Une fois les fêtes passées, nos vies reprirent un cours plus habituel. Aïden passa ses examens avec beaucoup de stress dissimulé. Les nuits pendant un temps furent bien courtes pour moi. Il y eu des cauchemars, des moments de doutes et des nuits de spasmes. Si Aïden arrivait à se contenir le jour, il semblait plus propice à s’ouvrir et se confier la nuit. Mais quand il eut les résultats un mois plus tard, il pu voir sur son bulletin des notes plus que satisfaisante pour la première fois de sa vie. Lui faisant sans doute reprendre confiance en lui, il fini par me demander à un midi avec légèreté :
« Tu fais quelque chose, ce soir ?
– Tiens, non. Pourquoi ?
– En fait… Comment dire… J’ai trouvé un club d’athlétisme. C’est un club tremplin, qui pourrait à terme mener vers quelque chose d’un peu professionnel. Je me suis dit que ça pourrait t’intéresser. »
Ma fourchette manqua de tomber à terre tellement j’étais surpris. Le sourire qui me prit fut incontrôlable.
« Je ne sais pas si j’ai vraiment le niveau, mais, répondis-je, si tu veux bien m’accompagner…
– Bien sûr, je vais te conseiller un club et ensuite te laisser te débrouiller ! Après tout, tu es un génie, non ?
– Niveau sportif, on sait très bien tous les deux que le génie ici, c’est toi.
– Il n’existe pas de prodige sans maître, fit Aïden avec un clin d’œil. Alors ? On va aller voir ?
– Et bien, pourquoi pas. Ta tenue de sport n’a pas trop été mangé par les mites ?
– Ça devrait le faire. A ce soir, alors !
– Sois prêt, car tu vas souffrir !
– J’y compte bien ! »
Ce fut avec un petit rire qu’il passa la porte pour repartir à son école. Et, une fois seul devant les assiettes vides, je ne pus m’empêcher d’avoir un soupir de soulagement.
Le soir même, nous arrivions sous un ciel nuageux devant le club choisi par Aïden. Je fus presque sonné par la taille du terrain, qui me fit penser à celui où nous avions pu passer tant de temps au lycée. Déjà quelques membres du club avaient commencé à s’échauffer alors que nous entrions lentement. Mon compagnon, sûrement intimidé par le monde me prit la main, juste l’espace d’un instant, comme pour s’assurer que j’étais bien encore là. Un homme de l’âge de mon père s’avança vers nous :
« Bonsoir, les jeunes. C’est lequel que j’ai eu au téléphone ?
– C’est moi, affirma Aïden en levant la main.
– C’est la première fois que vous rentrez dans un club ?
– Oui, affirmai-je. Même si nous avions pas mal pratiqué quand nous étions au lycée.
– Ah ça, les associations sportives, ça réveille des vocations, hein ? On est presque tous passés par là. Bien, je vous laisse vous échauffer et vous laisser vous familiariser avec le terrain, on se revoit tout à l’heure pour des exercices de groupe. J’espère que vous êtes motivés ! »
Je répondis avec assentiment, et même si Aïden n’ouvrit pas la bouche, le voir sautiller comme pour tester sa cheville me fit bien comprendre qu’il était véritablement excité à l’idée de recommencer une vie sportive. Comme si il n’avait jamais eu de pauses entre nos entraînements, nous nous mîmes au travail avec peut-être un niveau diminué, mais une complicité toujours aussi présente. Ce premier entraînement et premier pas de course à nouveau fut une bouffée d’air frais au début de l’année, bien qu’il était visible qu’Aïden avait beaucoup perdu de son niveau d’antan. A la fin de notre séance, après nous être lavés et changés, et que nous rentrions en bus chez nous, je me permis enfin de l’interroger.
« Pourquoi tu as tenu à reprendre maintenant, alors ?
– Pourquoi ? … Parce que j’en suis de nouveau capable. Je m’en suis bien sorti, non ? »
Il eut un sourire radieux, si radieux que ses cernes semblèrent presque s’effacer un peu. Me souciant peu du regard des autres, je l’enlaçai contre moi. Une ombre, comme une bulle, semblait nous séparer et nous assourdir du reste du monde.
