Vivre avec ça

Notes de l’auteur : Voilà un an que je veux me remettre à l'écriture.
Par quoi commencer ? Recommencer ? Où j'en étais quand j'ai écrit pour la dernière fois, en 2015?
Il m'a vite semblé indispensable de commencer par ce récit, cet hiver 2008.

Un traumatisme ne s'enfouit pas, ne se panse pas. Il faut se l'approprier et s'en faire un allier.

Replonger dans ces souvenirs fut un vrai travail émotionnel.
Revivre chaque instant pour les coucher sur le papier, ressentir à nouveau chaque émotion n'a pas été chose facile.

Cette histoire est enfin là, sur le papier.
Je suis prête à vivre avec ça

"Vivre avec son passé"

C'est l'essai, le bouquin, qui m'aura tenu compagnie pendant ces vacances estivales. Un brin philosophique, certes, (beaucoup même) mais la dizaine des 40 ans me réconciliera avec mon passé, pansera à mes blessures et soignera mes traumatismes.

À 40 ans, j'ai décidé qu'il était enfin l'heure de soigner mes traumatismes, donc, surtout un, très présent. La thérapie EMDR que j'ai suivie il y a un an est en train de porter ses fruits. Associé au livre Kilomètres Zéro, un livre de way of life que je ne peux que fortement recommander à chacun, et la sagesse des 40 ans, il est temps de commencer ce travail de guérison.

 

Je n'ai jamais été très portée sur les discussions bébés, couches et tout ça, mais voilà 16 ans que je ne supporte que difficilement les discussions de meufs sur les accouchements.

Si tu as plus de trente ans et des copines mamans, tu as déjà vécu ce moment: Chacune, à tour de rôle, ressent l'envie de raconter les heures précédant la naissance, la dernière ligne droite avec avant le plus beau moment de notre vie. Qu'on soit quatre, six ou dix dans la pièce, oui, chacune a besoin de narrer son histoire pour revivre ce merveilleux souvenir. Et moi, dans ces moments-là, je me ferme comme une huître, je me terre dans un coin, m'enferme dans un mutisme. Pourquoi raconter ce que moi j'ai vécu ? Cela n'avait rien de merveilleux, de magique. Au mieux, je vais faire pitié. Et au pire, je vais faire peur aux jeunes filles, pas encore maman.

Alors je me tais, j'attends, et je finis par aller m'enfermer aux toilettes.

Attendre, sécher ses larmes, souffler pour que personne ne voit à quel point je suis touchée et  triste. Triste de réaliser que jamais je ne connaîtrai une naissance par voie basse, un accouchement, sentir le bébé passer. 

Jalouse, en colère, injuste, autant de mots qui refont surface lors de ces discussions, ou bien là  maintenant que je réécris le moment. 

Ma psy m'a donc conseillé de coucher tout ça sur le papier, une bonne fois pour toutes, pas  pour oublier, mais pour ranger le traumatisme et ne garder en mémoire que le souvenir, la  naissance de mon premier enfant. 

Nous sommes le 4 janvier 2008. Ce soir, dès que Micka rentre du boulot, c'est piscine tous les trois, avec Romane. Il est 18h30.  Micka finit à 19h, donc je décide de nous préparer Romane et moi. Mais je perds du sang. Beaucoup de sang. Et à une semaine du terme, t'as beau n'avoir que 26 ans et connaître tout ça pour la première  fois, je sais que ce n'est pas normal. 

No panic 

“Romane, mon chat, je crois qu'on ne va pas aller à la piscine. Ton petit frère va arriver.” Et ma poulette en larmes : ”Mais je veux pas que mon petit frère arrive maintenaaaaant. » 

J'appelle Micka pour qu'il rapplique au plus vite. Un arrêt chez Mamie Nicole pour déposer  Romane et Go pour la maternité. On m'installe dans une chambre de pré-travail, à priori, pas d'inquiétude pour l'instant. Le monito est en place, les contractions sont douloureuses mais gérables. On me fait la prise de  sang pour la péri et c'est le début des emmerdes. 

