Yulni observait son amie Tyssy qui donnait des ordres à ses larbins. Elle songea à leurs années d'esclavage. Elles s'étaient soutenues mutuellement jusqu'à leur sanglante évasion. Les belles années qui suivirent étaient bien lointaines à présent et Yulni s'en souvenait avec nostalgie. Tout avait bien changé et la personne qui se faisait appeler Alzebal n'avait plus rien à voir avec son amie. Tyssy était devenue ce qu'elle détestait et elle avait franchi le point de non retour en tuant son propre fils. Yulni n'en pouvait plus. Il fallait qu'elle parle. Elle se leva et s'adressa à son amie.
— Tyssy. Pourquoi avoir accepté cette bataille?
— Plus personne ne m'appelle Tyssy.
— Si, tes amis.
— Je n'ai plus beaucoup d'amis
— Tu m'as moi.
Alzebal eut un sourire en coin.
Yulni insista.
— Tu n'as pas répondu à ma question.
Tyssy soupira.
— Je suis lasse de tous ces petits conflits aux quatre coins de Milsden. Je veux en finir une bonne fois pour toutes. Tous mes meilleurs ennemis seront là, ils n'auront aucune chance. Je vais les broyer.
Elle leva le poing et le serra, ses doigts craquèrent en se recroquevillant dans la paume de sa main.
— Nous sommes plus nombreux et j'ai bien des surprises qui vont faire des ravages dans leurs rangs.
— Si tu parles des Whabads, ces saletés sont incontrôlables! Ils sont aussi dangereux pour nous que pour eux!
— Mais si nous les contrôlons. Fais moi confiance, tout se passera bien Yulni. Ils n'ont rien contre nous, si ce n'est un fol espoir mais l'espoir n'a jamais été assez tranchant pour tuer quiconque.
— Tu es trop confiante.
— Et toi pas assez.
Yulni ne put se retenir.
— Tu as changé Tyssy.
— Oui nous changeons tous.
— Tu m'as écarté de toutes tes décisions depuis des années.
— Je te préserve. Tu es une maîtresse d'armes de grande valeur.
— Balivernes! L'ombre de la folie te guette.
— Ne m'insulte pas Olnir! N'oublie pas qui je suis.
— Et toi n'oublie pas d'où tu viens Tyssy. Tu as tué ton fils ainé et gardé sa tête dans une boite! Même Lodith n'a pas compris ton geste!
— Kiuren m'avait trahi et de toute façon tu sais très bien que je n'ai eu qu'un fils et il a été assassiné par Loup.
— Tu t'entends parler? Tu as deux autres enfants. Ils vont mourir aussi?
— Ils mourront un jour comme nous tous.
— Tu plaisantes avec ça? Sais tu à qui tu me fait penser?
Yulni pointa le doigt sur Tyssy.
— Esdino.
Alzebal écarquilla les yeux.
— Tu n'as pas oublié ce nom? Parce que tu as oublié tellement de choses depuis des années. Tu l'appelais Maître. Souviens toi d'où tu viens. Tu t'octroies le droit de vie ou de mort sur tout le monde comme Esdino.
Les yeux étincelants de rage, Alzebal dégaina son épée et plaça la pointe de la lame sous le menton de Yulni qui leva les bras.
— Tu vas me tuer aussi?
— Tu vas trop loin. Notre amitié ne t'autorise pas à me parler ainsi.
— A notre première rencontre avec le précédent Alzebal, je n'ai jamais oublié cette phrase que tu as prononcé avec conviction. Elle va et vient dans mon esprit comme une ritournelle. Je t'avais admiré pour ces mots. "Le respect ne s'obtient pas par la soumission." Ce sont tes mots Tyssy.
— Foutaises!
— Où est passée celle que j'admirais? Ma meilleure amie. Ma soeur.
— Elle est toujours devant toi. Elle a juste mûri, ce qui était vrai hier ne l'est plus aujourd'hui.
— Bafouer tes valeurs n'est pas grandir c'est mourir à petit feu.
Alzebal serra les dents, comme pour contenir sa fureur, face à son amie.
— Tu pourras avoir tout ce que tu veux si tu le demandes.
— Arrête cette guerre.
— Non tout sauf ça.
— Alors relâche toutes ces personnes que tu enlèves et que tu sacrifies dans tes saletés de cuves à Orombre! Je ne veux plus participer à tout ça. Je pars Tyssy.
— Ne m'appelle plus Tyssy! Je suis Alzebal!
Yulni avait les larmes aux yeux.
— C'est un déchirement Tyssy mais je ne peux pas continuer.
Yulni poussa un cri sourd. Dans son regard se mêlaient la surprise et la tristesse. La pointe d'une lame noire sortit indécemment de sa poitrine.
— Qu'as tu fait?
— Je te l'ai dis. Ne m'appelle plus Tyssy.
— Je t'aimais comme une soeur.
Tandis que la vie s'échappait de son corps, Yulni s'interrogea sur sa naïveté.
— Moi aussi, c'est pour cela que je ne peux pas te tuer moi-même mais je ne peux pas autoriser la désertion.
— Je te maudis.
Yulni s'effondra. Sadiane apparut derrière sa victime et recula de quelques pas.
— Merci Sadiane. Laisse nous maintenant.
La mage quitta la pièce.
Alzebal s'agenouilla devant le cadavre de Yulni. Délicatement elle lui abaissa les paupières. Elle l'embrassa sur le front.
— Je t'aime ma soeur. Repose en paix. Je n'avais pas le choix.
D'un revers rapide de la main, Alzebal se débarrassa d'une encombrante larme et par ce même geste, elle venait d'effacer Tyssy à jamais.