Arcis fuyait. Les branches des arbres lui cinglaient le visage. Il criait.
— Maman! Tylly!
La forêt ne murmurait plus. Un assourdissant silence s'était emparé des lieux.
Arcis trébucha et tomba sur la terre noire. Dans l'humus, il vit les visages de sa mère et de sa petite soeur. Elles pleuraient. Du sol surgirent des bras sombres qui l'attrapèrent doucement mais fermement et son corps commença à s'enfoncer dans la boue.
— Ne nous laisse pas seules Arcis. Viens avec nous. Ici, il n' y a plus de douleurs.
Arcis ne se débattit pas et quand la terre s'enfonça dans sa gorge...
Il se réveilla en sueur, la bouche sèche. Il haleta. Dès que le sommeil s'agrippait à lui, il revivait le même cauchemar mais quand il ouvrait les yeux, la réalité était bien pire.
La souffrance lacérait son esprit et capturait les mots avant qu'il ne s'échappe de sa bouche. Ses phrases se perdaient dans le brouillard d'une douleur profonde.
Mais que pouvait-il dire? Quels mots seraient assez juste pour exprimer son affliction.
Il tenta de se calmer en inspirant et expirant intensément puis se leva sans bruit. Il grimaça en entendant les ronflements de son père qui dormait sur le canapé. Il s'agenouilla auprès de lui et le regarda.
Il l'aimait tellement et se sentit coupable de lui en vouloir de n'avoir pas pu sauver Tylly et sa maman.
Arcis prit la couverture posée à côté de lui et le couvrit. Il l'embrassa sur le front. Les braises de la grosse cheminée centrale rougeoyaient doucement. Assoiffé, il se mit à la recherche d'un peu d'eau. Sa quête prit fin sur la grande table en bois, l'enfant se désaltéra bruyamment directement au bec de la cruche. Un bruit sourd provenant du plafond l'interrompit. Il resta un instant sans bouger. Un nouveau coup percuta le sol. Il sursauta. Les avertissements de son arrière grand-père, plus tôt dans la soirée, avaient bien peu de poids en comparaison de la curiosité d'Arcis.
Il monta vers l'entrée, lentement. Malgré ses chaussettes, ses pieds sentirent le froid du sol en pierre.
Le jeune garçon prit une bougie allumée sur la commode du petit hall et emprunta l'escalier interdit, le cœur battant.
Après avoir gravi quelques marches, un murmure surgit dans son esprit.
Aide-moi!
Il fronça les sourcils. Son imagination devait lui jouer des tours.
L'air était frais. Il frissonna. Devant lui, un long couloir se perdait dans la pénombre. La faible lumière de la bougie ne révéla qu'une porte à gauche et une fenêtre noire d'une nuit sans lune. Il avança lentement. A chaque pas, un nouveau battant se dévoilait à la lueur de la petite flamme vacillante. Enfin, l'enfant distingua le fond du couloir. Les coups se firent plus intense. Ils provenaient de la dernière porte. Le coeur du jeune garçon cognait de plus en plus fort dans sa poitrine. Il plaça son oreille contre le bois et entendit une plainte semblable aux pleurs d'une petite fille.
Arcis annona.
— Bonjour.
Les sanglots cessèrent brusquement.
Aide-moi!
Il était terrorisé mais une voix intérieure, comme un susurrement à son oreille, l'incitait à tourner la poignée.
Le battant s'ouvrit sans un bruit. Dans une pièce semblable à un cachot, une petite fille, vêtue d'une robe grise rapiécée, était assise dans un coin. Elle était recroquevillée, la tête baissée et posée sur ses genoux. Arcis posa une main sur l'épaule de l'enfant, il cria. La créature qui venait de lever la tête n'avait rien à voir avec un humain. Il tomba en arrière.
Aide moi!
Les bras du monstre s'étaient allongés dans un craquement sinistre d'os, ils ressemblaient à des pattes d'araignées velues qui se terminaient par des mains griffues. Son visage n'était que plaies et boursouflures. En guise de lèvres, des dents acérées dégoulinantes de bave visqueuse. La créature agrippa ses jambes.
Aide moi!
