns" (restait)
Pouiny
Posté le 15/03/2021
Merci beaucoup :) Je vais regarder pour corriger ça !

Je suis content si la discussion avec la mère fonctionne bien, c'était pas évident à écrire ! Je voulais vraiment que ce soit tout en nuance de gris, d'une certaine manière, brouiller le jugement qu'on pourrait porter sur les personnages. Montrer que le regard d'Aïden ne montre pas tout, non plus ^^ Je suis vraiment heureux que ça te plaise, c'est vraiment encourageant pour moi !
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