Je dois dire que ça fait une petite semaine que je ne me sens pas au top. Je n'ai plus aucune énergie. Le moindre déplacement est une épreuve. Porter la poussette de Romane où elle met  ses bébés me semble une montagne. Le 31 décembre, j'ai vomi. Micka aussi, mais pour d'autres  raisons. Par respect pour le personnage, nous couperons cette anecdote. 

Bref, je ne me sens pas au top. Mais une fois de plus, à une semaine du terme, ça doit être  normal. 

Les analyses de sang ne sont pas bonnes. Je ne peux donc pas avoir la péridurale. Bon, bah, accouchement naturel ? Non. Je n'ai d'ailleurs même pas le temps de l'envisager. Le rythme cardiaque du bébé ralentit, il semble en souffrance. On m'explique alors qu'on va devoir faire  une anesthésie générale et une césarienne. 

Est-ce qu'on m'explique ce qu'est une césarienne ? Non.

Est-ce qu'on m'explique en quoi consiste l'opération ? Non

Est-ce que les cours de préparation à l'accouchement que j'ai assidûment suivi m'ont préparé à  cette épreuve ? Absolument pas. 

Je fais donc sagement tout ce qu'on me demande de faire. Je suis sondée, éveillée, car il faut m'endormir au dernier moment pour que le bébé ingère le moins de produits possible. Un bisou  à Micka et on part au bloc. Assez vite. Très vite d'ailleurs. Une fois au bloc, j'ai froid, j'ai des  contractions. La table sur laquelle je suis allongée semble trop petite pour moi. J'ai l'impression  de déborder de tous les côtés. Et c'est pas fini. On m'attache, on enlève mes lunettes, masque à oxygène.

J'ai mal mais je n'ai pas peur. Mon bébé va arriver. J'ai confiance, même si Micka n'est  pas avec moi. 

Je reprends conscience dans la nuit du 4 au 5 janvier. Dans le gaz total, suite à l'anesthésie générale, j'ai un vague souvenir d'avoir ma maman au téléphone et de lui parler avec une patate  chaude dans la bouche. Je me souviens lui partager mon bonheur. Je me souviens de ce  sentiment de bonheur, de plénitude. Merci les hormones. Mon corps a évacué les effets  secondaires et indésirables de l'anesthésie au petit matin. Je n'ai plus tous les détails des  premières heures, mais je n'ai pas le souvenir d'être inquiète ou anxieuse. Et pourtant, mon bébé n'est pas avec moi. Il me semble que Micka est reparti s'occuper de Romane. Elle doit  passer nous voir à la maternité avant de repartir chez sa mère. 

Et c'est au cours de ces premières heures que je vais vivre mon moment magique, ma rencontre  avec mon fils. Une puéricultrice a gentiment pris l'initiative et le temps de descendre Timothé de  la néonat jusqu'à moi. Je le vois donc pour la première fois, dans la couveuse. Je ne vois pas capteurs, fils et autres appareils médicaux. Je ne vois que son petit body bleu du service néonat. Un body usé par le temps avec un éléphant et des animaux du cirque. Je ne vois que ça, ses  magnifiques petits pieds, ses adorables petites mains et son visage angélique, sa petite tête  blonde, ce visage parfait. Je ne suis pas catholique pour un sou mais je vous jure qu'à cet instant précis, la lumière fut sur le berceau de mon fils, les rayons de soleil de ce 5 janvier l’ont  auréolé. C’était beau et magique. J'étais émerveillée. 

Et merci les hormones une fois de plus. 

Timothé est né le 4 janvier 2008 à 22h36. Il n’a pas respiré tout de suite et a dû être intubé et  transporté d’urgence en néonat. C’est ce moment que pourrait raconter Micka. Lorsqu’il a vu une batterie de médecins et d'infirmières se presser, la couveuse entre les mains, pour l’emmener dans le service. 

En souffrance respiratoire, il a ingéré ses selles et la vie extra-utérine n'a pas débuté comme ça  aurait dû. Capteur, sonde pour le nourrir, Tim a passé trois jours en néonat. Après un EEG et une batterie de tests, il a vite pu regagner ma chambre. Pendant ces trois jours, j'ai pu lui rendre visite  autant que je voulais. Même s'il n'était pas avec moi, même si j'avais tout le temps envie de le voir, je ne me souviens pas d'une certaine tristesse ou frustration. Une fois de plus, merci les  hormones. J'étais euphorique, positive et heureuse. C'est au bout du quatrième ou cinquième  jour que j'ai commencé à déchanter. 