« Alors, chef, on reprend à quel rythme, désormais ! Fis-je, aussi euphorique que lui.
– Tous les soirs, je vais avoir du mal à suivre, avec mes cours… deux fois, non, trois fois dans la semaine, ça te va ?
– C’est parfait ! Quels jours te conviennent ?
– Il faut que je vois mon emploi du temps… On règle ça à la maison ?
– Pas de soucis, chef ! »
Il me donna un coup de coude pour me faire arrêter. Mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être heureux. Et en vérité, ça ne le dérangeait pas tant que ça.
Ainsi, nous reprîmes la course. Ce n’était pas le sport dans lequel j’étais le plus à l’aise, mais ce n’était pas moi qui avait des ambitions là dedans. Aïden, en revanche, reprit très vite son aisance naturelle et devint très rapidement un élément fort du club, se faisant remarquer même par les membres plus âgés que lui et l’entraîneur. Ainsi, parfois, je passais du temps un peu seul sur le terrain, mais regarder Aïden courir me remplissait de fierté. J’étais tellement concentré sur lui que je ne voyais pas, ou plutôt refusais de voir les regards noirs qui ressemblait la haine de mon enfance se pointant sur lui et sur moi qui étions si souvent, trop souvent ensemble. Je ne sus jamais si il l’avait remarqué, après un mois dans ce club. Après tout, il était assez évident que les autres nous évitaient et nous jetaient très souvent des regards inquisiteurs quand nous étions ensemble, nous aidant à nous relever. Mon œil gauche me faisait presque mal durant ces moments, mais j’étais désemparé. A part ignorer, que pouvions nous faire d’autre ? Ainsi, j’essayais d’oublier les ombres pour me concentrer sur ce qui illuminait ma vie.
Après plus d’un mois, la méfiance progressive des autres membres du club fini enfin par s’adresser directement à nous. Alors que nous rentrions dans les vestiaires avec les autres, deux garçons nous bloquèrent le passage.
« C’est vrai, ce qu’on dit ?
– Quoi donc, demandais-je avec un ton cordial, bien que celui de mon interlocuteur était agressif.
– Que vous êtes pédés. Voilà, ce qu’on dit. »
Aïden, choqué, eut un mouvement de recul. Mais moi, plus habitué, restai sur place.
– Quelle que soit ma réponse, tu ne me croiras pas, n’est-ce pas ?
– Réponds, et on verra bien.
– Je suis désolé, mais en quoi ça te concerne ?
– Ça me concerne que je ne veux pas de tapettes à poil dans la douche qui pourraient nous mater ! Cria le deuxième garçon, attirant toute l’attention sur lui. »
La crainte et le mouvement de recul de Aïden se transformèrent en un regard vide et inexpressif que je ne connaissais que trop bien. Toujours silencieux, son air sinistre fit au moins reculer le garçon qui venait de s’exprimer.
– Qu’est-ce que t’as, toi ? On te cause, je te signale !
– Non. C’est à moi que vous parliez. Et je vous répond que ça ne vous regarde pas et que vous n’avez rien à craindre. Je ne regarde personne.
– Je le savais, vous êtes des tarlouzes ! Sinon, vous auriez répondu ! »
L’affirmation fit place à un silence glacial. Aïden bouscula de l’épaule le garçon qui bloquait le passage, passant dans les vestiaires pour récupérer d’un silence glacial ses affaires. Les autres, surpris, le regardaient faire non sans un mouvement général de dégoût et de recul.
« Viens, Bastien. On s’en va.
– Aïden ! Attends, on ne s’est même pas…
– On s’en fout. Viens. »
Et sans même m’attendre, il quitta la pièce, me lançant mes affaires. Silencieux, je scrutais les personnes présentes et dit d’un ton froid :
« Messieurs, je vous souhaite une bonne soirée. »
Avant que qui que ce soit puisse me répondre, je rejoignais Aïden qui marchait d’un pas beaucoup trop vif. Il passa devant l’arrêt habituel sans même ralentir.
