Dans un silence pesant, sous les regards curieux et méfiants des autres dortoirs, nous emboîtons le pas à Aiden. Malgré la présence rassurante de Cyndra et Kaeton derrière moi, une tension sourde alourdit l'air. La deuxième épreuve est imminente, et nous serons bientôt livrés à nous-mêmes. Si l'Académie nous octroie des armes, c'est qu'elles seront nécessaires. Mais je doute que les autres élèves soient notre unique menace.
Les couloirs que nous traversons sont vastes et solennels, bordés de colonnes de pierre gravées d'inscriptions anciennes. Nous nous dirigeons vers l'aile Est, une section jusqu'ici interdite, dont la simple mention suffisait à faire frissonner les plus intrépides. Lorsque nous franchissons enfin le seuil de l'armurerie, un parfum de métal chaud et d'huile nous enveloppe instantanément.
L'air est lourd, saturé de l'odeur du cuir tanné et du bois vieilli, mélangée à celle de l'acier affûté. La pièce, creusée à même la roche, semble presque vivante, comme si elle renfermait l'écho des batailles passées. De hautes étagères alignent leurs trésors le long des murs : des épées ouvragées, des dagues effilées ornées de symboles oubliés, des lances acérées capables d'entamer la chair d'un simple frôlement.
Au centre de la salle, un vaste râtelier exhibe une collection d'armures : certaines imposantes, sculptées dans un acier noirci, d'autres plus légères, en cuir renforcé, souples comme une seconde peau. J'effleure du bout des doigts une épaulière en argent terni, sentant sous ma pulpe les gravures délicates qui ornent son métal. Plus loin, un mur entier est consacré aux arcs et aux arbalètes. Les cordes tendues n'attendent que d'être bandées, tandis que des carquois remplis de flèches aux plumes sombres reposent en ordres parfaits.
Mais mon attention se fige sur une vitrine verrouillée, où résident les armes les plus anciennes. Contrairement aux autres, celles-ci ne se contentent pas de briller sous la lueur des torches. Elles pulsent. Elles vibrent sous une force invisible. Des runes gravées dans leurs lames ondulent imperceptiblement, comme si elles respiraient. Certaines semblent absorber la lumière plutôt que de la refléter. Je n'ai aucun doute sur leur nature : des armes forgées avec l'Art.
Un frisson court le long de mon échine.
Cet endroit n'est pas qu'une simple réserve. C'est un sanctuaire de guerre, un mausolée d'acier où chaque pièce renferme une histoire. Chaque lame a déjà bu le sang de quelqu'un.
Aiden nous rassemble. Je surprends l'émerveillement dans les yeux de Cyndra, et je la comprends. Ces armes ne sont pas que des instruments de combat. Elles sont des reliques d'un autre temps.
Le silence s'impose naturellement lorsque notre chef de dortoir prend la parole :
— Bienvenue dans la Salle d'Armurerie. Elle vous sera accessible une fois que vous serez officiellement admis parmi les élèves de l'Académie de Solace. Pour l'heure, vous ne pourrez choisir que deux armes et une armure représentative de notre institution.
Il désigne un ensemble de tuniques noires en cuir. Simples, mais parcourues de fines veines dorées trahissant l'empreinte de l'Art. L'emblème de l'Académie y est brodé, luisant sous les flammes vacillantes.
— Réfléchissez bien à votre choix, poursuit-il d'un ton grave. Vos armes ne seront pas de simples outils. Elles décideront de votre survie.
Un signe de sa main et nous nous dispersés aussitôt. Je balaye les options du regard, cherchant ce qui me conviendrait le mieux. Ma vitesse et ma légèreté sont mes meilleurs atouts. Mes dagues, dissimulées dans les replis de ma tunique, me suffisent amplement. Il faudra que je modifie l'armure pour y coudre de nouveaux compartiments, mais le temps me manque avant l'épreuve.
Je saisis une épée longue. Trop lourde. Mon poignet ploie sous son poids et je suis contrainte de la reposer avec une grimace. D'autres dagues ? Inutile. J'en ai déjà bien assez.
— Pour toi, la Bas-Sang, une seule arme.
La voix sifflante d'Aiden résonne à mon oreille. Je sursaute, ma main volant vers la dague dans mon dos alors que je me retourne. Son regard dédaigneux me transperce.
— Une seule arme, répète-t-il calmement.
Je déglutis.
— Pourquoi ? Pourquoi pas deux comme les autres ?
Il esquisse un sourire moqueur et avance la main vers mes côtes. Instinctivement, je dégaine une lame et la plaque sous sa gorge. Il ne bronche pas. Lentement, il effleure du bout des doigts le fil glacé de mon arme.
— Il me semble que tu possèdes déjà tes propres atouts, souffle-t-il. Tous les élèves doivent partir sur un pied d'égalité.