Ça a commencé par une légère douleur dans le ventre. J'étais assez faible, mais j’ai mis ça sur le  compte de l'anesthésie générale que je supporte mal. On me parle d'un hématome au niveau de  la plaie de la césarienne, mais au cas où, on me donne quand même des antibio. Fini l'espoir de  mettre un allaitement en place. De toute façon, Timothé est nourri depuis la naissance, tour à tour, par bib’, seins, seringues. C'était déjà délicat à mettre en place. Je suis incapable de le poser  sur mon abdomen sans ressentir inconfort et douleur. J'accepte donc, et laisse tomber l'allaitement, pour espérer ne plus ressentir les douleurs à l'abdomen qui ne semblent pas se  calmer. Le septième jour, je peux enfin sortir de la maternité. Sous antibio, avec un traitement pour stopper la montée de lait, et pleine d'œdème. Mais peu importe. Tim va bien, et nous rentrons à  la maison tous les trois. 

Les jours se suivent, les visites s'enchaînent, je suis fatiguée, j'ai mal. Timothé est un bébé calme. Il va bien. Moi, je souffre toujours de cette petite gêne dans le ventre. Je mets ça sur le compte  d'une première grosse opération. C'est la première fois que je vis ça. C'est peut-être normal. Arrête de t'écouter, Elodie! C'est une césarienne. Forcément que tu douilles, c'est normal. Mais je  prends quand même du Doliprane, 2 g par prise, histoire d'essayer de calmer la douleur. J'ai des  vertiges, mais la douleur ne s'estompe pas. Je tape du poing dans les murs dès que j'ai un pic de  douleur. Elle est grandissante. Rien n'y fait. Ça ne passe pas. 

Antidouleurs. Pensées positives. Repos. 

Rien à faire. J’ai mal.

Au bout de quelques jours, (je ne sais pas combien, cette période m'a semblé durer une  éternité). Nous décidons de retourner aux urgences obstétriques. Nous patienterons près de 7  heures avec un nourrisson de 15 jours. Scanner, examen médical, prise de sang. Je ressors avec  un diagnostic. Constipation. LOL. Et une légère impression de ne pas avoir été entendue. Mais  c'est sûrement moi qui me fais des films et qui suis douillette. J'ai passé la journée entourée de  médecins, je peux leur faire confiance, non ? Je suis rappelée quelques jours plus tard car ils ont  reçu les résultats d'analyse de sang. 

Alors, alors… 

C’est pas au top tout ça.

Taux d'hémoglobine divisé par 2. 

Taux de globules blancs multiplié par 3. 

Pour toi, dont les cours de la SVT ou les épisodes de “La vie” sont trop loin: les globules blancs  se mettent au fight et se multiplient dès lors qu'ils doivent combattre quelques méchants. Ou  une infection. Donc oui, il y a bien un truc. Apparemment au niveau de l'abdomen. Une  infection qui s'étend. Apparemment au niveau du sang. Je ne pourrais pas rentrer beaucoup  plus dans les détails, parce que: 

- On n'est toujours pas en cours de SVT. 

- Ça fait plus de 17 ans et les termes et détails médicaux m'échappent. 

- Le corps médical peut parfois être un peu radin sur la com'. Non, sans déconner!! Non, je ne suis pas trop douillette.  

Oui, j'aurais dû m'écouter. 

Et donc, hop, branle bas de combat: “On va vous hospitaliser madame, le temps de faire plus d'analyses et de comprendre ce qu’il vous arrive » 

“ OK. Et mon bébé ?” 

“Vous allez être admise en chirurgie donc ça ne peut pas être avec votre bébé.” 

Et hop, énième douche froide. Timothé a environ 15 jours et je vais devoir le faire garder. Je vais  devoir me séparer de mon bébé. 

J'ai 26 ans et j'ai mal. 

