La petite cour était vide, sereine, seul bruissait le vent dans les bosquets de bambou encerclant le sanctuaire. Marco humait l'air en admirant le ciel, regardant voguer les nuages loin haut dessus.
Alors qu'il rêvassait, une silhouette élégante s'approcha dans son dos, silencieuse et légère sur les pavés usés de la place. Marco se retourna pour découvrir la nouvelle venue. C'était une jeune tisseuse de vent affiliée au sanctuaire, une fille élancée, portant des vêtements fluides et vaporeux. Une mèche de ses longs cheveux s'était échappée de son chignon et dansait librement dans le vent alors qu'elle approchait doucement sur la pointe des pieds.
Elle pinça les lèvres et prononça quelques mots que Marco ne comprit pas. Puis d'un geste sec elle fit sortir de ses larges manches deux éventails. D'un second geste vif, elle les ouvrit pour dévoiler un idéogramme peint sur chacun d'eux, aux traits noirs fuselés, semblant happer le Monde autour de lui. Aussitôt, l'air autour de la combattante se concentra à leur contact, les éventails craquèrent légèrement et se gonflèrent sous la pression, les bras de leur porteuse se tendirent pour les maintenir en place.
Puis tout doucement elle pointa Marco avec l'un d'entre eux avant de le diriger vers le sol, propulsant la poussière de la cour dans les airs, agitant ses vêtements et sa mèche rebelle.
Une invitation à mordre cette même poussière.
Marco d'un geste précis releva son parapluie et détacha le ruban qui retenait la toile, avant de saluer en se touchant le front.
La jeune femme dévoila ses dents dans un grand sourire carnassier. Puis dans un mouvement maitrisé, elle tourna sur elle-même, en ramenant progressivement vers elle ses bras au bout desquels étaient toujours déployés ses éventails. Le vent vint s'enrouler autour de son corps, et la soulever en accélérant son tournoiement. Elle s'éleva ainsi jusqu'au toit incurvé du mur de la cour, se posant délicatement sur les tuiles noires.
Marco eut un sourire narquois et fit quelques entrechats avant de réaliser deux bonds en extension qui l'amenèrent lui aussi sur le haut du mur en un mouvement souple et léger.
A peine la pointe de son pied toucha une des tuiles que la jeune tisseuse bougea à nouveau pour s'élever avec le vent en direction de la mer de bambou attenante à la cour.
S'appuyant sur le vent, elle voguait sur la cime des bambous en les faisant plier en tous sens dans un bruissement continu. Marco la suivit, de petits bonds, de pas légers comme une plume, il bondit sur le faîte des végétaux, s'y appuyant qu'un instant pour bondir à nouveau en grandes enjambées, à la poursuite de la jeune femme.
Celle-ci s'éloigna un temps, puis se retourna en faisant virevolter ses éventails, créant des motifs éphémères dans la mer de bambous, agités par le vent autour d'elle.
Stabilisant son vol, elle prit appui sur un bambou et projeta le vent qui l'accompagnait vers Marco. Celui-ci modifia sa course, virant élégamment sur sa droite pour éviter le plus gros de la bourrasque, se laissa tomber entre les grandes tiges pour prendre appui sur leur flanc, une, deux puis trois fois, avant de remonter à l'air libre. La jeune tisseuse de vent avait elle aussi plongé sous les feuillages alors que son bambou pliait sous son poids. Agitant le vent parmi les branches, elle s'extirpa du labyrinthe végétal presque au même instant que son adversaire.
Elle s'appuya sur le vent rejeté par la masse végétale qui se refermait derrière elle et s'approcha du danseur venant à sa rencontre. Elle le pressa à nouveau de bourrasques vives, sifflantes au-dessus du bruissement de plus en plus furieux des bambous. Le jeune homme contournait les vents au mieux, se faisant parfois attrapé, il usait de son parapluie déployé pour garder l'équilibre et des bambous sur lesquels il s'appuyait.
Les deux combattants se tournaient ainsi autour de longues minutes plongeant au cœur de la forêt, pour en ressortir subitement. Parfois la jeune femme déstabilisait le danseur qui s'éloignait pour reprendre pied, parfois il usait habilement du vent pour la contourner et s'approcher d'elle, pouvant presque la toucher.
Mais dans un mouvement habile, la gardienne du sanctuaire s'envola à quelques mètres au-dessus de la forêt, au-dessus du danseur. Elle s'apprêta à déchainer les vents à son encontre, mais il avait pris la mesure de sa mauvaise posture. Il se posa sur la cime d'un bambou et arrêta de danser, s'appuyant de tout son poids sur la tige, son parapluie replié derrière lui.
Aussitôt le végétal plia, s'enfonçant dans la forêt avec Marco sur son dos. La combattante voyant sa cible lui échapper plongea la tête en avant à sa poursuite, repoussant les vents vers le ciel.
Le danseur s'enfonçait dans la forêt en marchant sur la tige du bambou qui pliait de plus en plus, suivit de la jeune femme qui plongeait vers lui au milieu des craquements et des feuilles volantes arrachées aux tiges des bambous s'écartant sur leur passage.
La tisseuse accélérait alors que la tension dans le bambou sur lequel reposait son adversaire ralentissait sa chute. Ils furent bientôt nez à nez.
Subitement la tension du bambou donna un sursaut au danseur qui en quelques pas redevint aussi léger qu'un pétale dans le vent. Il bondit sur le côté, laissant à la tige sur laquelle il avait pris appui la possibilité de se redresser.
La jeune femme encore dans son axe ramena à elle ses éventails pour freiner sa chute, et se contorsionna pour partir dans une vrille et éviter de justesse le bambou.
Déstabilisée, elle continua à chuter en essayant de se stabiliser, créant une petite tempête au sein des hautes tiges qui commencèrent à danser follement.