Arcis tenta de se défendre en agitant les pieds mais c'était trop tard elle était sur lui, la bouche cauchemardesque s'approcha de son visage, de la salive coula sur son cou. Il hurla.
***
Ses jambes le menaient dans une forêt lumineuse aux senteurs d'humus, de fleurs et d'écorces qui affolaient ses sens. La terre respirait. Il l'entendait. Il la voyait.
Ses pieds, nus, s'enfonçaient dans un tapis de mousse vert émeraude.
Près de lui, Dwenn, Tili, ses parents et ses grands parents étaient réunis. La gorge de Loup se serra à cette vision mais il manquait une personne dans ce tableau fantasmé.
— Arcis! appela t-il.
Son cri fut happé par le silence. Il frissonna.
A cet instant, la forêt se fit sinistre, la lumière disparut jusqu'à n'être plus qu'une étincelle vacillante entre les feuilles. Ses jambes s'engluaient dans la mousse, chaque pas était un effort incommensurable.
Une pluie froide vint lui marteler le visage.
De chair, sa famille devint cendres et disparut, avalée par une bourrasque glaciale.
Un cri s'éleva semblant provenir des profondeurs des bois. C'était la voix de son fils qui l'appelait à l'aide. Loup tenta de courir mais le sol se mua en mélasse. Plus il se débattait, plus il s'enfonçait dans la mousse devenu vase. Rapidement sa bouche fut envahie par la boue verdâtre...
Il s'éveilla en sursaut.
Loup cligna des yeux plusieurs fois. Le cri continuait comme un écho provenant de son cauchemar. Il reconnut la voix d'Arcis. Il se leva d'un bond et courut vers les escaliers. Il attrapa, au vol, une épée au mur. En quelques enjambées, il avait atteint l'étage d'où provenait les cris de son fils. Le couloir était illuminé par une faible lumière qui projetait des ombres chaotiques sur les murs. A quelques mètres de lui, étendu sur le dos, Arcis se débattait. Une créature immonde s'agitait violemment sur lui.
Loup se rapprocha prestement avec l'intention de décapiter le monstre, il leva son bras armé, prêt à frapper mais il fut projeté vers l'arrière par une force invisible.
— Non! Cria une voix qu'il connaissait bien.
Il tomba lourdement sur le dos mais releva la tête instantanément. Devant lui se tenait Ereïm, la main tendue vers lui.
— Elle n'est pas maléfique!
Ses yeux étaient devenus aussi noirs que les profondeurs d'un cachot.
Le vieil homme abaissa le bras, se retourna et prit la créature dans ses bras, délivrant Arcis des griffes du monstre.
Avec une grande douceur, il la déposa contre le mur du couloir. Elle gémissait pitoyablement comme un animal blessé.
L'enfant se releva les larmes aux yeux et courut vers son père toujours étendu sur le sol, incapable de bouger.
—Que m'as tu fait vieux fou! Qu'est ce que c'est que ce monstre?
La voix qu'il voulut pleine de colère se perdit en murmures gutturaux tant le souffle lui manquait. L'âge, qui ne semblait avoir prise sur Ereïm, sembla soudain alourdir ses épaules, le vieillard bredouilla.
— C'est, c'est ta grand-mère.
Loup écarquilla les yeux.
— C'est impossible. Souffla t-il
— Je t'assure que si.
Sa voix était empreint de résignation et de tristesse.
— Mais comment... Ereim le coupa et secoua la tête
— Je ne sais pas. Le vieil homme soupira. Il y a cinq ans, Ynelle est partie à Stannarg quelques jours. Comme elle ne revenait pas, je suis allé à sa recherche. Je l'ai trouvé errante dans les collines de Gravisse.
— Mais comment as tu su que c'était elle?
— Comme toi j'ai failli la tuer mais j'ai croisé son regard et j'ai su.
Les questions se bousculaient dans l'esprit de Loup mais une seule s'extirpa d'entre ses lèvres.
— Mais pourquoi a t-elle agressé Arcis?
— Non, non ce n'était pas une agression, elle voulait juste de l'aide. Elle ne voulait pas lui faire de mal. Regarde là, que ces intentions soit bonnes ou mauvaises, de l'extérieur elles seront toujours mauvaises.