Mais je me tais et j'accepte. 

Le congé paternité étant déjà fini pour Micka, (de 15 jours à l'époque), il doit reprendre le  chemin du taf. C’est donc Tiphaine, au chômage, par chance pour moi, qui gardera Tim. 

“Alors Tiphaine, pour nos lecteurs, qui êtes-vous ? Présentez-vous.” 

Tiphaine, c'est ma copine de BTS, la parraine de Tim. Hein ? Quoi ? La parraine ? Ben oui, c'est la femme du parrain de Timothé. Mon amie depuis presque 20 ans. Ces quelques semaines  resteront aussi gravées dans ma mémoire parce que elle, cette meuf, sans permis, sans boulot,  avec un bébé de 8 mois, n'a pas hésité une seule seconde à s'occuper de mon fils de 15 jours. Chaque jour, le temps que j'aille mieux. Elle se tapait même le luxe de venir me voir pour me montrer mon fils. Une meuf, deux bébés de 8 mois d’écart, un bus. Tout le monde se retournait sur son passage. 

Bien sûr que ma famille fut présente pendant toute cette période, mes parents, ma sœur, ma belle-mère, ma belle-sœur. Mais Tiphaine a fait preuve d'une amitié sans commune mesure. On  a eu des prises de gueule dans les années qui ont suivi, mais à jamais elle sera là pour moi et je  serai là pour elle. Cette histoire a créé un lien imbrisable entre elle et moi. Je lui suis reconnaissante à jamais d'avoir été présente de la sorte pendant cette période.

Me voilà donc au service chirurgie-je-ne-sais-plus-quoi, dans un lit, une perf et un garde-veine,  en observation, parce qu'on ne sait pas trop quoi faire de moi. J'ai mal. D’autres analyses de  sang sont en cours, hémocultures, etc… (et je ne te parle pas d'un festival transgenre ou non binaire) et tout ça. 

Pas le droit de manger. Dans le cas où on vous opérerait, madame. 

Pas de vernis à ongles. Pour le capteur sur le doigt, madame. 

Voilà, voilà. J'ai mal. Thug life, je vais quand même fumer, sinon c'est la déprime. Mais en cachette, bien sûr. Les jours passent, je souffre, mais on ne sait pas quoi faire de moi. Sans  mentir, tous les obstétriciens de l’hôpital sont allés voir ce qui se passait là-dedans. Et par là dedans, je parle bien de mon utérus. J'ai l'impression d'être dans Docteur House. Un mauvais  épisode où je suis la fille défraîchie, pas lavée, pas coiffée, dont tout le monde énumère les symptômes, mais personne ne comprend. J'en vois passer des étudiants, stagiaires et autres  internes. 

Jusqu'à l'apparition d'un génie, Gregory House, mais plus petit, plus vieux, et moins tox’. Le génie  donc, qui dit: bon bah, va falloir ouvrir et aller voir ce qu'il y a là-dedans. Putain, mais enfin!! MERCI !!! Nous sommes trois semaines après la naissance de Timothé. Ce qu'ils vont découvrir  aurait pu être pris en charge bien plus tôt. On aurait pu prendre ça à temps, qu'il ne soit pas aussi gros, pas aussi installé, confortablement, en bas, à droite de mon utérus. Un abcès, dur  comme une coque de noix, grand comme une pêche, a pris ses aises dans le cul de sac de Douglas, près de  la trompe. 

D'où l'impossibilité de me coucher sur le côté gauche  

D'où les globules blancs. 

D'où la fièvre. 

D'où la douleur. Lancinante, persistante, grandissante. 

Je me retrouve donc dans la chambre après l'opération du génie. Vu la complexité de la situation, la jeune maman que je suis, les visites du bébé, mon post-partum plutôt dans le down,  ils ont décidé de me mettre dans une chambre seule. Oui, Nota Bene, pour l'hôpital public, on est sur un vrai privilège. Le génie donc, Docteur House, a enlevé l’abcès, nettoyé toute la cavité  utérine et posé trois drains pour continuer le grand nettoyage de printemps. 

On visualise le petit outfit de janvier 2008? 

