Il était une fois le quartier d’Arkeide. Le quartier rebelle. Le quartier rempli de résistants.
Il était une fois les Résistanges. Ces Anges qui avaient décidé d’anéantir leur propre Tour.
Il était une fois le prince Arkaël Sans-Mains et son armée d’enfants.
Ils étaient en ce moment face à face, les Anges et les Scribes. Les Scribes étaient d’un côté du grand stade et les Anges de l’autre. Alyz dut admettre qu’ils étaient d’une beauté époustouflante. Leurs visages étaient si parfaits qu’ils semblaient être tous la même personne... Il n’était pas facile d’écouter le discours d’un ennemi de toujours alors que l’on pouvait enfin l’admirer sans se faire tuer. Alyz se demanda qui de tous ces Résistanges était le Perce-Magie. Il fallait absolument qu’elle le découvre avant qu’il ne s’avère dangereux comme l’avait prédit Elkind. Peut-être en voulait-il au prince ? Elle se promit de le protéger quoi qu’il en coûte.
- ...par notre union, renversons la Tour et rendons la liberté à Domélyl ! avait récité un vieux magicien.
Alyz trouvait son discours minable. Futile. Inesthétique. Encore pire que ceux du roi des Scribes. Mais tous applaudirent et elle aussi.
Il était une fois Terels, le chef des Résistanges. Il était prêt à se donner corps et âme pour la chute de la Tour, personne n’en doutait. Mais les choses ne marchaient pas forcément comme on le voulait, même quand on les souhaitait désespérément.
Il était une fois Dée, la petite fée sur son épaule. Elle était plus éblouissante que tous les Résistanges réunis et, allez savoir pourquoi, elle ne cessait de clignoter à longueur de journée.
Il était une fois Alyz qui cherchait désespérément le Perce-Magie.
Un silence gêné suivit le discours de Terels et, l’espace d’un instant, il ne sut pas vraiment quoi faire. Tout le monde savait qu'il faudrait bien plus qu'un discours pour s'unir aux ennemis de toujours. Le vieux magicien resta figé. Dée s’apprêtait à lui donner des ordres, mais le prince Arkaël s’avança au centre du Stade, ce qui intima le silence à tout le monde.
La première chose que Terels remarqua fut l’absence de bras de leur allié. L'Ange ne pouvait pas s’enlever de la tête qu’il manquait quelque chose de capital dans cette silhouette longiligne. Le prince était très élégant, dans ses pas, dans ses expressions, dans sa posture, mais cette absence nuisait au tableau général. D'autant plus qu'elle était mise en valeur par une tunique serrée au torse, remplie de petits bijoux brillants et inutiles. Terels trouva également son visage immonde. De longues bandes tatouées se disputaient ses traits et, si le magicien n’avait pas su qu’il s’agissait là d’un prince, il aurait pensé à un homme sauvage d’une lointaine contrée. Ses traits n’avaient pas la perfection de ceux des Anges. Son nez était trop grand, ses pommettes trop saillantes et ses sourcils trop touffus. Comme le Perce-Magie. Les Scribes ressemblaient bien plus aux humains qu’aux Anges. Aux côtés du prince se tenait une jeune fille aux bouclettes insolentes. Son manteau était bien trop grand pour elle, ce qui avait pour résultat d’être très peu élégant.
Le prince dévisagea ses auditeurs. Il esquissa un grand sourire qui déforma ses tatouages et pencha la tête de côté.
- Merci.
Il hocha la tête. Des enfants s’avancèrent. Ils tracèrent de grands dessins sur le sol. Des courbes. Des courbes à n'en plus finir. Les enfants se retirèrent, et, après quelques instants, les symboles se mirent à onduler. Ils se mirent à onduler, à onduler, et se transformèrent en eau. Les dessins étaient devenu des lacs. Des petits lacs d'une eau pure et cristalline. Tous les Anges restèrent abasourdis. Comment le prince savait-il que la Tour leur avait coupé l'eau !? Terels vit les Anges baisser la tête, un à un, en signe de respect. Le prince avait gagné ses alliés.
- Vive le prince Arkaël ! crièrent tous les enfants.
Terels tourna son visage parfait en direction du prince. Et celui-ci lui offrit un sourire absolument magnifique.