Les bambous barraient sa route, se refermaient sur elle comme une cage vivante. Elle les repoussait par les vents, ou prenant appui sur leur tige, mais elle chutait toujours. A mesure qu'elle descendait, elle réussit à ralentir, apaisant les vents et les bambous tout autour.
A quelques mètres du sol elle arriva près d'un espace plus aéré, une petite clairière qu'elle s'empressa de rejoindre en écartant les quelques bambous danseurs qui la harcelaient toujours. Encore déstabilisée, elle repoussa les vents vers le sol, envoyant tourbillonner dans un bruissement assourdissant toutes les longues feuilles sèches tombées sur le sol.
Ainsi lorsqu'elle atterrit d'un pas légèrement maladroit, elle était au cœur d'une bulle, entourée par des centaines de feuilles tourbillonnantes, comme prise dans un formidable rassemblement de papillons verts et bruns.
Doucement les feuilles retombèrent, et elle aperçut, à peine à une dizaine de mètres, Marco qui l'attendait, lui aussi descendu sur le sol humide de la bambouseraie.
Il la salua d'une révérence et l'invita d'un signe de la main. Puis, se retourna et courut sur un bambou qu'il maintenait plié par son poids.
Avant que le bambou ne se brise, il reprit de petits pas élégants, de plus en plus léger. Le bambou se redressa progressivement et le projeta d'un seul coup loin au-dessus de la couverture végétale. Il déploya son parapluie et se laissa planer au-dessus des étendues verdoyantes.
Peu après, comme éclos de la forêt, la tisseuse du sanctuaire le rejoignait dans les airs.
Marco se laissa planer un moment, se dirigeant vers l'extérieur du bosquet, puis replia son parapluie avant de sauter à nouveau de bambou en bambou, fuyant la tisseuse de vents à ses trousses.
Ils arrivèrent rapidement à une trouée dans l'univers végétal, s'ouvrant sur une rivière peu profonde mais au large lit.
Marco fondit vers le sol, ouvrit son parapluie et plana au-dessus de l'eau, la piquant par endroit de la pointe du pied pour reprendre de la hauteur. Il laissait ainsi s'épanouir derrière lui des cercles grandissant à la surface de l'eau.
Son adversaire avait, elle aussi, plongé vers l'onde transparente, et le vent doux sur lequel elle s'appuyait, ridait la surface des flots dans un large cône, effaçant les ondes mourantes produites par Marco.
Le danseur vogua ainsi au-dessus de l'eau jusqu'à s'approcher de l'autre rive, constituée d'une paroi de roche abrupte. Là l'eau était plus profonde, plus agitée.
Apercevant un petit rocher sur laquelle bouillonnait la rivière, Marco ralentit pour laissait sa poursuivante le rattraper et avant qu'elle n'arrive sur lui, y prit appui.
Refermant son parapluie, il s'élança en tendant tout son corps vers la paroi minérale. D'un large bond tout en extension, il atteignit la paroi qu'il grimpa sans difficulté par petits bonds, agile comme un chamois.
La jeune femme freina mais le vent s'engouffra dans les flots, les faisant bouillonner. Déstabilisée, elle se rejeta en arrière dans une grande gerbe d'eau et atterrit souplement sur un rocher au centre des flots.
Au cœur d'une multitude de gouttelettes d'eau, elle vit alors arriver sur elle le danseur qu'elle avait défié. Elle redressa ses éventails légèrement mouillés mais déjà son adversaire étendait le bras tenant son parapluie et activa le mécanisme.
Il s'ouvrit d'un coup sec. Le vent qu'elle appelait fut compressé contre elle. Déstabilisée, elle bascula vers l'arrière et creva la surface de l'eau qui la retint suffisamment pour la déposer sans heurt sur le tapis de galet à quelques centimètres sous la surface.
La jeune femme se laissa reposer sur le fond du cours d'eau, ses cheveux complétement relâchés dansant délicatement dans le courant. Elle regardait vers le ciel qui se couvrait de nuages gris clair et ramena contre sa poitrine ses éventails, au-dessus de l'eau, pour ne pas les abimer.
Marco descendit prudemment de son rocher pour marcher sur les galets glissants. Il s'approcha doucement de la jeune femme et s'accroupit à ses côtés.
La combattante du sanctuaire quitta des yeux les nuages pour reporter son regard sur le danseur. Une larme coula sur sa joue pour rejoindre les flots de la rivière et d'une voix chevrotante elle prononça quelques mots que Marco ne comprit pas mais dont il saisit la teneur : il avait gagné ce combat.
***Si cette nouvelle vous a plu, sachez que vous pouvez retrouver Marco, certes un peu plus vieux mais toujours le pied léger, dans mon roman la Gardienne des Chimères***
Très aériens avec des objets insolites qui n'en étaient pas moins des armes pour l'époque, pour le parapluie, j'ai un doute en revanche, mais il s'adapte bien à la situation et on le penserais originel à l'histoire sans problème.
Oui l'idée c'était d'avoir une ambiance à la 'Tigre et Dragon' de Ang Lee (entre autre), avec des combats aériens et un peu oniriques.
Pour le parapluie, l'ombrelle, comme l'éventail, peuvent etre utilisé pour la pratique des arts martiaux il me semble. Et le parapluie doit pouvoir être utilisé pour faire de la canne de combat française.
Mais ici c'est surtout que je suis dans l'univers du Souffle des Muses (je vais bien le repréciser dans les notes d'auteur) et, c'est vrai qu'on ne l'a pas bien vu avec encore, mais Marco utilise souvent un parapluie dans l'action. Il faut dire qu'avec sa danse éthérée ça se combine bien.
Merci encore d'être passé ici et bon dimanche!