Les deux chopes s'entrechoquèrent et la bière coula sur les verres et les doigts des deux buveurs.
Sinfen but la moitié de son verre en une gorgée et les yeux perdus dans ses pensées, il marmonna dans sa nouvelle barbe.
— Je les ai vu partir.
Jared reposa son verre.
— De qui tu parles ?
— Je les ai vu partir. Selenn et Arshard.
Sinfen se frotta le front.
— Je pense souvent à eux. Je les imagine dans une petite maison dans les profondeurs de la Forêt des Larmes. Selenn fredonne une comptine, les pieds nus sur la mousse, elle porte une robe qui ne cache rien de son ventre rond d'un futur enfant. Arshard pêche dans la petite rivière qui chantonne près de leur maisonnette. C'est ainsi que je les vois., Heureux loin du tumulte des hommes.
— Personne ne les a jamais revu?
— Non, personne.
— Elle te manque?
Sinfen ne répondit pas mais ses yeux humides le firent pour lui.
— Jared, trouves-tu que notre monde est meilleur depuis la bataille de la Vallée des Soupirs?
— Milsden a changé, ce qui ne veut pas dire ce monde soit meilleur, je crois qu'il est simplement redevenu comme il y a cinquante ans mais sans Alzebal.
— Vois-tu je croyais profondément et sincèrement que nous allions changer les choses mais je crois aujourd'hui que c'est peine perdue. Tout recommencera un jour et le sang coulera de nouveau.
— Ton pessimisme me surprend.
— Réalisme, Jared, réalisme. Tu sais que la forteresse d'Alzebal a été détruite? Pourquoi détruire cette fantastique construction? Si ce n'est ce besoin irrépressible de violence des hommes. Pourquoi n'ont ils pas transformé ce lieu en cité prospère?
— Pourquoi ne les as tu pas empêché de le faire Sinfen?
Sinfen sourit.
— Parce que je suis fatigué.
— Les hommes de bien, comme toi Sinfen, ne peuvent pas s'arrêter se reposer. Ils doivent continuer à montrer la voie.
— Erhas, Lylly et Gus. Les meilleurs sont morts mon frère et chaque jour je les pleure.
— Arcis, Iria, Salgione, Sinfen sont eux toujours vivants.
— Je suis fatigué Jared.
— Alors finissons nos bières et allons nous reposer. Demain nous changerons le monde.
Sinfen se mit debout.
— Je lève mon verre à Erhas le sage, Lylly la guerrière, Gus le terrible, Grys la crapule et toutes celles et ceux qui sont morts dans une petite vallée, un jour de tempête, dans la boue et le sang pour notre liberté. Je leur serais éternellement reconnaissants et à chaque fois que je perdrais mon chemin, je penserais à leur sacrifice. Aux meilleurs d'entre nous!
Sinfen vacilla un instant et en se rasseyant, il sourit à Jared.
— Jared, mon frère, je crois que je suis soûl.
Leurs rires résonnèrent jusqu'au bout de la nuit.