Tous les résistants, Anges et Scribes, décidèrent d'entamer un bon repas pour fêter leur alliance. Il était plutôt convivial. Les Anges mangeaient d'un côté et les Scribes de l'autre, mais au moins, les gens parlaient et riaient. Et tout le monde avait de l’appétit. Tous sauf deux personnes. Le prince Arkaël, qui, seul, ne parvenait jamais à manger proprement. Et Alyz qui ne mangeait que lorsque le prince mangeait. Ils aimèrent mieux observer les lieux. Alyz se demanda où étaient passé les vrais habitants du quartier d’Arkeide. Les humains qui avaient osé se rebeller la première fois, comme le prince le lui avait raconté. D’eux, il n’y avait absolument aucune trace. Etaient-ils seulement en vie ? Peut-être se cachaient-ils dans les immeubles... La jeune fille était étonnée qu'il n'y ait que du bois, à Domélyl. Il était impressionnant que l’on pût construire des bâtiments aussi grands. A Elnayr, ils ne dépassaient jamais sept mètres, ou ils s’effondraient. Arrivant au terme de ses réflexions, Alyz coupa court à l’instant d’admiration.
- Ils nous méprisent, mon prince, c’est évident. Je ne les aime pas, elle maugréa entre ses dents.
- Alyzana, c’est avec des discours comme les tiens que naissent les guerres. Il est tout à fait normal qu’il ne ressentent rien envers nous, c’est pour cela que nous devons faire nos preuves et nous montrer à la hauteur pour les aider.
La jeune stratège ne répondit rien. Le prince avait raison, mais lui, comment faisait-il pour ne pas se sentir atteint par ce mépris ? Ils arrivèrent devant un grand bâtiment orné d’un vitrail circulaire. A en croire l’enseigne affichée, il s’agissait d’une sorte de maison communale. Un bâtiment administratif. Soudain, au bord d’un petit balcon, apparut un visage. Un beau visage penché au dessus d’eux. C’était un jeune homme d’une beauté absolument admirable avec de grands yeux encadrés par de belles mèches sombres. Alyz pensa d’abord que c’était un Ange, mais ses cheveux étaient bien trop courts. Un humain pouvait-il posséder des traits si parfaits ? Elle n'en était pas si sûre...
- Bonjour, jeune homme, s’exclama le prince, je me présente, je suis le prince Arkaël Sans-Mains du Royaume des Scribes. J’aurais une question à vous formuler, seriez-vous d'accord de me répondre ?
- Essayez toujours, répondit le jeune homme accoudé au rebord de bois, l’air terriblement ennuyé.
- Je vous remercie ! Voici ma question : êtes-vous celui que l’on nomme le Perce-Magie ?
Alyz dévisagea son prince. Il connaissait donc l’existence du Perce-Magie ! Pourquoi ne lui en avait-il jamais parlé ? Le jeune homme répondit :
- Non, sire, le Perce-Magie n’est plus là et les Résistanges s’en moquent bien. Qu’ils ne fassent plus appel à lui pour chasser les dragons.
Le prince Arkaël sourit.
- C’est donc lui qui a tué ces créatures… Puis-je lui parler ?
- Je vous ai dit qu’il n’était plus là.
- Est-il mort ? S’il ne l’est pas encore, je me ferai une joie d’envoyer l’un de mes guérisseurs, ils sont très doués.
- Navré, mon prince, mais le Perce-Magie n’a plus besoin de personne, répondit le jeune homme avec un grand sourire.
Ce stupide gamin cachait quelque chose, c’était sûr et certain. Alyz envisagea de l’insulter, mais le prince réagit plus vite qu’elle. Il offrit lui aussi un grand sourire à son interlocuteur. Le jeune homme soutint son regard. Les hostilités avaient déjà commencé. Des hostilités à coups de grands sourires.
Il était une fois les Résistanges. Malgré toute leur bonne volonté, il ne parviendraient pas seuls à renverser la Tour. Le prince l’avait bien compris. Il ne restait plus qu’à leur montrer de quelles prouesses les Scribes étaient capables.
Il était une fois Abeln le Rebelle. Un jeune homme frimeur, immature et insupportable. Alyz le haïssait.
Il était une fois le Perce-Magie qui était introuvable.