Je réprime un frisson de rage. Sa main repousse doucement ma dague. J'hésite, me consumant de l'envie de lui arracher ce regard condescendant. Mais après une seconde de lutte silencieuse, je rengaine mon arme et rejoins Cyndra, le sang en ébullition.
Kaeton me siffle en apparaissant dans mon champ de vision :
— Quand vas-tu cesser de te frotter aux mauvaises personnes, Beverly ?
Je hausse un sourcil.
— Je croyais que tu lui vouais un culte ?
Il grimace.
— Je n'ai jamais dit ça. Sa famille a accompli de grandes choses, c'est tout. Mais ce type est un parfait enfoiré.
Cyndra opine du chef.
— Il est issu de la deuxième famille la plus puissante de l'Empire. Pour lui, tu n'es qu'un divertissement passager.
Je me tais. Ils ont raison. Mais je refuse de plier.
Je ne dis rien. Encore une fois ils ont tous les deux raison mais je ne peux m'empêcher de tenir tête au chasseur de dragons.
Kaeton se gratte le crâne avant de prendre une large hache au pommeau bleu et orange. L'air triomphant, il fait tourner l'air dans sa main avec une facilité qui me décontenance. Un large coutelas brille dans son dos. Cyndra a choisi deux faucilles à la lame argentée ainsi qu'un petit poignard qu'elle glisse dans un fourreau à sa hanche gauche. Pendant qu'ils se dirigent tous deux vers la salle suivante pour se vêtir de leur armure, je me replonge dans le choix de ma seconde arme. Avec le passage du dortoir, je n'ai plus beaucoup de choix.
Je passe à côté de la vitrine close.
Mon regard est irrémédiablement attiré par l'arme exposée sous une vitre de cristal poli.
Contrairement aux autres lames de la salle, celle-ci ne brille pas sous les torches. Elle absorbe la lumière.
Sa lame est d'un noir profond, insondable, comme un fragment de nuit figé dans le métal. Une obscurité si dense qu'elle semble avaler tout ce qui l'entoure, tranchant même l'air autour d'elle. Mais lorsqu'on l'observe sous un certain angle, des reflets dorés serpentent le long du fil, comme si l'ombre elle-même était veiné d'or liquide.
Les gravures qui marquent l'acier sont anciennes, écrites dans une langue oubliée. Elles ne sont pas simplement inscrites, elles vivent. Par moments, je crois les voir onduler, comme si l'épée respirait doucement, attendant que quelqu'un s'en empare.
La garde est un chef-d'œuvre en soi, un entrelacs de métal noir et d'or poli, formant des motifs qui changent dès que mon regard s'y attarde trop longtemps. L'Art pulse sous sa surface, insaisissable. Son dessin n'est ni brutal, ni délicat : il est parfait.
En son centre, une gemme ovale, d'un or liquide, semble contenir une flamme vivante. Une lueur danse sous sa surface, lente, hypnotique, comme un feu qui ne s'éteindra jamais. Un feu que seule la main digne de cette lame pourrait attiser.
Le pommeau est sobre, mais son poids est idéal, calculé pour un équilibre parfait. Il n'y a aucun doute : cette épée n'a pas été forgée pour un simple guerrier. Elle a été façonnée pour un souverain, un être dont la seule présence impose silence et respect.
Quand je tends la main vers la vitre, un frisson remonte le long de mon bras. L'Art vibre autour d'elle.
Prends-la.
Je retire aussitôt ma main et sonde mon esprit.
Rien.
La présence qui avait envahi ma tête s'est retirée et a disparu à nouveau.
— Cette épée n'est pas faite pour toi.
Je fais volte-face. Aiden me regarde, ses yeux insondables braqués sur moi. Un frisson me parcourt l'échine. Méfiante, je glisse instinctivement ma main dans mon dos, effleurant le manche d'une dague, prête à frapper au moindre signe de menace.
— Cette épée est Solbrase, dit-il d'une voix à la fois lourde et étrangement posée.
Le nom résonne dans mon esprit comme un écho venu d'un passé oublié. Je me redresse légèrement, abaissant un tant soit peu ma garde.
— L'épée d'Aldherand ? Je murmure, incrédule. Le Chevaucheur de Dragons ?
— Le Premier Chevaucheur, corrige-t-il, son regard s'assombrissant. Et surtout, le Grand Artiste du Dragon-Lié Zarethrax.
Je fronce les sourcils, fouillant dans mes souvenirs. Les légendes et les récits historiques se bousculent dans mon esprit, mais rien de précis ne me revient.
— La Fureur Noire ?
Aiden hoche la tête, son expression plus grave que jamais.
— Le dragon qui a vécu le plus longtemps dans notre empire avant de périr il y a cent ans, lors de la Guerre des Cendres.
De la main de son propre arrière-grand-père.
Mon regard retourne à l'arme emprisonnée sous la vitre cristalline. Une relique d'un autre temps, un vestige d'un âge révolu.