« On ne prend pas le bus ?
– Non. »
Je soupirai. Rentrer chez nous à pied allait bien nous prendre une heure.
« On n’a qu’à plus revenir ici. Ce n’est pas très important. Des clubs, il doit y en avoir…
– Non.
– Pardon ?
– J’ai dit non. On va rester ici. »
Mon compagnon ne me regardait même pas. Marchant droit devant lui, ses yeux semblaient presque m’éviter, fixé droit devant lui, sans doute pour pas m’assener d’un regard assassin sans le vouloir.
« Mais… pourquoi ?
– L’entraîneur m’avait dit que je pouvais participer à une course. Ça pourrait être un tremplin. Je veux y aller.
– Bon… Après tout, on est dans notre droit. N’est-ce pas ?
– Oui. »
Toujours sur ce même ton monocorde, je n’arrivais pas à savoir si il était triste ou en colère. Sans aucun doute les deux.
« Ça va, Aïden ? Tu te sens bien ?
– Non. On en parlera plus tard. »
Nous marchâmes en silence. Même les passants les plus innocents paraissaient nous jeter des regards lourds. Alors qu’une bruine commençait à tomber, nous marchâmes en silence jusqu’à notre appartement, où nous nous lavâmes et changeâmes enfin. Cette nuit pour Aïden fut bien plus agitée qu’à l’habitude, le front en sueur et presque étouffant dans son sommeil. Ouvrant un œil, à moitié endormi, je constatai que ses tremblements ressemblaient presque à des convulsions. Sa respiration, rapide et sifflante, était semblable à une crise d’asthme. Surpris, je me redressai pour mieux voir son visage ; aussi surprenant qu’il paraissait, il dormait encore. J’essayai de le remuer un peu pour le réveiller, mais son âme semblait comme enfermée dans un corps endormi. Sa respiration gémissante commença à se transformer en cris, alors que de ses yeux fermés sortaient des larmes. Posant sa main sur son front, il était brûlant, bien que ce ne semblait pas être de maladie. Immobile, j’assistai au spectacle dans l’obscurité sans savoir quoi faire. Impuissant, inutile, je ne pus que le prendre dans mes bras, caressant doucement sa tête, murmurant doucement son prénom, espérant qu’un miracle puisse adoucir ses rêves. Après presque une heure, la crise sembla se calmer doucement alors qu’il semblait pouvoir respirer autre chose que de l’air pourri. Ses tremblements ainsi que sa respiration se calmèrent, me laissant seul, éveillé et serré contre lui dans l’obscurité. Écoutant le calme revenir, je laissai mon cœur se calmer en silence. Tout allait bien.
Depuis, retourner au club fut bien plus lourd et douloureux. Nous y allions tous les deux avec un visage fermé, le ventre noué. Puis, une fois qu’on courrait ensemble, on oubliait. Parfois, j’arrivais presque à atteindre son rythme. Mais souvent, j’étais derrière. Préparant sans doute la course, Aïden ne me faisait un aucun cadeau, bien qu’il continuait malgré tout à m’encourager. Après quelques séances, on oubliait presque l’altercation dans les vestiaires. Même si les personnes qui nous passaient devant nous faisaient des grimaces de dégoût, je me pris presque à espérer que rien de fâcheux ne se passa.
Nous étions à quelques semaines de l’évènement tant attendu pour Aïden. Il courrait loin devant moi, travaillant sa détente et sa respiration. Me concentrant plus sur mon endurance, j’étais sur un rythme moins soutenu, quand quelque chose se brisa brutalement dans ma foulée. Ma cheville fit brusquement rencontre avec quelque chose de lourd et je m’écrasai douloureusement au sol en perdant l’équilibre.
« Bastien ! »
C’était Aïden qui commençait à accourir. Le voyant d’en bas, allongé au sol, je pensais qu’il allait se moquer de ma maladresse. Mais son regard n’était pas du tout pour moi et était bien plus colérique que je ne pouvais le comprendre. Je repris mes esprits en m’asseyant sur le sol, quand je vis un des deux garçons de la dernière fois près de moi me scruter de sa hauteur :
« J’y suis pour rien ! Je passais juste à coté de lui et il est tombé, cet abruti !