Une blouse d'hôpital 

Des cheveux pas lavés depuis un bail 

Trois tuyaux qui sortent de mon ventre reliés à des bouteilles  

Une perf à la main avec trithérapie d'antibios 

Des douleurs bien sûr (bah oui! niveau chirurgie sur les trois dernières semaines, on n'est pas  loin de la carte de fidélité!).

Et mon entêtement à me démerder seule et à ne pas demander d'aide. Pourquoi entêtement ? Je me souviens d'une nuit, peut-être à J2 ou J3, (oui parce qu'il faut bien se dire qu'au bout de 10  jours à l'hôpital, j'ai acquis: le vocabulaire médical, enregistré qui est du matin, qui est du soir, le code couleur de chaque tenue du corps médical, etc.). Je me souviens d'une nuit, donc, où l'envie de faire pipi me réveille. J'en ai marre d'être assistée dans le moindre de mes gestes.  Alors hop hop hop, déter’ la meuf, je relève mon lit, je prends mes trois drains et leurs bouteilles  sous le bras, ma perf dans l'autre main, et go pour les WC. Je vous raconte pas la fierté, mais  j'aurais pu tomber sur le sol et là ça aurait été juste la merde. 

La cause du mal est trouvée. Je suis enfin écoutée, je suis traitée pour la douleur, mais les jours à venir vont continuer de me faire sombrer dans la dépression postpartum. Je ne vois que très  peu mon bébé et quand il est là, je ne peux même pas le poser sur mon ventre. Je ne peux pas lui donner à manger. Je me sens grosse, sale, gonflée, inutile, douloureuse. Je n'ai envie de rien.  Je regarde la fenêtre de ma chambre d'hôpital. Elle a des barreaux. 

Dommage. 

C'est la première et seule fois de ma vie où cette idée m'a traversé la tête. Oui, juste traversé,  mais je l'ai pensée. Sauter par la fenêtre et ne plus avoir mal. Alors j'ai dit que j'avais besoin  d'aide. On a fait passer une infirmière psy dans ma chambre, mais j'ai du mal à verbaliser et je  pense qu'elle n'a pas compris. Elle m'a dit qu'il fallait que je me laisse du temps, que ça allait rentrer dans l'ordre. 

Bref j'ai dit ok, oui c'est vrai.  

Elle est partie. 

On m'a demandé si j'avais besoin de replanifier un rendez-vous.  

J'ai dit non, ça va passer. 

Mais ce n'est jamais réellement passé. 

Bien ..., à J4 ou J5, les tuyaux qui me sortent du ventre évoqués plus haut, les trois drains qui sont là depuis plusieurs jours, il va bien falloir les enlever. Ça paraît simple, il suffit de tirer sur le tuyau. Ouais, t'as raison. Reprenons les cours de SVT:

Le drain, petit tuyau en silicone ou je ne sais quoi d'ailleurs, rentre dans mon abdomen par mon  ventre. Un à droite du nombril, un à gauche, un en dessous, et le nombril a servi à faire passer  les instruments lors de l'opération en célioscopie. Ce drain va jusqu'à, je suppose, là où était l'abcès, dans le cul de sac de Douglas, si vous m'avez suivie. C'est-à-dire entre l'utérus et le rectum, près de la trompe droite. Le hic, le tout petit problème, c'est qu'au bout de 4 ou 5 jours,  la peau a commencé à cicatriser, à se refermer autour du drain. De même, à l'intérieur, mes  entrailles ont commencé à s'adapter aux drains et à reprendre place autour de ces trois intrus. Je ne sais pas si tout ça est scientifiquement exact, mais je l'ai vraiment ressenti ainsi lorsque les  infirmières ont estimé qu'il était temps d'enlever ces drains. 

De fait, il faut bien les enlever. On me prépare. Deux ou trois infirmières sont là. 

“Ça va être un peu douloureux, madame.”

Vous n'avez pas idée. Une telle douleur, insoutenable. J'ai l'impression qu'on a plongé la main dans mes entrailles, qu'on les retourne, qu'on les  mélange avant de les tirer vers l'extérieur. Ça dure longtemps. Les infirmières sont bien embêtées. Je les arrête, je crie, je pleure de douleur. Et finalement elles parviennent à l'enlever.  