— C'est Zarethrax qui a forgé Solbrase, n'est-ce pas ?
— Oui. Il y a cinq cents ans, pour sceller l'union entre les Grands Artistes et les dragons, répond Aiden, sa voix empreinte d'une gravité inhabituelle. Solbrase était destinée aux descendants d'Aldherand avant que...
Avant que les Altearos ne déciment toutes les lignées de Grands Artistes et, avec elles, les rares Chevaucheurs de Dragons encore existants.
Je l'observe attentivement. Son masque d'arrogance est tombé. Ses traits sont plus détendus, son front lisse, presque paisible. Un instant, il n'est plus l'Aiden suffisant et cruel que je connais.
— Je ne savais pas que tu t'intéressais à l'histoire, je finis par dire, intriguée.
Il tourne lentement son regard vers moi. Une ombre passe dans ses yeux. Un éclair de tristesse fugace. Mais en un battement de cils, il se ferme à nouveau, et son mépris reprend place.
— Tu ne sais rien de moi, Bas-Sang, lâche-t-il avec froideur avant de s'éloigner, le pas furieux.
Je le regarde disparaître dans l'ombre des torches vacillantes. Un soupir m'échappe. Voilà qu'il joue les âmes torturées maintenant.
Mon attention revient à Solbrase. J'attends. Je tends mon esprit, espérant une nouvelle présence, un murmure dans mes pensées. Mais rien ne vient. La voix est muette.
Je détourne les talons et me dirige vers la tunique de l'école. Le cuir noir est rigide sous mes doigts, bien différent du tissu souple et familier de ma propre tenue. Je sais déjà que je vais regretter son confort.
D'un regard, j'évalue les armes restantes. Mon choix se porte sur un arc sculpté dans un bois sombre, au poli parfait, et un carquois rempli de flèches aux plumes immaculées. Leur équilibre est impeccable. Une arme efficace, rapide, mortelle.
J'accélère le pas pour rejoindre Cyndra et Kaeton. Ils sont déjà en tenue dans une petite salle où l'ensemble de notre dortoir attend le signal du départ.
Je m'habille rapidement, ajustant l'armure à ma taille. Le cuir est plus souple que prévu, bien que son poids me gêne légèrement. Une fois à l'aise, je m'emploie à une tâche plus délicate : dissimuler mes dagues. J'en glisse plusieurs dans les fourreaux prévus à cet effet, les autres trouvent place dans mes bottes et les renforts de ma tunique.
L'inconfort est évident, mais temporaire. Dès que j'en aurai l'occasion, je coudrai de nouveaux compartiments.
Si je survis jusque-là.
Je fixe l'arc dans mon dos et noue solidement le carquois derrière mon épaule gauche. Mon cœur bat à tout rompre. Je suis prête.
Un grondement sourd résonne alors que la lourde porte de pierre se referme brusquement. Je tressaille.
Aiden n'est pas avec nous.
Le silence s'installe. Quelque chose cloche.
Un sifflement léger. Un pchh insidieux. Un gaz rouge s'infiltre par de minuscules ouvertures au plafond.
Instantanément, je plaque une main sur mon nez et ma bouche, tentant d'empêcher l'inévitable. L'odeur âcre me brûle la gorge, et un picotement désagréable court déjà le long de mes doigts.
Autour de moi, Cyndra et Kaeton réagissent de la même façon, mais le poison se répand trop vite.
Je scrute la salle, désespérée. Une issue. Un levier. N'importe quoi.
Rien.
L'air devient irrespirable. Des quintes de toux secouent mes camarades. Un à un, ils s'effondrent sur le sol.
La panique m'étreint. Ma vision se brouille, mes jambes vacillent.
Cyndra est tout près, allongée sur le sol, les yeux ouverts, figés, ses veines parcourues de filaments écarlates.
Merde.
C'est comme ça qu'on va mourir ?
Une dernière toux me déchire la poitrine. Mon corps cède, et je bascule dans l'obscurité.
Je tombe. Je tombe dans des abysses insondables, happée par un vide sans fin.
Et hop, dernier chapitre lu ! Après l’univers Harry Potter, j’ai l’impression qu’on va passer sur du Hunger game. Du genre se réveiller en pleine forêt, séparés et devant survivre. Ce n'est qu’une hypothèse bien sûr.
Si je peux me permettre :
- « Un lard coutelas brille dans son dos. » Un large peut-être ?
- Ne te vexe surtout pas, mais tu vas encore me faire attendre tes prochains chapitres, c’est moche… Rire !!!
J’aime beaucoup tes dernières lignes. On sent la pression monter d’un cran ! Bravo !
Bonne continuation,
Zao
Déjà sache que je ne me vexerai jamais vraiment, tes retours sont très précieux pour moi notamment pour ces fautes...lardesques.
Je vais donc corriger ça héhé merci !
Oph