– Ça va, Bastien, tu ne t’es pas fait mal ? »
Aïden avait décidé d’ignorer royalement le fauteur de trouble pour se concentrer sur ma cheville. Me frottant les tempes, je répondis, sonné :
« Oui, ça va… Je ne me suis pas fait mal.
– Oh mon dieu, mon chéri, tu ne t’es pas fait mal, répétait le garçon avec un ton ridiculement mielleux. Ça va, vous ne voulez pas vous embrasser devant tout le monde, tant qu’on y est ? »
La colère ressortait tellement des yeux bleus d’Aïden, que je jurerai que le fauteur de trouble aurait pu geler sur place.
« C’est toi qui l’a fait tomber, affirma-t-il d’un ton glacial.
– Ouais, et alors ? Ça ne te regarde pas, que je sache ! Tarlouze !
– Aïden, fis-je en espérant calmer le jeu. Ça va, ce n’est pas grave, je ne me suis pas fait mal. Oublie ça, retourne t’entraîner. »
Mais alors que je me relevais lentement, il ne m’accorda même pas un regard. Toute son énergie était concentrée sur la personne en face.
– Et toi, qu’est ce que ça peut te faire, hein ? C’est pas comme si c’était toi, que je suçais.
– A... Aïden ! »
Cette fois ci, je tentai de lui tirer le bras, sans succès. Le visage du garçon se déforma davantage par le dégoût et la provocation.
« Si t’es pas capable de le battre à la course, ferme là et reste jaloux, continua Aïden. Ton avis ne nous intéresse pas. Tu ne nous intéresse pas tout court, d’ailleurs. Dégage de là. »
Le garçon semblait bouillir de rage, mais ne répondit rien. Alors que mon compagnon avait enfin l’air de vouloir partir, l’éclair dans les yeux de notre interlocuteur raviva une de mes plus anciennes peurs. Son regard brillant de haine cherchait simplement la discorde, alors que son pied s’envolait vers mon compagnon.
Je ne sus pas d’où j’eus ce réflexe malheureux de me mettre entre Aïden et lui. Dans tous les cas, le violent coup de pied que je pris dans les côtes ne fut pas un mirage. Je fus presque étonné de me le prendre, à tel point que j’en tombai de nouveau à terre. Si Aïden eut un mouvement d’incompréhension, ce ne fut pas le cas de l’autre, qui m’enchaîna deux ou trois autre coups de pieds bien placé dans le ventre.
« C’est ça, reste à ta place ! Que... »
Le dernier bruit que j’entendis était manifestement de l’agresseur, désormais pris à la gorge par une ombre vivante qui bouillonnait de rage. Le souffle coupé, je ne pouvais même plus demander à Aïden de se calmer, alors que je voyais avec effroi ses mains se serrer sur des points sensibles de la gorge.
« Écoute moi bien, si tu ne t’excuses pas immédiatement de ce que tu viens de faire, je n’hésiterais pas à serrer davantage. Tu n’as pas beaucoup de temps avant que ma patience s’achève. Est-ce que c’est compris ? »
Il y eut des bruits incompréhensibles, alors que la main d’Aïden serrait de plus en plus. Immobilisé par la panique, je m’attendais presque à ce que la nuque de mon agresseur se brise. Mais parmi les nombreux gargouillements de la victime, il dut y avoir quelque chose qui ressemblait à des excuses, car Aïden le lâcha et l’autre tomba à genoux en toussant et se tenant la gorge. Après quelques minutes, il s’enfuit en courant :
« Vous êtes des malades ! Vous allez le payer ! »
Aïden ne prit même pas la peine de répondre, car le garçon était loin, désormais.
« Ça va, Bastien ?
– T’es fou, ou bien ! Qu’est-ce qui t’as pris de faire ça !
– Je… Quoi ?
– Et ta course ? Et ton entraînement ? Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ! »
J’avais beau avoir mal, je ne pouvais pas m’empêcher de lui crier dessus. Agenouillé à ma hauteur, il eut sans doute envie de me répondre avec véhémence, mais il baissa la tête.
