Vu !

— J’arrive ! dit-elle d’une voix étouffée et fatiguée.
Elle bâilla bruyamment, poussa le battant et s’encadra dans l’ouverture en papillonnant des yeux. La différence entre l’obscurité totale de sa chambre et le jour de la maison l’aveugla et entre ses paupières, elle vit Tony.
Son cœur se serra, elle fit un pas vers lui et comprit qu’elle s’était trompé. Ce n’était pas Tony qui se tenait à l’entrée même si elle en avait eu l’illusion quelques secondes. Ce n’était pas Strada non plus. C’était l’autre, le type blond en costard. Il était en nage et la scrutait comme si elle avait parlé chinois.
Camille était sidéré. Il la regardait, en petite tenue, lui jouant une telle comédie qu’elle aurait pu obtenir un oscar. Est-ce qu’il avait la berlue ou est-ce qu’elle avait une sœur jumelle ? Non, elle se foutait bien de lui, comme du reste du monde.
— Qu’est-ce que tu veux ? attaqua Chris. Je croyais qu’on s’était tout dit.
— Pas avec moi, haleta-t-il.
Il n’arrivait plus à respirer, mais il devait la confronter. Il se redressa et serra des poings. Non, il n’avait pas rêvé, elle n’avait pas de jumelle, c’était juste une putain de comédienne.
— J’ai tout vu !
Elle fronça les sourcils.
— Tu es venu me mater pendant que je dormais ?
Ça fonctionnait avec Strada, mais visiblement pas avec lui. Et peu à peu, elle commençait à comprendre ce qu’il voulait dire. Pendant une fraction de seconde, ils échangèrent un vrai regard, sans masque, sans rôle, comme un aveu. Elle se reprit très vite, furieuse.
— Arrête ta comédie ! insista-t-il. Je t’ai vue dehors. Je t’ai vue qui sautais partout avec ton machin de Spiderman. Je t’ai vu entrer dans ce… ce… truc orange et…
Les mots lui manquaient. Il avait tellement couru, il n’avait plus de souffle et pas le vocabulaire pour exprimer ce qu’il avait vécu, ce qui le laissait dans un état étrangement démuni. Il n’avait rien loupé, mais pour ça, il avait dû galoper comme un fou, comme sans doute jamais auparavant. Les sirènes avaient tournoyé autour de lui, mais il les avait à peine remarquées comme si elles faisaient simplement partie du décor. Il n’avait plus eu que cette espèce d’obsession, découvrir où elle allait, comprendre ce qu’elle faisait. Ahuri, il l’avait regardée entrer dans ce tunnel orange et foncer à l’intérieur tout en s’équipant. Puis tout lui avait paru vide tandis qu’il l’avait attendu, planqué. Il avait assisté à l’arrivée et l’installation de la Brigade et s’était caché parce qu’il savait qu’il n’aurait pas dû être là. Il avait patienté encore, le cœur battant dans la gorge au point de l’assourdir.
— Je t’ai vu ressortir à la fin, quand ça a explosé. Je t’ai vu. Tu ne me feras pas croire un seul instant que tu dormais.
— Tu étais dehors, comprit-elle. Tu étais dehors pendant l’alerte. Tu es complètement malade !
Il esquiva sa réflexion. Il n’avait rien remarqué de dangereux… d’un autre côté, elle l’avait tellement obsédé qu’il serait passé à côté d’un monstre sans le capter. Il tâcha de se reconcentrer.
— Je sais aussi qu’il n’est pas dans ton intérêt que la Brigade apprenne ce que j’ai vu. Alors je ne dirai rien.
— Tu veux me faire chanter ? s’énerva-t-elle en s’approchant pas à pas, venimeuse.
Chris avait sous les yeux une sorte d’insecte agaçant, c’était un problème à régler sur le champ. Qu’allait-elle faire de lui ? Elle avait quelques idées. Après tout, personne ne chercherait ce type fraichement tombé de nulle part. Il ne manquerait à personne.
— Non, non !
Il recula contre la porte, mains levées.
— Je veux juste savoir pourquoi tu le fais ! Pourquoi tu te mets en danger pour y aller ! Je veux savoir si… si ça a un rapport avec mon père !
Elle le dévisagea, de nouveau immobile, à moins d’un mètre de lui.