Le premier drain. 

Il en reste deux. Je demande à souffler, mais il faut bien y retourner. Le reste de l'extraction se  passera de la même façon. Je peux encore ressentir cette douleur en moi. Il y a des souvenirs  marqués au fer rouge dans notre mémoire. Celui-ci en fait partie. C'est pendant ces quelques jours que l'acteur Heath Ledger est mort. Vous ne voyez pas le rapport ? Normal. Moi j'ai fait une  association. Outre le fait que c'était THE acteur pour moi, celui où j'aurais pu aller voir n'importe  quel film pourvu qu'il soit dedans, je l'aimais. Et j'ai associé ce gâchis, cette disparition prématurée, ma tristesse, à ce que je vivais, à la douleur psychique et physique que je vivais. 

17 ans après, je suis donc en mesure de vous donner sa date de décès, ce que je faisais à ce  moment-là. Et je suis par-dessus tout incapable de regarder Brokeback Mountain, le film qui passait au moment où on m'a retiré ces fucking drains. 

Mes parents ont prévu de venir ce week-end. J'ai une chouette aide soignante qui m'a pris par la  main pour m'éviter de sombrer et me remonter plus proche de la surface. Elle s'est occupée de  moi, elle m'a aidé à me doucher, elle m'a lavé les cheveux. Et toi meuf, tu sais ce que c'est le bien-être psychologique que tu ressens avec les cheveux propres ? Et ben voilà. Le week-end est  là, le soleil aussi. Plus d'abcès, plus de drains. Je vais voir mon bébé, le poser contre moi. Nous  sortons prendre l'air le samedi après-midi. C'est un des premiers soleils de l'année, celui qui te  chauffe le visage et te fait du bien au moral. 

C'est là, c'est à ce moment-là que j'ai commencé à remonter la pente. J'ai pu prendre mon fils  contre moi, j'ai pu retrouver un peu d'autonomie. Je ne l'explique pas, mais le cercle vertueux  s'est enfin mis en marche. Je ne me souviens pas précisément du retour à la maison. C'était fin janvier. J'ai eu des antibiotiques en perf pendant encore quelques jours. Une infirmière venait à  la maison. Mes veines n'en pouvaient plus de toutes ces perfs, ces aiguilles, ça devenait compliqué de poser le cathéter. On a donc arrêté un peu plus tôt que prévu. J’ai eu peur  d’arrêter le traitement. Mais tout a recommencé à aller bien.

 

Merci 

Merci à toi de m’avoir lu, d’avoir pris le temps de me connaître un peu plus.

Merci à mes parents d’avoir fait la route chaque week-end de cet hiver 2008 pour  un petit coucou. 

Merci à Elodie et à Nicole pour leur présence et leurs visites. 

Merci à Tiphaine d’être cette amie infaillible, toujours là quand il faut. Et je ne parle  pas que de cette fois-ci. C’est l’amie qui dit “Bouge pas! J’arrive!” Parce que je n’ai  pas besoin de demander, elle sait. 

Merci à Julia de m’avoir écoutée, à un coin de table un midi, au boulot. J’ai senti ton envie sincère de connaître mon histoire. Cette petite parenthèse m’a fait un bien  que tu n’imagines pas et a contribué à cet écrit. 

Timothé, je dis souvent qu’il y a 100 ans, on serait mort tous les 2. Je sais que tu avais hâte de lire cette histoire. J’ai mis le temps, mais la voici. C’est un peu ton histoire aussi. Je t’aime. 

Micka, tu as vécu tout ça avec moi. Ton histoire, ton point de vue meriterait aussi certainement son chapitre. Merci d’être là, au quotidien, d’être mon pilier. Je  t’aime.

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Lola4956
Posté le 08/03/2025
Chaque histoire est bonne à lire, pour une remise en question car chaque vécu permet d avancer, ma psy m àvait dit la même chose. De mettre sur papier, que les écrit libère
Lola4956
Posté le 08/03/2025
Une nouvelle page s ouvre à toi... Plein de belles choses
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