« Je suis désolé. Je… Je ne pouvais pas.
– Bien sûr que si, que tu pouvais ! Tu aurais du, même ! Tu vas dire quoi à l’entraîneur, maintenant ? Que tu as agressé un de ses élèves ?! Tu penses qu’il prendra la défense de qui ?!
– Désolé.
– Encore heureux, que tu es désolé ! Ne refais plus jamais ça, t’entends ? Peu importe ce qui m’arrive, je m’en fous, ok ? Plus jamais !
– Tu as eu peur ? »
Parfois, la perspicacité d’Aïden me perturbait plus que je ne le voulais. Baissant la tête, je serrai de mes doigts son t-shirt.
« Évidemment… Bien sûr que j’ai eu peur. Qu’est-ce que tu espérais ? Aide moi. »
Il me prêta son épaule comme une béquille, et m’appuyant dessus, je commençai à avancer vers les vestiaire. Ma cheville me faisait plus mal que je ne le pensais, même si je me doutais qu’il n’y avait rien de grave. Mais mon cœur, lui, pesait très lourd. Nous nous changeâmes rapidement dans des vestiaires où tout le monde nous fixait avec désormais non plus du dégoût, mais de la crainte. La nouvelle s’était évidemment rapidement propagée. En quittant le stade, nous fîmes face à l’entraîneur qui nous regardait avec un regard colérique. Mais en même temps plutôt gêné pour d’obscures raisons.
« Bon écoutez. On vient de me dire ce qui s’est passé. Je ne peux pas vous garder dans ce club après ça. Aïden, Bastien… Mes remerciements. Aïden, tu es disqualifié, cela va de soit. »
La nouvelle fut un choc pour moi, mais je ne pouvais à peine imaginer ce que ça pouvait représenter pour mon compagnon. Figé sur place, il n’entendit sans doute même pas ce que l’entraîneur essayait de lui expliquer par la suite. C’est moi qui répondit des politesses d’usage et signait quelques papiers même pour attester que je partais de mon plein gré. Je compris enfin la gêne qui pouvait se ressentir de l’adulte quand il m’avoua :
« Je me doute bien que ça n’a pas du être facile pour vous, mais je ne peux pas me permettre qu’une plainte émerge au sein de mon club. Il faut garder une bonne image, n’est-ce pas? C’est mon seul choix de manœuvre. Vous pourrez tenter votre chance dans d’autres clubs, avec un peu de chance, ils ne seront pas au courant. Allez, sans rancune, hein ?
– Personnellement, j’étais ici que pour accompagner Aïden et me défouler. Je n’attendais rien de spécial, ici. Donc, je n’ai pas de rancune. En revanche, je suis particulièrement déçu de votre choix.
– Que veux-tu, répliqua-t-il peut être un peu amer. Le monde du sport est comme ça. Seuls les plus forts s’en sortent.
– C’est faux. C’est Aïden le plus fort et vous le savez très bien. Bonne continuation, monsieur. »
Et boitillant jusqu’à la sortie, je dirigeai un Aïden en état de choc jusqu’à l’arrêt de tram. J’avais presque envie de lui renvoyer son erreur au visage, mais il était bien trop mal pour que je sois en état de lui lancer un quelconque ‘‘je te l’avais dit’’. Doucement, chuchotant durant tout le trajet, j’essayais de le rassurer, de le consoler. Mais il ne décrocha pas un mot.