Loup retrouva soudain son souffle et l'usage de son corps. Il se releva lentement et serra son fils contre lui.
Il chuchota à l'oreille du petit garçon.
— Ca va aller fiston. Tout va bien. Tu veux bien aller m'attendre en bas?
Arcis fit non de la tête, les yeux toujours en larmes.
- Je n'en ai pas pour longtemps. Tu es en sécurité maintenant. Fais ça pour ton vieux père. On parlera de tout ça tout à l'heure.
Le jeune garçon embrassa Loup et partit vers les escaliers, la tête baissée.
Ereim reprit.
— Je suis désolé, vraiment, mais je l'avais mis en garde.
— C'est un enfant, grand-père.
Le vieillard ne répondit pas.
Loup jeta un oeil derrière lui. Arcis avait disparu. Lentement, il s'approcha de la créature.
C'était une parodie d'être humain. Elle gémissait et tremblait. Elle leva les yeux son petit fils. Son regard plongea dans le sien. Il sentit la douleur et le désespoir de cet être et reconnut celle qui avait bercé son enfance de sa voix si douce.
Il s'agenouilla et il posa les mains sur son visage.
— Je suis tellement désolé pour toi Mam'ynelle.
Tue moi!
J'ai mal!
Des murmures s'entrechoquèrent dans son esprit.
Ereïm posa sa main sur l'épaule de son petit-fils.
— Ne le fais pas.
— Tu l'entends aussi?
Le vieil homme acquiesça de la tête.
— De temps à autre, une de ses pensées vient à moi.
— Elle souffre. Je ressens sa douleur. On ne peut pas la laisser comme ça!
Ereïm lut sur le visage de Loup ce qu'il se refusait depuis toutes ces années.
— Non, n'y pense même pas! Je suis sûr qu'il y a un moyen de la guérir Il me faut plus de temps!
Le vieil homme avait laissé percé son désespoir en haussant la voix.
— En cinq ans, tu n'y as pas réussi. Ne te voile pas la face.
Ereim secoua la tête.
— Non non! Je ne te laisserai pas faire.
Loup mit ses mains sur les épaules du vieillard.
— Ereïm.
Dans un état second, le vieil homme répétait "non" sans discontinuer.
— Ereim.
Loup prit une inspiration plus forte pour se calmer.
— Grand-père. Ecoute moi.
Le vieillard leva ses yeux larmoyants vers son petit fils.
— Je sais que tu as raison mon grand mais, il s'arrêta de parler quelques secondes le temps d'essuyer ses larmes, jamais je ne pourrais le faire.
— Alors je le ferais.
— Tu tuerais ta grand-mère?
— Oui. Tu ferais mieux de partir.
— Tu veux le faire là maintenant?
— Oui. Tout ça n'a que trop tardé.
Résigné, Ereïm tomba à genoux devant sa femme, il la prit dans ses bras. Elle cessa un instant de trembler.
Ne t'inquiète pas mon bel époux. Tout ira bien.
— Je suis tellement désolé Ynelle. J'ai échoué.
Non tu n'as pas échoué. C'est moi qui ait échoué. Un jour je te raconterai pourquoi je suis devenu ainsi, mais pas aujourd'hui.
Il l'embrassa sur le front puis se redressa, les yeux larmoyants, il regarda un instant son petit-fils et partit sans se retourner.
Loup s'accroupit aux côtés de sa grand-mère, il lui chuchota quelques mots qui restèrent secret. Puis il l'enlaça, comme on entoure un trésor précieux. Il dégaina une dague de son ceinturon et l'enfonça en plein cœur sans aucune hésitation.
Merci.
Un dernier mot qui resta résonner dans son esprit pendant de longues minutes.
Le corps tressauta à peine, se tendit une seconde puis se relâcha. La vie s'était échappée. Elle était morte. Une expression de soulagement dans le regard.
Loup demeura ainsi pendant quelques instants, la dépouille de sa grand-mère contre lui.
Il la serra.
Les larmes ne vinrent pas.
D'un geste de la main, il lui abaissa les paupières dissimulant ses yeux, seul vestige de son humanité.
Il venait de tuer sa grand-mère.
Pourquoi cela avait été facile?
Qu'était-il en train de devenir?
Qu'était-il devenu?
Au moment où il se posait ces questions, la lumière d'un nouveau jour illuminait les deux corps enlacés. Les deux êtres paraissaient sans vie, pourtant un seul respirait encore.
Ce retour vers Loup est agréable, les chapitres le concernant sont souvent agréable à lire et à découvrir. Ce décalage de double relation est bien amené, d'un côté le grand-père et Loup, et Loup et son fils. Cela pose aussi des questions fondamentales sur la relation qu'entretenait Loup et son père, même si on a déjà des éléments de réponse.
Merci pour ce chapitre et à bientôt !
Merci beaucoup.
Loup c'est mon chouchou c'est pour ça! ;-)
Content que ça te plaise toujours!
Sinon, c'est vraiment un bon chapitre.
Petite coquille :
"Regarde là, que ces intentions soit bonnes ou mauvaises, de l'extérieur elles seront toujours mauvaises." Je crois que là s'écrit plutôt la en l'occurrence.
Merci et à bientôt Arod29
Gardar
Merci a bientôt!
Je reprends (leeeennntemeeent^^) ma lecture en ayant fait quelques retours en arrière pour me remémorer certains détails.
Tu as bien fait je trouve de rassembler deux parties pour construire ce chapitre, c'est très cohérent.
Il touche plusieurs sujets très durs avec justesse : la culpabilité des survivants, le droit à la dignité des personnes incurables, l'amour filial. Et l'amour que Loup ressent pour son fils est d'autant plus intense que tu nous le decris pourtant comme un vétéran qui perd de son humanité.
Quel plaisir de te revoir par ici!! Je n'ai pas été très présent ces derniers temps. Manque de motivation, de temps aussi... Mais là c'est reparti !:-)
Merci beaucoup pour ton commentaire, tu as complètement cerné ce que je voulais faire ressentir au sujet de Loup.
Content de voir que ça te plaise toujours.
Très beau passage, j'aime toujours autant ces relations filiales entre les personnages ! J'aime aussi l'alternance entre rêves et réalités, et ces passages de basculement entre les deux ! Et les questions que se posent Loup quand il tue sa grand-mère. Il me semble qu'au début, quand Arcis est attiré par la voix, tu peux prendre plus le temps de décrire ce qu'il ressent, le tiraillement entre la tentation et la conscience de l'interdiction, etc, histoire de rendre le passage plus intense, même s'il est déjà très beau ainsi !
Coquillettes :
- C'est moi qui ait échoué. Un jour je te raconterai pourquoi je suis devenu ainsi, mais pas aujourd'hui. => ai, devenue
A bientôt !
Merci pour ton commentaire!
Content que cela te plaise et d'avoir réussi à rendre intéressant ces passages émotionnels intense entre les personnages. Loup se rend compte que les morts de sa femme et de sa petite fille ont laissé plus que du désespoir et de la tristesse.
Merci pour ta remarque sur Arcis! Je m'y pencherai quand j'aurais le temps.
Merci encore!
A bientôt!
Tu apportes une réflexion sur la fin de vie intéressante. La facilité de Loup à prendre la décision est assez déconcertante, comme il s'en rend compte lui-même en fin de chapitre. C'est clairement plus le même personnage qu'au début...
Je me demande quels genres de traitements peuvent transformer une personne ainsi. C'est sans doute quelque chose qu'on pourra comprendre par la suite.
C'est bien d'avoir le pdv d'Arcis, pressé de le découvrir plus en profondeur.
Mes remarques :
"qu'il ne s'échappe" -> qu'ils ne s'échappent
"seraient assez juste justes pour exprimer son affliction." point d'interrogation ? "Les coups se firent plus intense." -> intenses
"Regarde là," -> la
"avait laissé percé" -> percer
J'attends la suite !
A bientôt (=
Merci ta lecture et ton commentaire. En effet le passé de Loup se mêle à son présent et il redevient l'homme assoiffé de vengeance qu'il était avant de créer une famille avec Dwenn.
L'évolution d'Arcis sera, je l'espère, interessante! ;-)
Merci pour tes remarques!