Nous arrivâmes à notre appartement et lessivé, je n’eus même pas la force de faire réchauffer un plat préparé. De toute façon, ni lui ni moi n’étions d’humeur à manger. Il prit sa douche en silence, seul, alors que je prenais soin de mes fleurs sur le bacon. En partant de chez mes parents, j’avais décidé que puisque ma mère ne reviendrait pas, je pouvais bien lui emprunter certaines de ses belles de nuits. Je n’avais pas pu tout prendre, mais l’éclat de ces fleurs me rappelait une tranquillité et une époque de paix que je n’avais peut être aussi bien jamais véritablement connu. Caressant du bout des doigts les tiges des fleurs, tout en vérifiant l’humidité de leur terre, je respirai leur odeur de plante et de terre mouillée. Le bruit de la douche au loin me détendait, me faisant oublier ma douleur aux côtes qui disparaissait peu à peu. Je fermai les yeux, essayant de me remémorer, pensant à ce que j’aurai pu faire, comment j’aurais du agir pour ne pas que la situation n’empire et dérape aussi vite. Mais je ne voyais aucune solution. Je n’avais eu aucune idée de quoi faire et même en y repensant, je ne trouvais rien que j’aurais pu faire pour éviter que la situation n’empire. A part changer le monde, je n’aurais rien pu faire.
« Tu peux y aller. C’est libre. »
Aïden venait de prononcer les premiers mots de la soirée, alors que ses cheveux bruns ruisselaient encore. Il était torse nu, me permettant de voir à son cou la Béryl de sa sœur qu’il ne quittait plus depuis sa disparition, brillant d’un éclat jaune ambré. Bien qu’il avait repris du poids depuis l’automne, la vision de ses cotes me fit un pincement au cœur.
« J’arrive. Ça va, Aïden ? »
Sans me répondre, il me rejoignit sur le balcon, posant sa tête sur mon épaule et en me serrant dans le dos.
« Tu crois qu’on aurait du mentir ? »
Sa voix brisée avait murmuré pour mon oreille alors que le reste de son corps frissonnait au contact de l’air sur sa peau. Ma main alors sur les belles de nuits frôla sa joue.
« Non. Ils ne nous auraient pas cru.
– Qu’est-ce qu’il fallait faire, alors ?
– Je n’en ai aucune idée, Aïden. C’est juste comme ça.
– Je ne peux pas l’accepter. »
Je senti son étreinte se serrer davantage, alors que sa tête fouissait dans mon épaule.
« Il est loin, le temps insouciant des belles de nuits, hein ? Fis-je d’un ton un peu nostalgique.
– Pourquoi… C’est toujours ceux que j’aime qui subissent tout à ma place… »
Il serrait tellement des dents que je pus à peine comprendre son sifflement. Je finis par répondre :
« Qu’est-ce que tu racontes ?
– D’abord Béryl, ensuite, tes parents, puis après ça… C’est toujours de ma faute. Et c’est les autres qui paient pour moi.
– Bien sûr que non. Attends... »
Je me tournais pour pouvoir voir son regard. Son visage ne reflétait que de la tristesse.
« Ne me dis pas que tu te sens toujours responsable du divorce de mes parents ? Je te l’ai dit, j’étais déjà en conflit avec eux avant même que tu arrives dans ma vie. Et puis même sans ça, mes parents, tu sais, il n’y avait pas une grande entente entre eux… Ils étaient toujours dans leur travail, donc ils ont du mettre du temps avant de s’en rendre compte, mais je ne pense pas que c’était l’amour fou.
– Pourquoi ils se seraient mariés, alors ?
– Connaissant ma mère… Fis-je en réfléchissant. Ce ne serait pas étonnant qu’elle se soit mariée pour faire plaisir à la sienne. Elle aime beaucoup les apparences. Comme elle a du caractère, mon père à du lui obéir pour lui faire plaisir, tout simplement. Ça a peut-être débuté simplement comme ça. Et ainsi, ça n’aurait jamais pu bien se finir. »
Aïden, détournant le regard, ne me répondit pas. Je continuai :
« Tu n’es coupable ni même responsable de quoi que ce soit. Tu aurais été ou non dans ma vie, j’aurais subi les mêmes choses. Tu n’es responsable que de mon bonheur. D’accord ?
– Je ne suis pas vraiment convaincu, je l’entendis répondre avec une moue circonspecte. C’est niais, ce que tu dis.
– Si tu ne me crois pas, c’est ton problème. Allez, va-t-en, je vais te couvrir de sueur sinon, tu vas juste devoir te laver à nouveau. Va te coucher, je te rejoins. »
Il eut un mouvement d’hésitation, avant d’enfin me lâcher et tourner les talons.